Les contre-feux des collabos

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La lutte contre les terroristes

  • La presse de collaboration déplore jusqu'aux derniers jours de l'occupation les désordres causés par ces combats et fustige les bandits et terroristes. Paris-Centre dénonce régulièrement "ce que nous coûte le maquis" : "Des crimes ont lieu en ce moment sur le sol français, qui rappellent ceux de la Russie soviétique, ou de la guerre civile d'Espagne. Ces crimes sont signés par de soi-disant patriotes. [...] Le devoir est d'indiquer et de signaler aux autorités les repaires des terroristes (Paris-Centre, 12 et 13 août 1944)."
  • Un appel est lancé aux agriculteurs, que les autorités croient globalement acquis aux idéaux de Vichy - et pour certains mouillés dans le marché noir : "Paysans, les terroristes pillent vos fermes, enlèvent votre bétail, volent votre argent... (Paris-Centre, 9 août)"
  • Un décret du gouvernement de Vichy rappelle depuis janvier 1944 le sort réservé aux auteurs de ces désordres : "Pour maîtriser le terrorisme, les assassins pris sur le fait seront passés par les armes." Lorsque la Résistance devient plus agressive, le Haut Commandement des Forces Armées Allemandes avertit qu'il ne fera pas de quartier : "Les membres des groupes de résistance français sont considérés comme francs-tireurs et seront traités comme tels." L'occupant ne précise pas qu'il inflige le même traitement aux otages, suffisamment d'opérations de représailles ont démontré sa brutalité et son mépris des civils.

La Milice, la Légion des Volontaires Français et la Wehrmacht recrutent

  • Régulièrement, des encarts publicitaires proposent des emplois en Allemagne ou dans les différents corps de l'armée allemande.
  • Mercredi 19 janvier 1944 : "De tous temps la France a été en tête des Croisades ! [...] Engagez-vous dans la division française de la Waffen S.S."
  • Mercredi 16 février : publicité pour des engagements dans le corps motorisé de la Luftwaffe.
  • 9 avril : conférence à Nevers de Georges Claude, responsable national de la L.V.F., projection du film La Vraie France. Une publicité est faite pour des engagements dans la Kriegsmarine.
  • La Milice Française, installée à Nevers, place Carnot, depuis le premier mai, recrute.
  • Premier juin : recrutement des classes 42, 43 et 44 pour l'école des officiers S.S. de Tölz (Bavière): "plutôt que de devenir un manœuvre ou un ouvrier dans une usine..."
  • Jeudi 27 juillet : "Jeunes gens et hommes de 17 à 45 ans, avant qu'il ne soit trop tard, choisissez ! Ne restez pas dans les bas-fonds de la dissidence et de l'attentisme ! La lutte est gigantesque, mettez-vous à sa mesure contre les forces du désordre, venez rejoindre vos camarades de la Légion qui luttent depuis trois années..."
  • Plusieurs très jeunes gens se présentent dans les bureaux de recrutement ; ils n'ont guère le temps de combattre le bolchevisme et les terroristes. Après la Libération, ils auront à répondre de leurs engagements devant la Cour de Justice spéciale.

Les interdictions se multiplient

  • "Avis de la mairie de Decize : toutes affiches ou inscriptions provenant de partis ou organisations politiques interdites doivent être immédiatement enlevées ou effacées." (3 janvier 1944). Au début du mois d'août, un arrêté préfectoral déclare qu'une zone dangereuse de 150 mètres autour des ponts de Decize doit être particulièrement surveillée. Tout attroupement doit être dispersé. Les autorités craignent des sabotages ou des bombardements, qui pourraient piéger les troupes allemandes. La suite des événements démontrera que cette crainte était fondée.
  • D'autres décisions proviennent de la Feldkommandantur et sont répercutées par le quotidien régional : l'interdiction de prendre des photos en extérieur, l'obligation de déclarer tous les appareils de radio.

Des méthodes pour rassurer la population

  • Paris-Centre est formel : aucun débarquement ne peut se produire."Nos côtes sont bien défendues. Toute surprise est aujourd'hui impossible." (8 janvier).
  • Cependant, les collaborateurs sont inquiets. L'opinion publique n'a que mépris pour les mots d'ordre de la Révolution Nationale et la plupart des Français sont attentistes : la Libération n'est plus qu'une question de mois, de semaines.
  • Alors, la presse convoque les foules à Nevers et à Moulins pour acclamer le maréchal Pétain, de retour de Paris, où il a effectué un voyage éclair (27 et 28 avril 1944). Le même jour, Edith Piaf donne à Nevers un gala pour les familles des travailleurs en Allemagne
  • Comme le passage du maréchal Pétain ne suffit pas à galvaniser les Français, on fait appel au Ciel. Après le centenaire de Sainte Bernadette (7 janvier 1844-1944), les Nivernais fêtent le Grand Retour de Marie. La statue de Notre-Dame de Boulogne est promenée à travers la France (Selon la tradition, une nacelle aurait apporté en l’an 636 à Boulogne-sur-Mer une statue de la Vierge tenant l’Enfant Jésus. Cette statue placée dans la cathédrale a été vénérée jusqu’à sa destruction par les Révolutionnaires en 1793. En 1885, une nouvelle statue en bois de cèdre du Liban est devenue l’objet d’un culte itinérant, à travers le Nord de la France. En 1943, le clergé a décidé de promener cette « Vierge au bateau » à travers la France entière. Jusqu’en 1948, 120000 kilomètres ont été parcourus et 16000 paroisses visitées) ; elle arrive justement dans le Nivernais au printemps.
  • Une Nivernaise, Mme Renaud-Simonette, compose un cantique pour célébrer cet événement :
"Comme un symbole d'espérance,
La barque blanche, lentement,
Sillonne la terre de France
Dans les cités et par les champs...
Devant vous tous les cœurs s'inclinent
Sur les chemins, le long des blés,
Dans les vallons, sur les collines,
Au doux murmure des Avé."
  • Le premier juin, la statue arrive à Decize : un long cortège, estimé à plus de six cents personnes, parcourt la ville. Les prières qui accompagnent ce pèlerinage concernent le sort des prisonniers, des travailleurs, la protection de tous les jeunes hommes (allusion indirecte au S.T.O.), la conversion de la France, la paix dans le monde...
  • A La Machine, les rues sont décorées, dans les vitrines des commerçants de grandes fresques retracent les apparitions de Marie en France (Lourdes, La Sallette, Pontmain, etc...) Rue de Bussière, la statue passe sous un arc de triomphe fleuri. Puis, la procession s'éloigne en direction de Verneuil (La Semaine religieuse du diocèse de Nevers, 1er juillet 1944, p. 56).
  • Cette même semaine, les Alliés débarquent en Normandie (Le Pays Nivernais titre « Débarquement en Normandie sur ordre de Moscou », 11 juin 1944) et, sur le front de la Méditerranée, Rome est déclarée ville ouverte.

Nouvelles manifestations de solidarité

  • L'une des caractéristiques de la propagande du régime de Vichy est l'expiation, avec son antidote la compassion. "Acceptez les épreuves qu'on nous envoie. Ces épreuves seront terribles..." répète inlassablement le maréchal Pétain. Puisque la France souffre - elle a mérité cela à cause des erreurs du passé - le maréchal et ses services lui viennent en aide, et chaque intervention est soigneusement mise en valeur. Dans les derniers mois de l'occupation, le chef de l'Etat français et ses collaborateurs n'ont plus beaucoup de pouvoirs, mais les appels à l'aide sont plus nombreux et plus pressants que jamais.
  • Paris-Centre et Le Pays Nivernais se montrent évidemment solidaires des réfugiés. La Nièvre héberge à partir de février 1944 25000 personnes déplacées, provenant du Nord de la France. A Decize, MM. Bouchenez et Rebouleau accueillent en gare des réfugiés originaires de Calais. Après un repas substantiel que leur offrent la Croix-Rouge et le Secours National, ils rejoignent en camions des lieux d'hébergement répartis entre les communes du canton. L'accueil est chaleureux, le quotidien régional cite la lettre d'une réfugiée : "A Devay, près de Decize, où nous sommes six ménagères calaisiennes, nous avons été reçues à bras ouverts. Nous sommes installées chacune dans une maison et munies de provisions (Paris-Centre, 21 mars 1944)."
  • Autre manifestation de solidarité, bien tardive peut-être : l'industriel Gustave Loreille organise chez lui une "amicale réunion pour nos prisonniers" avec le concours de MM. Potut et Bouchenez et du docteur Masson. En outre, "le généreux promoteur" donne 5000 francs pour constituer un comité d'aide aux travailleurs français en Allemagne ; il propose également d'organiser une course cycliste afin de récolter des fonds supplémentaires. Georges Potut applaudit à cette initiative et proclame son "invincible espoir dans les destinées de notre pays si ses fils veulent rester unis (Paris-Centre, 19 mai 1944)."

L’aide aux victimes des bombardements

  • Les aviations alliées, qui n'avaient que rarement attaqué le département, sont chargées de détruire le nœud ferroviaire de Nevers. Beaucoup de Neversois, les cheminots les premiers, s'attendent à un raid des aviateurs alliés. Au début de juillet, un premier bombardement tue cinq personnes à Nevers.
  • Mais le bombardement le plus important est prévu dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 juillet. Neuf squadrons de Lancasters III et I, appartenant au 5e Groupe de la R.A.F. basé autour de Lincoln, sont envoyés sur Nevers. Ils doivent larguer leurs bombes sur un périmètre d'environ un kilomètre de longueur et une centaine de mètres de largeur entre les ateliers de Vauzelles et la Loire et détruire les voies ferrées. Quatre bimoteurs De Havilland Mosquitos précèdent les 108 bombardiers et sont chargés du marquage de l'objectif. L'opération est dirigée par le Wing Commander Porter. A la suite d'une erreur de positionnement et d'un contre-ordre, les pilotes des bombardiers distinguent mal les fusées lumineuses ; plusieurs avions volent trop à gauche de la formation. Le résultat est catastrophique pour Nevers : le quartier situé entre la gare et la cathédrale est détruit, la cathédrale subit d'importants dégâts, de même que l'école normale, le lycée, plusieurs maisons de la rue du Commerce. Les bombes font de nombreuses victimes, 162 tués, 168 blessés et 4583 sinistrés (Cf. étude du bombardement par le général Bossu dans l'ouvrage de François Lechat, Nevers et la Nièvre sous les bombardements, Nevers, Centre Imprimerie Avenir, 1982). Deux jours plus tard, le 17 juillet, entre 19 h 30 et 20 h 05 G.M.T., l'aviation américaine envoie 34 avions Thunderbolt P 47 afin de détruire les ateliers de Vauzelles, 50 locomotives et 200 wagons qui stationnent près de la rotonde.
  • Le même jour, la gare de Saincaize et celle de Saint-Pierre-le-Moûtier sont mitraillées, plusieurs wagons de pétrole sont détruits ou incendiés. Le village de Neuvy-sur-Loire subit plusieurs mitraillages et bombardements. Cette commune qui était peuplée de 1265 habitants au recensement de 1936 compte près de 140 morts (J.-C. Martinet, op. cit., compte 122 tués ; les plaques commémoratives de Neuvy comportent 128 noms; la citation de Neuvy à l’ordre de la Nation 129 ; le journal Le Matin du 31 juillet 1944 annonce 140 victimes, un chiffre que reprend prudemment François Lechat, op. cit).
  • L'hebdomadaire Le Pays Nivernais consacre presque toutes les pages de ses dernières livraisons à ces bombardements. La compassion pour les victimes et la haine des anglo-américains se mêlent étroitement dans les commentaires. La plupart des œuvres caritatives et les municipalités nivernaises viennent en aide aux sinistrés et aux blessés de Nevers, comme à ceux de Neuvy-sur-Loire et de Saincaize. Pour le déblaiement des rues de Nevers et des abords de la gare, les autorités réquisitionnent des ouvriers dans tout le département, parmi lesquels 50 hommes et 3 détenteurs d'attelages à Decize, 10 hommes à Béard, 40 à Cercy...
  • Voici le récit du bombardement de Nevers/u>, tel qu’il a été connu à Decize, rédigé par Angèle Volut, dans une lettre écrite à son fils René, alors déporté en Allemagne :
« Dans la nuit du 15 au 16 Nevers a été bombardé et rien ne passe, sauf quelques lettres. Ainsi j’en ai reçu une ce matin de tata Maria du 13 juillet. Ils ont eu bien peur lors du bombardement [de Limoges, où ils résident]. Ils ont pris la fuite sans rien emporter. Heureusement leur maison n’a pas souffert. Il ne doit pas y avoir beaucoup de morts. Il n’en est pas de même à Nevers. La D.C.A. a marché, aussi la ville même a été bombardée, la cathédrale en partie détruite, les Dames de France et d’autres magasins, le Lycée et l’Ecole Normale (avec 50 Freddy (Freddy : nom de code pour désigner les Allemands dans cette correspondance)), les rues avoisinant les voies de chemin de fer, le bas de l’avenue de la gare, la maison des parents de l’abbé Parent. Il y a encore après plusieurs jours des cadavres sous les décombres. Il était difficile de secourir ceux qui étaient dans les caves, car il y avait beaucoup de bombes à retardement. Il y a eu encore des victimes hier. »
  • Suivent les noms de plusieurs personnes connues à Decize tuées ou blessées dans le bombardement.
« […] Cela a dû être terrible. Le premier jour, ils ont enterré 68 morts, le 2e 12 à 15 et il en arrive tous les jours, d’autres sont disparus, pulvérisés. Nous avons des alertes maintenant. Je m’étais levée et même à travers les platanes nous voyions comme il faisait clair, presque comme en plein jour. Ceux qui étaient placés sur des hauteurs voyaient les fusées éclairantes et aussi tomber les bombes, mais comme je l’ai déjà dit il y en a eu beaucoup à retardement. De cette façon, les trains font la navette entre Cercy et Vauzelles, ils passent quand ils peuvent, ce n’est pas le moment de voyager. Une lettre a mis dix jours pour venir de Bourbon-Lancy, je ne sais pas si la mienne va t’arriver, si elle marche à la cadence de 10 jours pour 30 km ! (Lettre d’Angèle Volut à René Volut, 21 juillet 1944, archives familiales)»

Les derniers numéros de Paris-Centre

  • Alors que Paris se libère, les dirigeants du quotidien hésitent entre deux attitudes : la fidélité à la ligne politique adoptée depuis juillet 1940 ou le retour à une information plus réaliste.
  • Une carte des départements de l'ouest permet de comprendre un front de l'invasion que le lecteur attentif découvre pour la première fois le 14 août 1944, plus de deux mois après le débarquement en Normandie.
  • Le 16 août, Paris-Centre annonce le débarquement en Méditerranée, entre Cannes et Toulon. En contrepoint, il accorde deux articles à la nouvelle arme secrète allemande, le V 1. Le lendemain, jeudi 17 août 1944, c'est le dernier numéro imprimé. On y annonce des bombardements et le repli de l'armée allemande : "Les forces allemandes qui combattaient depuis plus de dix jours dans le saillant de Mortain se replient en bon ordre sans subir de perturbation par les attaques aériennes auxquelles elles sont soumises." À Fourchambault, de nouveaux méfaits du banditisme sont dénoncés : trois hommes tués à la mitraillette.
  • Suit une période de flottement. Faute d'approvisionnement en papier et de moyens de transport sûrs, peut-être aussi parce que plusieurs journalistes désertent, le journal Paris-Centre cesse de paraître. Les résistants investissent ses locaux lors de la libération de Nevers. Le 9 septembre, un arrêté préfectoral suspend l'existence d'un journal dont les dirigeants figurent sur la liste des collaborateurs à interner et à juger. Le mardi 12, les presses de Paris-Centre impriment le premier numéro officiel de La Nièvre Libre. L'ancien organe clandestin de la Résistance nivernaise paraît sous ce titre jusqu'au 27 septembre (numéro spécial comportant une page entière de photos) ; le lendemain, apparaît Le Journal du Centre.



Texte et images proposés par Pierre Volut et mis en page par Michel Mirault le 29 décembre 2016