Affaires au 17ème siècle

De Wiki58
Aller à la navigationAller à la recherche

Sorciers en Auxois et Morvan en 1644

Notes communiquées par M. Colombet : Commission de folklore et linguistique de Dijon 1962.

" Mlle Vignier rappelle que tout le long de la vallée de l'Ouche, sur les plateaux qui bordent cette rivière et jusqu'à Lucery- L'Evêque, Saint Symphorien-les-Autun, Montréal et Santigny, s'est développée durant l'été de 1644 une véritable épidémie de sorcellerie. La misère consécutive aux passages des troupes était très grande, les habitants de ces villages, situés dans des contrées naturellement âpres, se mirent à la disposition de quelques illuminés qui prétendaient identifier les sorciers jugés par l'opinion publique responsables des calamités présentes. Les intentions de ces justiciers, parmi lesquels dominait une forte majorité de femmes, n'étaient pas toujours absolument pures et plus d'une vengeance personnelle dicta les éxécutions sommaires par noyade ou bûcher. La justice royale ne put intervenir à temps pour limiter les ravages : les sorciers, ou soi-disant tels, furent souvent jugés par la Tournelle après leur décès, en même temps que leurs éxécuteurs.
L'affaire la plus sanglante eut lieu à Mâlain : le village, jugé tout entier responsable, fut condamné à payer des dommages-intérêts aux familles des victimes. A Macogne et Meilly, le curé lui-même se laissa entraîner dans la vague de purification : ailleurs l'arrivée des officiers royaux suscita de véritables jacqueries.
En fait, le prétexte des accusations de sorcellerie était souvent fort mince : A Santigny, où la justice de l'abbaye de Moutiers-Saint Jean veillait, un homme fut accusé d'être "vaudois" et sorcier, mais la procédure révéla que l'on ne pouvait lui reprocher que d'être le fils d'un homme lui-même suspect de sorcellerie vingt ans plus tôt, et qui avait alors été acquitté après avoir avoué, poussé par la fatigue, que le diable "homme affreux et noir" le contraignait chaque année à arracher un chou de son propre jardin ! Mais la mère de ce "vaudois" avait bel et bien péri en 1596 dans les flammes d'un bûcher élévé sur la place publique du village pour avoir fréquenté le sabbat et fait sa révérence devant le diable en tenant une bougie. Tels furent sans doute les souvenirs qui, un peu partout aux confins de l'Auxois et du Morvan, justifièrent, durant l'été de 1644, de bien pitoyables affaires."

  • Source : Le Morvan coeur de la France - J. Bruley - Tome II
  • Transcripteur : Mabalivet (discussion) 14 avril 2020 à 13:56 (CEST)

1682 - Exécution d'une présumée sorcière

Laurent Chantraine, parmi les décès relevés à Saint-Père, a déniché celui-ci; un bel exemple de meurtre organisé par l'église et la société.

Suzanne-niron-sorciere.jpg

Et voici la transcription:

Le vingtdeuxiesme octobre 1682 au cymetiere de cette paroisse a esté inhumée Suzanne Niron aagée de trente cinq ans ou environ ayant esté trennée dans les eaux, levée et reconnue innocente par la justice ainsy que m’ont declaré Monsieur le bailly et Monsieur le procureur qui ont signé le present acte.

Que signifie:

  • traînée dans les eaux ?
  • levée
  • reconnue innocente ?

Le musée de la sorcellerie à Concressault (18) relate ce type de torture: La présumée sorcière était plongée dans l’eau avec un poids. Si elle flottait, elle était donc coupable et brûlée. Par contre, si elle coulait, elle était déclarée innocente (mais noyée!).

Voici donc un cas-type de procès religieux où l'accusée avait peu de chances de pouvoir faire preuve de son innocence.

Pourtant à l'origine, le jugement de Dieu par le test de l'eau consistait à jeter pieds et poings liés dans la rivière les personnes soupçonnées de relations diaboliques: grâce à Dieu, les chrétiens surnageaient; quant aux sorciers, alourdis du poids de leurs péchés, ils s'enfonçaient irrémédiablement.

On relate certains cas où des «sorciers convaincus » eurent la chance de s'en tirer. La procédure fut donc quelque peu modifiée. Par exemple à Chéu dans l'Yonne: « Si l'humain coulait et se noyait, c'était que Dieu avait jugé bon de rappeler à lui son âme innocente pour la régaler ad aeternam des délices du paradis. On récupérait pieusement le noyé et on lui administrait un enterrement très chrétien, comme il sied à un élu de Dieu. Si quelqu'un, par contre, avait le mauvais goût de remonter à la surface, Dieu, épouvanté, manifestait ainsi qu'il n'en voulait pas en son céleste royaume. Le rescapé était donc démasqué comme un abominable sorcier, qu'à coups de gaffe on ramenait sans ménagements sur la rive et qu'on hissait aussitôt directement sur le bûcher. Les flammes se chargeaient de le sécher et de l'exorciser.»

--Patrick Raynal 2 novembre 2008 à 19:14 (UTC)

1693 - Pierre Balluë, assassin par fanatisme

Le père tue sa fille

  • Le 25 juin 1693, les officiers de justice de Corbigny font une macabre découverte dans une vigne appartenant au tailleur d’habits Pierre Balluë(1) : le cadavre coupé en morceaux d’une jeune fille. La victime est aussitôt identifiée. C’est Françoise Balluë, l’une des filles du tailleur. Les témoignages sont accablants : la jeune fille a été assassinée le 4 du même mois par son père et sa mère Jeanne Leloy, « en haine de la conversion de ladite Françoise Balluë à la religion catholique, apostolique et romaine. »
  • Le procès-verbal rédigé par les autorités locales est transmis au présidial de Saint-Pierre-le-Moûtier et, le 5 novembre 1694, après une assez longue instruction et de complexes recherches, Pierre Balluë est condamné « à faire amende honorable, nud en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la principale porte et entrée de l’église paroissiale de Saint-Seigne de la ville de Corbigny, où il sera conduit par l’exécuteur de la haute justice et là dira que meschamment, en haine de la religion catholique, apostolique et romaine, il a commis le parricide(2) en la personne de Françoise Balluë sa fille, dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roy, à la Justice. Ce fait, aura le poing de la main droite couppé au-devant de ladite église, et ensuite mené en la place publique de la ville de Corbigny pour avoir les jambes, cuisses et reins rompus, vif sur un échaffaut, qui pour cet effet sera dressé en ladite place, et mis ensuite sur une rouë, la face tournée vers le ciel pour y finir ses jours. Ce fait, son cadavre sera jetté dans un feu qui, pour cet effet, sera allumé auprès et ses cendres jettées au vent… »
  • Cette condamnation reste formelle car le condamné n’a pas été appréhendé. Toutefois, la cérémonie a lieu en effigie : un tableau représentant le meurtrier est promené de l’église à la place publique et les châtiments successifs sont administrés à ce tableau par le bourreau. Cette exécution en effigie a coûté la somme de cent livres.
  • Le crime de Pierre Balluë n’est pas un acte de dément. Tous les témoins interrogés par le bailli de Corbigny et le lieutenant criminel décrivent le tailleur comme un homme paisible, efficace et serviable. Pierre Balluë, dit de Sainte-Foy, n’a pas tué sous l’empire de l’ivresse, ni à la suite d’un égarement de sa raison. Il a sacrifié sa fille dans l’exaltation du fanatisme religieux. Au-delà des siècles, alors qu’autour de nous l’intolérance, l’épuration ethnique et la violence raciste s’agitent un peu partout, le crime de Pierre Balluë nous interpelle et nous fournit un aspect peu reluisant du Siècle de Louis XIV.

Que sait-on de Pierre Balluë ?

  • Il est né vers 1647 au lieu-dit Sainte-Foy, d’où son surnom. Sa première épouse, Anne Jougan, qui lui a donné plusieurs filles - dont Françoise - est décédée le 27 avril 1680(3). Le 11 janvier 1682, Pierre Balluë a épousé en secondes noces Jeanne Leloy, fille du menuisier Simon Leloy.
  • Après l’assassinat de sa fille, le signalement de Pierre Balluë est diffusé : un homme de petite taille, aux yeux enfoncés, aux cheveux châtains, longs et mêlés de blanc (il a alors près de 50 ans), de petite corpulence, un peu voûté, le teint coloré ; il parle un peu du nez.
  • Dernière information qui est loin d’être un simple détail : Balluë fait partie des religionnaires de Corbigny, autrement dit : il est protestant.

Les protestants dans le Nivernais

  • Les Guerres de Religion ont ensanglanté le Nivernais, comme la plupart des provinces françaises. Trois villes ont particulièrement souffert pendant cette sinistre période : La Charité-sur-Loire, Cosne et Corbigny. Les différents édits de tolérance, dont le plus connu est l’Édit de Nantes, ont garanti quelques lieux de sûreté à la minorité réformée et, en principe, la liberté de culte, mais les plaies ouvertes au XVIe siècle ne se sont pas vraiment refermées(4).
  • A la fin du XVIIe siècle, deux importantes communautés calvinistes ont réussi à préserver leur foi et à mettre en œuvre leur esprit d’entreprise. A La Charité et à Corbigny, les religionnaires restent unis, solidaires, fidèles à leur culte, malgré les multiples pressions exercées sur eux pour qu’ils se convertissent. Corbigny et les villages voisins comptent une vingtaine de familles huguenotes ; leur réussite sociale est indubitable, ce qui contribue à attiser les haines et les jalousies. Les plus notables de ces religionnaires sont les marchands de bois Mazilier, Stample, Pinette, Bizot, les apothicaires David Ballon et Jacques Collon, les cordonniers Jean Lombard et Pierre Bonamy, le maître-horloger Abraham Cuisin(5) et le ministre Etienne Girard. Des personnages influents leur assurent une relative protection contre les persécutions : Jacques Pinette est notaire, Isaac Etignard avocat, plusieurs nobles comme le sieur de Précy sont protestants.
  • Tout au long de son règne, Louis XIV a été obsédé par la minorité protestante qui s’écartait si malencontreusement de la norme et il s’appliqua à multiplier tracasseries et interdictions à son encontre(6). A partir de 1679, l’influence de Madame de Maintenon et du haut clergé va transformer cette attitude d’hostilité intermittente en une véritable guerre. De 1680 à 1684, les édits restrictifs se multiplient et ils sont répercutés dans le Nivernais par une série d’incidents. Des rixes éclatent à La Charité à propos de processions, d’officiers étrangers, de prétendus blasphèmes. Dans les deux places protestantes, les moines et le clergé séculier rivalisent d’ardeur pour réclamer la fermeture des temples et l’expulsion des ministres. Près de Corbigny, le temple de Beugnon(7) est perçu par les ultra-catholiques comme un défi ; les protestants seraient prêts à investir abbayes et églises comme lors du siècle précédent, selon une rumeur que répandent certains prédicateurs. Enfin, le 18 octobre 1685, l’Édit de Fontainebleau révoque l’Édit de Nantes, met tous les religionnaires hors la loi et jette à bas l’équilibre précaire qu’Henri IV avait mis en place.
  • La pression devient plus forte. Certains protestants s’enfuient en Hollande, à Genève, en Prusse. D’autres se convertissent (par exemple des abjurations sont enregistrées à Decize dans les deux paroisses). Souvent ces abjurations sont des stratagèmes pour échapper à la justice et les nouveaux convertis se réunissent secrètement dans des granges isolées et parviennent à soustraire leurs défunts au clergé catholique. D’où une série de procès intentés contre des cadavres, que l’on exhume et que l’on expose sur des claies, à la façon des criminels les plus odieux : procès contre Suzanne Fontaine le 13 juin 1688, contre Marie et Louise Pinette le 21 septembre 1694, contre Jeanne Droit le 12 mai 1699, contre Jean Joubert le 8 juin 1699, contre Jeanne Colon le 9 janvier 1700, contre Marthe Lemoine le 23 janvier 1701...(8)
  • L’assassinat commis par Pierre Balluë se produit au paroxysme de cette persécution. Le fanatisme religieux a des liens étranges avec le pouvoir: il peut se développer dans une majorité sûre de sa toute-puissance, acharnée à éliminer une minorité haïe ; il fait également des ravages chez les persécutés, luttant pour survivre. Pierre Balluë a voulu appliquer à la lettre le précepte biblique : « Si ton bras fait le mal, coupe-le, si ton œil voit le mal, crève-le… »

Seconde enquête : la fuite de l’assassin

  • Après son forfait, Balluë quitte Corbigny discrètement. C’est à la suite de dénonciations que la justice est alertée ; la confraternité des protestant aura plusieurs fois des failles et le silence sera rompu autant par les proches de Pierre Balluë (son épouse, sans doute prise de remords) que par certains de ses protecteurs.
  • Le 23 juin 1693, un premier jugement est rendu contre le contumax. Le lieutenant criminel charge l’huissier Chaillot d’assigner le meurtrier « à comparoir » sous quinzaine pour répondre de son acte. D’autres assignations sont confiées aux huissiers de Corbigny, les sieurs Guillemain et Chevrier. A plusieurs reprises, du 10 juillet au 3 novembre 1693, le préconiseur Florimond Goubillot, de Saint-Pierre-le-Moûtier, et son collègue corbigeois annoncent au son du tambour que Pierre Balluë doit se rendre au tribunal. Le meurtrier est introuvable.
  • Un an plus tard, l’enquête reprend et quelques indices sont livrés. Jean Chambon, aubergiste du Logis de la Gaule, à La Charité, affirme que peu après le meurtre Pierre Balluë a dîné chez lui à plusieurs reprises. Il résidait alors chez ses coreligionnaires de La Charité Abraham Jallot et son fils Simon. Plusieurs commerçants de la ville viennent dénoncer les complices de l’évasion de Pierre Balluë. Des filières de fuite existaient, d’abord le long de la Loire puis vers les frontières orientales du royaume. Daniel Jallot aurait gardé l’assassin trois ou quatre jours chez lui puis il l’aurait fait installer dans un bateau et lui aurait donné de l’argent.
  • Il est difficile de croire sur paroles les innombrables témoins qui viennent déposer contre Balluë en novembre 1694. A La Charité comme à Corbigny on découvre que le meurtrier, présenté d’abord comme un homme calme, travailleur et sympathique, aurait eu une foule d’ennemis : des gens qui, manifestement, en rajoutent, soit par pur esprit de vengeance, soit pour se dédouaner. La procédure s’enlise sous cette avalanche de témoignages imprécis. Il manque à cet énorme dossier(9) quelques précisions sur le sort de Jeanne Leloy, l’épouse du meurtrier : alors que les premiers documents l’associaient au meurtre, elle est absente de la seconde enquête. Aurait-elle abjuré le protestantisme pour échapper à la justice ?
  • Dernière énigme, qui ne sera sans doute jamais résolue : qu’est-il advenu de Pierre Balluë ? A-t-il refait sa vie dans un pays d’exil ? Où ? Comment ? A-t-il des descendants ?

    (1) Le nom est aussi orthographié Ballu, Balut, Balus. L’orthographe adoptée ici est celle de l’acte d’accusation.
    (2) Logiquement, Pierre Balluë aurait dû être accusé d’infanticide. Mais ce terme s’appliquait au meurtre d’un enfant en bas âge. Le terme parricide semble avoir été adopté pour tout meurtre familial d’un adulte ou d’un adolescent, quel que soit le lien de parenté avec le meurtrier.
    (3) Registre de Ceux de la Religion (c‘est à dire les Protestants), du 29 mai 1668 au 27 décembre 1684, A.D.N., cote IV-E 8 à 11.
    (4) Madeleine Saint-Eloy, Les Religionnaires de Corbigny après la Révocation de l’Édit de Nantes, Mémoires de la Société Académique du Nivernais, tome LVII, 1971, pp. 11-42.
    (5) Abraham Cuisin est témoin de nombreux baptêmes et mariages de sa communauté. Parmi les travaux qu’il a effectués, on peut mentionner l’horloge posée sur le nouveau beffroi de Decize. Le ministre est le pasteur protestant.
    (6) Eric Le Nabour, La Reynie, le policier de Louis XIV, Paris, Perrin, 1991.
    (7) A Chitry-les-Mines.
    (8) A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, dossiers B 80, B 86, B 92, B 93, B 94.
    (9) A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, cotes 2B 85 et 2B 201.

Texte communiqué par Pierre VOLUT http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/

1695 - Un meurtre au prieuré de Saint-Révérien

«Bougres de chiens de prieurs !»

  • Sous l'Ancien Régime, il y avait plusieurs dizaines de prieurés dans la province du Nivernais, dépendant d'abbayes puissantes comme celles de Cluny, de La Charité, d'Autun ou d'Auxerre, dépendant aussi du chapitre des chanoines de Nevers. La plupart ne rassemblaient qu'un tout petit nombre de moines, dirigés par un prieur claustral, qui demeurait avec eux, menant un train de vie modeste, et qui était parfois chargé d'une paroisse. Le prieur claustral était placé sous l'autorité d'un prieur commendataire, issu d'une puissante famille noble, résidant à Nevers ou dans un château, et ne séjournant au prieuré que quelques semaines par an.
  • Des rivalités fréquentes opposaient ces prieurs, absentéistes ou résidants, aux prêtres des paroisses, aux seigneurs de villages, aux villageois. Dans les dossiers des affaires criminelles du bailliage de Saint-Pierre-le-Moûtier, on trouve plusieurs traces de ces conflits, dont certains se sont terminés par des meurtres sanglants(1).
  • Le 21 janvier 1707, une procédure est ouverte par le procureur fiscal du bailliage de Vaux, Bazolles et dépendances contre Pierre Charondier, soldat de la paroisse de Guipy. Ce dernier est accusé d'avoir tué d'un coup de fusil maître Étienne Deloque, prieur et curé de Bazolles(2).
  • Deux ans plus tard, le procureur du roi au présidial de Saint-Pierre-le-Moûtier et le procureur fiscal de Lormes poursuivent un certain Jourdan, habitant de Lormes, coupable d'avoir tué d'un coup de fusil à la métairie de Chevigny le prieur du Val-Saint-Georges. Certains officiers de justice et notables de Lormes auraient eu intérêt à étouffer l'affaire : le greffier de Lormes est sommé de remettre le plus rapidement possible à la maréchaussée toutes les pièces du dossier(3).
  • Pourquoi ces deux prieurs ont-ils été tués ? A l'origine des meurtres, on trouve de solides inimitiés alimentées par la levée - forcément impopulaire - des dîmes. Une autre affaire, qui ne s'est heureusement pas terminée tragiquement, révèle l'origine fiscale de ces disputes(4).
  • En juillet 1712, Dom Michel Panseron, prieur de Saint-Sylvestre de Jailly, et Claude Chauve, son agent d'affaires, portent plainte contre Louis du Verne, seigneur de Jailly, capitaine d'infanterie au régiment de Noailles, contre dame Anne des Manchins, son épouse, et contre Thomas du Verne, lieutenant de cavalerie, son frère. Le receveur Claude Chauve dépose : « Le jour d'hier, 16 du présent mois de juillet 1712, environ l'heure de six à sept du matin, estant de retour audit prioré, venant de levé [sic] quelques dixmes appartenant audit sieur prieur, le nommé Benoist Vérat, un des dixmeurs du sieur prieur, luy dit : « Je vient [sic] du château de Jailly ; madame de Jailly m'a dit de vous dire de luy aller parler. » Ce qu'il voulut bien faire. Y estant allé, il trouva ladite dame de Jailly à qui il dit : « Madame, on m'a dit que vous me demandiez. Que souhaitez-vous de moi ? » Elle luy repartit : « Je ne veult rien, c'est mon beau-frère qui te veult parler. » Lequel beau-frère, qui s'appelle Thomas du Verne, autrement du Montot, entra dans la chambre où estoient ladite dame et le suppliant, qui dit : « Te voilà don, monsieur le bougre. Qui te fait si hardy de chercher des dixmeurs pour ton prieur ? » Le suppliant lui répliqua : « Je fais mon debvoir. Si j'estois avec vous, je le ferois de mesme. » Sur-le-champ, ledit sieur du Montot prit le suppliant par les cheveux et le terrassa, et, l'ayant mis soubs luy, luy donna plusieurs coups de poinds [sic] sur la teste, et de coups de pieds au ventre, et ensuitte sauta à une canne et luy en donna plusieurs coups sur la teste et au corps, jurant et blasphémant le saint nom de Dieu, disant : « Mordieu ! Teste Dieu ! Je veult que tu sortes de chez ton bougre de chien de prieur, et si tu n'en sçaures [sic] pas incontinent la moisson finie, je te batteray tant que j'auray le plaisir de te tuer. »
  • Un crime beaucoup plus complexe, exécuté par des hommes de main, met en jeu des gens influents, proches de l'évêque, apparentés à des dirigeants d'ordres religieux, à des nobles, à des notables.

Dom Michel de Chéry contre Dom Jean Vignault.

  • Le 6 juin 1695, un cavalier traverse paisiblement les bois de Balleret, dans la forêt des Amognes(5). Dom Jean Vignault, religieux bénédictin, prieur claustral du prieuré de Saint-Révérien(6), se dirige vers Saint-Pierre-le-Moûtier. Il se rend au tribunal auprès duquel il a déposé plusieurs plaintes contre Dom Michel de Chéry, chanoine et trésorier de la cathédrale de Nevers, et prieur commendataire de Saint-Révérien(7).
  • Dom Jean Vignault s'engage dans un passage couvert appelé le Chemin Serré. En cet endroit, les frondaisons se rejoignent pour masquer la lumière : c'est un véritable coupe-gorge que les voyageurs n'empruntent qu'avec appréhension. Justement, ce jour-là, un traquenard a été préparé contre le religieux. Deux détonations d'armes à feu retentissent subitement. L'une des balles perce le chapeau de Dom Vignault, à trois doigts du cordon. Un peu plus bas et c'était la mort. Le religieux aperçoit deux individus qui s'enfuient à travers les sous-bois. Il donnera plus tard le signalement d'un de ses agresseurs : « un jeune homme de taille déliée, le visage brun et les cheveux noirs, habillé d'étoffe brune, et armé d'un pistolet de ceinture ». Les enquêteurs identifieront sans peine un certain Jeannot, dit le Bastard, serviteur de Dom Michel de Chéry.
  • Dom Jean Vignault est indemne. Un médecin de Corbigny, le sieur Chauveau, est chargé de l'examiner ; il ne décèle aucune blessure ni égratignure. Le religieux a toutefois compris qu'il possède des ennemis acharnés à sa perte, et que ceux-ci recommenceront dès qu'ils le pourront.
  • L'occasion se présente le vendredi 7 octobre suivant. Après avoir dit la messe, le prieur de Saint-Révérien sort de son église et pénètre dans une maison à demi ruinée « pour quelques nécessitez ». Alors qu'il passe sous l'escalier, il a la désagréable surprise de voir tomber deux lourdes marches de pierre. Un réflexe prompt le précipite à l'abri ; il n'est que superficiellement touché par des gravats.
  • Dom Jean Vignault pense d'abord que ces marches sont tombées par accident, et qu'il a lui-même déclenché leur chute en s'appuyant à un mur branlant. Mais, au moment où il s'apprête à quitter la maison en ruines, il perçoit un bruit anormal venant de l'étage. Un homme est là, qu'il ne connaît pas, qu'il n'a jamais vu auparavant, mais qui le menace aussitôt, « armé d'un pistolet et d'une épée sous fourreau », un homme « de taille moyenne, assez gros, aiant les cheveux entre noirs et châtains, couvert d'un juste-au-corps gris. » L'agresseur tire au pistolet. Par bonheur pour Dom Vignault, la balle se perd dans les pierres. Alors, l'homme de main se jette sur le religieux et il entreprend de le frapper de la crosse de son pistolet. Il le blesse à la tête et le met en sang.
  • Le combat continue au sol. Le religieux réussit à prendre l'avantage et, pendant près d'un quart d'heure (selon son propre témoignage), il maintient fermement sous lui son adversaire, qu'il a saisi aux cheveux. Il lui subtilise son épée et il la brise. Pourtant, l'agresseur reprend soudain le dessus. D'un tronçon de son épée, il frappe Dom Vignault au visage, sur le crâne, sur la poitrine. Il lui porte plus de trente coups. Le laissant pour mort, il s'enfuit dans les bois de Champallement.
  • Cependant, le prieur de Saint-Révérien échappe à la mort. Il alerte les villageois, qui accourent à son secours et le conduisent à son domicile. Ils fouillent la maison en ruines et découvrent rapidement des preuves irréfutables qu'un attentat avait été organisé. Le tueur a laissé son chapeau, un bonnet de nuit, une gourde contenant du vin, un pain attaché à la gourde, des poires et des pommes cuites, des galoches, des souliers, un pistolet abîmé, un sac de toile. Ce sac, dont l'usage normal était de contenir du grain, avait été coupé et percé à la manière d'une cagoule. Plusieurs habitants de Saint-Révérien se souviennent maintenant qu'ils ont rencontré, au cours des trois jours précédents, un gueux vêtu de cette sorte de capuchon.
  • Les langues se délient. Des voisins prétendent que, du 4 au 7 octobre, de la fumée s'est échappée de la cheminée de la maison réservée au prieur commendataire, alors que personne n'y résidait officiellement, pas plus Dom Michel de Chéry qu'un de ses domestiques. Un autre villageois affirme que plusieurs personnes voulaient porter secours à Dom Vignault pendant l'agression, mais qu'un particulier les en a empêchés.
  • « Le 14 janvier de l'année suivante, 1696, un jour de samedi, ledit Dom Jean Vignault retournoit de la ville de La Charité en sa maison conventuelle de Saint-Révérien. » Il venait de conduire plusieurs moines bénédictins venus de Cluny. Arrivé environ les cinq heures du soir, il est descendu de son cheval, l'a donné à un journalier qui l'accompagnait, auquel il a aussi confié la clef de la porte de sa maison, afin de mettre son cheval à l'écurie. « Et dans ce moment deux quidams qui s'étoient retirez et recelez trois ou quatre jours auparavant dans la cave de la vieille maison ruineuse proche de la halle et de la maison conventuelle [sont] sortis de ladite cave, armés de fusils et de bayonnettes, ont tiré deux coups de fusil sur ledit Dom Vignault, l'ont jeté par terre et lui ont donné plus de trente coups de bayonnettes, à la teste et aux autres parties de son corps, et, par une cruauté qui fait horreur, lui ont coupé la gorge, fendu les poulmons et le coeur, l'ont ensuite volé, pris son argent, ses papiers et une montre en argent qui auroit esté vuë quelque tems après aux environs de la ville de Saint-Saulge. »
  • Au bruit des coups de feu, un couple est sorti d'une maison voisine en criant « au meurtre ! » Mais un comparse des assassins, armé lui aussi d'un fusil, a menacé les témoins et s'est adressé à la femme en ces termes : « Cette bougresse ne cessera de crier ! » Assurés de ne pas être poursuivis, les trois hommes se sont retirés du côté de Neuilly.
  • On peut se poser tout de même quelques questions sur la vigilance et l'entraide communautaire que les villageois ont négligées en cette occasion. Dom Vignault avait déjà fait l'objet de deux tentatives d'assassinat, dont l'une avait eu lieu en plein jour, au centre du village, à la sortie de la messe. Le meurtre s'était déroulé au même endroit, à quelques pas de la halle où, en cet instant, plusieurs ouvriers charpentiers et des bouviers étaient occupés à décharger une poutre. Lâcheté, complicité, indifférence ou inconscience ?
  • L'enquête dure jusqu'en octobre 1698. Assez rapidement, les juges constatent que les meurtriers ont bénéficié de nombreuses aides. Le faisceau de présomptions conduit inévitablement à Dom Michel de Chéry, rival et supérieur de Dom Vignault.
  • Après leur forfait, les assassins se sont dispersés. L'un d'entre eux s'est engagé dans une compagnie d'infanterie ; il y commet l'imprudence de montrer à d'autres soldats une bourse remplie de pièces en or et en argent. Le second tueur est repéré dans un château appartenant à la famille de Chéry ; on lui a rasé la tête, on lui a fourni une perruque et un billet de mille écus(8). Le dernier complice, celui qui a retenu les habitants de Saint-Révérien, se fait arrêter ; il s'évade de la prison de Nevers quelques jours plus tard, en usant ses fers avec une lime qui lui a été procurée par un mystérieux ecclésiastique...
  • Les trois hommes ont été identifiés. Ce sont des valets ou des hommes de main de Dom Michel de Chéry : il y a Jean (ou Jeannot) Bidault, surnommé le Bastard, orphelin élevé en la demeure du prieur commendataire. Jean Clément, dit le Morvandeau, est un domestique de Michel de Chéry.
  • Quant au troisième, un certain Pierre Leduc, il est arrêté en juillet 1697 près de Luzy. Le juge Denis Nault reçoit les dépositions de Denis Dubuis, concierge de la prison locale, et de son épouse Denise Perrot. Ils détiennent depuis quatre à cinq jours un nommé Pierre ou Lapiare, accusé d'avoir volé une jument et un poulain appartenant au sieur Gauthé, hôte de Rémilly. La maréchaussée de Saint-Pierre-le-Moûtier doit venir le chercher pour le transférer dans les prisons du présidial.
  • Pierre, qui se nomme en réalité Pierre Leduc, a fait des confidences imprudentes à ses geôliers. « Il auroit parlé du moine qui a esté tué ; il avoit esté condamné à estre roué et jugé à Nevers à cause de la mort du bougre de moine. [...] Il s'est fait acquitter d'avoir tué un moine... » Le juge Nault cherche qui peut bien être cet assassin vantard. Avec lui, et avec les enquêteurs du présidial, nous découvrons un personnage déconcertant. Pierre Leduc a trente ans environ. Il a exercé la profession de drapier à Nevers, près de l'hôpital. Il est marié depuis un an et demi, et son épouse réside à Rémilly. Lui-même, il a mené une vie très vagabonde, effectuant de longs séjours à Alais(9), en Languedoc, puis revenant dans le Nivernais. Il a logé quelque temps à Lanty, chez un certain Henry Chopin, à qui il a raconté une étrange histoire : un jour, un homme avait voulu faire coucher un passant dans sa chambre, et ce passant l'avait égorgé. Leduc voulait-il donner un avertissement à son hôte ? Dans quel but ?
  • Leduc était en relations suivies avec Michel de Chéry et avec ses comparses, auteurs du meurtre de Dom Vignault. On retrouve plusieurs lettres qu'il a expédiées, en particulier celle que Claude Durgon, praticien à Luzy(10), détient en sa possession, et qu'il devait sans doute transmettre à Dom Michel de Chéry :
  • « Monsieur, Vous estes cause que je suis dans les forests. Ce n'est pourtant pas le mal que j'ay fait ; on m'a volé l'argent que vous m'avez donné. Quatre paysans me l'ont pris et m'ont emmené en prison. Mr Nault, juge à Luzy, a votre considération, m'a considéré beaucoup et me sortira demain. [...] Je veux estre payé du billet que Mr votre oncle a donné à Mr de Poisson pour me donner le billet [sic]. Mr Laudard a recelé l'argenterie que Dom Giraud avait volée à Dom Vignault. Mr votre oncle a donné son fusil à son bastard et lui a dit d'aller attendre au bout du pont de Saint-Honoré et qu'un moyne roué est assez mort. »
  • Une autre lettre expédiée par Leduc est parvenue à Mr Dauveau, curé de Rémilly. Elle est destinée à un certain Mr de Caumont. Cette lettre révèle que le meurtre de Dom Vignault était un véritable complot commandité par plusieurs personnages influents :
  • « Mr de La Vernière a donné son valet à Dom Giraud pour assassiner l'homme en question. S'il ne l'eust fait, Mr de La Forest donnait deux dragons. [...] Le Sr de La Vernière a donné une espée et une bayonnette à son valet et de la poudre et luy a dit de tuer cet homme-là et, ne tenant pour une peyne du Roy(11), je demande 500 livres pour me rétablir ; je sortiray de France. Je prie Dieu et la Vierge Marie que vous ne m'obligerez plus à vous escrire. »
  • Depuis son évasion de Nevers, Pierre Leduc se sent traqué. Condamné par contumace, il risque de voir sa peine exécutée. Ce sera la mort ou les galères. Alors, il n'hésite pas à mettre en cause tous ceux qui, de près ou de loin, ont tiré profit de la mort de Dom Vignault, et qui se croient au-dessus de tous soupçons. Claude Durgon en fait partie, d'autant plus qu'il joue double jeu. Il a reçu, quelques jours plus tôt, le père du religieux assassiné, Jean Vignault l'Aisné, marchand de Saint-Saulge. Celui-ci a porté plainte contre Dom Michel de Chéry dès qu'il a eu connaissance du meurtre de son fils. Constatant ensuite que l'affaire s'enlisait, il a recherché lui-même les assassins. Il a retrouvé trace de Pierre Leduc et s'est installé à l'Auberge du Cheval Blanc à Luzy. Cette présence inattendue explique peut-être l'affolement de Leduc. Un Pierre Leduc qui a voulu s'enfuir à cheval et qui s'est fait prendre alors qu'il volait la jument et le poulain de l'aubergiste Gauthé. Maintenant, certain d'être condamné par les juges de Saint-Pierre-le-Moûtier, il dénonce au juge Nault tous les responsables de l'Affaire de Saint-Révérien.
  • Reprenons les faits depuis le 14 janvier 1696. Jean Clément et Jean Bidault-le-Bastard ont massacré Dom Jean Vignault. Pierre Leduc faisait fonction de sentinelle et il s'est chargé d'éloigner un couple de témoins. La mort du prieur a profité à l'un de ses moines, Dom Giraud, et à plusieurs personnes qui ont pillé sa maison. Pour organiser la fuite de ses hommes de main, Michel de Chéry a fait appel à plusieurs nobles de ses amis : Mr de Poisson, Mr de Caumont, Mr de La Vernière. Claude Durgon et le curé de Rémilly servaient de boîtes aux lettres au fuyard Pierre Leduc et transmettaient des lettres de chantage adressées à ceux qu'il jugeait responsables du crime.
  • Cet assassinat est surtout le dernier épisode d'une rivalité violente et mouvementée entre le prieur commendataire et le prieur claustral. Une rivalité qui tient surtout au caractère vindicatif du premier. Au cours des vingt-cinq années qui ont précédé, Dom Michel de Chéry est cité à maintes reprises dans les registres des affaires criminelles du bailliage. Le rappel de ces procès dévoile la personnalité de cet ecclésiastique bien peu recommandable.
  • Le 16 août 1672, Dom Michel de Chéry s'est battu avec Toussaint Dameron, cabaretier à Saint-Révérien. Le motif de cette rixe : une banale affaire de pigeons. Dameron tirait au fusil les volatiles qui venaient de faire des dégâts dans ses plantations. Or, les pigeons venaient pour la plupart du colombier du prieur et Dom Michel de Chéry voulut confisquer, en représailles, le fusil du cabaretier. Ce dernier a reçu le prieur à coups de poings.
  • Le 30 août 1677, Dom Michel de Chéry est mêlé à un assassinat. Cette fois, il n'y est pour rien. Sur le grand chemin de Saint-Saulge à Clamecy, Guillaume Grandpierre, dit Jassemin, valet du prieur commendataire de Saint-Révérien, a été égorgé par Jean Davaut le Jeune, cavalier de la compagnie du Sr du Pré de Guipy au régiment de Montal ; le soldat revenait ivre à son cantonnement. Un mois plus tard, le meurtrier reçoit des lettres de rémission.
  • Le 8 mars 1684, maître de Sacy, avocat, rédige pour Dom Jean Vignault un mémoire très précis reprenant les conclusions d'une Enqueste sur la Débauche et les Propos Impies de Dom Michel de Chéry. Ce dernier est convoqué par maître François Bouzitat, conseiller du Roi, devant la chambre et les chanoines de l'église cathédrale en la salle de l'officialité du chapître. Et il doit faire face à une cascade d'accusations diverses.
  • Deux prêtres des environs de Saint-Révérien, Jacques Lambert curé de Lasché et Louis Berger, sont entendus comme témoins. Ils déclarent que « le Sr de Chéry a en sa maison une femme suspecte et de mauvaise vie, appelée la Nolotte, parce qu'elle est mariée au nommé Nolot. Elle est chez lui tout le jour et une grande partie de la nuit, ce qui cause beaucoup de scandale. [...] Ladite femme Nolot n'a point fait ses Pasques. » De Chéry fait fi de ses vœux de chasteté et il se comporte en laïc puisqu'il ne porte pas l'habit ecclésiastique.
  • Le sieur Louis Louault, 42 ans, demeurant à Montenoison, « auroit veu dans la cuisine du Sr de Chéry des peintures salles [sic] et indécentes, des figures déshonnestes peintes sur la muraille. » Gabriel Lambert, 65 ans, marchand à Lasché, Guillaume Bureau, 38 ans, laboureur au village des Angles, Gilbert Commarin, sergent royal à Rouy, Adrien Gaffet, 50 ans, praticien à Rouy, et d'autres témoins encore viennent charger Dom Michel de Chéry...
  • Enfin, Dom Jean Vignault « supplie humblement que depuis cinq ans qu'il est au prieuré, il a le malheur d'estre l'objet de la passion de Michel de Chéry » qui, au cours des deux dernières années, « s'est porté à cette extrémité de le maltraiter en sa personne. » Le 26 février précédent, Dom Michel de Chéry lui a donné des coups de bâton, « en blasphémant le Saint Nom de Dieu. » Auparavant, Michel de Chéry se serait vanté publiquement et devant l'évêque de Nevers qu'il allait donner vingt coups de bâton à son rival.
  • Les récriminations continuent, variées, inexorables. L'église du prieuré est en ruines. Michel de Chéry a fait démolir l'écurie de Dom Jean Vignault. « Son emploi ordinaire est la chasse ; il fait ordinairement sonner du cor et aboyer ses chiens pendant la Sainte Messe pour interrompre le prêtre à l'autel. »
  • « Il se rend redoutable par les vexations qu'il exerce contre le peuple. Il a retenu deux huissiers chez lui, à qui il n'a donné que quarante sols par jour et leur nourriture. Il fait travailler ses serviteurs les fêtes et dimanches, et mesme faisoit pescher sans nécessité le jour des Rameaux pendant le Divin Service... »
  • La supplique de Dom Vignault revient sur la paillardise et les mœurs dissolues de Dom Michel de Chéry. Sa cuisine et sa chambre sont ornées de « peintures indécentes représentant des nudités et des débauches. » Il a eu plusieurs maîtresses successives. Parmi celles-ci, une fille « qu'il a entretenue à pot et à feu et mesme à sa table », a été mariée, moyennant 200 livres versées à un mari complaisant, veuf depuis peu ; elle a accouché, peu de semaines après le mariage, et le mari a refusé de reconnaître l'enfant ; Michel de Chéry a aussitôt fait enlever son bâtard et il l'a fait transporter dans un lieu inconnu. L'homme et la femme seraient ensuite morts de chagrin...
  • Le tribunal ecclésiastique a sévèrement réprimandé Dom Michel de Chéry. Sa puissante famille lui a évité de plus graves sanctions. S'est-il amendé pour autant ? Non, car le 5 octobre 1686, deux marchands de Saint-Révérien, François Moireau et Guillaume Paillard, sont venus porter plainte contre lui auprès des juges de Saint-Pierre-le-Moûtier. Ils étaient occupés à faire tirer des pierres dans une perrière à gué sur le grand chemin de Saint-Saulge par le nommé David Turin, fermier à Champlemy, à qui les matériaux étaient destinés. « Messire Michel de Chéry seroit survenu à cheval audit lieu et, estant à dix pas d'eux, seroit descendu de cheval et auroit pris ses deux pistolets d'arçon et, ayant abandonné son cheval, estant contre eux, se seroit adressé audit Turin, luy disant : « Mordieu ! qui vous a donné charge d'enlever ces pierres ? » Lequel Turin luy auroit dit : « Monsieur, voilà les gens qui me les ont vendues. » Paillard auroit dit : « Monsieur, j'ai droit de les vendre, puisque j'en suis fermier. » En mesme tems ledit Sr de Chéry luy auroit dit : « Mordieu, bougre de coquin, il y a longtems que je te cherche ! Mordieu, il faut que je te tue ! » Disant ces paroles, luy auroit présenté un de ses pistolets dans le sein, lequel pistolet auroit raté luy. »
  • Ce prieur commendataire débauché, vindicatif, chicaneur, sûr de la protection de ses parents et alliés, pouvait-il cohabiter sereinement avec Dom Jean Vignault, son principal accusateur devant ses pairs les chanoines ? A partir de 1684, Michel de Chéry n'eut de cesse de persécuter son rival, de lui faire peur, puis d'organiser son meurtre.
  • Plus de deux cents pièces constituent le dossier de cette affaire criminelle. L'évêque et le tribunal ecclésiastique ont fait imprimer un résumé, un monitoire de conséquence destiné à être fulminé en chaire par les prêtres dans les églises de Saint-Révérien, de Saint-Saulge et des paroisses circonvoisines. Dom Michel de Chéry, dont l'honneur a été ainsi flétri publiquement, a sans doute échappé à une peine physique. Aucun document n'indique ce qu'il est advenu de Pierre Leduc, ni si Jean Bidault le Bastard et Jean Clément le Morvandeau ont été saisis par la justice.

    Pierre Volut, La Justice d'Autrefois, articles parus dans l'hebdomadaire Sud-Nivernais, 1991.

    (1) Inventaire sommaire des Archives Départementales antérieures à 1790, par M. de Flamare, archiviste. Tome I, série B, Nevers, Vallière, 1891.
    (2) A.D.N., cote B 101.
    (3) A.D. N., cote B 102.
    (4) A.D.N., cote B 106.
    (5) Le village de Balleray (orthographe actuelle) est situé à l'est de Guérigny.
    (6) Saint-Révérien, évêque d’Autun, a été martyrisé entre 272 et 274. Les villes de Nevers, d’Autun, et le village actuel de Saint-Révérien se sont disputé le lieu de ce martyre. Un premier prieuré, dépendant de l’abbaye Saint-Martin d’Autun, a été bâti ; en 886, le chapitre de la cathédrale de Nevers a reçu la tutelle de ce prieuré. L’église qui subsiste a été construite au XII siècle. Le prieuré dépendait alors de l’abbaye bénédictine de La Charité-sur-Loire. Cf. Odette Vincent, Saint-Révérien d’hier et d’aujourd’hui. Les Annales des pays nivernais, Nevers, CAMOSINE, octobre 1981 ; abbé Chauve-Bertrand, Bulletin de la Société Savante et Artistique de Clamecy, n°36, pp. 39-55, et n°37, pp. 63-83 ; et Sylvain Comeau, Saint-Révérien pendant la Révolution : la commune et le canton de 1789 à 1796, Nevers, 1931.
    (7) La famille de Chéry faisait partie de la vieille noblesse nivernaise. Michel, fils de François de Chéry et de Jeanne d'Armes, est né le 31 août 1632. Bachelier en théologie, prêtre, chanoine de Nevers, il est nommé trésorier de la cathédrale Saint-Cyr en 1667. Il reçoit le bénéfice du prieuré de Saint-Révérien. Avant lui, ce bénéfice était détenu par Edouard Vallot, puis par Eustache de Chéry, tous deux évêques de Nevers. Eustache de Chéry était l'oncle du nouveau prieur commendataire. Jean Vignault, moine bénédictin, est nommé en 1695 prieur claustral de Saint-Révérien. Il a la charge d'administrer le prieuré et de diriger les moines, au spirituel comme au matériel. Dom Jean Vignault remplace son cousin Dom Jean de Lavenne (fondateur de l'ordre des sœurs de la Charité de Nevers). Les autres moines connus à Saint-Révérien sont Dom Toussaint Gueneau et Dom Giraud.
    (8) Mille écus = 6000 livres. A cette époque, cette somme était considérable ; elle permettait d’acheter une belle maison ou une petite ferme.
    (9) Alais était l'orthographe ancienne de l'actuelle ville d'Alès.
    (10) Le praticien, simple diplômé en droit, n’avait pas l’autorisation de prendre le titre d’avocat. Dans les villages, il remplissait le rôle de conseiller juridique ou d’huissier.
    (11) Les galères.