Protestants dans le Nivernais
Les protestants dans le Nivernais
Les Guerres de Religion ont ensanglanté le Nivernais, comme la plupart des provinces françaises. Trois villes ont particulièrement souffert pendant cette sinistre période : La Charité sur Loire, Cosne et Corbigny. Les différents édits de tolérance, dont le plus connu est l’Édit de Nantes, ont garanti quelques lieux de sûreté à la minorité réformée et, en principe, la liberté de culte, mais les plaies ouvertes au XVIe siècle ne se sont pas vraiment refermées[not 1]
A la fin du XVIIe siècle, deux importantes communautés calvinistes ont réussi à préserver leur foi et à mettre en œuvre leur esprit d’entreprise. A La Charité et à Corbigny, les religionnaires restent unis, solidaires, fidèles à leur culte, malgré les multiples pressions exercées sur eux pour qu’ils se convertissent. Corbigny et les villages voisins comptent une vingtaine de familles huguenotes ; leur réussite sociale est indubitable, ce qui contribue à attiser les haines et les jalousies. Les plus notables de ces religionnaires sont les marchands de bois Mazilier, Stample, Pinette, Bizot, les apothicaires David Ballon et Jacques Collon, les cordonniers Jean Lombard et Pierre Bonamy, le maître-horloger Abraham Cuisin[not 2] et le ministre Etienne Girard. Des personnages influents leur assurent une relative protection contre les persécutions : Jacques Pinette est notaire, Isaac Etignard avocat, plusieurs nobles comme le sieur de Précy sont protestants.
Tout au long de son règne, Louis XIV a été obsédé par la minorité protestante qui s’écartait si malencontreusement de la norme et il s’appliqua à multiplier tracasseries et interdictions à son encontre[not 3] A partir de 1679, l’influence de Madame de Maintenon et du haut clergé va transformer cette attitude d’hostilité intermittente en une véritable guerre. De 1680 à 1684, les édits restrictifs se multiplient et ils sont répercutés dans le Nivernais par une série d’incidents. Des rixes éclatent à La Charité à propos de processions, d’officiers étrangers, de prétendus blasphèmes. Dans les deux places protestantes, les moines et le clergé séculier rivalisent d’ardeur pour réclamer la fermeture des temples et l’expulsion des ministres. Près de Corbigny, le temple de Beugnon[not 4] est perçu par les ultra-catholiques comme un défi ; les protestants seraient prêts à investir abbayes et églises comme lors du siècle précédent, selon une rumeur que répandent certains prédicateurs. Enfin, le 18 octobre 1685, l’Édit de Fontainebleau révoque l’Édit de Nantes, met tous les religionnaires hors la loi et jette à bas l’équilibre précaire qu’Henri IV avait mis en place.
La pression devient plus forte. Certains protestants s’enfuient en Hollande, à Genève, en Prusse. D’autres se convertissent (par exemple des abjurations sont enregistrées à Decize dans les deux paroisses). Souvent ces abjurations sont des stratagèmes pour échapper à la justice et les nouveaux convertis se réunissent secrètement dans des granges isolées et parviennent à soustraire leurs défunts au clergé catholique. D’où une série de procès intentés contre des cadavres, que l’on exhume et que l’on expose sur des claies, à la façon des criminels les plus odieux : procès contre Suzanne Fontaine le 13 juin 1688, contre Marie et Louise Pinette le 21 septembre 1694, contre Jeanne Droit le 12 mai 1699, contre Jean Joubert le 8 juin 1699, contre Jeanne Colon le 9 janvier 1700, contre Marthe Lemoine le 23 janvier 1701...[not 5]
L’assassinat commis par Pierre Balluë se produit au paroxysme de cette persécution. Le fanatisme religieux a des liens étranges avec le pouvoir: il peut se développer dans une majorité sûre de sa toute-puissance, acharnée à éliminer une minorité haïe ; il fait également des ravages chez les persécutés, luttant pour survivre. Pierre Balluë a voulu appliquer à la lettre le précepte biblique : « Si ton bras fait le mal, coupe-le, si ton œil voit le mal, crève-le… »
- Texte communiqué par Pierre Volut
Notes et références
Notes
- ↑ Madeleine Saint-Eloy, Les Religionnaires de Corbigny après la Révocation de l’Édit de Nantes, Mémoires de la Société Académique du Nivernais, tome LVII, 1971, pp. 11-42.
- ↑ Abraham Cuisin est témoin de nombreux baptêmes et mariages de sa communauté. Parmi les travaux qu’il a effectués, on peut mentionner l’horloge posée sur le nouveau beffroi de Decize. Le ministre est le pasteur protestant.
- ↑ Eric Le Nabour, La Reynie, le policier de Louis XIV, Paris, Perrin, 1991.
- ↑ A Chitry-les-Mines
- ↑ A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, dossiers B 80, B 86, B 92, B 93, B 94.