Communauté des Jault

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A l'orient de Saint Benin des Bois, sur un mamelon qui commande la route de Prémery à Saint Saulge, à la tête d'une belle vallée de prés bornée à l'horizon par des collines boisées, est le village des Jault. Il est ainsi nommé de la famille qui fonda à cet endroit une association, connue sous le nom de "Grosse communauté des Jault". Jusqu'en 1847, époque où elle fut dissoute, ce fut presque une curiosité que le spectacle de cette famille patriarcale réunie sous le même toit. Depuis, qui n'a entendu parler de la Communauté ?
Il convient donc d'esquisser ici son histoire.
Ainsi s'exprime l'abbé Charrault en 1904 dans sa "Monographie de la Communauté des Jault"

Son origine

L'origine de cette Communauté se perd dans le passé le plus reculé du régime féodal. Les papiers furent presque tous brûlés lors de la dissolution, sous motif d'éviter dans la suite toute contestation et de substituer à tous les titres l'acte de partage.
Cependant M. Dupin, qui visita les Jault en 1840, déclare avoir vu des contrats remontant au XV è siècle et qui parlaient de la Communauté comme d'une chose déjà très ancienne à cette époque. Sous la féodalité, ceux qui travaillent la terre se divisent en deux classes : le serf et l'homme de condition libre.
Les serfs ne pouvaient hériter ni disposer de leur avoir par testament. Il leur restait une seule manière d'échapper à celle loi, c'était de se constituer du consentement du maître en communauté de feu et de lieu, de pain et de sel.
Les hommes de condition libre vivaient sur des terres qui leur avaient été cédées, c'est-à-dire en bourdelage. Or, pour succéder en bourdelage, il fallait que la personne qui voulait y succéder fût non seulement héritière du défunt bourdelier, mais qu'au temps de son décès, elle fût commune avec lui.
Telles sont les raisons d'intérêt qui portèrent quelques familles de cultivateurs, et les Jault en particulier, à vivre en communauté.

Essayons de nous y retrouver

  • Jean LEJAULT est né à Saint Benin des Bois le 21 Février 1716 fils de Jean LEJAULT (Maître de Communauté) et de Jeanne NIEE
  • Jean LEJAULT (Maître de Communauté) (+ 9 Septembre 1724) et Jeanne NIEE (née en 1690 à Dompierre sur Héry) se marient à Saint Benin des Bois le 30 Aout 1706.
  • Jean LEJAULT est fils d’Etienne LEJAULT (+ 1709) (Maître de Communauté) et de Marie THOMAS (originaire de Lurcy le Bourg)
  • Etienne LEJAULT (Maître de Communauté) est fils de Charles LEJAULT (+ 1697) et d’Antoinette DURAND (+ 1697).

Liste communiquée par Paule Castan

Gouvernement de la Communauté

La Communauté était régie par un chef unique, qu'on appelait le maître. C'est lui qui commandait, qui allait aux villes et aux foires, qui distribuait à chacun ce qui lui était nécessaire en vêtement ou autres objets. Lui qui contractait par devant notaire pour les acquisitions de biens, et c'était en son nom que les impôts et redevances étaient inscrits. Mais il ne faisait rien d'important sans l'avis de ses parsonniers, et, chaque année, il devait rendre compte de sa gestion.
Régulièrement, ce maître devait être élu, mais il était le plus souvent désigné d'avance. De son vivant, le chef s'associait un des membres qui lui semblait le plus actif, le plus intelligent, qu'il affectionnait davantage. Celui-ci remplaçait le maître partout où il ne pouvait aller lui-même. On s'accoutumait peu à peu à son autorité, et, à la mort du chef, cet associé continuait l'administration à laquelle il avait été initié.
Un ancien maître, Jean Lejault, a été appelé communément le père Niée, du nom de sa mère. Une épidémie, qui décima les Jault, le laissa le plus âgé des membres survivants, et il n'avait que trente-quatre ans lorsqu'il prit la direction de la Communauté. Il n'eut qu'un fils, qui mourut quelques semaines seulement avant de recevoir la prêtrise. Le père Niée s'associa de son vivant Etienne Lejault, surnommé le petit Etienne. Ce fut ce dernier qui parut lors de la transaction de 1755. L'autorité de ce maître fut encore respectée et l'obéissance des administrés, joyeuse, car on s'aimait.
Sous François Lejault, qui lui succéda en 1787, à la veille de la Révolution, l'insubordination commença à paraître. Les devoirs religieux furent négligés et on respecta moins les anciens. Cet esprit d'indépendance et d'égoïsme, qui s'était glissé parmi les associés, fit gémir et se lamenter le patriarche qui mourut vers 1830, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.
Claude Lejault, le successeur, ferma la liste des chefs de la Communauté.

L'avoir commun comprenait :
1° les biens originaires, augmentés des acquisitions faites sur les gains de l'association.
2° le bétail, le matériel de culture et le mobilier de l'habitation.
3° l'argent provenant de la vente des produits de toute sorte.

Chacun des membres de l'association donnait son travail et celui de sa famille à la Communauté qui, en retour, lui garantissait :
1° la propriété indivise du domaine.
2° la nourriture, le logement et les vêtements nécessaires pour lui et les siens.
3° l'assurance que les fils compteraient à leur tour dans la Communauté et jouiraient des avantages y attachés.

Quant aux femmes, elles ne formaient pas tête dans la société. Si elles y étaient nées, elles étaient élevées et entretenues comme les communs parsonniers. A partir de quinze ans, le jeune homme pouvait être employé à l'exploitation des terres, la jeune fille n'était occupée qu'aux travaux de l'intérieur. Venait-elle à se marier en dehors, elle recevait sur la bourse commune une somme d'argent, moyennant quoi elle renonçait à toute revendication ultérieure. Cette dot ou apanage varia selon l'importance de la fortune sociale et la valeur de l'argent. De 900 francs, cette somme fut portée ensuite à 1.350 francs, puis à 1.500 francs.

En outre, la Communauté payait la moitié des frais de noces, habillait la mariée et lui offrait des bijoux pour une valeur de 150 francs. Elle conservait le droit de rentier dans la Communauté si elle devenait veuve.
La femme étrangère qui épousait un commun, devait verser en entrant, dans la caisse commune, une somme de 200 francs, qui représentait la valeur du mobilier mis à son usage particulier. Devenue veuve, elle pouvait demeurer dans la Communauté, elle et ses enfants.
Si elle se retirait, les 200 francs versés par elle, lui étaient rendus. Quand elle se remariait, elle laissait les enfants à la Communauté qui en prenait soin et leur assurait les avantages ordinaires. Ces dispositions expliquent comment cette association compta parmi ses membres des Desnoyers et des Suard.

Lorsque le service militaire devint obligatoire, chacun des jeunes gens atteint par le sort eut le droit de disposer jusqu'à 1.500 francs dans la bourse commune pour se faire remplacer.
A côté de l'avoir commun, chacun avait un patrimoine particulier venant soit de ses auteurs ou parents qui n'étaient pas membres de la Communauté, soit de la femme. Si de ce fait quelques uns possédaient des propriétés, ils ne pouvaient en jouir par eux-mêmes, mais devaient les affermer.

La vie était douce et facile pour tous dans ce manoir.
La collectivité donnait l'abondance matérielle et écartait toute inquiétude pour l'avenir. Les sentiments religieux y entretenaient les moeurs intègres et une constante probité. Jamais un membre de la Communauté ne fut passible de la plus légère condamnation, pour le moindre délit. Qu'il nous soit permis de rapporter comment étaient observées, dans ce milieu, certaines pratiques de la vie chrétienne.
Le dimanche, le banc des Jault à l'église n'était jamais vide, et personne dans la Communauté ne jurait. Le mardi-gras était jour de réjouissance, mais, le soir, tous les couteaux étaient soigneusement nettoyés et ce qui restait de viande était livré aux animaux ; aucun aliment gras ne devait plus paraître sur la table avant Pâques. Trois fois par semaine, hommes et femmes faisaient le grand jeûne et chaque soir la prière se faisait en commun ; elle était dite par le maître.
Les pauvres se rendaient nombreux à la Communauté. En tout temps, le coffre au pain était approvisionné de chanteaux coupés d'avance, pour que les enfants n'eussent qu'à les présenter aux mendiants de passage.

L'habitation

La demeure commune était disposée pour le logement de ses nombreux habitants. Extérieurement, elle n'avait rien de remarquable, mais l'intérieur était propre et bien divisé. En montant deux marches, on entrait dans une salle immense, ayant à chaque bout une grande cheminée dont le manteau comportait environ 9 pieds de développement. C'était la cuisine, la salle à manger et le chauffoir commun. La Communauté y prenait ses repas, les hommes assis à une même table, les femmes et les enfants à une autre. Le maître et son second mangeaient à part près du foyer. Le service était fait par les femmes à tour de rôle. Le soir, chacun avait autour de l'âtre une place assignée en raison de son âge.
A côté de l'une de ces cheminées, était l'ouverture d'un large four à cuire le pain et, de l'autre côté, un tonneau à lessive en pierre incrusté dans la muraille (dans une dépendance de la maison il y avait encore le four de la galette et celui de la mouture.)
Sur la cuisine, débouchait un long corridor dans lequel s'ouvraient les portes des chambres séparées où chaque ménage avait son domicile particulier. Ces chambres étaient relativement vastes. Dans chacune, il y avait deux ou trois lits, selon le nombre des enfants, deux armoires en chêne ciré ou bien un coffre et une armoire. Une table et quelques sièges complétaient le mobilier.
Les parsonniers étaient au nombre d'une quarantaine. Une constante tradition, qu'on raconte encore, veut que la société ne compta jamais plus que ce chiffre. Lorsque le quarante et unième venait à naître, un décès ne manquait jamais de se produire.
Aujourd'hui, le manoir des Jault a subi des modifications, nécessaires depuis le partage. Trois familles habitent encore, dans cette demeure, le lot qui leur échut.
Les bâtiments d'exploitation, dont l'aspect n'a pas changé, ont des proportions imposantes. Les portes des écuries, au lieu d'être pratiquées selon l'usage dans les gouttereaux, ont l'ouverture dans le pignon, ce qui, en cas d'incendie, permet d'extraire les animaux sans danger.

Dissolution de la Communauté

Les causes qui ont amené la dissolution de la communauté, sont de deux sortes : réelles et apparentes.

  • Causes réelles : Tant que l'esprit d'union, d'ordre et surtout le sentiment de l'autorité fut en honneur parmi eux, la Communauté grandit et prospéra. Mais au milieu du bouleversement général dans lequel la France fut plongée à la fin du XVIII è siècle, les idées d'insubordination, se glissant parmi les membres de l'association, suscitèrent des tiraillements.
    L'administration du maître François Lejault avait été, de ce fait, très difficile. Sous le successeur, les choses allèrent de mal en pis. On s'arrogea le droit d'exiger des comptes et la défiance amena la discorde.

Vers 1830, la Communauté se trouvait endettée par suite d'acquisitions antérieures, jugées utiles par tous ; d'autre part, les vicissitudes qui pesaient sur le pays avaient désapprécié les produits de l'agriculture. Pour faire face à la situation, maître Claude Lejault fit couper les arbres séculaires qui se trouvaient dans les héritages communs. Sur ces entrefaites, il faisait bâtir une maison et une grange dans ses propriétés particulières. La jeunesse défiante murmura, l'accusant de construire avec l'argent de la Communauté, et chacun, sous ce prétexte, se mit à s'adjuger le bien commun à son profit particulier.
La Communauté perdant, dès lors, son charme et son utilité, la séparation devenait nécessaire. On allait saisir une occasion qui se présentait et qui fut la cause apparente de la dissolution.

  • Causes apparentes : En 1816, Etienne Lejault, fils du maître François, trouvant son caractère, ses moeurs, ses habitudes incompatibles avec l'association, s'était retiré. Ce fait de l'abandon des avantages de la vie commune par un membre appelé à en jouir, était le premier qui se fût produit dans la longue existence de la Communauté. On assimila le cas du retraitant à celui des filles, que l'on désintéressait au moyen d'une dot. Il reçut 1.350 francs et renonça, par acte notarié, à toute revendication ultérieure. Mais les enfants de cet Etienne Lejault se trouvèrent, par la suite, dans une position incertaine vis-à-vis de la Communauté, et François, un des fils, introduisit une demande de partage, en 1843.

Déjà, au commencement du siècle, certaines prétentions avaient été soulevées par les enfants Buisson, dont la mère était Jeanne Lejault, mariée le 29 nivôse an IV. Un arrêt de la Cour de Nevers les avait déboutés de leur demande. François Lejault, fils d'Etienne, ne se posa pas comme héritier de son père, puisque celui-ci avait renoncé à tous ses droits dans la Communauté, mais il se porta comme héritier de ses aïeuls. Le tribunal de Nevers admit sa revendication, "attendu, dit le jugement, que les successions de François Lejault et de son épouse Françoise Germain, encore existants en 1816, n'ont jamais été liquidées". Appel fut immédiatement interjeté. Mais alors, d'autres prétentions furent, soulevées par des représentants de femmes mariées en dehors de la Communauté. On ne jugea pas à propos d'attendre la sentence du tribunal de Bourges.
Le malaise général causé par les idées nouvelles avait amené à la longue le désir, bien plus, la nécessité unanimement sentie d'une séparation.
On décida une liquidation amiable par voie d'arbitrage. On choisit comme arbitres MM. Lallier, ancien notaire de la Communauté et conseiller général de Saint Saulge, Cornu, propriétaire et maire de Bazolles, Archambault, conseiller général de Prémery. Leur décision devait être inattaquable, par quelque voie que ce put être.
Après avoir étudié consciencieusement tous les titres, fait le dénombrement de tous les membres, les arbitres estimèrent les propriétés, dont l'évaluation monta à plus do 300.000 francs. Ensuite, on composa les lots, qui furent attribués à chacun.

Le 28 juin 1847, la Communauté n'existait plus (les très nombreux descendants de la Communauté sont aujourd'hui disséminés dans leurs propriétés respectives. Mais il est à remarquer que deux autres familles Lejault, issues du même hameau, n'ont entre elles aucun lien de parenté.)
Le vieux manoir des Jault renfermait encore à ce moment quarante personnes, sept chefs de famille, sept autres hommes majeurs, neuf femmes mariées, douze garçons et cinq filles mineurs.

Source : Essai historique sur Saint Benin des Bois et Ligny par l’abbé Charrault, édité en 1904 par G. Vallière (Nevers) et numérisé par Gallica (domaine public).


--m mirault 25 juin 2009 à 21:17 (UTC)