Manufactures de la verrerie à bouteilles

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A la veille de la Révolution une entreprise ambitieuse mais vaine, prétendit restaurer toute l'activité industrielle et artistique de Nevers.

En 1784, le sieur Aimé Guynet, maître de la verrerie d'Apremont (A cette époque en procès avec la comtesse de Béthune, propriétaire de la verrerie d'Apremont et le sieur de Brossard, fermier), adresse une requête au roi. « Depuis son enfance, il a toujours été occupé de la chimie et s'est particulièrement appliqué à la connaissance de la fonte des métaux et de l'effet du feu sur les matières végétales ». A la verrerie d'Apremont, il a obtenu de grands succès ; il pense faire mieux encore, s'il « peut établir sur un fond qui lui appartient toutes les manufactures qui sont de la dépendance de l'art du verrier ». Ayant acheté à Nevers un emplacement considérable, il demande l'autorisation d'y créer plusieurs industries : d'abord une verrerie à bouteilles, et plusieurs fours et fourneaux pour la fabrication des verres ordinaires, verre blanc, verre à vitre, même tin-glass à l'imitation des Anglais. Comme la place ne lui manque pas, il veut aussi installer une manufacture de faïence et poterie ordinaire, en donnant à ses produits un caractère plus conforme au goût actuel. Il ne fera pas de tort aux faïenciers de Nevers, car l'usage de la poterie de faïence « est devenu d'une nécessité et d'un service encore plus absolu, depuis qu'on a banni des cuisines et des tables tous les plats, assiettes et ustensiles de métal, dont l'usage a été reconnu pernicieux et préjudiciable à la santé ». Il veut aussi monter une fabrique de porcelaine, « laquelle il travaillera par un procédé qui lui est particulier ». Il n'a pas la prétention de concurrencer la manufacture royale de Sèvres. Il ne fera que la porcelaine usuelle, « plats, pots, assiettes, tasses et autres choses de pareille nature pour l'usage journalier, en blanc seulement ou avec une simple couleur, s'interdisant tout mélange de couleurs et dessins, compositions, biscuits, statues, urnes et ornements, dont Sa Majesté a par son arrêt du 16 mai 1784, réservé exclusivement la fabrication à la manufacture de Sèvres ». Les intentions de Guynet sont avant tout patriotiques. Il veut livrer la porcelaine usuelle à un prix assez modique pour mettre fin aux importations étrangères.

Il réfute d'avance toutes les objections. Ses usines emploieront le charbon de terre « qui est en abondance dans les environs de la ville de Nevers, et qu'il est facile de se procurer d'ailleurs par l'Allier et par la rivière de Loire, en le faisant descendre de l’Auvergne et du Forez, ce qui accoutumera insensiblement les sujets de Sa Majesté à user au moins pour les manufactures et usines d'un matière combustible, que la rareté des bois rend tous les jours plus intéressante ».

Les privilèges
Mais comme l'ensemble de ces établissements nécessite une mise de fonds de 500 000 l., Guynet réclame privilèges et exemptions. Il demande au roi de le prendre lui et ses « serviteurs et valets familiers, menant et conduisant la marchandise et matière dont on fait le verre, les dites faïences et porcelaines, sous sa sauvegarde immédiate, ordonner qu'ils jouiront de tous les mêmes privilèges et exemptions dont ont joui ou dû jouir les autres maîtres, ouvriers et serviteurs des verreries, suivant les anciens édits et déclarations des rois », et tels qu'ils ont été renouvelés par exemple en 1743 en faveur des verriers de Normandie. Une enquête est ouverte comme à l'ordinaire et même avec plus de précautions que d'habitude. On considérait à Paris que c'était « une entreprise bien considérable, et qu'il serait peut-être à craindre qu'en voulant embrasser tant d’objets à la fois, le sieur Guynet ne travaillât à opérer sa ruine ». Mais les conclusions de l'enquête son favorables.

  • D'abord la verrerie s'impose, car il n'existe plus dans la généralité que deux verreries pour les bouteilles et une pour les verres blancs.

Les deux premières sont celles de Souvigny en Bourbonnais et d'Apremont. Elles produisent annuellement 900 000 bouteilles, dont une partie s'emploie dans le pays et le surplus s'exporte par la Loire. La verrerie blanche est celle de Fours en Nivernais, créée par le marquis de Vogué. Il est donc certain qu'en 1781, la verrerie des Borniol avait disparu. La bouteille que reproduit l'abbé Boutillier, page 100, et qui porte la date de 1785 n'est donc pas des Borniol. Il y a erreur sur ce point comme sur l'arrivée du sieur Guynet au Canton Fertile.

  • Quant à la faïence, il paraît que les 11 fabriques de Nevers ne peuvent suffire à satisfaire toutes les demandes. D’ailleurs « l'augmentation des usines dans un même endroit multiplie dans la même proportion les demandes ». La manufacture de Guynet sera la douzième, chiffre qui était devenu normal avec l'arrêt de 1754 en faveur de Gautheron et Moltret.
  • Quant à la porcelaine, s'il n'y a pas dans le pays de terre spéciale, Guynet la fera venir de Limoges. Enfin les talents et l'expérience du verrier d'Apremont sont connus. Sa fortune est difficile à évaluer car il soutient actuellement de gros procès, mais dans les entreprises de ce genre, il faut compter sur le crédit et l'industrie des gens autant que sur leur fortune, et somme toute, la raison d’État doit passer avant l'intérêt des particuliers. Même des entreprises peu profitables à leurs auteurs ne sont pas toujours inutiles à la nation.

Le 8 mars 1785, un arrêt du Conseil accorde satisfaction à Guynet. Il établira toutes ses usines, à condition de ne pas concurrencer la manufacture de Sèvres. Il chauffera ses fours au charbon de terre et sera limité à « 500 cordes de bois de moule, sauf à faire usage de menus bois et ramées dans les opérations où le charbon de terre ne pourra pas servir ». Pendant 15 ans, Guynet, ses successeurs et leurs serviteurs ou ouvriers jouiront des privilèges, faveurs et exemptions, « qui seront de droit commun dans les autres verreries du royaume ».

Guynet installe aussitôt sa verrerie à bouteilles sur son terrain du Canton Fertile, non loin de la porte du Croux. Son usine comprenait « deux grandes halles, avec chacune un grand four de fusion et 6 cargaises ou fourneaux servant à recuire les bouteilles, avec des plaques de fonte de fer de 2 pieds de hauteur sur 18 à 20 pouces de largeur servant aux dits fourneaux ». Le reste du programme ne fut jamais élaboré. Dès l'année 1788, Guynet se trouvait ruiné :

  • D'abord par ses verreries

Le chauffage au charbon de pierre était peu pratique. D'autre part, ce combustible faisait quelquefois défaut, malgré les conventions conclues par Guynet avec des voituriers par eau. C'est ainsi que par acte sous seing privé, le batelier Roblin s'était obligé à voiturer tous les charbons nécessaires à la verrerie. Or il laisse chômer l'usine, alors qu'il a du charbon sur les quais de Nièvre et qu'il en vend à des marchands de Cosne ou d'Orléans. Le 23 juillet 1787, le notaire Barreau, convoqué par Guynet, constate qu'il ne reste plus que deux poinçons de charbon au Canton Fertile, et que non seulement il sera impossible d'allumer le second four, que des ouvriers nouvellement embauchés avaient garni, mais qu'il faudra encore éteindre le premier.

  • Plus encore par ses procès

Il est condamné à verser 20 000 l. à la comtesse de Béthune, dame des Bordes et d'Apremont.

A la suite de sentences rendues au bailliage et à la juridiction consulaire, le notaire Barreau, syndic des créanciers, fait saisir toutes les bouteilles qui se trouvent en magasin. Le produit de la vente, soit 1452 l. 10 sols est employé en partie à indemniser les ouvriers de la verrerie, qui depuis quelque temps n'ont plus été payés. Aimé Guynet quitte alors Nevers, laissant comme fondé de pouvoir son frère cadet François, qu'il autorise « à régir, administrer et gouverner sa manufacture de verrerie en cette ville de Nevers, comme aussi à régler avec les ouvriers qui y sont employés, les solder, congédier et généralement faire ce qu'il croira convenable à l'intérêt du sieur son frère ». La procuration est du 25 avril 1788. Le même jour, François Guynet paie des acomptes à 9 ouvriers, parmi lesquels on peut citer le chevalier de Mazery, maître ouvrier demeurant ordinairement à La Fère en Picardie, et Jean Abat, maître ouvrier en verrerie, demeurant ordinairement à Abrècheville en Alsace. Les autres sont de simples fournalistes, fondeurs, tamiseurs, attiseurs ou manœuvres.

La verrerie du Canton Fertile prolonge quelque temps son agonie sous la direction de François Guynet, qui s'efforce en vain d'arrêter la décadence :
Pour avoir la soude à bon compte, il faisait la récolte des cendres comme beaucoup d'autres verriers. Le 23 novembre 1788, il s'entend avec deux voituriers par terre de Nevy le Barrois, Jacques Rignault et Gilbert Mathieu, qui pendant un an à partir de ce jour devront conduire sur les ports de Meauce et d'Apremont toutes les cendres lessivées qu'ils pourront trouver dans la région, moyennant 30 sols du poinçon. Guynet amènera ces cendre à ses frais de Meauce et d'Apremont jusqu'à Nevers. Quant aux cendre que les deux voituriers ramasseront dans les environs de Nevers, ils les amèneront à la verrerie à raison de 35 sols le poinçon. Guynet leur avance 96 l., qu'il leur retiendra ensuite au fur et à mesure des livraisons, dont le total s'élèvera peut-être à 160 l. pour l'année.
Vers 1791, l'usine ferme définitivement ses portes. En 1816, elle se transforme en une manufacture de porcelaine, aujourd'hui disparue. Avec cette nouvelle fabrique, c'était un autre article du programme de Guynet qui se réalisait chez lui mais avec d'autres entrepreneurs.