Commerce du poisson

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  • De même que la production des vins, le commerce du poisson à Nevers, a sous l'ancien régime une importance que l'on ne retrouve plus maintenant.
  • La plupart des mariniers s'occupent de pêche. Certains d'entre eux se spécialisent même dans la vente du poisson. Ce trafic est alors très lucratif, car les prescriptions religieuses sont mieux respectées qu'aujourd'hui et la concurrence de la marée n'est pas à craindre par suite de la lenteur des communications. Le Nivernais est un pays de grandes pêches; en dehors de la Loire qui fournit aux poissonniers toutes les espèces ordinaires d'eau douces, et même certaines espèces de mer à migrations annuelles, comme l'alose et la lamproie, les cours d'au sont nombreux et les étangs abondent. Dans les vallées industrielles toutes les forges ont leurs biefs pour la production de la force motrice. De même, tous les seigneurs ou grands propriétaires veulent avoir au pied de leur château un lac en miniature. Par suite de l'imperméabilité du sol, il suffit de barrer le moindre ruisseau avec une digue plantée d'arbres.
  • En raison de persistance féodales, que la Coutume du Nivernais a consacrées, les seigneurs revendiquent ici comme partout la possession des cours d'eau. Les poissonniers sont obligés de prendre à ferme le droit de pêche. En Loire, sur toute l'étendue de la châtellerie de Nevers, ils s'entendent avec les fermiers de la Prévôté et le pouvoir ducal. Jusqu'à la fin de l'ancien régime, les ducs de Nivernais conservent jalousement cette propriété, et leurs gardes surveillent le détroit. Ces gardes saisissent les éperviers et autres engins prohibés qu'ils surprennent. La maîtrise ducale des Eaux et Forêts contrôle toutes ces opérations et tous les marchés avec les poissonniers. Au delà du Bec d'Allier, les poissonniers traitent avec d'autres seigneurs riverains, comme celui de Givry ou celui d'Aubigny, qui n'est autre que l'évêque de Nevers.
  • Tantôt le propriétaires afferment toute leur pêche en bloc. Souvent aussi les propriétaires morcellent l'accense de leurs droits, surtout quand il s'agit de 'crots, gours et eaux mortes', sur l'emplacement d'anciens bras ou méandres du fleuve. Ces creux sont très recherchés des pêcheurs, car le poisson s'y laisse enfermer en grande quantité à l'époque des crues.
  • Les seigneurs font des marchés tantôt avec un seul poissonnier, tantôt avec de véritables sociétés de pêcheurs. Tous ces contrats se prêtent à des combinaisons variées. Certains fermiers dans l'embarras cèdent à titre de sous-ferme les droits qu'ils avaient pris d'abords à leur compte. Certains poissonniers, dont les exploitations sont très étendues, passent avec bénéfice une partie de leurs droits à des collègues plus pauvres ou à des étrangers.
  • Aux 17e et 18e siècles ce sont presque toujours les mêmes généalogies de pêcheurs que l'on retrouve attachées aux mêmes seigneurs riverains de la Loire. Les poissonniers se succèdent de père en fils.
  • En dehors de la Loire, les poissonniers de Nevers étendent leurs opérations très loin dans les campagnes du Nivernais. La pêche des étangs est pour les propriétaires un revenu qui s'ajoute à l'importance industrielle des biefs d'usine, ou à l'intérêt décoratif des résidences féodales. Mais la pêche dans les étangs présente des conditions un peu différentes de la pêche en Loire, car il ne faut pas dépeupler le fond; il faut même assurer et compléter l'empoissonnement. Certains marchés seulement sont simples et à long terme comme en Loire. Quelques propriétaires abandonnent la jouissance de leurs eaux à des pêcheurs, qui mettent le poisson nécessaire et font l'exploitation comme ils l'entendent.
  • Mais d'autres propriétaires ne veulent pas abandonner aux poissonniers des bénéfices trop considérables. Ils se bornent à accepter le concours des pêchers de profession pour mettre en valeur et exploiter leurs étangs. Quelques seigneurs obligent les poissonniers à supporter les grosses dépenses de l'exploitation et n'interviennent que dans le partage des bénéfices.
  • Les contrats sont extrêmement variés. Le commerce des poissonniers est presque aussi étendu que celui des marchands de bois. Les uns et les autres sont soumis au même contrôle des maîtrises royale et ducale des Eaux et Forêts. En Loire ou dans les étangs du Nivernais, les poissonniers sont obligés souvent de recouvrir à la justice et de se garder contre les maraudeurs. Les poursuites judiciaires sont fréquentes. Dans les étangs, la malveillance peut causer d'énormes préjudices. Les bondes sont ouvertes et les étangs vidés.
  • Quand leurs pêches sont bonnes, les marchands amènent à la poissonnerie de Nevers des quantités énormes de poisson, qu'ils mettent en réserve dans des bascules. On appelle ainsi des bateaux à réservoirs, capables de circuler sur les cours d'eau, et que les pêcheurs en temps ordinaire enchaînent solidement sur les bords de la Nièvre, soit à la poissonnerie, soit près de leur maison, précautions qui ne mettent pas toujours les bascules à l'abri des voleurs. Tout marchands, dont les opérations sont un peu tendues, possède plusieurs viviers avec d'importantes réserves de poisson. Les plus grands de ces bascules ont 9 toises de longueur sur 9 pieds de largeur. Les charpentiers de Nevers et du Bec d'Allier les construisent, comme ils construisent les toues et les chalands. Il y a location de viviers comme il y a location de bateaux. Les bateliers aisés accensent une partie de leur matériel à des collègues plus pauvres. Certaines institutions religieuses, comme la fabrique se St Arigle, qui se recrutent surtout parmi les mariniers, ont aussi à la poissonnerie des bascules, qu'elles mettent à la disposition des pêcheurs.
  • La vente du poisson d'eau douce est localisée dans le quartier du Rivage, sur les bords de Nièvre, surtout à la poissonnerie du pont Madame. C'est là que se tiennent les marchés, le vendredi, le samedi et les autres jours maigres. Pour faciliter l'accès de la poissonnerie, un escalier de 18 marches est aménagé en 1731. La vente est active et le poisson de Loire très apprécié. Quand les ducs ou de grands personnages sont reçus à Nevers, les échevins ne dédaignent pas de faire figurer parmi les cadeaux quelques belles pièces, carpes ou brochets.
  • Le poisson de mer arrive surtout sous forme de salaisons. Au 17e siècle, il est vendu près du Ravelin et du Pont Cizeau, dans un certain nombre de petites loges à débiter marée, qui font partie du patrimoine de la ville, et sont adjugées en bloc ou séparément.
  • Les officiers de police interviennent ici comme dans tous les marchés et veillent à renfermer la vente dans ces parages, car certains marchands portent leur poisson dans des baquets près de l'église de St Arigle ou à travers les rues de la ville. Pour sauvegarder le paiement des droits au pouvoir ducal et éviter aux habitants l'incommodité de ce charroi, une ordonnance du 23 février 1730 interdit la vente ailleurs que sur les bords de Nièvre, sous peine de confiscation. Mais à la fin du siècle, cette ordonnance paraît oublié. Les magistrats doivent rappeler à l'ordre les marchands. Le 1er décembre 1785, ils interdisent même de louer aucune place devant la porte du Ravelin. Ceux qui s'y installeront seront punis de prison. Le 8 mars 1787, la police interdit encore de vendre le poisson à la Revenderie et sur les trottoirs de la ville. Toutefois, les marchands auront le droit de promener leur poisson dans les rues sur des éventaires, mais sans pouvoir stationner, ce qui est peut-être une distinction un peu subtile.
  • Un autre grand souci des magistrats nivernais est d'empêcher les monopoles et accaparements. En 1740, ils sont avisés que certains hôteliers, cabaretiers et autres habitants prennent des bascules en location à la poissonnerie. Ils accaparent ainsi dès le jeudi soir ou le vendredi matin le meilleur poisson. Alors une ordonnance du 7 juillet interdit l'usage des bascules à quiconque n'est pas poissonnier. Les viviers des aubergistes et autres particuliers, qui ne seront pas immédiatement retirés, seront mis en pièces. Défense est faite aux pêcheurs de louer des viviers aux habitants sous peine de 30 liards d'amende, dont la moitié au dénonciateur. En 1750, ces mesures paraissant insuffisantes, une ordonnance du 21 mai interdit aux cabaretiers-traiteurs d'entrer à la poissonnerie avant 10 heures du matin.
  • Les conditions sont moins rigoureuses pour les salaisons. Par suite de son prix infime, la consommation du hareng est grande parmi le peuple, même parmi les mariniers. Les salaisons peuvent être mises en vente dans toute la ville chez les épiciers. Mais les marées dessalées doivent être vendues au marché. Il est interdit de les faire dessaler en ville, à cause de l'eau qui se répand dans les ruisseaux et dégage des odeurs désagréables. Les habitants doivent faire dessaler leur poisson en dehors des remparts, ou mieux encore au Rivage.
  • La vente du poisson n'est pas seulement locale. Beaucoup de pêcheurs nivernais sont en relations avec des marchands parisiens, qui leur achètent une partie de leurs pêches. D'ailleurs certains poissonniers aux 17e et 18e siècle (Arnaud Chaillot, Jacques Coiffard, Jacques Borne, Louis Lhermitte,,,) trouvent encore plus lucratif d'aller eux-mêmes aux halles parisiennes, et s'intitulent aussi 'marchands pour la provision de Paris'. Le transport est simple. Le poisson est amené vivant dans des bascules, que l'on conduit comme des bateaux ordinaires. Les poissonniers de profession font alors appel au concours des voituriers par eau ou mariniers.
  • Ce trafic sur Paris n'a pas seulement pour but d'alimenter les Halles; il peut avoir aussi une destination industrielle un peu inattendue. Les émailleurs de Paris demandent aux pêcheurs de Nevers certaines espèces de petits poissons, ables ou brèmes. Ce menu fretin sert à fabriquer la colle de poisson indispensable aux émailleurs parisiens comme aux émailleurs nivernais.