Dennis Harry correspondances

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La correspondance de Harry Dennis(1).

Harry Dennis
Première lettre envoyée de France, sans date :

Quelque part en France.

Chers femme et fils,
Arrivé en bonne santé. Je me sens bien et super [dandy].
Le voyage jusqu'ici s'est bien passé, le temps a été beau tout au long de la traversée. Le bateau était bien plein, mais tous les hommes semblaient très bien le supporter.
Je n'ai pas réussi à bien voir l'endroit où nous avons débarqué, puisque nous avons été conduits dans une vieille caserne où nous sommes actuellement cantonnés.
À partir de maintenant, je crains que je ne puisse te dire grand chose de mes lieux de résidence et de mes actions, par conséquent les lettres seront toutes très brèves.
Est-ce que Joe a bien tenu son rôle dans le spectacle ou bien étais-tu à Peoria à ce moment-là ? Je suppose que John attend son destin [ce qui va lui être imposé]. Dis-lui que ce ne sera pas si terrible. C'est à peu près ce que tu peux faire. Je suppose que tu as cueilli des fraises quand tu étais chez ta mère. Je vois quelques copains qui passent dans le coin avec un chapeau rempli de fraises, ils disent qu'ils les ont obtenues pour environ trente-cinq cents.
Bien, je devine que je t'ai dit tout ce que je peux, ainsi je vais terminer en envoyant beaucoup d'amour et de baisers à ma chère épouse et à mon bébé. De ton mari.
P.S. Embrasse Joe pour moi et donne-lui quatre bonnes claques de la part de son père, pour son quatrième anniversaire. Dis-lui d'envoyer ses lettres maintenant en France et de ne pas oublier d'écrire souvent. Papa.

Autre document, sur une petite feuille, brouillon d'un télégramme.

Arrived safe, overseas. Harry.
Arrivé outremer en bonne santé. Harry.

3 juillet 1918 :

Chers femme et bébé,
J'ai reçu le courrier avant-hier, deux lettres de toi, une du 5 et une du 6 juin. J'ai aussi reçu deux lettres de ma mère, dont l'une avait été postée le 10 juin. Elle disait qu'elle a préparé plusieurs jarres de fraises pour toi et qu'elle allait faire un gâteau à la cuiller le jour-même où elle écrivait. Un gros morceau de gâteau n'aurait pas été désagréable comme dessert ce midi, après mes haricots. Nous ne nous débrouillons pourtant pas mal en ce qui concerne la nourriture. Je ne meurs pas de faim, alors que plusieurs des hommes font la grimace devant le biscuit de ration et le bacon du petit-déjeuner. Je viens de traverser la cuisine et je vois que nous allons avoir mon plat favori, c'est-à-dire des macaronis.
N'aie pas peur que je sois frappé par une balle par ces temps-ci, car nous sommes à une grande distance du front et, selon tous les renseignements, nous resterons là assez longtemps. J'ai suivi des cours pendant quelques jours pour recevoir des instructions sur les méthodes des chemins de fer français. On nous enverra bientôt sur le réseau pour d'autres instructions. Je vais passer l'examen bien que je ne sois inscrit dans aucune des deux compagnies de spécialistes.
Demain ce sera le 4 juillet(2), je crois que nous serons libres. Je pense que je vais aller à pied à l'une des petites villes qui se trouvent dans les environs. Ce soir ce ne sera pas comme l'an dernier. Je dois être au lit à 9 h 30. Demain non plus, ce ne sera pas comme le dernier 4 juillet. J'étais en train de raconter à plusieurs de mes amis la promenade que nous avons faite dans la vieille Haynes et l'Hudson(3). As-tu eu des nouvelles d'Anna cet été et ton père a-t-il vendu la Haynes ? Je suppose que les Smith vont partir quelque part demain. Comment vont Hattie et Frank, et M. et Mme Smith ? Dis-leur de m'écrire et de me donner quelques nouvelles de Beanery(4).
Maintenant, il est 4 h 30 de l'après-midi et je viens de dire à un sergent du mess, un de mes amis, et aux cuistots que, à cette époque il y a quatre ans, je n'étais peu fier, parce que je venais de devenir le papa d'un gros bébé joufflu. Cet après-midi, j'ai marché le long d'une route et il y avait un groupe de copains qui lavaient leurs vêtements dans une petite rivière. Je leur ai crié : « Chez nous, on ne faisait jamais ça ».L'un d'entre eux a levé la tête et il a dit : « Tu as sacrément raison. Ça pourrait être pire, mais le boulot que les gars doivent faire, bien sûr, c'est choquant mais il n'y a pas de comité de production ».
Eh bien, ma chérie, aujourd'hui je ne peux plus penser à rien, j'attends seulement une lettre plus récente que celle que j'ai reçue. Embrasse Joe pour moi et dis-lui que papa lui envoie des bisous et beaucoup d'amour et que je serai peut-être à la maison pour son prochain anniversaire et que nous organiserons une jolie fête. As-tu organisé une fête ? Comme j'ai dit au sergent du mess, je parie que la cour était pleine de gosses pour l'anniversaire de Joe. Eh bien, ma chérie, je conclus en envoyant des baisers et beaucoup d'amour à ma chère femme. De ton mari qui t'aime.

17 juillet 1918 :

Lettre arrivée le mercredi 7 août 1918.
Censurée : un passage a été découpé. La mention « censored » a été ajoutée sur l'enveloppe et l'en-tête de la lettre.
Chers femme et bébé,
Le courrier est arrivé avant-hier, et aussi le 9. J'étais parmi les rares soldats qui attendaient une lettre après que tous les autres avaient été appelés. Je t'ai dit de continuer d'écrire et je t'ai donné une adresse ; par conséquent, j'étais un peu déçu de ne pas avoir obtenu de lettre. Maintenant, le courrier arrive régulièrement environ une fois par semaine et notre courrier part aussi régulièrement. Je vais écrire au moins une fois par semaine, à partir de maintenant si possible, et j'espère recevoir une lettre par semaine.
Nous avons beaucoup d'occupations ici. Tout ce que nous avons à faire est de travailler et les hommes qui sont…
[passage manquant]
...à la place de ton père. Je suis allé l'autre jour, avec un camion-benne, à environ huit milles d'ici, dans un camp du génie où l'on coupe du bois de construction, dans une grande forêt. Le camp était à l'écart de la route, à quelque distance, et il semblait aussi tranquille qu'un camp de vacances chez nous. À part les uniformes des hommes qui travaillaient là, rien ne ressemblait à la guerre ou à quelque chose de similaire. J'ai fait un tour sur la route que nos hommes sont en train de réaliser et nous avons traversé une jolie campagne, mais je pense que les champs de maïs autour de Bloomington devraient maintenant paraître verts et beaux. Nous n'avons pas…
[feuillet découpé]
Je revenais de la rivière et j'ai été soudain couvert de boue, quand un copain a déversé sur moi un seau d'eau boueuse et de glaise.
Chaque dimanche, je vais dans une petite ville [ Decize ]. Nous pouvons trouver de la bière fraîche et, comme les journées sont très chaudes, quelques bouteilles ne font pas trop de mal après une marche de cinq milles. C'est très différent de ce que c'était quand je prenais la voiture pour aller à six ou sept blocs.
[passage manquant]
Je parie que Joe a eu un bon entraînement quand tu l'as découvert tout habillé par-dessus sa combinaison de travail. Je suppose que c'est maintenant un vrai soldat. Je le verrai peut-être passer en direction du front un de ces jours. Je suppose que ta mère ne se remettra pas avant quelque temps. Dis-lui que devenir soldat, ce n'est pas un suicide.
Eh bien, ma chérie, la parade militaire vient de passer et il ne me reste que quinze minutes pour finir cette missive. Je vais donc te dire bonne nuit, sauter dans mon petit lit et éteindre à 9 h 30. Embrasse Joe pour moi et dis-lui de penser à papa quand il porte ses sabots, et de ne pas recevoir de coups de poing dans le nez après avoir donné à un autre gamin des coups dans les tibias. Donne le bonjour de ma part à Tom, à ta mère et à ton père. Bonne nuit. Amour et baisers de ton mari.
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16 août 1918.
Carte postale de DECIZE : Porte du Marquis d'Ancre.
Serg. H. Dennis,co 13, 39th Engr. A.C.F France A.P.O. 772 Via New York
Cachet : U.S.A.P.O. 16 AOUT 1918 772
Carte adressée à Mrs H. Dennis, 506 W. Walnut St. Bloomington Ill(inois) U.S.A.

Chers femme et bébé,
Pas de courrier aujourd'hui. L'adresse postale a changé. J'écrirai une lettre dans quelques jours. J'espère recevoir une lettre de toi pour le septième anniversaire de notre mariage, il y aura aussi un cadeau si je reçois ma paye. Bonne nuit, je vous aime et vous embrasse, ma chère femme et mon petit garçon.
Ton mari.

Lettre du 24 août 1918.
Quelque part en France.

Chers femme et bébé,
Enfin, les lettres si espérées sont arrivées, une de toi datée du 15 et une de ma mère datée du 16. Je ne peux dire combien de fois j'ai lu et relu les lettres et tous ceux qui sont associés avec moi dans mon travail ont pu voir les photos et se sont familiarisés avec les personnes photographiées. Tu peux dire que tu as descendu l'escalier en deux bonds, mais tu aurais dû me voir quand le copain a dit « deux lettres pour toi, Harry » !
Toutes les photos sont belles. Surtout celle de John(5) qui agite la main en-dehors de la vitre de la voiture. Je veux que tu m'envoies son adresse le plus tôt possible. Je parie qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes gars pour remonter l'horloge le samedi soir. John parle de journées chaudes et de nuits froides. Nous avons le même temps. C'est le temps le plus affreux que j'aie jamais connu. Dis à ta mère de ne pas se fâcher avec John. Il aura la chance de ne jamais aller au front et dans les tranchées s'il est admis à l'État-Major.
Je te parie que vous avez tous été surpris quand Mary(6) est arrivée. C'était très agréable. Mary pouvait rentrer chez elle. Je lui ai écrit une carte et je vais lui écrire une lettre si je peux. J'ai bien obtenu du boulot, mais cela me fait passer très vite la journée et chaque jour me rapproche de toi et de Joe.
J'aurai à écrire à Fitz aussitôt que je pourrai et je lui dirai de chercher. Dis-lui que quand la conscription sera effectuée, je lui trouverai un travail à la rotonde, car c'est un homme habile.
Quelle idée Joe a-t-il eue de se faire ficeler la tête ? J'ai pensé que c'était un peu comme quand il a chanté « I got the lumps(7) » dans le spectacle. Qui est Ann Riley ? Je ne crois pas que je l'aie connue. Je veux que tu passes du bon temps et que tu te balades tant que tu veux, mais n'oublie pas ton papa. Si la Légion(8) est dissoute, comment deviendras-tu légionnaire ? Je suppose que Hattie et Mrs Smith vont devenir sœurs légionnaires. Je parie que cette danse était une danse telle que je donnerais tout pour valser avec toi. Je parie que Joe est gentil et costaud. Je suppose qu'il peut faire ce qui lui plaît, spécialement quand il sort avec toi et qu'il saute dans le lac.
Tu n'as rien à m'envoyer quand arrive la paye comme je n'ai pas reçu ma paye de juillet, mais on nous a dit qu'on serait payés ce soir. As-tu reçu maintenant le reliquat ? Fais-moi savoir combien nous avons maintenant. Tu es comme tu l'as toujours été à propos de vêtements, seulement tu n'as trouvé personne pour te dire combien tu es jolie quand tu es habillée comme un mannequin, au moins j'espère que non. Un copain vient d'arriver pour m'expliquer un travail et il m'a interrompu.
Je parie que tu as eu une bande de gamins dans les bras pour la fête de Joe. J'ai pensé à moi-même le quatre quand Joe s'est brûlé. Il vaut mieux surveiller ses doigts. Je n'ai rien à te raconter, comme l'endroit où je me trouve, mais j'ai sûrement à le raconter à quelqu'un ici, et justement à présent je n'ai rien d'autre à faire que travailler. J'espère que tu t'inquiètes un peu à propos de moi, tu sais il n'y a pas eu une lettre de toi pendant un petit moment. Je ne m'en préoccupe pas, bien que j'attende longtemps tes lettres. Je me fous de ce qu'ont pensé les gens. Beaucoup de types de notre âge, chez nous, doivent quitter leurs femmes, et les haies autour des maisons, et être envoyés ici.
Alors, ma chérie, ta lettre a semblé terriblement brève alors que j'ai tant attendu. J'espère que tu vas écrire, ainsi je recevrai une lettre à chaque distribution de courrier. Je vais t'envoyer quelque chose pour l'anniversaire du plus grand jour de ma vie, le 7 septembre, et j'y songe de plus en plus chaque jour que je suis ici. J'ai dit aux copains que je ferai juste une petite fête. Je joins dans cette lettre un petit cliché de mon pote et de moi-même pris devant la tente du mess. Ce copain se nomme Stevenson et il est sergent du mess du bataillon ; il est de Minneapolis. Il a une petite amie au pays et nous avons beaucoup parlé de toi, d'elle et de Joe. Je lui ai dit qu'il pourra passer sa lune de miel chez nous et il devrait prendre encore du service pour la patrie car je l'estime beaucoup.
Eh bien, je te souhaite bonne nuit avec beaucoup d'amour et de baisers, pour ma chère femme et mon petit garçon, de la part d'un père et mari très amoureux.
P.S. Amitié à tous chez nous et à tous les amis.

5 Septembre 1918 :
Réponse à la lettre n°2.
Quelque part en France.

Chers femme et fils,
Je pense que la saison pluvieuse a commencé, car aujourd'hui, il pleut à verse. Aujourd'hui, j'ai congé, pour la première fois en six semaines. Les copains américains ne devraient pas combattre dans les tranchées, mais nous le ferons certainement quand le travail commencera. Je suis très heureux d'avoir réussi l'examen pour devenir maître-ingénieur hier soir. Je ne sais pas encore comment j'ai fait.
Je suis assis dans une tente, occupé à écrire cette lettre et trois copains sont assis là, à se raconter ce qu'ils feront quand ils seront repartis et qu'ils auront épousé les filles qui attendent leur retour à la maison. Moi-même, je suis un peu hors jeu bien sûr, je montre mes photos et ils montrent les photos de leurs petites amies. Je ne vais pas te raconter ce que j'ai dit à propos de mon retour à la maison, car je sais bien ce que tu diras, mais sincèrement je le pense bien en ce moment.
Tu dis que tu as attendu une lettre mais que tu n'es pas déçue. Je ne vois pas pourquoi tu n'as pas reçu une seule lettre alors que j'en ai écrit plusieurs. J'ai aussi envoyé à Joe une paire de petits sabots. Je souhaite être là quand tu laves tes cheveux. Tu n'auras pas à me prier de te laver les cheveux car je viens de dire aux copains que quand tu diras « Harry », j'arriverai prêt à exécuter immédiatement tes ordres. Sur la photo de Joe, il n'a pas l'air d'avoir peur de l'eau, comme ça s'est passé la première fois que je l'ai photographié. Je peux l'imaginer quand il est entré après que ton père lui a dit que c'était une sacrée coupe de cheveux.
Pauvre vieille Queen, je n'aimerais pas du tout savoir qu'elle a été gazée, mais je sais que tu ne pourrais pas la garder(9). Si j'ai un visage si triste sur les photos, la cause en est peut-être que je n'ai pas mon épouse près de moi pour me mettre en colère. Depuis le début de la conscription, il y aura de plus en plus d'étoiles sur le drapeau de Saint-Patrick(10). Duffy Brennan et quelques uns des copains auront tiré le mauvais numéro. Ne faites plus aucune fête à la maison. Je parie que ton père était un peu contrarié qu'il n'y ait eu aucune fête pour son anniversaire. « Famo » doit bien vendre à Bloomington depuis que c'est le régime sec. Cet après-midi, je vais sortir et acheter un peu de cette bière que nous trouvons ici. Elle est assez médiocre, mais on peut la boire quand on ne trouve rien de meilleur. J'espère que tu es allée à Chicago et que tu as rendu visite à Hattie. Nous allons avoir du changement. Tu vas devenir la « baladeuse » et moi je vais rester à la maison. Il est possible que Katie C. suive les pas de sa mère. Tu vois ce qu'ils sont, ces copains (copines) faciles à vivre. Tu ne peux pas écrire une lettre sans me donner un petit coup. De ces nouvelles que nous recevons des Etats-Unis, je penserais que nous serions très heureux que tu en aies aussi. Je suis heureux que John soit entré dans les bureaux. Il n'aura peut-être jamais à venir jusqu'ici. Je l'espère dans l'intérêt de ta mère. J'espérais recevoir un petit colis comme celui que tu as envoyé à John. J'espère que tu iras à Philadelphie avec Annie McGraw(11) et que tu feras un beau voyage. Tu peux obtenir sans aucun problème une autorisation de M. Henderson. Donne le bonjour à Annie de ma part et dis-lui que j'aimerais être à la maison lorsqu'elle y sera et que nous organiserions alors une jolie fête.
J'avais l'intention de prendre quelques photos aujourd'hui. Tu sais que nous portons des petites casquettes de marine. Je dois être beau avec la mienne. Comme il pleut, je ne peux pas les mettre aujourd'hui et je ne sais pas quand nous en aurons à nouveau l'occasion.
Je suis contremaître en chef pour l'installation des bâtiments dans un petit patelin appelé Marcy, à environ trente milles au sud de Nevers. Tu peux chercher une carte et me localiser à peu près. Je sais que nous pouvons donner cette information maintenant.
Eh bien, ma chérie, n'oublie pas d'écrire au moins une fois par semaine. Tu ne réalises pas ce que cela signifie pour moi de recevoir des lettres et des clichés de toi et de Joe. Je ne trouve rien d'autre à t'écrire à présent, seulement il y a un jeune copain ici, qui s'appelle Hoskins, et qui habite la Californie ; il m'a promis un beau voyage en automobile à travers une partie de la Californie si je veux y aller avec toi après être de retour chez nous. C'est l'un des copains dont j'ai parlé dans cette lettre, celui qui va se marier dès son retour au pays.
Alors, j'arrête maintenant avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère femme et mon bébé, de la part de votre cher mari et papa.
P.S. Aujourd'hui, je t'envoie un foulard. Je l'ai payé 50 francs et il devrait y avoir une petite taxe selon notre vaguemestre. Nous avons fêté le jour du travail (Labor Day)(12) et mon anniversaire avec « beaucoup travailler » [sic, en français].

24 septembre 1918 :

AEF Outfit France 1918-1919. American Expeditionary Forces, Corps expéditionnaire américain

American Y.M.C.A. (Young Men Christian Association).
On active service with the American Expeditionary Force.
En service avec les Forces Expéditionnaire Américaines.

Chers femme et fils,
Le temps est très froid et très nuageux. Un jour très sombre. Je me sens comme ta mère dans sa dernière lettre. Aujourd'hui, j'ai le cafard et tu ne seras pas seule le dimanche soir quand je serai revenu chez nous. Je pense que je suis complètement guéri de vouloir repartir en vadrouille(13). Je suppose que nous ne verrons plus de beau temps en cette saison car maintenant c'est la pluie et la boue.
J'ai reçu une lettre de ma mère le même jour où j'ai reçu ta dernière lettre. Je lui ai répondu. Elle dit qu'elle est très contrariée quand elle va à la boîte aux lettres et ne trouve aucune lettre de moi. Je suppose qu'elle se sent très seule.
Je suppose qu'une femme embauchée comme sténographe peut recevoir maintenant un bon salaire, spécialement dans les bureaux des R.R.(14) C'est très bien qu'Imelda ait trouvé un tel emploi. Je peux voir que tu vas à l'école, je ne pense pas que tu as eu beaucoup de chance pour retrouver le manteau de Joe. Je suppose toutefois qu'il ne lui conviendra pas cet hiver.
Si jamais tu fais du bruit comme un clairon, la maison Dennis sera immédiatement détruite, surtout le matin. On nous garde assez au travail pendant la journée, si bien que le son du clairon est le bienvenu. Si je sors du camp un soir et reste jusqu'à 11 h 30, la nuit suivante je suis au lit à 8 h 30. Et tu ne dois pas t'inquiéter à propos des filles françaises qui paraissent plus belles, je n'ai jamais appris le « parlez-vous » et je ne peux pas leur parler. Tout ce que je peux faire quand elles me parlent, c'est de hausser les épaules et de dire « oui, oui » ou « no compris ».
J'aimerais t'avoir vue quand Madame Donavan a eu un insecte dans l'oreille.
Peut-être bien que la raison de la rupture des fiançailles entre Browser et Julia, c'était parce qu'il pensait qu'il avait des comptes avec la jeune femme. Browser a bien de la chance, il n'a pas été appelé pour la conscription. Je ne comprends pas comment il a fait, à moins qu'il soit parti sur le réseau.
Ton père va bientôt posséder une chaîne de bars de boissons non-alcoolisées. Il pourrait peut-être me donner un emploi de gérance d'une de ses entreprises. Je ne suppose pas qu'il le ferait maintenant, pourtant. Est-ce que Shect travaille encore pour lui ? Je suppose que Billy aussi.
Je ne pense pas que tu iras à la danse de rue(15). J'aimerais bien y aller. Si j'étais présent à l'une de ces soirées, j'aimerais marcher (danser) avec Gussie Lavon, juste pour l'entendre s'emporter. Les danses de trottoir sont quelque chose de nouveau, n'est-ce pas ? Est-ce que les pompiers vont donner un bal pour cette fête de Thanksgiving ou bien est-ce que quelque chose a été prévu ? As-tu reçu ma carte de cotisation ou ma carte de membre de la grande loge B of L F E(16) ? Je vois quelques uns des copains ici qui ont reçu la leur.
Dis à Joe que papa a reçu sa lettre et que le portrait de papa qu'il a dessiné était très beau. Papa espère recevoir régulièrement de ses lettres. Dis-lui de se protéger la tête des cailloux que les gamins lancent et de ne pas se casser le cou dans sa voiture à pédales.
As-tu envoyé mon adresse à John ? J'aimerais avoir un peu de ses nouvelles. Je suppose que maintenant il est devenu un vrai soldat.
Je suppose que tu es allée à Philadelphie et que tu seras revenue avant de recevoir cette lettre. J'espère que tu n'oublies pas d'écrire pendant ce séjour car le temps me semble long entre les lettres, même si tu en écris une chaque semaine.
Eh bien, ma chérie, je devine que j'ai dit tout ce qu'il y avait à raconter cette fois, comme je n'ai rien à faire que travailler et sortir quelques soirs jusqu'à une ferme des environs pour me procurer une bouteille de bière, ou deux.
Donne à ta mère, à ton père et à Tom le bonjour de ma part et dis à ta mère que j'espère que je serai bientôt à la maison pour une petite dispute et arranger cela après un petit repas et une bouteille de Schlitz(17). Embrasse Joe pour moi, avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère petite femme et mon petit gars, de la part de ton mari qui t'aime.
Harry
Harry Dennis, Master Engineer
Headquarters Co. 39 th Engineers
A.E.F. France A.P.O. 772
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4 octobre 1918 :

Chers femme et bébé,
Eh bien, il semble qu'il n'y pas eu de courrier pour ce camp pendant les derniers jours, alors je vais écrire quelques lignes. Il n'y a pas beaucoup à raconter, car chaque jour se passe comme le précédent, lever à six heures, petit-déjeuner et travail à partir de sept heures, repas à midi, puis retour au travail à une heure jusqu'à six heures, sept jours par semaine. Je suis assis au bureau des sergents du mess, je t'écris ceci et le vieux Baker vient de passer la tête dans l'ouverture de la porte et il m'a demandé quand est-ce que j'allais prendre les soixante chargements de charbon qui ont été déchargés dans la cour. C'est le contremaître de la machine qui est dans la cour. J'ai pris l'habitude de m'en servir bien que, comme tous, j'entende toute la journée ses : « quand vas-tu faire ce boulot ? », ou « comment vais-je faire ? » ou « où est-ce donc ? »
Maintenant nous disposons d'un très joli bâtiment du Y.M.C.A., qui vient d'être terminé. Hier soir, trois femmes françaises et un Italien – ou du moins ce que je pense qu'ils sont – nous ont donné un très beau concert. C'est le projet que j'imagine, avoir plusieurs concerts chaque semaine et je vais avoir un projecteur de cinéma de façon à ce que nous ayons des films.
Nous avons beaucoup d'activités comme d'installer des poêles car les nuits sont très froides. Je dors avec quatre couvertures épaisses, la moitié d'un duvet et mon manteau sur moi et alors il n'y a rien de plus confortable. Un copain et moi, nous étions en train de parler aujourd'hui de ce grand froid dans les baraquements et j'ai remarqué que toi tu te gèlerais complètement si tu avais à dormir dans ces conditions. On nous dit que c'est le début de la saison pluvieuse, mais j'espère que cela ne commencera pas avant que nous ayons des poêles dans les baraquements. Les derniers jours il a fait très beau dehors, et le froid est arrivé les nuits.
Eh bien, ma chérie, si les gars qui sont au front continuent à se battre comme ils le font, nous allons bientôt rentrer chez nous. Quelques hommes de notre équipe sont allés à la limite de la zone avancée (zone des combats) et ils ont rapporté des informations. Nous recevons aussi des nouvelles par téléphone, puis nous pouvons difficilement attendre jusqu'au soir le journal, ainsi nous pouvons vérifier si les informations sont confirmées. Parfois nous avons des déceptions.
Comment va la pauvre madame Feegan ? Donne-lui le bonjour de ma part, si elle est capable de comprendre. J'ai signé pour le Stars and Stripes(18) pour toi. Ce journal est édité par et pour les soldats de l'A.E.F. (American Expeditionary Forces in France). C'est un hebdomadaire très intéressant.
Eh bien, ma chère petite femme, et mon bébé, c'est maintenant huit heures et demie du soir, et environ une heure de l'après-midi chez nous. Je souhaiterais tant être là-bas avec toi. C'est l'heure d'aller au lit, comme je me suis couché chaque soir cette semaine à huit heures, sauf hier soir à neuf heures. Embrasse Joe de la part de son papa et dis-lui de se rassurer et d'écrire. Embrasse tous les amis. Bonne nuit, j'envoie beaucoup d'amour et de baisers à ma chère épouse et à mon fils.
Ton mari qui t'aime.
P.S. : Note que notre adresse a changé. Nous ne sommes plus appelés Génie, mais 39e Régiment de Transport.

12 octobre 1918 :

Chers femme et fils,
À midi, quand je suis allé au camp pour le repas, j'ai reçu ta jolie et longue lettre du 15 septembre. J'ai aussi reçu une lettre de toi et de ma mère mercredi. J'ai aussi reçu une lettre de Mary et de ma mère aujourd'hui.
Je vais me faire photographier pour mon premier jour de congé, s'il ne pleut pas. Cet après-midi, il pleut des cordes et je suis allé au travail avec des bottes (des cuissardes). Le climat ne me fait pas pousser des cheveux et ne m'en fait pas tomber non plus. J'aimerais en avoir encore un peu quand je rentrerai chez nous. Tu n'as pas à m'envoyer tes petites remarques sarcastiques, comme je peux voir. Je suppose pourtant que je m'en moque mais quand je rentrerai tu seras contente que j'aie fait mon devoir.
Il y en a beaucoup comme Fitz qui disent qu'on a besoin d'eux partout, mais les mêmes gens expliqueront tout le reste de leur vie pourquoi ils n'ont pas été mobilisés dans l'armée pour le grand combat(19). Quand tu seras à Phila(delphie), ne rends pas visite à Fitz. À la manière dont les choses se passent ici, il pourrait bien être possible de me retrouver à New-York si tu y restes longtemps. Est-ce que tu emmèneras Joe avec toi ?
Quand je serai de retour à la maison, tu n'auras pas à t'inquiéter si je reste dehors trop tard, tu pourras même sortir avec moi aux réunions de la Légion. Tu peux envoyer à Hattie une petite lettre avec quelques unes des nouvelles de Beanery qu'elle apprécie.
Si je peux trouver pour Joe une casquette comme celles que nous portons, je la lui enverrai. J'ai bien l'air d'un soldat avec ma casquette de marine. Je devine que c'est ce que tu appelles une casquette d'aviation. Dis à Joe qu'il n'aura pas à attendre longtemps avant de voir papa défiler chez nous, car chaque jour les nouvelles sont meilleures. Je parie que John a fière allure dans son uniforme. J'espère qu'il n'aura pourtant pas à venir ici. C'était déjà bien qu'il ait obtenu une permission à la maison. Je parie que tout le monde a été content quand il est arrivé. Parlons lecture : ce sera bientôt impossible de se procurer un bon magazine. Si je peux seulement en avoir un paquet et deux ou trois coussins sous ma tête sur un bon canapé Davenport bien moelleux, dans une pièce bien chauffée, tu ne pourras pas me rendre plus heureux.
Y a-t-il eu des cas de grippe espagnole à Bloomington ? Il semble que la maladie se soir répandue dans l'Europe entière et à l'Est des États-Unis, selon les journaux. Prends soin de Joe et de toi. Je n'ai pas fait de fête le 7 septembre, mais j'avais tellement de nostalgie que j'aurais bien dû le faire. Je n'ai pas eu l'occasion de voir Steve cet après-midi, mais quand je le verrai ce soir au souper, je lui raconterai ce que tu m'as dit. À propos de Mme Lobb et de son nouveau bébé. J'ai fait un rêve la nuit dernière, j'avais l'impression que tu étais là et que tu me présentais un joli gros petit garçon. J'étais très fier et je me pavanais dans le camp en le montrant quand « tooot ! » le clairon a sonné le réveil. J'espère que tu iras voir ma mère et mon père car dans chaque lettre ils disent que tu n'es pas allé leur rendre la moindre visite cet été. Qu'est-ce que les vieux gars pensent de la conscription ? Je parie qu'ils ne sont pas morts de rire. Qu'est-ce que Buster Feegan fait à Indianapolis ? Est-ce qu'il est en garnison là-bas ? Salue bien sa mère et j'espère qu'elle sera bientôt guérie. À présent, la nourriture n'est pas excellente, mais je pesais 199 livres (100 kilos), avec seulement ma combinaison de travail. Je n'ai plus la blague à tabac que j'avais. Dis à madame Salmon que j'attends un autre mariage et une nouvelle lune de miel quand je serai revenu. La dernière partie de ta lettre a considérablement amélioré la lettre. Si tu penses vraiment tout, je ne m'inquiéterai pas pour quelques trous dans la lettre.
Je joins un coupon pour un colis de Noël. Lis les instructions, si tu veux m'en envoyer un. C'est le seul moyen pour que nous recevions un colis de Noël. Eh bien , ma chérie, je vais devoir te quitter et sortir pour surveiller une machine qui vient d'arriver et qui est en marche. Je joins aussi un billet français pour Joe. Dis-lui de le mettre dans son carnet. Embrasse-le pour moi et dis-lui que ses lettres n'arrivent pas régulièrement. Donne le bonjour à tous. Avec beaucoup d'amour et de baisers à ma chère femme et à mon petit garçon.
De ton mari qui t'aime.
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2 novembre 1918,

Chers femme et bébé,
Tu seras étonnée de ne pas avoir reçu de lettre pendant si longtemps. J'ai eu un peu de malchance ou un malentendu avec notre capitaine et j'ai été rétrogradé simple soldat. Je n'ai pas écrit tant que je pensais que je serais réintégré un jour dans mon grade. Je ne vais pas t'expliquer pourquoi j'ai été cassé parce que cela me prendrait trop de pages. Dimanche dernier, j'ai eu une conversation avec notre chef et il m'a dit que j'étais un bon soldat et qu'il aimait beaucoup mon travail et qu'il me reverrait bientôt. L'adjudant qui commande notre compagnie m'a aussi accordé un entretien très favorable. Tous les hommes du camp étaient fâchés et chacun d'entre eux me dit que j'ai subi une sanction injuste, mais je suis sûr que les choses vont s'arranger ; quand je continue le travail je fais comme si rien ne s'était produit. J'ai construit un mur en pierres et maintenant je construis une cheminée en pierres dans le local du Y.M.C.A. C'est du bon boulot. Je vais terminer cette semaine. Ils veulent tous savoir où j'ai appris la maçonnerie. Je ne dirai rien de ma rétrogradation car je suis certain que je serai réintégré.
Prends soin de toi et de Joe, n'attrape pas la grippe. Nous avons quelques cas ici mais je pense que l'épidémie est finie dans notre camp(20). J'espère que tu t'amuses à Philadelphie et je pense que tu devrais rendre visite à Catherine. Je sais que tu as été très déçue de ne pas avoir réussi à voir John. Je sais que ta mère a été très mal. J'espère que pour lui c'est trop tard pour qu'il soit envoyé au combat et il sera au nombre des membres du A.B.O. que tu m'as donné. Je pense qu'il a été débarqué en Angleterre pour l'entraînement.
Tu as toujours la même vieille manie quand tu pars quelque part. Tu mets ton chapeau juste avant de monter dans le train et tu couds jusqu'au dernier moment quand le taxi arrive devant la porte. Je peux te voir les yeux fermés. Je souhaite seulement te voir réellement.
Je suis bien content de ce que ton père pense de moi. Comme tu dis, j'ai pensé à la manière avec laquelle je suis parti et je ne le blâmerai pas d'être un peu fâché. Je ne mettrai pas longtemps avant de vous retrouver tous à la maison et, en ce qui me concerne, je n'ai plus envie de repartir.
Fitz n'a pas eu de chance d'être tiré au sort dans la première centaine. Je pense toutefois, d'après ce qu'on nous a dit de la réduction des effectifs des cheminots, qu'il sera exempté. Je souhaite que tu oublieras la petite remarque que j'ai faite dans ma dernière lettre, mais j'étais très fâché et j'avais le mal du pays.
La photo de Joe était très belle. Je l'ai montrée autour de moi, bien sûr, et plusieurs des copains ont dit : « Mais pourquoi donc, bon Dieu, as-tu laissé ta maison et ton gosse, surtout que tu n'étais pas en âge d'être mobilisé ? » J'espère que tu as reçu le foulard cette fois. Je ne pense pas que j'enverrai un autre colis pour Noël, si tu risques de ne jamais le recevoir. Je souhaite qu'il soit possible que nous soyons chez nous avant que tu reviennes à la maison, mais cela est improbable. Je veux te retrouver, toi et notre petit Joe dans notre petite maison.
J'aimerais t'avoir vue grimper dans la couchette supérieure, en particulier quand tu as pris le Pullman. Tu as dû appeler le porteur si la sonnette ne fonctionnait pas. Ne pouvais-tu pas avoir une voiture directe pour Philadelphie sans avoir à changer à Pittsburgh. Il n'y aura plus d'excuse pour aller à la rotonde ou au bureau quand je serai revenu.
Eh bien, ma chérie, cette lettre t'arrivera aux environs de Thanksgiving(21) et je devine que nous pouvons remercier Dieu d'être séparés par un si long espace et de ne pas être comme beaucoup de familles de chez nous qui pleurent l'un des leurs tués à la guerre.
Dis à ta mère et à ton père de ne pas se faire de soucis pour John et de garder la tête haute parce que les Alliés vont bientôt nous faire revenir tous les deux à la maison.
Embrasse Joe pour moi et dis-lui qu'il a l'air d'un petit mec sur ses dernières photos et que papa ne pourra pas le reconnaître quand il reviendra.
Alors, chère petite femme, je vais terminer en t'envoyant beaucoup d'amour et de baisers. De ton mari qui t'aime pour toujours.

8 novembre 1918,

Chers femme et bébé,
C'est dimanche aujourd'hui et un agréable dimanche ensoleillé. Je suppose que vous serez encore à Phila[delphie] quand cette lettre vous parviendra. Tous les hommes du camp attendent impatiemment des nouvelles de l'Armistice. Si les Allemands l'acceptent, ce sera possible pour nous de repartir très bientôt à la maison. Je parie que les journalistes ont beaucoup de boulot maintenant avec tous ces pourparlers de paix en cours.
Alors, je viens de finir ma cheminée et un groupe de gars est assis tout autour, occupés à se chauffer les jambes. J'aimerais en avoir une photo que je puisse conserver pour plusieurs raisons. Je me suis abîmé les doigts en soulevant les pierres. Je peux à peine tenir la plume pour écrire. Je ne sais pas ce que je vais faire maintenant. J'espère qu'ils me laisseront repartir exercer mon autre métier.
Nous allons avoir cet après-midi un concert au foyer Y.M.C.A., donné par un orchestre de l'unité de l'équipement de réparation des moteurs dont le camp n'est pas très loin du nôtre(22). J'ai oublié dans ma dernière lettre de te parler du spectacle qui a eu lieu au camp là-haut. Tous les acteurs provenaient de l'unité d'équipement. Le chœur était composé d'hommes déguisés en filles et ils avaient bien l'air de jolis poulettes. Le titre du spectacle était « Un sacré seconde classe qui s'en va (A Buck Private on leave) ». C'était très marrant. Un des chants était « Allô, central téléphonique, donnez-moi les tranchées (Hello, central, give no man's land)(23) ». Quand le chant s'est terminé, le projecteur s'est dirigé sur une petite fille française qui téléphonait à un soldat dans les tranchées. Cela a eu un grand succès.
J'ai reçu le Bulletin du 30 septembre ; j'ai eu la nostalgie en voyant le vieux journal et en lisant les nouvelles de Westside et les nouvelles des Chemins de fer. Je vois que le frère Paul est rentré à la maison depuis Springfield après avoir assisté à la Convention d'État des Pompiers.
Bien, ma chérie, il n'y a rien d'autre de neuf et je pense que c'est tout ce que peux t'écrire. Oh oui ! J'ai reçu une lettre de K.Y. Hughes. Il est à la 31e Compagnie du Génie et pas très loin de moi. Il dit qu'il a vu Jimmy Clark et Yose Rebman et le jeune Murray, ils sont au même endroit que lui, mais ils sont à la 35e. Il dit qu'il a vu aussi Baxter. Je vais devoir lui écrire, cette semaine.
As-tu passé du bon temps et le rhume de Joe s'est-il guéri ? Prends soin de toi et de lui. N'attrape pas la grippe. Donne le bonjour à Al et Anna et dis-leur que j'essaierai de les voir sur mon chemin de retour. Bonjour à tous chez nous.
Avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère femme et mon bébé, de ton mari qui t'aime.
Prvt H. Dennis, Hdhts. Co. 39 R.T.C.
Amer. C.F.
France
A.P.O. 772 Via New-York.
423
ALBANY, N.Y

Marcy, France, 12 décembre 1918 :

Guerre 1914-1918 265.jpg
Chers femme et bébé,
Reçu colis de Noël. Parfait. Il était un peu écrasé et les bonbons sont collés un peu entre eux mais ils ont bon goût comme d'habitude. Les mouchoirs me sont bien utiles, je venais de faire la remarque cette nuit que j'aurais bien voulu en avoir.
J'étais un peu déçu car j'attendais une photo de toi et de Joe. Tu sais comment tu nous a surpris avec les photos du dernier Noël. Je vais porter le survêtement quand tu viendras me rencontrer ou bien est-ce que tu te moquais de moi ? J'ai reçu le mandat hier et j'ai envoyé mes salutations à Charlie et Bill, avec un joyeux Noël et une bonne nouvelle année, bien sûr la même chose pour ton père. Je boirai deux rasades (deux toasts) avec ce que tu as envoyé, mais je ne comprends pas le « quelque chose d'autre que tu peux avoir ». J'ai peur que tu aies à m'envoyer un autre mandat car la présence des soldats américains a énormément fait augmenter les prix ici. Je suppose que tu as plein de visiteurs maintenant que ton père a fermé ses entreprises (magasins). Est-ce qu'il aura quelque chose pour Noël ? S'il n'y a rien, je ne sais pas ce que deux vieux feraient s'il n'y avait pas Noël avec Tom et Jerry et le plum-pudding.
J'ai reçu hier ta lettre du 16 novembre et celle du 23, tu as encore à creuser un peu bien que ce soit une lettre de Noël. Je pars à la maison pour un instant seulement. Bien sûr, il serait possible que je ne veuille pas y retourner, si je peux obtenir un bon poste, c'est-à-dire si tu le souhaites. Je pense que je vais en avoir assez de l'armée, quoiqu'un boulot dans le vieux C et A(24) ne soit pas trop mauvais. Dis à Joe que s'il continue d'acheter des allumettes et de les brûler je ne reviendrai pas à la maison. S'il n'est pas gentil et s'il ne t'obéit pas, dis-lui que je vais ramener chez nous un pauvre petit garçon français. Je pense que ton père et ta mère devraient avoir un peu plus de jugeote et ne pas laisser Joe faire ce qui lui plaît car ce sera comme tu le dis justement dès qu'il lui arrivera quelque chose on nous fera des reproches. Je pense que tu devrais taper du pied (être plus sévère) quand il s'agit d'éduquer Joe.
J'ai reçu une lettre de John il y a environ trois jours et une autre hier. Il est sténographe à l'Association Juive de Bienfaisance, au Mans. Si j'avais assez de francs, j'irais lui rendre visite. Il a joint une lettre de Tom dans la dernière lettre que j'ai reçue. Je vais lui faire suivre demain un tas de papiers. Aujourd'hui, j'ai reçu le bulletin du 12 novembre. Hier j'ai reçu le journal du samedi soir (Saturday Evening Post) et Home Compassion, ils ont dû m'être envoyés par Mary. J'ai reçu plusieurs cartes de Noël de Mary l'autre jour.
Je travaille à aménager autour du camp des bâtiments, des chemins, des routes, des fossés. J'ai des prisonniers pour faire le travail. Il a plu pendant les derniers jours et le terrain est très boueux. Nous devons porter tout le temps des imperméables et des bottes. Il y a une chose que personne ne peut dire, c'est que l'Oncle Sam n'habille pas bien les soldats. Nous avons toutes sortes de bons vêtements chauds et de chaussures. J'ai trois bonnes paires de chaussures et maintenant une paire de cuissardes.
Eh bien, je ne sais rien de plus à présent. Chaque jour, il y a des rumeurs infondées que nous allons rentrer à la maison mais cela ne m'amuse pas du tout. J'espère pourtant que nous partirons bientôt car je souffre d'un terrible mal du pays et je languis de te voir, toi, Joe et tous chez nous. Un vieux copain vient de dire : « Je ne veux pas de colis de Noël, mais je veux un beau panier avec une dinde, un gâteau, du pâté, des bonbons et tout ce qui compose un repas de Noël. Et aussi quelques litres de Pebbleford(25). » Quelqu'un lui a demandé s'il ne voulait pas un plum-pudding. Il a dit : « Un cinglé qui arrangerait ce repas et ne voudrait pas de plum-pudding avec des pommes à l'intérieur, il serait vraiment dingue. »
Eh bien, ma chère femme, je vais conclure avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère femme et mon petit garçon. De ton mari qui t'aime.

(1) Cette correspondance a été conservée par M. Robert Kerr, qui m'en a confié la version numérisée en juillet 2013. Après l'avoir traduite, j'ai effectué des corrections par Internet avec M. Kerr.
(2) Le 4 juillet est pour Harry Dennis une double fête : c'est la fête nationale des États-Unis et l'anniversaire de la naissance de son fils Joe.
(3) Haynes et Hudson étaient deux marques d'automobiles.
(4) Beanery est un quartier de Bloomington, où le père de Kate possédait un bar (information donnée par M. Kerr).
(5) John Carbery est le frère aîné de Kate.
(6) Mary Carbery est la soeur de Kate ; elle est religieuse dominicaine, son nom de religion est soeur Alberto.
(7) I got the lumps : j'ai emporté le morceau ; ou bien : I got the lumps in my throat = j'ai peur, j'ai les boules...
(8) L'American Legion n'a été créée qu'en 1919-1920 par les anciens combattants. Ici, il doit s'agir d'une association caritative antérieure de dames patriotes, ou d'un service social des chemins de fer.
(9) Queen est une chienne que Kate a dû faire euthanasier.
(10) Saint-Patrick est la paroisse de Kate et Harry : les étoiles placées sur le drapeau symbolisent les jeunes du quartier qui ont été mobilisés et sont partis à la guerre.
(11) Annie McGraw est une cousine de Kate ; elle réside à Philadelphie.
(12) Le Labor Day a été créé par des syndicalistes à New-York en 1882. Il est devenu une fête nationale dix ans plus tard. Il se déroule le premier lundi de septembre. Ne pas confondre avec la Fête Internationale du Travail, qui se tient le premier mai ; elle aussi elle est née aux Etats-Unis, lors d'une grève très dure à Chicago le 1er mai 1886 ; le congrès de 1889 de la Seconde Internationale Socialiste a décrété ce jour fête du travail ; en France, c'est le Régime de Vichy qui a instauré un jour férié, repris par les gouvernements suivants.
(13) Harry Dennis fait ici allusion à ses nombreux déplacements sur le réseau ferroviaire américain, avant d'être mobilisé.
(14) R.R. = abréviation de Rail Road, chemin de fer.
(15) Pavement dance : danse dans la rue
(16) Brotherhood of Locomotive Firemen and Engineers : organisation amicale des chauffeurs et mécaniciens de locomotives. Syndicat des cheminots créé en 1863.
(17) Bière Schlitz, brassée à Milwaukee depuis 1858. Entreprise fondée par August Krug, puis Joseph Schlitz. C'était, avant la Première Guerre mondiale, le premier producteur mondial de bière.
(18) Le journal Stars and Stripes a été fondé en 1861 pendant la Guerre de Sécession. A partir de l'entrée des U.S.A. Dans le première guerre mondiale, c'est un hebdomadaire de huit pages, imprimé en France et distribué aux combattants américains.
(19) Critique contre les planqués.
(20) 18 soldats américains des camps de Verneuil et Marcy sont morts durant leur séjour.
(21) Thanksgiving : fête religieuse d'action de grâce célébrée le quatrième jeudi de novembre. A l'origine, les Pères Pélerins, colons débarqués en Nouvelle-Angleterre, ont établi cette fête pour remercier Dieu après leur première moisson, à l'automne 1621. Thanskgiving est devenu une fête nationale laïque.
(22) C'est le camp de Verneuil : Motor Transport Repair Unit 301.
(23) Hello central, give me no man's land : chanson écrite en 1918 par Sam M. Lewis et Joe Young, musique de Jean Schwartz. Cette chanson triste a été interprétée par Al Jolson, chanteur populaire de cette période ; elle met en scène un enfant qui téléphone, alors que sa mère dort ; il veut appeler son père, qui combat sur le front français, mais celui-ci vient d'être tué... dans le no man's land, terrain dévasté entre les deux lignes ennemies.
(24) Chicago and Alton Railroad Company : compagnie ferroviaire qui dessert Bloomfield.
(25) Pebble Ford Bourbon : whisky américain distillé dans le Kentucky.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL (discussion) 23 octobre 2018 à 11:04 (CEST)