Cahier de Léon Hogard

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Léon Hogard

Premières pages.

  • Léon Hogard n'est venu s'installer à Saint-Léger-des-Vignes qu'entre les deux guerres mondiales. Il était originaire de Tonnoy, près de Nancy. A Saint-Léger, il a rédigé un cahier, au début des années 1960, où il a raconté sa Grande Guerre(1).
  • « Engagé volontaire le 4 mars 1914, au 1er Régiment de Zouaves, à Saint-Denis « grande caserne », j'avais 18 ans. Le régime militaire était défavorable à mon tempérament : malade à la suite de piqûres de punaises, après plusieurs jours de consultation motivée, le major, croyant que je tirais au flanc, m'enguirlanda et m'expédia séance tenante à l'exercice. Dans la cour, au cours d'un exercice de tir à genoux, je piquai du nez au milieu de mes camarades, ayant perdu connaissance. C'est sur deux fusils que j'ai été transporté à l'infirmerie (je l'ai appris plus tard). J'y suis resté trois jours sans soins médicaux, l'infirmier seul, aux heures des repas, m'apportait ma ration que je ne pouvais avaler. Toutes les articulations me faisaient mal : j'étais raide comme un manche à balai. Le troisième jour, vers 15 h, j'entends le major qui demande à l'infirmier s'il ne s'était rien passé pendant son absence (il revenait de permission). L'infirmier lui annonce ce qui m'était arrivé quelques instants après son départ : il a été traité de crétin et de toutes sortes de noms d'oiseaux. Pour moi, le crétin c'était le médecin. Questionné sur ce que je ressentais, je n'ai pas répondu : le thermomètre, monté à près de 40°, l'a renseigné : coup de téléphone, et une heure après, une ambulance à chevaux me transportait à Paris, à l'hôpital Villemin. J'y suis resté huit jours entre la vie et la mort, soigné par les camarades plus que par les infirmiers et encore moins les infirmières. J'ai appris à mon départ pour une convalo de 15 jours, par le sergent infirmier, qu'un certain jour, si à 15 h la température n'avait pas baissé, on devait, de toute urgence, avertir ma famille. C'était grave, mais ce n'était pas mon heure.
  • Rappelé par télégramme après huit jours passés dans ma famille, j'ai rejoint mon corps : la guerre était proche. Exercices de combat dans la cour, service en campagne dans les champs maraîchers autour de Saint-Denis, tirs au champ de tir : tous ces exercices se succédaient fébriles et accélérés.
  • Puis, c'était le départ de la caserne pour laisser la place aux réservistes qui affluaient: la guerre était déclarée. Des mutations de gradés s'opéraient et le 20e Bataillon du 1er Zouaves devenait le 1er Régiment de Zouaves avec trois bataillons.
    J'aurais pu rester, n'ayant pas le temps de service voulu pour partir en campagne. Sur mes instances, le capitaine Ludier accepta de m'inscrire à son effectif en me confiant spécialement au sergent rengagé Lambert, de la 1ère section.
  • Le 10 août 1914, le 1er Régiment de Zouaves est formé à Saint-Denis avec le 4e Bataillon, venu d’Alger, le 5e Bataillon de Saint-Denis et le 11e Bataillon (réservistes du Nord et de Paris). Il est commandé par le lieutenant-colonel Heude ; il appartient à la 75e Brigade et à la 38e Division.
  • Nous avons embarqué le 11 août au quai de Bercy, traversant Paris en chantant (pas moi), chapardant des fruits aux étalages, sous l’œil rieur des Parisiennes : beaucoup croyaient partir à la fête. Débarqués le 12 août à Anor, frontière belge, et en route pour Chimay. Tout le long des chemins, [pendant] la traversée des villages, les habitants nous offraient à boire de la grenadine (il faisait si chaud), du tabac, des cigarettes. Pour moi, qui avais si peu d'entraînement, le sac était lourd ; 120 cartouches dans les cartouchières, le fusil, la musette et le petit bidon d'un litre...
  • J'ai vu des soldats jeter les paquets de cartouches pour y mettre des cigarettes : quelle inconséquence ! Mais c'est ça l'humanité !
  • Les jours se suivent ; toujours des marches, sans savoir l'aboutissement. La nuit, nous couchons sur la terre, dans les champs, quelquefois sur la paille. C'est à Walcourt que nous tirons à qui mieux mieux sur un avion allemand qui ne s'en est pas trouvé incommodé : grosse faute de notre part, il n'y avait pas de meilleur moyen de lui signaler notre présence. Erreur de notre part, qui ne s'est pas renouvelée. Les ordres ont été formels par la suite : il fallait s'immobiliser ou se glisser sous les arbres.
  • Le 22 août, le canon gronde et c'est vers lui que nous nous dirigeons. Nous traversons le petit village de Gerpinnes et, à un kilomètre sur le plateau, nous entrons dans la forêt, sur la route et en colonne par quatre. La fusillade est proche ; quant aux coups de canon, ils sont plus proches encore. Mon inexpérience m'empêche de démêler les départs des arrivées. Quelques balles sifflent et claquent dans les branches autour de nous. Deux rangs devant moi, un zouave tombe : il a reçu une balle en ricochet en pleine poitrine. Les anciens, qui avaient vu la guerre au Maroc, quittent les rangs et se lancent dans les fossés de la route, et nous, les bleus, nous restons comme des benêts au milieu de la route.
  • Quelques commandements et nous repartons, toujours accompagnés du sifflement particulier des mouches de métal sorties des mitrailleuses allemandes. En colonnes par deux, nous laissons la chaussée libre ; les blessés affluent, tous blessés dans le haut du corps et pour cause : ceux qui sont blessés aux jambes restent sur place. Je reconnais mon ancien caporal : il avait été nommé sergent et [il était] passé au 3e Bataillon. Il nous croise, retournant vers l'arrière. Sa mâchoire inférieure pend, sanguinolente, sur sa poitrine. Il était originaire d'Epinal.
  • C'était donc cela, la guerre !
  • L'artillerie retraite au galop. Une balle roule à mes pieds ; elle venait de frapper la roue d'un caisson, je la ramasse : elle était chaude. Nos deux bataillons de réservistes avaient chargé à la baïonnette au son du clairon sur Châtelet. Mon bataillon d'active, chargé de protéger leur retraite, se déploie sous les balles en bordure de la forêt. Les obus fusants allemands passent en sifflant au-dessus de nous et arrosent copieusement la forêt en arrière. Notre artillerie s'est tue. Au pied de chaque arbre, en bordure, un zouave, quelquefois deux tirent à volonté sur les Allemands qui avancent par bonds, deux par deux. Ajuster est très difficile : les silhouettes ne sont visibles qu'un instant. Nos seules deux mitrailleuses par bataillon canardent sans arrêt. Devant nous, la vallée est couverte de fumée. Au loin, on aperçoit les maisons et toujours l'ennemi avance par bonds dans les betteraves et les pommes de terre. Je m'étais caché derrière un buisson de noisetiers, à genoux et m'appliquant à tirer au mieux, quand le capitaine de la 18e, un fusil à la main, me dit que j'étais à couvert, mais pas à l'abri. Il m'ordonna de me mettre à genoux derrière son arbre et nous avons continué à tirer.
  • L'ordre de repli nous fut donné et c'est par paliers que nous nous sommes retirés, section par section. Un autre régiment de zouaves prit notre place, mais la retraite continua.
  • Après avoir vu un groupe d'Etat-Major à la sortie du bois, j'ai reconnu des généraux, tous à cheval, carte dépliée. Un colonel se détacha et me demanda, à moi qui étais le dernier de la section, ce qui se passait. Je lui répondis : « Nous reculons, c'est comme à Sedan. » Il me dit d'avoir confiance, et en hâte je rejoignis.
  • A l'entrée de Gerpinnes, sur le bord de la route, il y avait un prunier et des prunes que je m'empressais de goûter, mais Lambert me houspilla pour me presser à suivre.
  • Les granges du village étaient pleines de blessés ; j'ai même vu des rigoles de sang en sortir. Certains blessés nous suppliaient de les emmener, mais il n'en était pas question. Le curé du village, debout sur le parvis de l'église, nous bénissait avec de grands signes de croix.
  • A partir de ce village, c'est à travers champs, enclos et forêts que nous progressons direction sud-ouest. Les obus allemands éclatent en l'air et rendent fous de magnifiques poulains dans leurs parcs.
  • La marche continue toute la nuit avec des repos plus ou moins longs. Nous sommes regroupés, c'est-à-dire que le bataillon est là.
  • A Clermont, grande halte derrière le cimetière : il faut bien manger et la cuisine se fait par escouade; la veille, on s'était serré la ceinture, pas de ravitaillement : la bataille signifie jeûne. Malheureusement, ma section est désignée pour une patrouille, nous voilà planqués dans les blés. Nous apercevons un poste de uhlans distant d'environ 1500 m : défense de tirer. Après une heure de cette manoeuvre, nous rejoignons la compagnie derrière le cimetière. Des feux sont allumés et la soupe est bue et le café pris sur les vivres de réserve. Il faut se hâter et c'est alors que les plus jeunes, harcelés par les anciens, doivent se débrouiller. Les faisceaux sont formés. Je pars au village chercher quelque chose, je trouve une poule que j'estourbis : les maisons sont abandonnées, les habitants ont fui et c'est la fouille. Je descends dans une cave avec un zouave du 2e, croyant trouver quelque conserve, mais rien à manger, seulement des bouteilles de cidre et de vin. Je garnis ma musette de cinq demi-bouteilles, après en avoir goûté une. En sortant, la rue est encombrée d'un régiment en marche, c'est le 2e. Un lieutenant, revolver au poing, m'oblige à entrer dans les rangs, ce que je fais, mais pour ressortir immédiatement de l'autre côté. J'avais eu chaud. Un petit détour et j'arrive au cimetière pour retrouver mon fusil sur mon sac : mes camarades sont partis. Je balance la poule et endosse mon fourbi et me voilà marchant parmi des traînards, questionnant de ci de là. L'un d'eux me dit qu'il lui semble qu'ils sont partis à travers champs dans une direction que je m'empresse de prendre. Je n'avais pas fait un kilomètre qu'un groupe de uhlans se présentent sur la gauche, à environ 500 mètres, et c'est alors qu'une patrouille de Chasseurs d'Afrique les charge, sabre au clair ; c'était beau. Les uhlans disparaissent et les chasseurs reviennent.
  • La chance est avec moi : je rejoins ma section à la lisière d'un bois ; au pied d'un chêne, Lambert fait l'appel. Un miaulement et pan ! un obus de 77 éclate dans les hautes branches de l'arbre; personne n'est touché ; des éclats crépitent sur les feuilles comme une poignée de cailloux et le sergent en profite pour nous faire remarquer que les obus ne sont pas dangereux.
  • Et de nouveau, nous repartons dans la nature, toujours la même direction. Je n'ai rien mangé qu'un biscuit, mais le coup de vin vieux que j'ai bu, si bon soit-il, m'a coupé les jambes. Je ne peux plus suivre et il le faut : les Boches sont derrière. Devant nous, sur une grande route que nous allons traverser, il y a un convoi de caissons d'artillerie : les hommes sont à cheval et la colonne est immobile. Je demande à monter sur un caisson, les artilleurs refusent, mais je pense à mes cinq bouteilles que je n'ai pas lâchées. Je montre alors les goulots et le maréchal des logis prévenu m'autorise à monter ; je leur abandonne mes bouteilles.
  • Le convoi se remet en marche et je m'endors, calé entre deux servants. Je n'ai pas vu venir la nuit ; au cours d'un arrêt de colonne vers une heure du matin, je me réveille et un des artilleurs me dit: « t'as dormi ». Au même instant, jetant les yeux vers les fossés, j'aperçois des formes allongées ; je demande vite « quel régiment ? » Quelqu'un me répond « 1er Zouave 20e compagnie. » Miracle ! je descends du caisson. « Merci les gars. » J'avais rejoint ma compagnie. Je raconte mon aventure et j'apprends que beaucoup des nôtres sont restés en arrière.
  • Au matin, la marche reprend et, dans ce pays vallonné, par un beau soleil matinal, on voit par toutes les routes les colonnes de fantassins se dirigeant toutes dans la même direction. »

La première bataille d'Artois.

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  • « Partis en renfort avec un petit détachement de 40 hommes, c'est à Crouy, près de Soissons, que nous sommes incorporés au Bataillon 6 du 3e Zouaves.
  • Nous avons traversé l'Aisne sur un pont de bateaux, deux par deux et au pas de gymnastique. Le front passe sur le plateau et Crouy, bâti à flanc de coteau, déjà bien démoli, reçoit presque à heures fixes des volées de 210. Les habitants ont fui, mais c'est si récent qu'on trouve encore les caves garnies. Chez un marchand de vin, les éclats d'obus ont percé les cuves et le vin coule dans la cave. Dans une petite cave intacte, il y a des fûts de rhum, d'absinthe et d'eau-de-vie. Certains parmi nous en remplissent leur bidon ; grossière erreur, un quart d'eau est plus utile à la guerre que tout ce tord-boyaux.
  • La compagnie où je suis affecté avec quelques camarades descend des lignes, le soir ; elle a été bien éprouvée, ainsi que le reste du bataillon. Ce sont tous des réservistes algériens du 3e Zouaves : colons, descendants d'Espagnols, d'Italiens, de Maltais ; même les cadres sont algériens et j'ai compris tout de suite qu'ils nous méprisaient.
  • Je n'avais que 18 ans ; à l'escouade, beaucoup étaient illettrés et je fus bombardé chef d'escouade. En dehors du service, ces gens-là ne parlaient qu'espagnol ou maltais.
  • Nous avons embarqué dans des camions dans un faubourg de Soissons, après avoir retraversé l'Aisne sur les ponts de bateaux.
  • Après une nuit de route, nous débarquons à Amiens. La rivière franchie sur un pont de péniches, nous montons dans des wagons à bestiaux (8 chevaux, 40 hommes) qui nous emmènent vers le nord. Au sud d'Arras, arrêt du train ; il fait beau et en plein champ nous nous déployons en tirailleurs. L'ennemi signalé n'est pas en vue. Nous marchons et une autre unité prend notre place. Nous nous reformons en colonne par quatre et reprenons notre marche, direction nord-ouest.
  • C'était la course à la mer, savoir qui arriverait le premier : les repos écourtés, les repas plutôt maigres, les villages évacués en hâte. On trouve dans les maisons vides les repas interrompus ; le couvert est resté sur la table ; les assiettes et les verres à demi pleins, ce qui indique le désarroi des habitants et nous arrivons à Roclincourt, à quelques kilomètres au nord d'Arras.
  • Il est une heure de l'après-midi. Les habitants vaquent à leurs travaux mais, à notre vue, l'inquiétude les prend. Je bois un verre de bière au comptoir, en vitesse, et le défilé des réfugiés commence. Ils ont appris que nous venions défendre la village. En sortant du village, par une route vers l'est, nous subissons un terrible feu de barrage de 77 ; les blessés sont nombreux et, quand nous nous replions sur le village, de nombreux camarades restent couchés pour l'éternité.
  • Nous trouvons quelques éléments du 279e de ligne qui retraitent ; la bataille fait rage en direction de Thélus.
  • A la nuit, nous prenons position en dehors du village. Ma section creuse une tranchée à la lisière d'un champ de choux qui mesuraient bien un mètre de hauteur. La position est idéale parce qu'invisible. Derrière nous, le village bombardé est en feu. A l'aube, le brouillard nous cache tout le terrain, mais le vent s'élève et déblaie en un instant la plaine devant nous.
  • Les Allemands sont là, ils s'avancent ; d'abord quelques soldats espacés les uns des autres, puis en arrière de longues lignes de tirailleurs, coude à coude, puis des colonnes par deux, enfin, sortant de Thélus, les fantassins en colonnes par quatre.
  • Le sergent nous défend de tirer pour laisser approcher l'ennemi, mais une fusillade nourrie se déclenche sur la droite et nous tirons à volonté. Les Allemands surpris courent à droite, à gauche ; les luzernes et les betteraves sont truffées de points sombres que l'on fusille. Mes 120 cartouches s'épuisent ; il faut aller chercher des munitions. Meyer, de Mangonville, part volontaire, mais il est blessé au pied ; un autre le remplace.
  • Sortant de la tranchée pour aller à la soupe, Zen-Zen, de Dieulouard, près de Vassey, est touché grièvement et tombe à mes pieds. Nous sortions ensemble ; il est passé le premier et c'est lui qui a écopé ; nous étions venus ensemble en renfort.
  • Le ravitaillement s'est fait quand même ; un autre m'a accompagné et c'est en rampant sur le ventre sur 150 mètres que nous avons accompli notre mission. Le soir venu, Zen-Zen râlait encore à côté de moi. Avec l'autorisation du sergent, j'allai chercher des brancardiers.
  • Au poste de secours, le major désigne quatre brancardiers et un caporal pour m'accompagner. Ils sont éreintés ; les blessés ne manquent pas, il y en a partout, couchés sur un peu de paille. Nous partons, moi en tête.
  • Arrivés au champ de choux, les brancardiers ne veulent pas aller plus loin, disant que je les mène chez les Boches. La colère me prend, je passe derrière eux, j'arme mon fusil et les menace de tirer s'ils n'avancent pas. Mon camarade est alors emporté et, quelques jours plus tard, j'ai appris au poste de secours qu'il était mort, une balle dans le dos. Trois ans après, en 1917, montant en ligne à Bois-le-Prêtre, et passant avec mon bataillon à Dieulouard, j'ai appris à sa sœur comment et où était mort son frère.
  • La journée suivante fut calme par rapport à la veille : quelques obus sur nos embryons de tranchées ; par contre, Roclincourt déguste sans arrêt ; la nuit, toujours des incendies.
  • Nous sommes crevés ; nous veillons un sur deux, la nuit, le jour. Devant nous, les Allemands ont creusé leurs tranchées à environ 400 mètres et ils ont enlevé leurs morts qui sillonnaient les éteules. Les meules de blé brûlent les unes après les autres.
  • Cette nuit-là, je dormais assis, sac au dos, dans la tranchée, le fusil entre les jambes. Je suis réveillé en sursaut. Quelqu'un me marchait sur les pieds ; la fusillade faisait rage et quelqu'un criait : « sauve qui peut ! » Je pars, suivant les autres, mais, arrivé au bout du champ de choux, je m'aperçois que personne ne me suivait. Je demande à mon plus proche où était le sergent et, comme il ne peut me répondre, je comprends que seuls ceux qui étaient à sa gauche étaient partis. Il fallait donc rejoindre au plus vite ; je décide quelques camarades et, à quatre pattes, nous rejoignons la tranchée dans les choux. La réception du sergent fut plutôt aigre ; il nous annonce qu'il fera un rapport pour abandon de poste, ce qui fut fait. Notre absence aurait pu être dramatique ; nous n'avions pas de liaison sur la gauche.
  • A l'enquête menée par le lieutenant-colonel, j'apprends que Touboul est accusé d'avoir crié « sauve qui peut ! » Interrogé moi-même, j'ai dit que ce n'était pas Touboul, mais je n'ai pas dénoncé le coupable ; à cette époque, cela lui aurait valu le poteau. L'enquêteur me dit : « Alors, c'est vous. » Je me suis débattu comme un beau diable, mais je n'ai pas donné le nom de Sillié, dont j'avais reconnu la voix. L'enquête en est restée là.
  • L'avance allemande était stoppée et Arras protégée. Malgré ces combats, nos pertes à la compagnie n'étaient pas très élevées ; nous étions encore une vingtaine par section.
  • Au cours de ces attaques allemandes, la nuit, ils approchaient bien près de nos lignes ; le matin, à vingt mètres de la tranchée, il y avait des tas de fumier et derrière des corps étaient étendus. C'est derrière un de ces tas qu'un blessé, grièvement touché sans doute, appelait sans cesse en remuant un bras. Il nous était impossible de le secourir. Dans le courant de l'après-midi, énervé à l'extrême, un camarade voulait à plusieurs reprises l'achever. Je parvins à l'en dissuader, mais n'y tenant plus, il tira et mit fin à ce pauvre martyre.
  • L'ordre vint de quitter notre champ de choux et de reporter notre ligne plus à gauche et en avant. La nuit venue, sans bruit, la manœuvre s'accomplit sur un terrain plat comme la main, dans les éteules ; il fallait creuser et, pour cela, la plupart d'entre nous n'avaient aucun outil (voilà les lacunes du commandement). Pendant les quelques voyages que j'avais effectués pour le ravitaillement à Roclincourt, j'avais rapporté une pelle de ferme sans manche ; elle me fut bien utile.
  • Couché, le sac devant moi, je réussis à mettre quelques pelletées sur mon sac. J'étais l'avant-dernier de la section, à gauche. Le sergent qui se trouvait au centre n'avait aucun outil, ainsi que ceux qui l'entouraient. Il m'ordonna de lui passer ma pelle et, à l'aube, quand les Allemands s'aperçurent de notre mouvement, ils commencèrent à nous canarder au fusil et à la mitrailleuse. Les balles m'entouraient de leur floc dans la terre, soulevant chaque fois un peu de poussière... et je continuais à creuser mon trou sans lever la tête, avec mon quart et ma cuiller, jusqu'à ce que mon corps disparaisse dans le trou, mes jambes seules en dehors. Cela dura jusqu'à la nuit où je récupérais enfin ma pelle. Mon voisin de gauche était immobile ; une balle avait traversé son sac et l'avait atteint à la tête.
  • Le sergent désigna un camarade qui vint s'adjoindre à moi et, pendant la nuit, nous avons transformé mon trou individuel en une petite tranchée de 0,80 m de profondeur et de 1,50 m de long... Négrel (c'était son nom) avait peut-être 30 ans et trois enfants, et moi j'avais 18 ans.
  • Le ravitaillement nous est apporté la nuit : un quart de vin, une demi-boule de pain, un peu de rata et deux morceaux de viande grillée. Les camarades qui nous les distribuent se traînent à quatre pattes et la viande, saisie à pleines mains, est saupoudrée de terre, mais tant pis : nous avions si faim.
  • On veille un sur deux : un au créneau, l'autre accroupi à ses pieds. Les trous sont espacés d'au moins dix mètres et, quand nous les aurons réunis, la tranchée sera continue.
  • Les Allemands attaquent toutes les nuits, un point ou un autre, surtout sur notre droite. La nuit se passe donc à laisser la pelle pour le fusil.
  • Nous sommes restés là six jours. Vers le troisième jour, je sommeillais, accroupi au fond du trou. Négrel était de veille. Tout à coup, il s'écroule sur moi. J'ai cru qu'il dormait et l'ai repoussé des deux mains, mais j'aperçus un filet de sang et d'écume qui lui sortait des lèvres. Il était touché à mort. Voulant profiter du soleil, il s'était imprudemment mis la tête devant le créneau et la balle lui avait traversé la tête, d'un trou à peine visible dans les cheveux.
  • Je fais passer au sergent que Négrel était tué et voici la réponse : « Prenez ses papiers et enterrez-le ». C'était simple et précis. Aussitôt la nuit venue, je me mets à creuser une tombe, en partant de la tranchée pour éviter de recevoir une des balles perdues qui sifflaient toutes les nuits.
  • Le trou avait 80 centimètres de profondeur et, jugeant qu'il était assez long, je prends mon camarade sous les bras et le tire de toutes mes forces dans sa tombe. Hélas ! même en pliant sa tête, ses pieds restaient apparents dans la tranchée. J'ai fermé la fosse et suis resté seul en compagnie de ses godillots jusqu'à la relève, veillant ou dormant, sans aucun ordre ; du sergent, pas de nouvelle. Seul, à l'extrémité de la position, sans liaison sur ma gauche, je crois avoir plus dormi que veillé.
  • Relevés de cette position, nous prenons quelques jours de repos, quelque part dans les ruines. Puis, c'est de nouveau la première ligne, relevant une formation à la droite de la route qui relie Roclincourt à Thélus. Là, les tranchées sont déjà continues, probablement que nos prédécesseurs avaient des outils. Malgré cela, il faut encore faire 300 mètres de découvert pour joindre les ruines du village où sont installées les cuisines. C'est toujours dans les chaudières à cochons, cachées derrière un mur et alimentées par un feu de bois fait de lattes, de poutres, etc, que cuisent soupe et rata.
  • A la section, du renfort de la métropole il ne reste plus que Yon Désiré et moi, aussi toutes les corvées nous échoient. Un matin où nous avons bûché toute la nuit, le sergent trouve encore moyen de nous envoyer à la soupe. Mais c'est trop. Il avait, autour de lui, une bande de camarades de son pays, fainéants comme des couleuvres, qui ne faisaient jamais rien. Je lui dis que ce n'est pas notre tour. Il se fâche et me donne l'ordre, livret en main. Je refuse. C'est le conseil de guerre si le motif est porté. Mais, voilà que dans l'après-midi, un 210 tombe sur le sergent et sa suite. C'est le seul obus que nous avons eu de la soirée ; résultat trois tués, quatre blessés. Le sergent est mort avec son motif.
  • Yon et moi sommes chargés par le sergent de la troisième section de déblayer le cratère et d'enlever les cadavres. Nous nous mettons au travail. La nuit est venue, la lune est à son plein, il fait clair. Je manie la pioche et Yon la pelle. La terre, pulvérisée par l'explosion, est poudreuse. Il suffit de quelques coups de pioche et la terre dévale, la tête du sergent apparaît, les yeux grands ouverts. Impressionné à l'extrême par ce regard fixe du mort, je lâche mon outil et m'enfuis dans la tranchée. Yon me suit et, après quelques hésitations, le travail reprend. Le sergent est dégagé, ainsi que deux zouaves.
  • Pour le gradé, des brancardiers viendront le chercher ; mais pour les deux hommes, ils doivent être enterrés sur place.
  • Une fosse, creusée sur place, avec une hâte fébrile, à 80 centimètres dans du calcaire blanc comme de la craie, est terminée. Je prends un des cadavres sous les bras, Yon tient les jambes et ho ! hisse ! et, un pied de chaque côté du trou, je laisse descendre le défunt vers sa dernière demeure, je glisse et me retrouve dans le trou avec le bonhomme sur le ventre. C'était trop. Je me dégage comme je peux et m'enfuis à nouveau... De nouveau revenu achever notre macabre besogne, le deuxième cadavre est allé rejoindre le premier, tête bêche, peu importe et la fosse est comblée, attendant le jugement dernier, car rien ne l'indiquera qu'une croix faite de deux bâtons liés d'une courroie de sac. »
  • En octobre, le 6e Bataillon participe à l’assaut du Mont-Saint-Eloi : « ce bataillon a conquis de nouveaux lauriers dans le secteur de Roclincourt, sur la route de Lille, au Nord d’Arras. Il a subi l’affreuse guerre des mines et soutenu la guerre des coups de mains. »
(J.M.O. Du 6e Bataillon du 1er Régiment de Zouaves ».)

Changement de régiment.

Zouaves
  • « Enfin, c'est la relève et ce qui reste du renfort venu du 1er Zouaves au Bataillon 6 du 3e rejoindra le 1er Régiment de Zouaves de marche qui se trouve plus sur la gauche, secteur de Neuville-Saint-Vaast-Ecurie. C'est sans regret que je quitte le Bat. 6 où nous étions venus 45 hommes en renfort. Nous ne sommes plus qu'une dizaine à rejoindre le 1er Rég. le 1er novembre 1914.
  • Ce régiment de marche est formé de bataillons de réserve du 4e Rég. de Zouaves et prendra le nom de 7e Rég. de Zouaves en décembre 1914.
  • Je fais partie du 2e Bataillon et j'y ai connu, pas longtemps, bien sûr, le commandant de Robien. Son nom est mentionné dans un livre, Idéal français dans un cœur breton(2). Il se promenait tous les matins, sur le bord des tranchées, nous disant de nous cacher. Nous l'appelions « Bâton », à cause de sa canne. Il oubliait qu'il n'était pas en 70 et il s'est fait descendre. Notre secteur est Ecurie-Roclincourt, à cheval sur la route Arras-Lens. La guerre de tranchée est commencée : sans cesse les outils en main ou le fusil pour de petites attaques meurtrières.
  • Nos tranchées sont continues : première ligne, deuxième ligne et quelquefois troisième ligne. Les boyaux s'en vont vers l'arrière, zigzaguant derrière des abris naturels, quand c'est possible. C'est par ces sentiers dans la terre qu'arrivent tous les ravitaillements. Le piétinement de milliers de souliers y forme des cloaques où l'on peut s'enliser. C'est pour pallier à cela qu'est né le caillebotis, assemblage de lattes placées au fond des boyaux et des tranchées. C'était la victoire contre la boue. Cet ensemble de travaux prend nom et c'est la tranchée 8, la tranchée 9, le pont de pierres, le chemin creux, etc...
  • On pousse toujours de l'avant des petits postes des tranchées. Les Allemands font de même et on arrive, à certains endroits, à être si près les uns des autres qu'on se lance des mottes de terre.
  • Un après-midi, à la gauche de la route de Lens (j'étais de veille), j'aperçois un objet qui passe au-dessus de ma tête. Je pense aussitôt qu'ils recommencent ce qu'ils avaient fait la veille, c'est-à-dire nous envoyer de la terre. Mais une explosion se produit ; une autre en avant. Alors, tout le poste se replie, quelque peu en désordre. Le sergent nous arrête et nous oblige à reprendre nos places, disant que ce n'était rien. Et, au moment où nous arrivons à nos emplacements, un objet tombe au milieu de nous. Le sergent se précipite, le ramasse et le relance aux Allemands où il éclate, nous disant : « ce n'est pas plus difficile que cela. » Ce fut tout pour ce soir-là.
  • Le lendemain matin, deux agents de liaison nous apportent une caisse remplie d'objets métalliques ronds. Sur la caisse, une inscription : « grenades 1848. »
  • Le sous-officier nous apprit sur l'heure la manipulation de ces engins. Le lancement était délicat : il fallait, au moyen d'une ficelle de quarante centimètres, retenue au poignet gauche, et terminée par un crochet, tirer sur un ringueux, placé dans un bouchon de bois, au centre de la sphère métallique, et lancer. Les ratés étaient nombreux et se servir de ces engins n'était guère rassurant.
  • Les Allemands, une fois de plus, nous apprenaient à faire la guerre. Nous étions bons élèves et nous avons vite compris.
  • Puis, ce [furent], dans les jours immédiats qui suivirent, les pétards de cheddite, plus ou moins bardés de tiges métalliques, que nous confectionnions nous-mêmes à temps perdus.
  • L'ennui est qu'il fallait allumer le « cordon bickford » avec une allumette ou la mèche de notre briquet amadou. Comme fumeur, j'en étais pourvu et c'est comme ça que je suis devenu grenadier.
  • Une nuit que la pluie froide cinglait la figure, j'ai reçu une balle perdue au doigt en mettant mon capuchon. C'était à l'index de la main gauche. J'ai gardé un pansement plus de huit jours, mais ce n'était pas assez grave pour être évacué.
  • Le séjour prolongé de nombreux hommes dans un espace si limité qu'était la tranchée et la pluie aidant, nos pauvres trous étaient devenus des cloaques. C'est effrayant ce que nous endurons pendant six ou huit jours de première ligne, sans se laver, sans se déchausser. Les poux pullulaient sur notre corps, surtout à la ceinture. Les chaussettes pourries étaient remplacées par des bandes de toile déchirées dans des chemises trouvées dans les sacs des camarades en repos pour toujours (chaussettes russes).
  • Je partais souvent volontaire à la corvée de soupe avec quatre ou cinq camarades. La corvée était difficile. Sur cinquante mètres, il fallait patauger jusqu'aux genoux dans la boue liquide. Mais voilà, les cuistots étaient généreux pour les corvéables. C'était presque la fête : pain, vin, viande nous étaient donnés à chacun et nous consommions sur place, avant de porter en ligne le ravitaillement des camarades.
  • Lors des corvées, nous gardions nos armes, mais nous laissions sur place notre sac et l'outil individuel. Or, un jour, arrivé à l'emplacement de la section, je vois Castello et Dupont qui déblaient précautionneusement l'endroit où je nichais habituellement. Je frappe sur l'épaule de Dupont qui se relève et me regarde, ahuri : « On te croyait là-dessous », me dit-il. Pendant mon absence, un obus était tombé, qui avait enseveli toutes mes affaires. Je me demande si je n'avais pas été volontaire à la soupe, je pourrais le raconter aujourd'hui ! Oh Providence !
  • Une nuit très noire, en novembre, vers minuit, dans la portion de la tranchée 8 qui coupait la route d'Arras à Lens, tout est calme. Seul, le vent aigre d'automne fait bruisser les feuilles de betteraves. Chaque zouave monte la garde, pendant que le camarade de combat se repose, assis sur la banquette de tir, son lebel entre les jambes. Soudain, sur la droite, la fusillade commence. Aussitôt alertés, et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, tous occupent leur poste et essaient de percer du regard les ombres de la nuit. Je me trouvais à droite de mon sergent, ma baïonnette au bout du canon et tirant à volonté dans l'obscurité en direction de l'ennemi. Tout à coup, une silhouette courbée se découpe sur le parapet, saisit le fusil du sergent et saute dans la tranchée où un corps à corps s'engage entre l'Allemand et mon sous-officier. Retirant en vitesse mon fusil du créneau, je cherchais en vain à piquer ; l'obscurité me gênait. J'entendis le sergent crier : « Ah ! la vache ! Il m'a donné un coup de couteau ! » et, au même instant, il me frôlait en quittant le combat. L'Allemand regrimpait sur le parapet pour s'enfuir. Voyant sa silhouette se détacher sur le clair-obscur du ciel, je lui lâchais mon coup de fusil à hauteur du ventre, à quelques mètres. Il s'effondrait et, le matin, au jour, on voyait ses jambes chaussées de bottes, sur le bord extérieur du parapet. Je n'ai pas eu le courage de le fouiller ; c'était trop dangereux de se montrer le jour et, la nuit suivante, nous étions relevés. Le sergent écrivit à la section, de l'hôpital : il avait la joue fendue d'un coup de poignard.
  • La pluie rendait la terre molle et les tranchées s'effondraient. L'interdiction de faire de petites niches dans les parois nous fut signifiée. Il fallait prendre ses quelques heures de repos assis ou couchés (quand c'était possible) dans la boue.
  • Nous avons donc construit, la nuit, des abris d'escouades reliés à la première ligne par un boyau de quelques mètres. Cela consistait à creuser un grand trou que l'on charpentait avec des planches, des chevrons, que l'on allait chercher dans les ruines de Roclincourt. Mais ces espèces de taupinières étaient repérées par l'artillerie allemande et le feu d'artifice continuait de plus belle. Résistant aux obus de 77, ils s'effondraient sous les coups de 105 et de 210.
  • Je me souviens d'une anecdote savoureuse. Notre abri venait d'être terminé à la tranchée 9. Il était assez confortable pour une escouade, avec une banquette sur le pourtour pour s'asseoir. Le lieutenant Giraud, commandant de la compagnie, accompagné d'un sous-lieutenant de réserve (il était pharmacien dans le civil), trouvèrent notre abri à leur convenance et l'occupèrent aussitôt. Nous voilà de nouveau sans cagna. Dans l'après-midi, les artilleurs ennemis envoyèrent quelques obus de repérage, dont un tomba en plein sur la guitoune et l'écrasa. Ces messieurs venaient de déjeuner et fumaient le cigare après le café. J'étais de garde à l'entrée du boyau et je vis le lieutenant Giraud sortir de l'abri à toute allure et se sauver, le cigare au bec, au milieu de sa longue barbe, le visage congestionné, les yeux hagards.
  • Je m'avançai pour voir ce qu'il advenait de l'autre et je le vis, le buste pris sous la terre, gigotant des deux jambes pour se dégager ; c'était si comique que, pris du fou rire, je n'ai rien fait pour le secourir. C'est le sergent, accouru, qui le tira par les jambes de sa position. Aussitôt libre, il partit à toute vitesse, sans dire un mot. Mon sergent me fit des reproches et je lui répondis qu'ils n'avaient pas à accaparer notre abri. Nous ne les avons revus, l'un et l'autre, qu'à la relève.
  • Ce sous-lieutenant était si peu brave qu'ayant reçu l'ordre de faire un coup de main avec sa section, la première, Erbelot, son sergent, a dû le sortir d'une sape en le piquant aux fesses avec sa baïonnette, et l'attaque n'eut pas lieu, au contentement de tous. Il disparut, évacué pour cause de maladie, je pense.
  • Un soir, nous allons faire la relève. Celui que je remplace me signale que, presque à mes pieds, il existe un trou d'au moins 60 centimètres, rempli de boue, qu'il faut contourner pour ne pas s'enliser. A mesure que défilent ceux qui partent, je les mets en garde. Hélas ! un pas dégourdi n'écoute pas et se trouve tout à coup dans la boue jusqu'aux cuisses, et reste là. Tous ses camarades s'en vont et il reste attaché à la glèbe. Nous nous mettons à plusieurs pour le tirer de sa fâcheuse position. On enlève son sac, ses cartouchières, sa musette et son fusil et il est toujours là, n'ayant même plus la force de faire un effort : il pleure. C'est avec les mains et pendant au moins une heure que j'ai enlevé la boue, collée à ses jambes. Enfin, en se mettant à plusieurs, on réussit quand même à le sortir de là. J'ai vu un camarade le gifler, tellement il était énervé. Les Allemands n'étaient pas mieux partagés que nous. Il y eut même quelques cas de fraternisation au petit poste : échange de tabac et de pain. Le général fit paraître une note au rapport disant que si les faits se renouvelaient, il ferait tirer le 75 indistinctement sur les deux tranchées. Ce fut fini.
  • Deux zouaves, à bout de patience d'endurer tant de misère, se suicidèrent en montant sur le parapet et en insultant les Allemands. Ils furent criblés. »

(1) Ce cahier m'a été confié en 1999 par M. Paul Hogard, fils de Léon Hogard. Le texte intégral se trouve dans le livre Le Canton de Decize pendant la Première Guerre Mondiale. Plusieurs extraits ont été repris dans le DVD-ROM Un Siècle à Decize.
(2) Guy de Robien, né en 1857, tué au combat le 6 janvier 1915. L'ouvrage cité par Léon Hogard a été publié en 1917 par les éditions Plon-Nourry.


Textes de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm mis en page par --Mnoel 13 août 2014 à 12:47 (CEST)