Les restrictions

De Wiki58
Aller à la navigationAller à la recherche
Guerre 1914-1918 57.jpg

(Les pages qui suivent sont une synthèse qui concerne toute la durée de la guerre).

Il faut économiser l'énergie :

  • La guerre entraîne une grave crise du charbon. Les houillères du Nord sont en majorité occupées par les Allemands. À La Machine, à Montceau, dans les bassins du Massif Central, les dirigeants souhaitent augmenter la production, mais une partie de la main-d'œuvre est partie au front. En conséquence de cette pénurie, les prix s'envolent (La Tribune Républicaine, novembre 1915). La tonne coûte 170 francs à la fin de l'année 1915.
    Le 13 juin 1915, le conseil municipal de Decize a traité avec la Société Schneider pour une fourniture de 1254 francs. Des économies s'imposent : on réduit l'éclairage public (La Tribune Républicaine, 31 mars 1916). "Par les nuits de clair de lune, il ne sera allumé que pendant deux heures, et cela jusqu'à la fin de la guerre", décide-t-on à La Machine (R.D.M. de La Machine, novembre 1916). Des arrêtés municipaux limitent l'éclairage dans les magasins et établissements publics après 18 h (21 h 30 restaurants et bars) (La Tribune Républicaine, 17 novembre 1916).
    Deux ans plus tard, un changement d'heure est programmé dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 mars 1917. À 11 h. du soir il est minuit. Cela entraîne chaque jour une heure d'éclairage artificiel en moins (La Tribune Républicaine, 25 mars 1917).
    Le 29 janvier 1918, les particuliers sont incités à réduire la consommation de gaz et d'électricité (La Tribune Républicaine). Pour enrayer une nouvelle envolée des prix, le charbon est taxé autoritairement (31 août 1918). En raison de la pénurie de combustible, la consommation de gaz et d'électricité est à nouveau réduite (La Tribune Républicaine, 9 octobre 1918).
    Il en va de même pour les économies de pétrole. En janvier 1917, la circulation des automobiles est interdite pendant la nuit (La Tribune Républicaine, 14 janvier 1917). Puis les autorités établissent des cartes d'essence obligatoires (La Tribune Républicaine, 4 mai 1917). Enfin, il faut un sauf-conduit délivré par l'autorité militaire pour la circulation des véhicules automobiles (La Tribune Républicaine, 25 décembre1917 et 8 juin 1918).

Économies de matières premières :

  • Des restriction de papier pour les journaux sont imposées à plusieurs reprises (24 février et 12 mars 1916). Le format des journaux est réduit, comme le nombre de pages, ramené le plus souvent de huit à quatre (4 mai 1917). Un an plus tard, des restrictions nouvelles sont imposées aux journaux (La Tribune Républicaine, 20 juin 1918).

Les restrictions alimentaires sont les plus difficiles à accepter :

La vie chère
  • Dès l'entrée en guerre, d'énormes problèmes de pénurie et d'approvisionnement se posent. En septembre 1914, le préfet de la Nièvre signale au ministre de l'Intérieur que le stock de blé récolté dans la Nièvre cet été-là ne s'est élevé qu'à 600 000 quintaux (au lieu des 900 000 qx escomptés) ; le stock de farine est quasiment inexistant à cause des réquisitions militaires ; la population civile du département a été presque doublée par l'afflux de réfugiés et une crise du pain s'annonce pour les mois à venir(1).
    Une partie du bétail nivernais est réquisitionnée par l'armée, qui doit nourrir les soldats au front et ceux qui sont en formation, en convalescence ou au repos à l'arrière. Le bœuf est payé 15 francs en-dessous des cours (La Tribune Républicaine, 11 juin 1915).
    On manque rapidement de tabac, de sucre, de farine, de lait... Des conseils de modération sont diffusés par la presse. "Épargnons le blé, la farine et le pain" proclame une circulaire des ministres Henriot (Commerce, Industrie, Transports et Ravitaillement) et Clémentel (Travail, Postes et Télégraphes) (La Tribune Républicaine, 9 février 1917).

La taxation des denrées de première nécessité :

  • Les prix des denrées alimentaires s'envolent encore plus vite que ceux des matières premières (Paris-Centre, 1er juin 1915). Les maires fixent des prix maxima. À Saint-Léger, la taxe sur le pain est la suivante : 0,40 F le kilo (R.D.M. de Saint-Léger, 20 décembre 1915) ; 2,60 F les 6 kilos (25 septembre 1916). Une fourniture spéciale de pain aux indigents est prévue, avec un rabais de 0,05 F pour 6 kilos, par les deux boulangers Mmes Bonnotte et Pillot (26 décembre 1915). À Decize, la taxe est de 2,30 F les 6 kilos pour les actionnaires de la boulangerie coopérative, 2,40 F pour les autres (La Tribune Républicaine, 7 janvier1916).
    Le sucre est également taxé.

Débat sur l'interdiction de l'alcool :

  • L'exemple est donné par les troupes anglaises qui prohibent sévèrement toute boisson alcoolisée au front... Mais il n'est pas suivi par les Français qui versent de copieuses rasades de gnôle et de pinard pour aider les poilus à garder la forme et le moral. À l'arrière, les habitudes sont ancrées. Tout en sachant qu'il lui sera difficile de changer le mode de consommation quotidien des mineurs, le conseil municipal de La Machine adhère pleinement aux mesures proposées par la Ligue Française contre l'alcoolisme, que président l'universitaire Ernest Lavisse et le général Pau.
    L'Union Française contre l'Alcool s'efforce de lancer de vigoureuses campagnes : "L'Allemand n'est pas le seul ennemi. À l'intérieur sévit un fléau puissant qui dégrade et qui tue : l'alcool..." (La Tribune Républicaine, 30 juin 1916). Les autorités ne restent pas inactives : un arrêté du maire de Decize ordonne la fermeture des débits de boissons à 10 heures du soir (1er octobre 1916). À Saint-Léger, la fermeture sera même repoussée à 23 h à partir du 22 mars 1922.
    La vente de l'alcool est théoriquement prohibée aux militaires en uniforme (La Tribune Républicaine, 3 septembre 1915). Cette mesure est rarement appliquée et les débits de boisson se développent trois ans plus tard près des camps américains. À Devay, deux compagnies du 47e Régiment Territorial logent chez les habitants et les soldats ont pris de fâcheuses habitudes : certains soirs, ils s'enivrent et mènent grand tapage. Le 4 mars 1915, le maire prend un arrêté municipal draconien : interdiction absolue de vendre toutes boissons alcoolisées sur le territoire de la commune, le vin est toléré seulement lors des repas et en quantité modérée, les habitants qui logent des soldats doivent éteindre toutes les lumières à 20 h 30. Deux semaines plus tard, l'autorité préfectorale fait savoir au maire que son couvre-feu est une disposition abusive, qu'il doit annuler ; sinon l'effort de limitation de l'alcoolisme est approuvé.

Les cartes d'alimentation :

  • Les autorités municipales sont fréquemment appelées à contrôler les distributions de nourriture. Les citoyens sont divisés par catégories d'âge, en fonction de leurs métiers. La municipalité de Decize s'inquiète des risques de disette et cherche un local pour stocker du blé (R.D.M. de Decize 24 décembre 1916). À Saint-Léger, le conseil municipal établit un Office communal de l'Alimentation.
    Dans les restaurants, les menus sont autoritairement limités à deux plats, auxquels s'ajoutent éventuellement une soupe, le fromage ou le dessert (La Tribune Républicaine, 28 janvier 1917).
    Pour l'alimentation en lait des enfants, malades et vieillards, il faut se munir d'un certificat de la mairie mentionnant l'âge et les quantités à recevoir et d'un certificat médical (Archives Municipales de Decize, 27 février 1918). Les maires réquisitionnent le lait chez tous les propriétaires de vaches en lactation pour alimenter en lait ces consommateurs prioritaires. Il est bien difficile d'organiser des dépôts de lait.
    À Verneuil, plusieurs séances extraordinaires du conseil municipal sont consacrées à l'aide alimentaire. Il faut fournir du pain à six familles nécessiteuses, entre 3 et 9 kilos chacune (R.D.M. de Verneuil, 9 et 25 août 1914).
    À partir du 4 mars 1917, de nouvelles restrictions alimentaires sont accompagnées de l'apparition des cartes de pain (La Tribune Républicaine). Le pain est alors rationné : à Decize, 200 grammes par jour par personne. En 1918, les Decizois disposent de 300 grammes par jour par personne. Des feuilles spéciales sont remises aux hôteliers et restaurateurs ; "Les boulangers ne pourront délivrer du pain que contre remise de ces tickets. Les tickets perdus ne seront pas remplacés." (Archives Municipales de Decize, 28 février 1918).
    La commune de Champvert ne dispose alors que de 70 quintaux de farine. Le maire est obligé de rationner encore plus sévèrement ses administrés car il doit ravitailler vingt à vingt-cinq mariniers, travailleurs de force qui viennent charger des bateaux de houille au port de La Copine ; ils ont droit à 600 grammes de pain par jour, alors que les habitants ordinaires ont à peine la moitié. Mais "dans l'intérêt national et patriotique, résignons-nous toutefois et supportons vaillamment les restrictions imposées par les graves circonstances du moment."
    À La Machine, les rations sont de 500 grammes pour les ouvriers et 400 grammes pour les femmes ouvrières. Le maire se plaint d'être obligé de vendre à perte aux boulangers le stock de 200 sacs de 100 kilos chacun acquis par la commune l'année précédente.
    En octobre 1918, les rations de pain augmentent :
- pour les jeunes de 3 à 13 ans et pour les vieillards au-dessus de 60 ans, la ration quotidienne est portée de 200 à 300 grammes ;
- pour les travailleurs de force, elle passe à 500 grammes (La Tribune Républicaine, 9 octobre 1918).
Des cartes de viande sont distribuées en juin 1918.
Réglementation de la vente de viande à Decize et Saint-Léger (30 août 1918) :
1ère catégorie 2e catégorie 3e catégorie
bœuf filet H.T.
6,50 F/kg
4 F/kg
3 F/kg
veau escalope H.T.
6,50 F/kg
4 /kg
3 F/kg
mouton
7 F/kg
5,40 F/kg
3 F/kg
porc
7 F/kg
6 F/kg
3,50 F/kg
Ces restrictions entraînent une pétition des bouchers et charcutiers de Decize qui veulent obtenir le droit d'ouvrir leurs établissements le lundi avant la foire (R.D.M. de Decize 3 juin 1917).

Les fournitures de produits agricoles :

  • Les maires des communes rurales doivent répartir entre leurs administrés cultivateurs des réquisitions d'animaux et de produits agricoles dont l'armée a besoin et dont elle fixe les prix elle-même. Par exemple, la commune de Devay doit fournir en septembre 1916 155 quintaux d'avoine, 160 quintaux de foin et 5 bœufs. Après la récolte de 1917, les réquisitions sont les suivantes : 415 quintaux de foin, 285 quintaux d'avoine, 155 quintaux de paille et 3 quintaux de haricots. L'année suivante, M. Monnet, maire de Devay, doit réquisitionner 250 quintaux de foin, 60 quintaux de paille, 15 quintaux de pommes de terre et 3 quintaux de haricots(2).
    L'armée ne plaisante pas avec les fournitures de bétail. Louis Morin, de Sougy, refuse de mener deux bêtes à la bascule avant l'abattage ; il doit payer une amende de 900 F (La Tribune Républicaine, 5 décembre 1915). Les fournitures de bétail à l'armée sont parfois intéressantes pour les agriculteurs, mais il convient de modérer leurs exigences. Le commandant Souchon, responsable départemental de la remonte, est en conflit avec le maire de Saint Benin-d'Azy : celui-ci majore abusivement le prix des chevaux qu'il livre à l'armée...

Des aliments de substitution :

  • Les autorités réquisitionnent 60000 quintaux de pommes de terre dans le département de la Nièvre. Des affiches incitent à cultiver des topinambours : "Cet excellent tubercule vient dans tous les terrains qui ne sont pas humides, même les plus pauvres... [Le topinambour] a une saveur telle que dans les restaurants il remplace souvent les fonds d'artichauts." (La Tribune Républicaine, 26 février 1918).
    La mise en culture des terres abandonnées est fortement recommandée (La Tribune Républicaine, 22 mars1916). Un Comité d'Action Agricole se constitue à Decize, dirigé par MM. Morette (de Villecourt), Circaud (du Domaine Fleury) et Touillon (du Domaine Saisy). (R.D.M. de Decize 17 février 1916).

Affichage du prix des marchandises en deux langues :

  • Les magasins du canton de Decize comptent en 1918 de nouveaux clients : les Américains. Afin d'éviter à ces hôtes de la France l'effort de traduction et de dissuader toute tromperie,"le prix de toutes les marchandises autres que celles de luxe ou de pure fantaisie devra être affiché dans les magasins ou marqué de façon apparente sur la marchandise même, en monnaie française ou en monnaie équivalente des États-Unis d'Amérique." (A.M. de Saint-Léger, 5 septembre 1918 et A.M. de Sougy, 1er septembre 1918). Ce double affichage est trop complexe et peu efficace ; la mesure est rapidement supprimée : "il suffira que les prix soient exprimés en monnaie et en poids français, la nature des marchandises étant obligatoirement indiquée dans les deux langues." (A.M. de Saint-Léger, 26 septembre 1918).

Des restrictions morales aussi !

  • M. Bourgier, maire de Nevers, se mêle d'interdire des films au nom de la "défense de la morale publique contre l'exhibition de films dit policiers et criminels qui produisent un effet déplorable dans l'esprit de la jeunesse." (La Tribune Républicaine, 2 février 1917). Vertueuse préoccupation au moment où cette même jeunesse est entraînée dans l'une des plus grandes boucheries de l'histoire.

(1) Télégramme du préfet de la Nièvre au ministre de l'Intérieur, 9-9-1914, A.D.N. cote 1 M 3388.
(2) Registre des Arrêtés Municipaux de Devay.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL le 18 janvier 2018