Nevers rue du Quatorze Juillet

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RUE DU QUATORZE JUILLET à NEVERS

  • L'ancienne rue de la Tartre (rua de Tartra en 1247) ; vicus Tartre en 1390 ; rue de la Tartre en 1436 reçut, en 1886, le nom de rue du Quatorze-Juillet, pour remercier les habitants du zèle avec lequel ils la décoraient les premières années de la célébration de la fête nationale.
    C'est une des plus vieilles rues de Nevers et en même temps une de celles qui ont eu jadis le plus de mouvement et de célébrité.
    Louis de Gonzague, duc de Nevers de 1565 à 1595, ayant introduit dans son duché des potiers, des verriers et des émailleurs, c'est dans la rue de la Tartre que se fixèrent un grand nombre de ces artistes(1).
    Il y avait dans cette rue cinq fabriques de faïence, savoir :
    1° Au n° 4, la plus ancienne de la rue, celle qui fut à Barthélemy Bourcier l'un de nos meilleurs artistes nivernais. En 1749, elle appartenait à Pierre Moreau ; en 1769, à Jean Champesle, puis à Dumont et Dufort en 1800. Vers 1843, M. Auguste Lyon la réunit à la fabrique portant le n° 6.
    2° Au n° 6, la fabrique de Bethléem. Elle appartint d'abord à Michel Prou, puis à Jolly. Le 23 août 1760, les chanoines de la cathédrale la vendirent à Claude Lévesque, qui la céda, le 22 janvier 1772, à Jean-Jacques Serizier, gendre Custode. Jacques Lefebvre, son gendre, la vendit, en 1809, à Auguste Lyon, qui la laissa à G. Lyons, et celui-ci à M. Blandin. Elle occupait la maison qui fait face à la rue du Doyenné ; au-dessus de la porte d'entrée, on voit une petite niche, en forme de baldaquin, surmontée par un dais fort bien sculpté.
    3° Au n° 12, la fabrique Halle, du nom de son exploitant. Achetée par Louis Frebault, en l'an IX, elle ne fonctionna que trois ou quatre ans.
    4° Au n° 14. la fabrique Boizeau-Deville. De 1749 à 1782 elle appartint à cette famille. Elle passa, en 1800, à Dubois et Senly, puis aux fils Dubois, remplacés par Rogé, leur beau-frère, puis par Pittié (Fleur d'Épine) qui la laissa à son fils.
    5° Au n° 26, la fabrique Ollivier. En 1761, elle appartient à Mathieu Ollivier ; en 1800, à sa veuve. Elle est alors achetée par MM. Dubois et Senly.
    Pendant deux siècles, les fayencieis nivernais firent rayonner leur art dans toute l'Europe.
    Mais, après le traité de 1786 avec l'Angleterre, traité qui autorisait le libre échange, les fabriques nivernaises ne purent soutenir la concurrence. La faïencerie de Boizeau-Deville éteignit ses fours. Le 8 octobre 1788, la dame Champesle demande au roi un secours pour lui permettre de continuer ses travaux et de soutenir les 800 ouvriers qu'elle nourrit à sa perte(2). La maison n° 28, avec tourelle carrée et galerie à jours, connue sous le nom d' Hôtel de la Verrerie, fut habitée successivement par Sarrode, les Ponté, les Castellan et les Borniol.
    Cet hôtel fut appelé par les étrangers, même par des Italiens, « le Petit Murano de Venise ». Il devint un centre artistique qui brilla d'un vif éclat. Ses « gentillesses », ses verres fins furent bientôt célèbres dans toute la France. Les échevins en offraient aux personnages de marque qui visitaient la ville.
    Dès le début, Louis de Gonzague anoblit les maîtres faïenciers, les maîtres verriers et leurs principaux ouvriers.
    L'un des fermiers de la Verrerie, Jean Castellan, fut protégé par Mazarin ; le 20 avril 1661, il obtint le privilège de « transporter ses ouvrages aux foires et marchés publics du royaume et particulièrement en lieux qui sont sur la rivière de Loire, depuis Nevers jusqu'à Poiriers », à l'exclusion de tous autres marchands et son établissement devint la « Verrerie royale ».
    Concurrencée par celles de Vandenesse et d'Apremont, la verrerie de Nevers disparut dans les dernières années de l'ancien régime.
    Au commencement du XIXe siècle, la gendarmerie fut installée dans l'ancienne verrerie. Il y eut plus tard l'École des Arts.
    Quelques émailleurs se fixèrent également dans la rue de la Tartre(3). C'étaient de véritables artistes. Ils fabriquaient des statuettes, des scènes religieuses, des animaux, des paysages, des chapelets, des colliers, des « pendoreilles », des bagues, des boutons. Leurs produits étaient populaires et se vendaient sur place. Les échevins en achetaient pour les offrir aux gens de condition. Les voyageurs ne les dédaignaient pas. Le prêtre bolonais Sébastien Locatelli, qui passa à Nevers le 4 septembre 1664, raconte qu' « il vint à l'hôtel de la Fleur de Lys(4) quantité de femmes, jeunes ou vieilles, belles ou laides, avec des boîtes pleines de bagues et d'autres babioles de verroterie » et il ajoute : « Nous étions hommes et il fallut payer tribut à quelques-unes des plus belles en leur achetant des boutons de chemise... Je ne sais vraiment pas comme on s'y prend pour faire reluire si bien l'or placé au milieu ; quant aux boutons jaunes, ils rivalisent avec l'ambre même. Parmi les plus beaux objets se trouvaient de petits cadres à tableaux avec des anges en relief, tenant dans leurs mains des fleurs et des couronnes mais elles prétendaient vendre ces cadres six pauls la pièce. Si j'étais alors rentré en Italie, j'aurais fait cette dépense, car c'est une nouveauté encore inconnue dans nos pays ».
    En 1682, honorable homme Jean Allasœur, émailleur, est exempt des charges publiques en considération des services qu'il a rendus et rendra à l'avenir au collège ; le R. P. de la philosophie a fait faire audit sieur divers ouvrages et machines pour l'instruction de ses écoliers.
    En 1715, François Gounot, marchand émailleur, est exempt de toutes charges, en considération du brevet qu'il a plu à Son Altesse Sérénissime Marie-Anne de Bourbon lui accorder pour les « beaux ouvrages » qu'il lui a fournis pendant son séjour à Bourbon.
    Le 22 septembre 1734, le duc de Nivernois, passant à Nevers, la ville offre à Mme la Duchesse « un service de cristal du prix de 400 livres et deux douzaines de figures de faux dieux en émail, montés sur des pieds d'estaux dorés, et autres figures d'émail de différentes espèces »(5).
    Le 3 frimaire an II (13 novembre 1793), Hassenfratz, commissaire envoyé par le Comité du Salut public, chargé spécialement de la fabrication, proposa au Conseil général d'établir à Nevers une fabrique d'émaux qui puissent équivaloir à ceux qu'on est obligé de tirer de la république de Venise, et une manufacture de faïence à pâte douce dont la beauté puisse nous empêcher de regretter celle qui nous venait d'Angleterre. Cette démarche ne paraît pas avoir donné de résultats.
    En 1804, le pape Pie VII, se rendant à Paris pour le couronnement de Napoléon, un ouvrage en émail lui est présenté par son auteur(6).
    Dès 1850, l'industrie de l'émail est en pleine décadence.
    Cependant, en 1861, lors de l'inauguration de la ligne du Bourbonnais, Faucillon, le dernier des émailleurs nivernais, offrit à Napoléon III un bouquet de fleurs d'émail et divers jouets de même nature pour le prince impérial.
    Faucillon, qui était en outre employé à la mairie, travaillait encore en 1875. A cette date, le conseil municipal lui accorda - sans résultat - une subvention de 500 fr. pour « faire revivre l'art des émaux ».
    En 1489, on trouvait dans la rue de la Tartre l' Hôtellerie de la Truie qui file, mais j'ignore sa place.
    En 1546, on fit clore une ruelle allant de la rue de la Tartre vers Saint-Cyr « pour ce qu'on y faisait beaucoup d'immondices ». C'est aujourd'hui l'impasse du Cloître-Saint-Cyr.
    Vers 1820, les Berlines accélérées avaient leur bureau chez M. Bonnot, libraire, rue de la Tartre, près la place de la Mission. La Poste aux Chevaux des Messageries royales était dirigée par Mme Mahieu.
    En 1843, on trouva dans cette rue une médaille d'Antonio, grand bronze, et une médaille de Lucius Verus, aussi grand bronze.

    (1) D'autres habitaient la rue de Loire.
    (2) Ce chiffre de 800 ouvriers est manifestement exagéré L'Intendant de la Généralité de Moulins dit que chacune des 12 manufactures emploie « l'une dans l'autre » de 150 à 160 ouvriers.
    (3) La plupart étaient groupés sur les quais ou à la descente de Loire, vers Saint Sauveur.
    (4) Cet hôtel était situé sur la place Mossé.
    (5) La même année, elle offre à Mme l'Intendante, lors de son passage, un service de cristal payé 500 livres à Borniol.
    (6) Fourquemin, dans ses Mémoires, dit à ce propos : Voici une petite anecdote qu'on ne doit pas passer sous silence puisqu'elle est véridique et connue de plusieurs vieux Nivernais. Lors de la traversée du Saint-Père dans la ville de Nevers, un des meilleurs émailleurs de la ville travaillait depuis longtemps à un petit chef-d'œuvre qu'il destinait au Pape. Le jour désiré arriva enfin et le maître émailleur, s'étant fait introduire auprès du Saint-Père, lui présenta l'ouvrage de plusieurs mois, d'une patience à toute épreuve. Le Pape le reçut avec bonté et reconnaissance et, bénissant l'auteur d'un travail si délicat, le donna à son grand vicaire qui le plaça sur le devant, dans sa voiture, le priant d'en avoir grand soin.
    Mais si le Saint-Père était satisfait, le vieux émailleur ne l'était guère, un remerciement ne faisant pas son affaire. Nous savons tous, tant que nous sommes, que cela ne met point de pain dans la huche. Le pauvre émailleur ne savait plus comment faire pour tâcher qu'on lui remît le travail qu'il avait présenté au Pape. Soit qu'il l'imaginât, soit qu'on le lui conseillât, il partit promptement pour aller voir le Pape à Cosne où il le rejoignit. Il pria le grand vicaire de lui remettre son travail afin qu'il ajoutât quelque chose qui lui manquait, pour le rendre plus complet. Le grand vicaire, ayant reconnu de suite le but de son voyage, comprit que sa démarche était intéressée, lui remit avec douceur et bonhomie son chef-d'œuvre, à sa grande satisfaction. Le voila reparti pour Nevers, et, arrivé chez lui, il se mit en devoir d'annoncer et mettre en vente son petit chef-d'œuvre, dont il tira un bon parti. II fut très soulagé en apprenant que le Saint-Père s'en retournait par la Bourgogne. Ce fut pour lui un bon prétexte et une excuse assez valable, disant qu'il était allé le chercher à Cosne, qu'il ne voulait pas l'aller reporter à Chalon.


    Victor GUENEAU dans Mémoires de la Société académique du Nivernais – 1927/T29