Manufactures des émailleurs

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L'histoire des émaux de Nevers aux XVIIe et XVIIIe siècles est celle d'une décadence continue.

Émaux soufflés, émaux filés
Les émailleurs nivernais fabriquent des émaux soufflés ou filés. Leur matériel est peu compliqué : une table, une lampe à huile avec un soufflet pour aviver la flamme et quelques pinces rondes ou pointues. L'émailleur n'emploie que du fil d'archal, des tubes et des baguettes ou canons d'émail de toute couleur, que son voisin le verrier fabrique à son intention. Les émaux soufflés se font avec un tube d'émail, que l'ouvrier chauffe à la lampe, et souffle ensuite. Avec ses pinces, il s'efforce de modeler l'émail amolli par le feu et de lui donner une forme convenable. Il complète son travail en appliquant d'autres morceaux de divers couleurs (Blanc, aigue marine, feuille morte, gris de lin, améthyste...). Les émaux filés sont d'une fabrication plus simple et moins artistique. L'ouvrier chauffe à la lampe les minces canons d'émail, les enroule et les soude sur une forme de fil de cuivre ou même se borne à les souder et à les replier entre eux. Il est claire que la première méthode est très supérieur à l'autre et permet seule une certaine souplesse dans le modelé des personnages ou le mouvement des draperies. Au contraire avec les émaux filés, au lieu d'assouplir une draperie, l'ouvrier se borne à juxtaposer ses canons de verre en les étirant quelque peu. En somme, les deux procédés, qui se complètent d'ordinaire, sont très voisins de ceux qu'emploient les verriers de la rue de la Tartre.

Les représentations
Les véritables ouvrages d'émail diffèrent peu des figurines de cristal, que fabrique le petit Murano. Ils se présentent sous forme de statuettes montées quelquefois sur des socles, et ne dépassant guère 15 centimètres : divinités du paganisme, crucifix ou saints du christianisme, ou bien encore au XVIIIe siècle, quand se propage le sentiment de la nature, marquis et marquises, bergers et bergères, animaux de prairies ou de basse-cour. Souvent ces figurines se groupent en tableaux, qui représentent tantôt des scènes historiques ou religieuses, enfermées dans des parois de verre, comme la Nativité, l'Adoration des Mages, la Visitation, les Quatre saisons, Sainte Geneviève gardant son troupeau, tantôt des paysages avec des rochers factices et des fontaines jaillissantes en verre filé, ou des chasses à courre avec les chiens, les chevaux, le gibier à poil et à plume. De cette production vraiment artistique, et qui au XVIIe siècle intéresse même des italiens comme Sébastien Locatelli, il reste peu de chose : c'est à peine si l'on peut citer le calvaire du musée de Nevers.

Mais la plupart des émailleurs nivernais, surtout au XVIIIe siècle, ne savent plus faire que des bibelots grossiers ou de la simple verroterie en émail filé : grains de cristal assemblés en chapelets, gabues, bracelets, colliers et bourses, en papillons, fleurs et branches de feuillage : grains décorant des mules ou enchâssés avec de la colle de poisson dans des objets de métal précieux, or ou argent, chatons de bagues, boutons, montres et tabatières.

Les privilèges
La condition des ouvriers, du XVIe au XVIIIe siècle, décline dans les mêmes proportions. D'abord les émailleurs sont de véritables artistes. Ils sont très considérés dans la ville et au dehors. Au XVIIe siècle, Sébastien Dupont St Pierre est qualifié d'écuyer. Noble homme, François Dièdes est émailleur du roi ; Barthélemy Bourcier, maître émailleur « de la mère reyne ». D'autres se contentent de la protection de quelque grand personnage. En 1715, François Gounot obtient un brevet « de son Altesse Sérénissime la duchesse de Bourbon ». en récompense des beaux ouvrages qu'il lui a fournis pendant son séjour à Bourbon, il devient son émailleur, ce qui lui vaudra divers privilèges et le droit « de mettre au devant de sa boutique un tableau où seront les armes de son Altesse pour sauvegarde ». De même en 1696, l'émailleur Claude Dupont St Pierre obtient la protection de la duchesse de Bourgogne. Il se prétend aussi chirurgien, « renoueur des fractures et dislocations des os du corps humain ». Il est en somme assez raisonnable de lui attribuer le petit squelette d'émail du musée de Nevers. En 1682, les Jésuites du collège de Nevers rendent un bel hommage aux émailleurs. Ils décident d'annexer aux cours de physique et de philosophie des notions sur l'art de l'émail et demandent à l'artiste Jean Allasseur de joindre des exercices pratiques à leurs démonstrations « spéculatives ». Toutefois, il faut ajouter que la plupart des émailleurs nivernais fabriquaient aussi mais avec plus ou moins d'habileté des squelettes d'émail. L'exécution en émail filé était assez facile.

Les émailleurs au XVIIIe siècle sont moins nombreux et moins considérés. Ils cumulent leur profession avec d'autres moins esthétiques et deviennent aubergistes ou hôteliers. Ils se groupent aux environs de St Sauveur, à la descente de Loire, sur le passage des coches d'eau et des diligences. Aux Dupont St Pierre succèdent les Mourillon, les Bouillot et les Faucillon.

Les ventes
A Nevers, les bibelots des émailleurs sont populaires et d'un débit facile, même quand ils sont d'un goût douteux. Dans toutes les maisons, leurs figurines décorent les cheminées. « En plein XIXe siècle, dit l'auteur des Notes sur les émaux de Nevers, p, 23, on voyait encore le patron ou la patronne des maîtres du logis représentés en figurines d'émail, et abrités sous le globe de la pendule. Parfois, on leur faisait l'honneur d'un globe qui leur était spécialement destiné. C'est ainsi qu'on rencontrait Saint Henri en costume impérial, Saint Etienne, Saint Georges terrassant le dragon, Saint Pierre portant les clefs du paradis, Sainte Catherine appuyée sur la roue symbolique, Saint Jean vêtu de la peu de mouton légendaire. » Les échevins offrent ces émaux aux princes et princesse, qui vont à Vichy ou à Bourbon. En 1730, la princesse de Conti reçoit des objets de cristal achetés au sieur de Borniol, des figurines et de la verroterie artistique achetée aux émailleurs Mourillan et Bouillot. D'ailleurs, la présence des industries artistiques dans les villes d'eaux n'est pas chose nouvelle. Les émailleurs nivernais et probablement aussi les verriers et le faïenciers ont des dépôts à Bourbon. Le 19 février 1666, Jean Antoine Dupont St Pierre prend à son servie comme ouvrier émailleur le sieur Jacques Bertin, qu'il pourra envoyer à Bourbon-l'Archambault et autres lieux, travailler et « tenir boutique pour le dit Dupont ». La vente se fait également aux voyageurs de condition plus modeste, qui descendent à Nevers dans les auberges des émailleurs ou dans les grandes hôtelleries. Les diligences sont à peine arrivées que les femmes et les enfants des artistes avec leurs boites d'émaux offrent aux étrangers les souvenirs de Nevers, les poursuivant dans les auberges et jusque dans leurs chambres, s'il faut en croire certaines relations comme celle de M. de Moncounys (Le soir, je manquai pas d'estre accablé dans mon logis des vendeuses de chaisnes, pendants, chapelets et autres gentillesses d'émail) ou de Sébastien Locatelli (Après souper, il vint quantité de femmes, jeunes ou vielles, belles ou laides, avec des boîtes pleines de bagues et d'autres babioles de verroterie ; mais comme nous allions à Paris, elles eurent de nous quelques sous seulement. Pourtant nous étions hommes, et il fallut payer tribut à quelques-unes des plus belles en leur achetant des boutons de chemise... Je ne sais vraiment pas comme on s'y prend pour faire reluire si bien l'or placé au milieu ; quant aux boutons jaunes, ils rivalisent avec l'ambre même. Parmi les plus beaux objets se trouvaient des petits cadres à tableaux, avec des anges en relief tenant dans leurs mains des fleurs et des couronnes ; mais elles prétendaient vendre ces cadres 6 pauls la pièce. Si j'étais alors rentré en Italie, j'aurais fait cette dépense, car c'est une nouveauté encore inconnue dans nos pays ».

Les conditions ouvrières
Les étrangers vont aussi dans les ateliers, de même qu'ils visitent le Murano et les faïenceries. D'après l'abbé Coyer, les pauvres émailleurs nivernais auraient travaillé dans des conditions déplorables. « Si vous voyiez, dit-il, les cachots obscurs, étouffés, enfumés, infects, où le émailleurs n'ont d'autre lumière, de jour comme de nuit, que celle de leur lampe, vous plaindriez les hommes que la nécessité condamne aux métiers destructeurs. Des malheureux, malsains pour la plupart, ne vivent pas longtemps ». Mais les pouvoirs publics ne se préoccupent guère de réglementer les condition de ce travail dans l'intérêt des ouvriers. Les ordonnances de police se bornent, dans l'intérêt du public, à surveiller leur mode d’éclairage. Les ouvriers mettaient du beurre dans leurs lampes pour avoir une meilleure flamme. Le 8 juillet 1723, les magistrats, conformément à d'anciennes ordonnances, prohibent cette coutume sous peine de confiscation et d'amende arbitraire. Ils inspecteront incessamment les ateliers ou plutôt les caves qui servent d'ateliers.

Annexion
En somme, l'importance artistique et commerciale des émaux de Nevers est très inférieure à celle du cristal et surtout de la faïence. Les émailleurs sont presque toujours subordonnés aux verriers et aux faïenciers. Aux XVIIe siècle, certains émailleurs comme l'écuyer Sébastien Dupont St Pierre, s'occupaient encore de faïence. Le 16 novembre 1663, il s'entend avec le seigneur de Pontcharrault pour la création d'une faïencerie dans le Bourbonnais. Au siècle suivant, leur métier devient une simple annexe de la verrerie royale, et cette sujétion provoque parfois des rivalités et des jalousies. En 1755, la dame de Borniol porte plainte au bailliage contre le nommé Dufour, marchand émailleur, qui « le jour d'hier 27 aoust, environ les sep heures du soir, seroit venu en la dite verrerie, et étant dans l'hasle où est le four d'icelle, il proposa à quelqu'un de jeter dans les creusets des drogues, qui auroient apparemment la propriété de gaster la matière, offrant de lui payer 5 sols par jour tant qu'il vivroit ». Sur le refus de cet homme Dufour prend à part un autre ouvrier, qu'il emmène avec lui au cabaret. Après l'avoir fait boire, il lui montre une petite pierre rouge, qu'il lui demande de jeter dans les creusets de la verrerie moyennant bonne récompense. « Il ajouta que s'il y jetoit la dite pierre rouge et autres drogues qu'il lui donneroit, il aurait beau ecramer, la matière seroit perdue, et par là la verrerie à bas avant qu'il fust trois mois ».