Manufactures de la verrerie artistique

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Les origines de la verrerie nivernaise sont analogues à celles de la faïence. Elles ne remontent pas au delà de la fin du XVIe siècle, et c'est le duc Louis de Gonzague qui introduisit les artifices artis vitrarix ou verriers, de même qu'il introduisit les artifices artis figulinx ou faïenciers, et les artifices artis encaustriex ou émailleurs.

Ici encore les attaches italiennes des Gonzague rendirent l'établissement facile. A cette époque, les verreries de Murano avaient acquis depuis longtemps une réputation européenne. Malgré les précautions des doges de Venise, la fabrication du cristal s'était répandue en Italie. Chez les Gonzague, dans le Haut-Montferrat, c'est à dire « au delà du Tanar », au pied du col de Cadibone, les verreries d'Altare concurrençaient Murano avec une technique d'ailleurs un peu différente, sous la direction de ses six « magnifiques consuls de l'art de la verrerie ».

C'est Altare qui devait donner à la ville de Nevers ses premiers gentilshommes verriers, les Jacques Sarode, les Horace Ponté. Tous les verriers d'Altare étaient nobles. Ils avaient leurs blasons et leurs armoiries. L'art de la verrerie était si honoré qu'il fallait être noble pour être verrier. En arrivant en France, les altaristes, dont certains étaient écuyers de Louis de Gonzague, conservèrent leurs dignités conformément aux lettres patentes de 1574 et de 1585, qui non seulement permettaient aux nobles de pratiquer cet art sans déroger, mais élevaient à la noblesse les roturiers maîtres de verrerie et leurs principaux ouvriers. Ces gentilshommes de verre, comme on les appelait avec quelque ironie, étaient un peu considérés comme une contrefaçon de noblesse par les vrais gentilshommes, qui affectaient de les mépriser : On peut classer ici la distinction de Schuermans : En France et aux Pays-Bas, les nobles, quoique verriers A Venise, les nobles, parce que verriers A Altare, les verriers, parce que noblesse La distinction est assez piquante, si elle n'est pas très rigoureuse. Ils avaient du moins des honneurs et des avantages sérieux : franchises, immunités et exemptions. Leurs établissements étaient des lieux privilégiés et prenaient le titre de manufactures royales de verreries. Les premiers gentilshommes verriers de Nevers obtiennent ainsi un privilège exclusif dans cette ville et des lettres de naturalité « pour eux et leur postérité ». Ces privilèges, attaqués en 1619 par les verriers français, sont maintenus grâce à la protection des Gonzague. On dit alors que les altaristes de Nevers se comportent « comme vrais et naturels françois ». Bientôt s'élève rue de la Tartre, véritable centre artistique de la cité, le bel hôtel de la verrerie, construction de caractère nettement italien, avec sa tour centrale de forme carrée et sa galerie à jour. L'industrie nivernaise ne tarde pas à devenir prospère et impose son hégémonie aux médiocres verriers du Morvan. Mai en 1645, à la mort d'Horace Ponté, sa veuve Suzanne d'Albanne ferme la verrerie, qui disparaît ainsi brusquement après avoir brillé d'un vif éclat.

Toutefois, dès l'année 1647, la verrerie se relève sous l’impulsion encore une fois créatrice des Gonzague. La princesse marie, tutrice du jeune Charles II de Gonzague, décidée à conserver la brillante création de son ancêtre « Ludovic de glorieuse mémoire », recommande aux échevins de Nevers un autre verrier altariste Jean Castellan, « un de nos sujets d'au delà du Tanar ». Castellan, qui était beau-frère d'Horace Ponté, devient fermier de la verrerie, sauf quelques pièces que se réserve Suzanne d'Albanne. Il obtient aussi la protection toute puissante de Mazarin les lettres patentes du 20 avril 1661. Le pouvoir royal y reconnaît que Jean Castellan a employé plusieurs années dans les pays étrangers à rechercher la composition des matières propres à faire la verrerie et les émaux, et qu'il est arrivé à produire « des ouvrages de cristal et de verre raffiné, aussi beaux que ceux qui ont le plus d'estime et qui se fabriquent parmi les étrangers ». Appelé à Nevers par le feu duc, il a rétabli à grands frais la verrerie et fait venir plusieurs gentilshommes verriers d'Italie. Pour que son industrie puisse se maintenir et prospérer, le roi lui accorde pendant 30 ans à l'exclusion de tous autres marchands, le droit de « transporter ses ouvrages aux foires et marchés publics du royaume, et particulièrement en lieux qui sont sur la rivière de Loire, depuis Nevers jusqu'à Poitiers, à l'exception toutefois des verres de Venise et verres de fougère verte, qui n'auront été mis en couleur ». Ce privilège, combattu par les autres verriers, est cependant enregistré au Parlement le 13 juillet 1665 et donne un brillant essor à la verrerie nivernaise.

Comme ses prédécesseurs, Jean Castellan tient à son titre de gentilhomme verrier à cause des sérieux avantages qu'il lui confère. En 1647, les échevins lui ont reconnu l'exemption de la subsistance, des autres impositions et du logement des gens de guerre. Comme les administrations financières de l'ancien régime sont toujours prêtes à contester ces droits, il obtient le 14 juin 1667 de l'intendant de Moulins, un arrêt qui le confirme lui et ses héritiers dans la qualité de noble et d'écuyer. Il établit son arbre généalogique et le blason de ses armes, qui porte « d'azur à la tour d'argent, surmontée d'un aigle d'or, au casque à demi-face ». Tandis que les faïenciers de Nevers avec leur personnel nombreux perdaient très vite leur caractère italien, la verrerie royale devait conserver plus longtemps son caractère originel avec son organisation familiale et patriarcale. A côté de Jean Castellan, il y a bien quelques gentilshommes français comme l'écuyer Isidore de Revet ou cet Evremond de Girard, sieur de la combe, qui vient sans doute se perfectionner dans l'art de la verrerie et s'engage par contrat du 22 novembre 1666 à travailler pendant un an au service de Casellan. Mais la plupart des ouvriers, attiseurs, apprêteurs ou souffleurs, sont italiens. Castellan apparaît comme un véritable patriarche escorté de toute sa parenté et de tous ses amis altaristes, les Cœur ou Cuore, les Riveta, les Rosetti, les Bornioli. En 1658, un certain Marc de Borniol ayant épousé Marie Castellan, fille du maître verrier, celui-ci, désireux de maintenir sa suprématie sur tous ses parents ou amis, oblige son gendre à insérer dans son contrat de mariage l'engagement de n'établir aucune verrerie à 20 lieux de Nevers du vivant de son beau-père. Jean Castellan étant mort vers 1672 (L'abbé Boutillier prétend par erreur que Jean Castellan est mort en 1670. 2 actes notariés permettent d'établir plus exactement cette date de 1672 : Le 26 avril 1672, en présence de Jean Castellan, son fils Michel qui vient de se marier avec noble demoiselle Louise de Foucambergue, et son gendre Marc de Borniol, procèdent à divers arrangements financiers et signent un véritable traité, dont certaines clauses seront applicables à la mort de leur père et beau-père. Dans un autre texte du 8 mai 1672, les deux beau-frères décident que le précédent contrat sortira « son plein et entier effet », par suite évidemment du décès du maître verrier. Jean Castellan est donc mort à la fin de l'année 1671 ou plutôt au début de l'année 1672), son œuvre se continue avec son fils Michel et son gendre Marc de Borniol, qui travaillent quelque temps ensemble. Puis Marc cède sa place à son fils Nicolas, sieur de Fourchambault, qui se retire ensuite à Garchizy. De 1685 jusqu'à sa mort en 1721, Michel Castellan reste seul maître de la verrerie. Sa veuve, Marie Gentil, essaya ensuite d'en assurer la direction avec le concours de son neveu Bernard de Borniol, mais celui-ci l'ayant quittée pour lui faire concurrence et créer une verrerie à Decize, il fallut en 1726 éteindre les feux, et pour payer les créanciers consentir à la vente « de tous les matériaux, ferrements et ustensiles de la verrerie ». La période des Castellan, qui est la deuxième de la verrerie nivernaise, se termine presque par une banqueroute.

Après les Sarode et les Castellan, les Borniol marquent la troisième et dernière période. Or comme cette famille originaire d'Altare, où les Bornioli occupaient un rang aussi éminent que les Saroldi ou les Castellani, leur était unie par des liens de parenté, il faut donc constater une remarquable continuité dans cet art nivernais, malgré certaines ruptures plus apparentes que réelles. En somme, sous des noms différents, Sarode, Ponté, Castellan, Borniol, c'est toujours une même généalogie de gentilshommes verriers, qui se déroule dans le même cadre, tandis que parmi les faïenciers la famille des Custode est à peu près la seule sui se maintienne jusqu'à la Révolution.

Bernard de Borniol, apprenant la retraite de sa tante Marie Gentil, se hâte de racheter le matériel, obtient l'approbation du premier Mancini et reprend les anciennes traditions. Un nouveau blason de gentilhomme verrier apparaît ainsi rue de la Tartre, « portant d'azur au chevron d'argent, accompagné au chef de deux roues et en pointe d'un bœuf sur une terrasse de sinople ». Divers incidents marquent cette période. En 1742, Louis Castellan, fils de Marie Gentil, après avoir travaillé dans diverses verreries du royaume, essaie de reprendre la maison paternelle. Il vante son expérience et le secret qu'il a de ses ancêtres « pour allier différents métaux et pour varier les couleurs du verre ». Il réclame un privilège exclusif avec « défense à toutes autres personnes de faire travailler à aucuns ouvrages de verrerie en la dite ville, ou d'en faire vendre sans sa permission par écrit ». Il doit finalement se contenter d'un place de « gentilhomme pour travailler en cristal » chez Bernard de Borniol. Puis Bernard étant mort en 1745, sa femme Catherine Lévêque, qui reste veuve avec cinq enfants mineurs et prétend faire valoir la verrerie pour élever sa famille, se voit contester ce droit par Louis Castellan et même par un neveu de son marie, Antoine de Borniol, qui tous deux prétendent recueillir celui-ci de son oncle, celui-là de son père, le privilège exclusif de la verrerie à Nevers. Le 23 janvier 174, le Bureau du Commerce intervient en faveur de la dame de Borniol. Catherine Lévêque reçoit le 21 février 1747 des lettres patentes qui lui permettent d'exploiter pendant 20 ans sa maison. On lui donne alors couramment le titre de « maîtresse de la verrerie de Nevers ». Quant à ses concurrents, ils acceptent de travailler sous ses ordres.

Mais à cette époque, les verreries du Nivernais font à celle de Nevers une concurrence dangereuse. Certaines familles françaises, comme les Perrin par exemple, travaillent à Nevers puis dans certaines localités du Nivernais, Apremont, Vandenesse, dont la prospérité fait le plus grand tort à la manufacture de la rue de la Tartre. Par contrat du 12 mai 1753, Charles François Perrin ouvrier en cristal à la verrerie de Nevers, s'engage à travailler pendant 9 ans à la verrerie de Vandenesse ; Il fera des émaux et des objets en cristal (flacons, bouchons). On lui promet un salaire élevé : 600 l. par an, à raison de 25 l. par quinzaine. Bientôt, les temps deviennent durs pour les verriers de Nevers comme pour les faïenciers. En 1771, Catherine Lévêque a bout de ressources, doit implorer l'inervention du présidial de St Pierre le Moutier auprès de ses créanciers. Le 16 juin 1772, le Bureau du Commerce, sollicité par la directrice de la manufacture de cristaux de Nevers, consent à lui accorder la permission indéfinie de continuer son industrie, mais lui refuse tout privilège exclusif. En 1775, Catherine Lévêque s'associe avec Jacques François de Borniol, écuyer, sieur de Fourchambault, autre neveu de son mari, mais cette collaboration n'arrête pas la ruine de la manufacture, qui disparaît dans les dernières années de l'ancien régime. Tandis que la faïence a survécu jusqu'à nos jours, il ne reste plus aucun souvenir des Castellan et des Borniol. C'est aux verreries italiennes d'Altare qu'il faut revenir, si l'on veut retrouver parmi les artistes d'aujourd'hui les noms toujours illustres des Bronioli et des Saroldi. De même que les faïenciers, ils trouvent sur place la plupart des matériaux nécessaires. Ils disposent d'une grande abondance de « bois de mosle, chesgne et charme ». Ils exploitent la « terre blanche propre à faire fourneaux » au lieu des Crots blancs, à St Benin des Bois ou à Nolay, et cette terre est de si bonne qualité qu'ils l'envoient même à Lyon et jusqu'en Italie. Ils rencontrent « au long de la rivière d'Allier » ou de la Loire de grandes quantités de cailloux blancs. Il n'ont plus qu'à faire venir de la soude de Lyon ou mieux encore de la « soude d'Espaigne d'Alliquante », qui aux XIIe et XVIII siècles arrive non plus par Roanne mais par Rouen.

Pendant les deux siècles de son existence, la verrerie de Nevers fut pour les étrangers l'une des curiosités de la ville. Certains voyageurs décernent de grands éloges aux artistes nivernais. L'un écrit vers 1661 que « les habitants de Nevers sont dans la verrerie de véritable imitateurs des Vénitiens de Murano et de Faentins dans la fayence, et les contrefont avec tant d'artifice que la ville de Nevers pour cet article peut être appelée une autre ville de Muran et de Fayence ». Un autre en 1778, raconte qu'il a visité dans la Grande rue l'hôtel de la verrerie, que l'on appelle le Petit Muran de Venise, « pour la singularité des différents ouvrages de verre qui s'y font ».

En raison de leur fragilité la plupart de ces « gentillesses » ou « jolivetés » ont disparu. Ici comme dans l'histoire de la faïence, les échantillons les plus remarquables appartiennent à la période des origines, comme le gobelet à boutons et à anneaux du musée de Nevers. Il semble que dans le courant des XVIIe et XVIIIe siècles, la production, quoiqu'en disent certaines relations de voyages, ait pris un caractère plus commercial et moins artistique. A l'époque des Borniol, la verrerie produit encore des figurines de cristal, des crois processionnelles, des miroirs, dont quelques-uns figurent les attributs de la Passion, mais c'est la verrerie de table qui domine, gobelets à anse ou à pied, à fleurs ou à côles, comme celui qui fut offert à la dernière abbesse de Notre-Dame, carafes « à la bonne femme ou à la Villeroy », compotiers ou boîtes à confitures, lampes d'églises et bénitiers, pots à fleurs ou écritoires. En somme, il y a loin de cette verrerie usuelle aux merveilleuses fantaisies de Venise.

Certains de ces objets sont vendus sur place. Les échevins offrent volontiers comme cadeaux aux intendants, ou aux grands personnages qui passent, des produits « du petit Muran ». Mais aussi et surtout les verriers nivernais font des expéditions au dehors dans toute la France. Au XVIII, la dame de Borniol a des clients à Paris, à Bourges, à Orléans, à Saumur, à Bordeaux, ou bien encore à Moulins, à Riom, à Clermont, à Lyon et à Montpellier.