Logan Held Kate correspondances

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Quatre lettres de Kate Logan Held adressées à Louise Gilbert.

La première lettre et la troisième sont écrites dans un français parfait, bien ponctué. Dans la seconde, plusieurs incorrections ou traductions maladroites.
 

Mademoiselle Louise Gilbert, Saint-Germain-Chassenay. Aux bons soins de Pierre et Marie.
364 Coeur d'Alene Street, Spokane, Washington, U.S.A.

Le 2 février 1918,
Chère mademoiselle Gilbert,
Voilà longtemps déjà, petite amie, que je n'ai pas répondu à vos gentilles lettres, mais vous m'excuserez quand vous saurez que j'ai été très souffrante depuis Noël. Je n'ai pu rien faire de ce que j'aurais désiré. Maintenant que je suis mieux, je reprends avec plaisir ma correspondance française.
Vos renseignements sur le climat, etc, de votre endroit me donnent grande envie de connaître plus intimement ce beau pays, que j'ai dû traverser plusieurs fois en voyageant, mais sans m'y être jamais arrêtée. Soyez sûre que je ne tarderai pas à le visiter, si possible, après la guerre – mais quand sera la Victoire tant et si longtemps désirée ? Il faut quand même du courage et de l'espoir, parce qu'elle viendra certainement, un jour, cette grande Victoire, récompenser les sacrifices et les souffrances surhumaines de la France et de la Belgique. Plaît [plaise] à Dieu que nous autres Américains aidions à rapprocher l'heure glorieuse !
Chère mademoiselle, comme vous m'avez demandé une de mes photographies, j'ai fait faire quelques copies de photographies prises à New-York, il y a cinq ans presque. Elles étaient assez ressemblantes à ce moment-là, mais, comme je n'ai pas joui d'une bonne santé ces dernières années, j'ai beaucoup vieilli depuis. Naturellement les copies ne sont pas aussi nettes que les originaux. Je regrette de ne pas pouvoir vous en envoyer de meilleures. Maintenant ne pourriez-vous pas m'envoyer une de vos photographies. Je serais bien heureuse de l'avoir. Vous ne vous imaginez pas combien j'ai envie de vous voir, et quel plaisir j'aurais à vous parler en tête-à-tête.
Nous sommes contents de savoir nos petits protégés en bonne santé ; nous nous les figurons des enfants doux et bons. Si ce n'est pas indiscret j'aimerais bien vous demander quelques mots sur leur caractère. Aiment-ils leurs études ? Voudriez-vous aussi me dire, tout bonnement, mademoiselle, si la robe que je viens d'envoyer à petite Marie vaut bien la peine d'avoir été faite ? Sa mère n'aura pas le courage de me le dire si la robe n'est pas à la taille de la petite et ne peut pas lui servir. Je compte sur vous. Je ne voudrais pas faire des choses inutiles, mais, si la robe réussit, j'aurais plaisir à en essayer d'autres. La mère nous [...]
Lettre interrompue, il manque une feuille ; sur une demi-page :
Moi, qui ne pratique aucune religion, j'aimerais bien savoir que ces petits enfants auxquels je m'intéresse soient des catholiques dévoués et sincères.
Mme H.

Portland, Oregon, le 29 avril 1918.

Infirmière américaine
Chère Mademoiselle Gilbert,
Les jolies photographies de vous et de votre sœur, si jeune aussi, me plaisent beaucoup, beaucoup. Merci mille fois. Maintenant je vous connaître [sic] vraiment et je peux vous mettre dans le rang de mes amis tout à fait. Un de ces jours nous nous connaîtrons personnellement, n'est-ce pas?
Malheureusement ma santé continue très mauvaise. Je suis dans un hôpital à ce moment-même. On va m'opérer demain et bientôt je serai encore bien. Alors je vous écrirai une réel [sic] lettre.
Le petit bouquet de fleurs multicolores que vous m'avez envoyé a fait plaisir à toute la famille. Si gentilles, ces fleurs sauvages de la chère France.
Toujours à vous et à les vôtres, petite amie.
Mme Held, l'amie américaine.
P.S. Nous avons commencé dès la veillée de votre lettre une enquête au sujet des payements aux petites Pagnon. Tout sera bien. Il y a [ill.] malgré que nous avons fait tout notre mieux pour qu'ils ne fassent pas d'arrêter dans ces payements.
K.C.L.H.
La ville de Portland est en Oregon à 450 lieues de Spokane, mais il ne faut que 12 heures pour faire le voyage.

Lettre datée du 15 mars 1919.

Chère Petite Amie,
C'est avec émotion que je reçois les jolis souvenirs de France. Comme vous êtes gentilles, vous et la petite sœur. Merci, mille fois merci. Vous avez bien deviné le plaisir que cela me ferait de voir ainsi combinés les drapeaux français et américain. C'est l'heureux symbole de l'union éternelle de nos deux patries. Le très grand rapprochement des cœurs français et américains pendant ces dernières années m'est une des consolations de l'affreuse guerre. Je suis bien contente de ce que quelques petites françaises aient trouvé nos garçons agréables, et que plusieurs milliers d'entre elles en aient épousé. Oserai-je vous avouer que je me suis souvent demandé s'il était possible qu'un soldat américain puisse vous plaire ! J'aurais même aimé vous envoyer chercher mon gros neveu dont je vous ai parlé ; mais le malheureux était toujours retenu dans le service ici. Il était nommé capitaine, mais rien ne peut le consoler de ne pas avoir été envoyé au front. Au commencement, quand il semblait certain qu'il aurait cet honneur, je n'osais lui demander de m'amener une nièce française. Et ce n'était pas seulement pour le taquiner ! Je l'espérais sincèrement, parce que c'est un grand garçon au cœur généreux, aussi beau qu'il est bon, que je croyais digne d'une douce petite française.
Pardonnez-moi, je vous prie, chère mademoiselle, de n'avoir pas répondu à votre lettre enthousiaste et charmante de décembre dernier, mais maman a été très malade pendant quelque temps, et vous pouvez bien vous imaginer que j'avais le cœur gros et pleins les mains. Elle s'est remise dernièrement à merveille et ne nous inquiète plus.
Nos chers petits protégés nous écrivent des mots si gentils. Pensez donc, ces petits êtres m'attendaient dès la fin de la guerre. Ils comptaient les jours qu'il me fallait pour venir jusqu'à eux ! Rien au monde ne me plairait autant que d'y aller tout de suite, mais ce n'est pas possible. Je dois attendre encore le plaisir de faire la connaissance personnelle de mes chers amis de St Germain. En attendant, j'espère que vous m'écrirez de temps en temps.
Agréez mes sentiments d'amitié pour toute votre famille et de chauds baisers pour vous et la petite Paule.
Toujours l'amie américaine,
Madame Albert Held.

Carte de vœux adressée en décembre 1925 par Mrs Kate C. Logan Held, 2306 West [ill.], Spokane, Washington, U.S.A.,
à mademoiselle Louise Gilbert, St Germain-Chassenay, par Decize, Nièvre, France.

The Seasons Greetings.
Bien Chère Petite Amie de France,
En plus des vœux de saison, je vous envoie ainsi qu'à tous les vôtres des sentiments d'amitié tendres et vrais.
K.C.L.H.

Pour comprendre le contexte :

1° Madame Ventrin, qui m'a confié ces lettres en 2015, a retrouvé plusieurs informations concernant la destinatrice Louise Gilbert et sa famille.
- Louise Gilbert est née le 5 novembre 1896 dans la ferme de Guillon à Saint-Germain-Chassenay ; elle avait trois sœurs, Jeanne née le 31 août 1891, Pauline née le 19 novembre 1892 (épouse de Pierre Lespinasse, puis de Jean Lespinasse, grand-mère de Mme Ventrin), Paule née le 21 avril 1908, et un garçon, Joseph né le 13 mars 1894.
- Louise Gilbert s'est occupée des enfants Pagneux, les chers petits protégés, dont le père est mort à la guerre.
- Louise Gilbert a dû entrer en contact avec Mme Kate Logan Held par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, ou de la Fraternité franco-américaine, représentée à Decize par plusieurs infirmières américaines.
- Mme Held lui a proposé d'épouser son neveu ; Louise Gilbert ne s'est jamais mariée.
2° Qui étaient M. et Mme Held, résidant à Spokane (état de Washington)?
- Plusieurs sites Internet américains répertorient Albert Held et son épouse. Albert Held a même une notice sur WIKIPEDIA.
- Albert Held est né en 1866 à New Ulm (Minnesota) ; il était architecte, membre du syndicat A.I.A. ; il est venu s'installer à Spokane, où il a dessiné et construit plusieurs immeubles importants, comme le Realty Building, où sont encore installés des services administratifs et des sièges de sociétés commerciales. Albert Held est décédé le 28 juin 1924 à Spokane.
- Kate C. Logan Held est née en 1858 à Constantine, St Joseph County, Michigan ; c'était la fille de Isaac Benham et Melinda Rue, originaires de New-York ; elle est décédée le 12 janvier 1940 à Spokane. Sa tombe se trouve au cimetière Greenwood Memorial Terrace, à Spokane.
- La ville de Spokane possédait en 1918 une Red Cross Canteen (Service d'aide de la Croix-Rouge) qui a certainement participé à des œuvres d'entraide pour les orphelins de guerre français. Deux infirmières originaires de Spokane sont intervenues en France pendant la guerre : Mildred Case et Lenna E. Brown Baird ; elles ont laissé des témoignages écrits conservés dans les archives municipales de Spokane.
- La ville de Spokane, qui compte actuellement 200000 habitants (450000 dans l'agglomération), était déjà peuplée de plus de 100000 habitants en 1918. C'est une ville récente, qui n'a été fondée que vers 1880, et qui s'est rapidement développée avec l'arrivée du chemin de fer ; elle a été partiellement détruite en 1889 par un incendie ; sa reconstruction en briques puis en béton est certainement ce qui a attiré l'architecte Albert Held.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL le 2 février 2018