Embuscades et représailles

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LA RESISTANCE DANS LE SUD NIVERNAIS

Consignes des généraux Patton, Koenig et de Lattre Pendant les derniers mois de l'occupation allemande, d'innombrables actes de sabotage et affrontements ont lieu. Les Alliés et les dirigeants nationaux de la Résistance demandent à tous les maquis d'intensifier leurs efforts pour paralyser les transports militaires allemands et, à l'occasion, leur causer des pertes.

Au début du mois d’août 1944, le colonel Roche (Moreau), responsable militaire des F.F.I. de la Nièvre et ses homologues pour l’Yonne (le lieutenant-colonel Chevrier) et pour le Loiret (le colonel Marc et le lieutenant-colonel Pierre) reçoivent du Q.G. de la 3e Armée américaine les ordres suivants, signés par le général Patton et le général K?nig : 1° Assurer la protection de toutes les voies de communication par des postes et des patrouilles, au moyen des maquis existant sur place ; 2° Renseigner les troupes américaines sur tous les mouvements ennemis et les poches ennemies existant encore ; 3° Contenir les poches ennemies en gardant le contact ; 4° Anéantir les éléments ennemis, mais dans le cas seulement où le succès est assuré sans le concours des forces américaines ; 5° Etablir une liaison étroite entre les F.F.I. et le Q.G. de l’Armée américaine. L’officier chargé du contact est le colonel Powell. L’agent de liaison avec la Nièvre est Georges Matz. En application de ces consignes, le colonel Roche met en alerte les maquis du Nord du département et du Morvan ; ils passent aussitôt à l‘action. Quelques jours après le débarquement de Provence, le colonel Roche reçoit des ordres similaires du général de Lattre, afin de protéger le flanc gauche de l’armée qui remonte la vallée du Rhône et la Saône. Les maquis de Soultrait (Decize et Dornes), Gribet (Saint-Pierre-le-Moûtier), Peyrichout (Fours), Louis (Luzy), Socrate et Serge sont prêts à intervenir contre les troupes d’occupation 1. Les raids contre les petits groupes d’Allemands ont en réalité commencé depuis plusieurs mois ; les maquis ont besoin d’armes, de voitures, et les jeunes F.F.I. sont impatients d’en découdre avec une Wehrmacht qu’ils pressentent affaiblie, démoralisée. En réaction, l'ennemi traque avec détermination des maquisards, qu'il peut rarement atteindre. Il s'en prend alors à la population civile : des fermes sont brûlées, des témoins arrêtés et torturés, des otages fusillés.

Les replis du maquis Socrate à Champvert et l'affaire de Fond-Judas (30 avril 1944) Le maquis Socrate a été fondé par l'officier Georges Leyton en 1943 près de Saint-Benin-des-Bois. Traqué à plusieurs reprises par les Allemands, il s'est déplacé pendant les premiers mois de l'année 1944. Fin avril, "Socrate" et trente hommes s'installent près de la ferme de Fond-Judas (commune de Champvert). Cette ferme, où habite la famille Couture, se trouve à proximité du grand terril et le long de la voie ferrée de la mine qui relie le triage du Pré-Charpin au port de La Copine et à la gare de Decize. Le choix de cette ferme est dicté par plusieurs raisons : deux fils de Paul Couture sont déjà engagés dans le groupe de "Socrate" et ils ravitaillent les maquisards ; la ferme est assez isolée ; le maquis attend un parachutage, qui n'aura pas lieu (une équipe de résistants animée par Roger Tardy reçoit des parachutages dans les alentours). Mais l'un des maquisards, André Desvignes, est arrêté par les gendarmes français à Alluy ; ceux-ci le livrent aux Allemands qui le torturent ; des accusations de dénonciation ont été portées par la suite contre le jeune Albert Ollivier qui avait rejoint le maquis Socrate en mars et qui l'a déserté en mai 2 ; d‘autres soupçons portent sur la présence à La Machine pendant les jours précédents de l‘ex-inspecteur de police Cousin 3. M. Couture, fermier de Fond-Judas, est fusillé, sa ferme est détruite aux explosifs. André Desvignes est également tué. Après la destruction de la ferme de Fond-Judas, la rafle allemande se poursuit. Roger Tardy (secrétaire de mairie de La Machine), Marcel Deschaumes, Paulet sont déportés, les deux premiers sont morts en déportation. Deux résistants, Martin et Besse, échappent à la rafle ; André Rozier les cache. Le jeune Raymond Couture donne l'alerte au camp des maquisards, situé un kilomètre plus loin, dans les bois. "Socrate" et la plupart de ses hommes s'enfuient dans le Morvan, à bord de deux camions Un peu plus tard, un autre résistant est arrêté à La Copine (commune de Champvert). Marin Perrin tente d'échapper à ses gardes, il est abattu d'une rafale de mitraillette.

Le 2 mai, les maquisards de "Socrate" sont dans les bois du Mont-Chenu, près de Moulins-Engilbert ; puis dans la forêt de Montarnu près d'Arleuf et à Bussy (commune d'Anost). Bien protégé sur les contreforts du Haut-Folin, le maquis reçoit des renforts et se livre à une guérilla contre les Allemands. Mais ce maquis a payé un lourd tribut : 16 morts, dont Auguste Couture (tué au début du mois de mai) et " Socrate" (Georges Leyton), tué dans un accrochage près d'Autun, le 10 août 1944 4.

La bataille des Essarts (8 juillet) 5 Le maquis F.T.P. Camille-Baynac est organisé par Jean Thély ("Bertrand" ou "Le père Jean"), ses fils et ses camarades recrutés à Imphy et dans les environs. Il porte le nom de Camille Baynac, l'un des premiers martyrs nivernais de la Résistance : secrétaire national des Jeunesses Communistes, Camille Baynac a été arrêté à Paris en juin 1942 et fusillé au Mont-Valérien le 11 août 1942. Les premières actions du maquis Camille-Baynac sont la destruction de pylônes électriques à Imphy le 8 octobre 1943 et le sabotage de la voie ferrée le 8 novembre (mais le train ne déraille pas). Le petit groupe de F.T.P. s'installe près du hameau des Essarts, dans la forêt de Mont-Martin, puis dans le Bois de Riat. A la fin du mois de juin 1944, "Bertrand" commande plus de soixante hommes ; ses lieutenants sont J.-B. Berthier, Henri Proutat, Pierre Girard ("Tony"), Teinturier, Belleville et Vandamme ("Le Poète"). Le maquis est ravitaillé par plusieurs fermiers qui résident autour des Essarts : MM. Jean-Marie Mordon, Voilot, Ducreux, Barillot, et par le boulanger Champeau. Mais il est aussi victime de délateurs : Mme Thély mère, Mme Lemaître, Mlle Yvonne Thomas sont arrêtées. En réponse, le 2 juillet, un commando dirigé par Jean Thély risque un double coup d'éclat. Il plastique la station électrique de l'usine d'Imphy et le château d'eau ; il enlève Alfred Languenold, le directeur allemand du trust Hermann-Goering qui contrôle l'aciérie. Les Allemands proposent une récompense de 500000 francs à qui leur donnera des informations sur le maquis et leur permettra de délivrer Languenold. Le 7 juillet, les trois femmes sont libérées. Un groupe de F.T.P., qui traverse la route près de la ferme de Mont (commune de Béard) est surpris par une colonne de camions allemand ; au cours de la fusillade, plusieurs Allemands sont tués. Mais l'étau se resserre. Le lendemain, une gigantesque opération d'encerclement du maquis se prépare. Dès le petit matin, des colonnes occupent toutes les routes dans un périmètre d'une dizaine de kilomètres autour des Essarts. Les 70 hommes du maquis Camille-Baynac ne disposent que de deux F.M., de quelques mitraillettes Sten et Thomson, de quelques fusils et grenades. Face à eux, il y a plusieurs centaines d'ennemis et un char d'assaut 6. La bataille dure toute la journée. Jean Thély décide de décrocher en fin de journée et de gagner la rive de la Loire. Le groupe du lieutenant Belleville, bloqué par les Allemands, rebrousse soudain chemin et se fait encercler. Les jeunes André Thély (fils du "Père Jean"), André Coutelot, Jean Dot, Masson, Chevenot et Robert sont tués. Les F.T.P. perdent encore deux hommes : Charles Simonnet, resté à son premier poste de combat, et Joseph Coutinho, tué lors d'un autre engagement sur la voie ferrée, au kilomètre 26,5 en contrebas du village de Béard. Les Allemands ont perdu un grand nombre de soldats dans cette journée.

Le maquis Camille-Baynac commence alors une errance entre les forêts nivernaises. Il se réfugie quelque temps près de Neuville-lès-Decize, au sud de la Loire. Le 18 août, il tend une embuscade à un convoi allemand. Douze ennemis sont tués, quinze sont prisonniers ; mais le F.T.P. René Raimbault est tué. Le maquis repasse la Loire pour chercher refuge près de Saint-Benin d'Azy, puis aux Ourgneaux et dans la forêt de Vincence. C'est là que Jean Thély met 300 hommes à la disposition du colonel de Champeaux pour les ultimes combats de la Libération.

Les deux embuscades de Verneuil et leurs conséquences 7. A proximité du château de Faye, le matin du 21 août, un véhicule allemand est attaqué par des maquisards, le conducteur d'un camion est tué. Immédiatement après, un convoi ennemi s'immobilise près du véhicule attaqué. Les soldats investissent la maison la plus proche, appartenant à M. et Mme Lamartine, ils la pillent et l'incendient. Jean-Marie Lamartine est fusillé, Claude Roy, son neveu, est emmené et tué un peu plus loin. Une seconde maison au bord de la route est incendiée. Les Allemands mettent une mitrailleuse en position pour empêcher les secours ; seul le curé est autorisé à s'approcher du premier cadavre. Le 5 septembre, deux soldats allemands en quête de bicyclettes et de chevaux, sont attaqués près de la ferme de la Douare, l'un d'entre eux est mortellement blessé. Le soldat indemne donne l'alerte et un fort détachement survient. En représailles, le ménage Cousson est arrêté, les cultivateurs Jean Cousson et François Bouquet, le sabotier Joseph Bonnet et le charron François Monin sont exécutés ; deux fermes et plusieurs maisons sont incendiées, le bourg de Verneuil est bombardé au canon, mais les dégâts sont limités. La conclusion du curé, témoin de ces deux drames, est la suivante : la commune de Verneuil a payé très cher deux actions irréfléchies de la Résistance.

Le massacre de Druy-Parigny 8. Le premier septembre 1944, à 18 heures, un accrochage se produit entre des maquisards et une colonne allemande circulant sur la route Nevers-Decize. Une section du maquis Julien, venue à bord de deux camions, et renforcée par un commando de S.A.S. anglais, s'est mise en position d'attaque à Marnay, à l'entrée sud de Druy. Quand les premiers véhicules ennemis apparaissent, les S.A.S. les mitraillent ; puis, comprenant que les Allemands sont trop nombreux, ils retournent au bourg de Druy et se dispersent. Mais "ils ont commis l'erreur de ne pas prévenir les habitants de Dardault qu'une attaque se préparait", selon l'abbé Baillais, curé de Druy-Parigny. De terribles représailles s'exercent alors contre les habitants du hameau de Dardault. Les Allemands exécutent Mmes Gabrielle Perrault (88 ans) et Marie-Louise Carré (59 ans). "Claude Perron (45 ans) et son fils Jean (16 ans), surpris en train de dîner, [sont] abattus à l'intérieur de leur maison par un jeune Allemand qui exécutera ensuite Jean Carré (79 ans) et René Revenu (18 ans) dans la cour d'une des fermes." Les maisons sont ensuite incendiées. "Mme Perron eut juste le temps de sortir les corps de son mari et de son fils de la maison en flammes." Une partie du convoi allemand reprend la route, les autres soldats passent la nuit à Sougy. Le soir du premier septembre, la plupart des habitants de Druy se cachent, s'enfuient. Le lendemain matin, les Allemands pillent le café de Mme Maillault et gardent à vue huit femmes. Vers 7 heures du matin, le comte Hubert de Maigret, son fils aîné et deux hommes vont porter secours aux habitants de Dardault ; ils sont rejoints par l‘abbé Baillais. Ils sont accueillis par une rafale de mitraillette. Le comte de Maigret est blessé grièvement puis achevé sous les yeux de son fils, lui-même tenu en joue pendant de longues minutes. Cette seconde réaction de représailles est, semble-t-il, provoquée par l'affolement des Allemands. En effet, au même moment, sur la route, une voiture allemande qui protégeait le convoi se trouve isolée, face à face avec une jeep de S.A.S. ; les Anglais tuent les quatre occupants de l'automitrailleuse : le feldwebel Heinz Klee et les grenadiers Hugo Ludwig, Martin Lätsch et Kurt Schmidt.

Les Allemands se vengent dans le bourg de Druy. Ils fusillent trois bûcherons espagnols et deux portugais (Francisco Bellon, 43 ans, Pedro Ruys, 33 ans, José Usach, 40 ans, Antonio de Abreu, 47 ans et Alberto de Abreu, 52 ans). Enfin, devant dix otages qui ne savent s'ils seront eux aussi assassinés, ils lancent des grenades incendiaires dans le château de Druy et plusieurs maisons du bourg. En deux jours, 33 maisons de la commune ont été détruites ou brûlées. Plus tard, la commune de Druy-Parigny recevra la Croix de Guerre et des subventions de l'Etat permettront de réparer les maisons dévastées.

Pierre Aubert témoigne 56 ans plus tard 9. "Je suis l'un des rescapés. J'avais six ans à l'époque. J'ai été blessé par les Allemands. Enfant de l'Assistance, Pierre était dans une pièce de la maison de sa mère nourricière, Mme Ramonot, quand les Allemands jetèrent une grenade. L'engin n'explosa pas. Mme Ramonot s'évanouit. Elle a été laissée pour morte. Mais Pierre est là près de la table. Un soldat le voit en ouvrant la porte, il ressort, prend son fusil et tire. Le premier coup de feu manque son objectif et fait un grand trou dans le mur. Sans doute une balle explosive. Mais le second atteint Pierre à l'épaule, comme il se réfugiait dans la cheminée. L'enfant est soigné par un médecin allemand, qui conseille aux deux occupants de fuir dans les bois. La maison fut cependant la seule du hameau de Dardault à ne pas brûler."