De Bussy Rabutin Roger

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Autoportrait

Crédit photo[1]

« Roger de Rabutin, comte de Bussy, mestre de camp de la cavalerie légère, avoit les yeux grands et doux, la bouche bien faite, le nez grand, tirant sur l’aquilin, le front avancé, le visage ouvert et la physionomie heureuse, les cheveux blonds déliés et clairs. Il avoit dans l’esprit de la délicatesse et de la force, de la gaîté et de l’enjoûment ; il parloit bien, il écrivoit juste et agréablement, il étoit né doux ; mais les envieux que lui avoit fait son mérite l’avoient aigri, en sorte qu’il se réjouissoit volontiers du malheur de ceux qu’il n’aimoit pas. Il étoit bon ami et régulier ; il étoit brave sans ostentation ; il aimoit les plaisirs plus que la fortune, mais il aimoit la gloire plus que les plaisirs ; il étoit galant avec toutes les dames et fort civil, et la familiarité qu’il avoit avec ses meilleurs amis ne lui faisoit jamais manqué au respect qu’il leur devoit. Cette manière d’agir faisoit juger qu’il avoit de l’amour pour elles, et il est certain qu’il en entroit toujours un peu dans toutes les grandes amitiés qu’il avoit. Il avoit bien servi à la guerre, et fort longtemps ; mais comme de son siècle, ce n’étoit pas assez pour parvenir aux grands honneurs que d’avoir de la naissance, de l’esprit, du service et du courage, avec toutes ses qualités, il étoit demeuré à moitié chemin de sa fortune, parce qu’il n’avoit pas la bassesse de flater les gens en qui le Mazarin, souverain dispensateur des grâces, avoit croyance, ou qu’il n’avoit pas été en état de les lui arracher en lui faisant peur, comme avoient fait la plupart des maréchaux de son temps ».[2]

Bussy et le Nivernais

Si les Rabutin tiennent leur nom d’un fief situé en Charolais, ils sont présent dans le Nivernais dès le XIVe siècle avec Hugues de Rabutin, Seigneur d’Epiry, baron d’Huban et Brinon-Les-Allemands, qui fait hommage pour Brinon – 1462 - pour Huban – 1466 - et fait accord avec les habitants d’Huban.[3] On retrouve des Rabutin dans de nombreuses autres contrées du Nivernais ( Taconnay, Montapas, Dun-les-Places, Saint-Brisson…), mais comme si celà ne suffisait pas à établir les racines Nivernaises de Bussy-Rabutin, ce dernier appartient également à la lignée du comte de Nevers Pierre de Courtenay.

Bussy-Rabutin voit le jour un vendredi 13 avril 1618, un mauvais jour ! Sans doute est-ce pour conjurer le sort qu’il écrit dans ses mémoires « Je nacquis le Vendredi Saint 3 avril 1622 à Epiry qui était une terre fort ancienne dans ma maison et qui en est sortie depuis »[4]. Il est le troisième fils de Léonor de Rabutin, Seigneur de Bussy, et de Diane de Cugnac, mais le décès des aînés fera de lui le chef de la branche des Bussy-Rabutin. Sa jeunesse se passe, semble-t-il, au manoir d’Epiry dont on ne trouve plus trace aujourd’hui, puis au collège des jésuites d’Autun. Mais Léonor de Rabutin qui sait se montrer aussi brave que cassant et procédurier, doit partir à Paris pour suivre ses affaires et le jeune Roger, qui est un élève fort brillant, est inscrit au collège de Clermont – 1629 -

Quelques années plus tard, Léonor ayant obtenu la charge de Lieutenant du Roy en Nivernais, la famille ou ce qu’il en reste, car Bussy est aux armées, regagne la province. Le jeune Bussy vit alors une dizaine d’années de campagnes avec pour intermède un essai de réinsersion au collège de Clermont – 1637 – auquel il ne pourra pas se réadapter, et son mariage avec Gabrielle de Toulongeon – 1643 - . Sans doute fait-il alors de brefs séjours en Nivernais, mais ce n’est qu’à partir de 1645 où il succède à son père dans sa charge qu’il occupera jusqu’en 1653, qu’il y fait de fréquents séjours.

Le 18 février 1646, il fait son entrée officielle à Nevers ; réceptions avec toute la noblesse nivernaise, harangue des Echevins à la porte de la ville, cérémonie à la cathédrale St Cyr avec Te Deum, audition des discours de chacun des corps de métiers… Tout cela lui pèse, car Bussy est un homme d’action plus que de représentation. Le lendemain, il quitte Nevers et visite la province : Saint-Pierre-Le-Moûtier, Decize, Château-Chinon...

Son étoile semble au zénith. De retour à Paris, il apprend qu’il est fait conseiller d’État, ce qui laisse présager d’une carrière intéressante. Un peu plus tard, le Gouvernement de Nivernais étant vacant, il sollicite la place, mais essuie un refus. Alors, au lieu de garder son ressentiment pour lui et de faire bonne figure en bon courtisan, il rechigne un peu trop haut pour que Mazzarin entende et s’en souvienne. Bussy est perdu.

Bussy militaire

Bussy est brave, nous l’avons dit. Quand son père le retire du Collège de Clermont pour l’emmener aux armées en Lorraine, il n’a que seize ans et prouve que la valeur n’attend pas le nombre des années. En 1638, alors qu’il fait la guerre depuis quatre ans sous les ordres de Condé, Richelieu le nomme mestre de camp d’infanterie à la place de son père, démissionnaire. C’est une belle promotion, mais qui coûte cher. Bussy pour lequel l’entretien d’un régiment est déjà une charge trop lourde et a fait un séjour de cinq mois à la Bastille parce que ses soldats qui n’avaient pas touché leur solde, s’étaient mutinés, plonge de plus en plus dans les dettes.

Turenne, sous les ordres duquel il servira à partir du moment où il sera mestre de camp général de la cavalerie légère de France, ne l’aime pas. Les deux soldats éprouvent l’un pour l’autre une antipathie réciproque : aux tracasseries toujours renouvelées de la part du supérieur, le subordonné répond par des provocations ou des résistances que rien ne peut freiner. L’argent semble être, sinon la base, du moins l’une des raisons de cette animosité. En 1658, Turenne assiège Dunkerque et Bussy reçoit l’ordre de le rejoindre sans retard afin de livrer contre les Espagnols une bataille décisive qui sera la victoire de Dunes. Mais Bussy qui est absolument démuni d’argent, est dans l’impossibilité de s‘équiper et de partir. De là date la profonde déception de Bussy vis à vis de sa cousine auprès de laquelle il pensait obtenir le prêt escompté. Turenne quant à lui, interprète le retard de Bussy comme un manque d’empressement à se battre, et cet épisode est sans doute pour quelque chose dans l’appréciation remise à Louis XIV, disant que Bussy était « le meilleur officier de son armée pour les chansons ».

Pourtant, Bussy fait partie de ces nobles qui, présents sur tous les champs de bataille, se seront ruinés au service du Roi, empruntant plus qu’ils ne pouvaient rembourser pour équiper leur régiment, et attendant fort longtemps souvent les pensions accordées. Mazzarin est de ceux qui paient de promesses et de flatteries, et c’est pourquoi Bussy, toujours aux abois, s’adresse au Surintendant par l’entremise de son frère, l’abbé Bazile Fouquet, ami des Rabuttin. Mais la police du Cardinal veille : Mazzarin instruit des entrevues et des négociations, inscrit immédiatement Bussy sur la liste des suspects pouvant passer pour complices du Surintendant dont la perte est déjà décidée.

Bussy et le rabutinage

Bussy est le digne descendant de cet ancêtre, inventeur malgré lui du rabutinage, Amé de Rabutin, tué au combat du pont de Beauvais en 1400, célèbre pour son allégresse et sa bravoure. Ses railleries faites en plein combat déchaînaient les rires jusque chez l’adversaire. Pour un Rabutin, dit Jean Orieux[5] , rabutiner, « c’est avoir de l’esprit comme d’autres ont des bosses », de l’esprit, Bussy n’en manque pas et il n’a pas son pareil pour compter les évènements de la vie mondaine, au plus grand plaisir de la galerie. Mais, le succès aidant, il est difficile de s’arrêter en chemin, d’autant que les histoires d’alcôves fournissent des sujets de conversation inépuisables et captivants. Voilà l’origine de l’Histoire Amoureuse des Gaules : Bussy rabutine, faisant rire les présents au dépens des absents ; un jour, on le prie d’écrire ce qu’il raconte avec tant de verve et le cahier circule, plus ou moins à son insu, entre les mains de personnes peu discrètes qui le recopient sans qu’il s’en doute ; l’ouvrage est publié … et on imagine la suite.

- L’amitié de Madame de Sévigné a d’autres limites ; cette belle n’est amie que jusqu’à la bourse.
- Madame d’Olonne avoit la taille grossière et, sans son visage, on ne lui auroit pas pardonné son air ; elle ne vouloit pas qu’un jeune homme bien fait lui échappât.
- Madame de Chatillon étoit infidèle, intéressée et sans amitié… Pour de l’argent et des honneurs, elle se seroit déshonorée et auroit sacrifié père et mère.
- Le Duc de Nemours la mit dans le malheureux état que l’on peut appeler l’écueil des veuves. (Mme de Chatillon)
- Madame de Longueville qui étoit malpropre et qui sentoit mauvais, ne pouvoit cacher ses mauvaises qualités à un homme qui aimoit ailleurs éperdument.

Voilà quelques exemples de rabutinage. Le style, d’ailleurs est parfait, ce qui, avec l’aval du Roi, lui vaut de figurer parmi les quarante Immortels. Mais mettons-nous à la place de ces dames qui se trouvent ainsi égratignées, de leurs époux… peut-être de leurs amants réels ou supposés dont les noms sont cités. Ils ne sont guère contents et ruminent leur vengeance. Dans un premier temps, le Roi sourit ; Bussy triomphe momentanément, jusqu’à ce qu’une lettre de cachet le conduise à la Bastille en avril 1665. Les énemis de Bussy, voyant la chance leurs sourire, augmentent les tirages et complètent les éditions de passages scabreux, voire orduriers, qui dénotent avec le style de Bussy . Enfin un nouvel ouvrage signé Bussy-Rabutin paraît, « La France Galante », qui débute ainsi : « Laissons un peu les intrigues des particuliers pour nous entretenir des plus relevées et des plus éclatantes : Voyons le Roi dans son lit d’amour avec aussi peu de timidité que dans celui de la justice, et n’oublions rien, s’il se peut, de toutes les démarches qu’il a faites »[6].

Il est à peu près certain que la loyauté de Bussy vis à vis de son Roi lui ait empêché d’écrire quoi que ce soit contre lui, mais les faits sont là, ajoutés au rapport de Mazzarin, à celui de Turenne, à la haine de maint courtisan égratigné : Bussy est disgracié et le restera jusqu’en 1689. Le 9 avril 1693, il est foudroyé par l’apoplexie à Autun.

Source

  • Article de Jean Barjot
  • Saisie du texte par Bertrand Lespagnon

Notes et références

Notes


References

  1. monpetitjournaldicietdailleurs.over-blog.com
  2. Bussi-Rabutin. Histoire Amoureuse des Gaules. Crès Paris 1928 – Pages 119 – 120
  3. Nobiliaire du Nivernois par M. Adolphe de Villenaut – Nevers 1900 – Page 387
  4. Mémoires de Bussy-Rabutin, publiées aux éditions J-C Lattès 1987 – Pages 9 – 10
  5. Jean Orieux. Bussy-Rabutin le libertin galant homme. Flammarion 1958 – page 8
  6. Cité dans la préface à l’Histoire Amoureuse des Gaules. Op. Cit. - page XV