Dépots de sureté à Decize au 19e

De Wiki58
Aller à la navigationAller à la recherche

La prison ducale et la prison municipale.

  • Le château de Decize a longtemps servi de prison. Au XVIIIe siècle, il est à l’abandon, et la prison de la ville se déplace, la plupart du temps, dans les dépendances des hôtels de ville successifs. Lors de l’achat d’une maison qui servira d’hôtel de ville de 1777 à 1911, la prison municipale est mentionnée : elle est installée dans l’ancienne écurie (emplacement occupé ensuite par les dépendances de la Poste).

Dans la maison des ci-devant Minimes.

  • L’ancien couvent des Minimes devient Bien National en 1790 ; la commune et le district de Decize en font une sorte de cité administrative, réunissant mairie, bureaux divers, tribunal, prison et logements des fonctionnaires.
  • Pendant la Révolution Française, plusieurs citoyens de Decize, suspectés de sentiments royalistes ou antirévolutionnaires, sont arrêtés le 12 août 1792. Ils sont d’abord internés dans le dépôt, derrière l’hôtel de ville. Le 12 septembre 1792, en réponse à une pétition qu’il a adressée au juge de paix, Jean-Marie Grenot est transféré de l’ancien dépôt dans la maison des Minimes, « sur sa demande d’un lieu plus sain et plus commode », mais les autorités déplorent que « cette maison n’est point disposée de façon à donner aux détenus toutes les aisances qu’on pourrait leur donner » et que le danger d’évasion existe.
  • Les premiers détenus politiques bénéficient d’un certain confort ; ils ont des chambres au rez-de-chaussée du bâtiment où logeaient les moines ; ils peuvent communiquer avec leur famille par un guichet pratiqué dans la porte, ils peuvent se faire livrer des repas, utiliser des lits et meubles que leurs serviteurs leur apportent, se promener dans la cour ou le cloître. Puis, la discipline se durcit. Les nouveaux détenus sont entassés dans les caves. Le même Jean-Marie Grenot se plaint qu’ « on refuse de lui accorder de la lumière et le droit d’aller aux lieux d’aisance(1) ».
  • En 1810 l’ancien couvent est encore en partie transformé en prison ; l’administration de la commune et celle du canton utilisent plusieurs salles ; la justice de paix et la police municipale réclament une véritable maison de détention, à la fois plus sûre et moins sinistre que les caves. Le maire Guillaume Blondat de Levanges installe la nouvelle prison dans une pièce et un cabinet au rez-de-chaussée, deux pièces à l’entresol et un corridor aboutissant à l’escalier.
  • Le coût des travaux est estimé à 1035 francs. Un plan est joint au dossier : la pièce du rez-de-chaussée est réservée aux femmes malades, le cabinet attenant aux hommes malades ; les deux pièces de l’entresol aux autres détenus.
  • En avril 1811, Claude-Marie Raboué prend possession des lieux, mais il continue d’en louer certaines pièces (des appartements sont réservés pour les fonctionnaires de la navigation ou des impôts, les grandes salles où siégeait autrefois le tribunal sont occupées par un limonadier qui crée le ‘’Café Bellevue’’). Les services municipaux et la justice de paix réintègrent alors la mairie - qui était réquisitionnée depuis 1789 par les forces de l’ordre.
  • La prison cantonale des Minimes est encore utilisée lorsque François Tresvaux de Berteux écrit au préfet, le 29 juillet 1852 : « ‘’Je vous assure que les prisonniers sont beaucoup mieux logés que beaucoup de nos habitants. Dès une heure du soir les rayons du soleil pénètrent dans les cellules et ôtent toute humidité’’. »
  • En 1855, le descendant de Claude-Marie Raboué, le chef de bataillon Louis Joseph Adolphe Charles Constance Hanoteau (futur général) loue l’ancien couvent des Minimes à la Société de Notre-Dame des Minimes, constituée par le curé Henry Deplaye, la comtesse du Prat et plusieurs donateurs, afin d’y installer l’école des frères maristes ; cette société acquiert les bâtiments cinq ans plus tard. Il n'est plus question de faire cohabiter des prisonniers et des enfants.

Sous le beffroi.

  • Depuis 1849, la nouvelle tour du beffroi, appelée Tour Guy-Coquille, est flanquée de deux petits locaux qui servent de poste de guet pour la police municipale. Ce sont ces bâtiments qui abriteront la prison pendant les deux décennies suivantes.

Qui sont les prisonniers enfermés à Decize ?

  • Plusieurs registres de la justice de paix et de la police municipale nous renseignent sur l’identité des détenus, sur les délits qui les ont conduits en prison, sur la durée de leur peine. Il y a deux catégories de prisonniers : les délinquants locaux, coupables de tapage nocturne, de rixes, de scandales divers, de vagabondage ou de prostitution (non institutionnalisée) ; les délinquants de passage, arrêtés dans d’autres communes et faisant route vers Nevers pour être jugés, ou parfois être libérés. Voici quelques cas, relevés entre 1842 et 1864 :
  • Isidore Bréchiaud, originaire de Dijon, loge à Decize chez Marie Plantard. Un soir, il rentre ivre, sa logeuse veut lui interdire d’entrer, il l’injurie, puis il se bat au couteau avec un certain Dureuil. Plusieurs témoins viennent accabler Bréchiaud pendant le procès : il serait coutumier des rixes et aurait causé du scandale au bal organisé par le sieur Mouton et chez les limonadiers Lebas et Lamy. Le juge le condamne à 11 francs d’amende et 24 heures de prison, avec injonction de ne pas récidiver (30 septembre 1842).
    Les juges sont sévères envers les citoyens qui, à la suite d’une tournée des cabarets, traversent les rues en braillant et empêchent les braves gens de dormir. Lors des troubles de 1848-1849, ces manifestations sont liées à la contestation de politiciens locaux conservateurs. Mais, la plupart du temps, il ne s’agit que d’abus d’alcool et d’énervement.
  • Le cordonnier Gilbert Bramard est interné pour s’être livré au bruit et au tapage nocturne ; il en est de même pour Guillaume Boizat, Jean Lambert, François Boulé, Thomas Theuillon, Jean Bouillot, Germain Vindiolet… Une ou deux journées derrière les barreaux, un petit séjour propice à la désintoxication et à la réflexion, cela suffit pour calmer les ivrognes… en attendant une récidive.
  • Jean Giraud, verrier de 23 ans demeurant à Saint-Léger, et Claude Gentil, mineur de 20 ans également habitant de Saint-Léger, sont condamnés pour tapage à un enfermement de 24 heures pour le premier et cinq jours pour le second (1er décembre 1862).
  • Les femmes qui sont internées au dépôt cantonal sont coupables de délits plus variés :
  • La fille (mineure) Reine Buisson doit effectuer 48 heures de prison pour avoir frappé la femme Monvoisin (27 novembre 1854) ; Jeanne Augendre, ouvrière à La Machine, et Célestine Grillot épouse Guerriat ont échangé des injures : « grande p…, faiseuse de bâtards, voleuse… » Le juge les condamne conjointement à 24 heures de détention et à la moitié des frais de justice (31 octobre 1854). Victorine Bonneau et Marie Foulet, toutes les deux réputées dans la ville pour leur conduite scandaleuse, sont emprisonnées pour prostitution et vols divers (21août 1858 et 12 janvier 1860). Quelques femmes sont incarcérées pour vagabondage et mendicité.
  • Les prisonniers de passage viennent de Fours, de Dornes, ou de communes du canton. Ils ont été arrêtés pour des motifs bien plus sérieux que le vagabondage ou le tapage nocturne, parfois pour des meurtres et des viols. Les gendarmes qui les escortent font une courte halte à Decize, le temps de les mettre entre les mains de leurs collègues qui les conduiront à Nevers. Avant l’arrivée du chemin de fer à Decize (1865), ces étapes sont obligatoires. Par la suite, les transports sont plus rapides et les gendarmes peuvent se rendre directement de Fours à Nevers dans la demi-journée.
  • Parmi ces passagers, on trouve :
• quelques auteurs de meurtres : Henriette Magnien (infanticide, 12 mai 1858), Antoine Chayet (20 août 1858), Marie Segon (prévenue d’assassinat, 7 mai 1860), Gilbert Coquelet (1861), Marc Bergeron, Claude Bergeron et Jean Thévenot (assassinat, 13 août et 20 septembre 1861), Marthe Lagoutte (venant de Fours, 1862), François Desboeufs (1862) ;
• des auteurs de viols, de détournements de mineurs et de mauvais traitements à des enfants : Joseph Tournon (venant de Dornes, 27 janvier 1857), Louise Beugnot (18 avril 1857), Jean Cochon (10 mai 1858), Pierre Carré et Pierre Chaupinet (1862) ;
• un déserteur : Jean-Pierre Fournel (qui n’a pas rejoint le 14e Régiment d’Artillerie, 10 janvier 1861) ;
• un forçat libéré, Pierre Guilloux (20 octobre 1857), rejoint la ville où il est assigné à résidence ;
• François Marion a été arrêté pour motif politique à Fours (25 février 1858).
  • Le nombre de détenus est très restreint puisque les peines infligées par le juge de paix n’excèdent pas cinq jours et les passagers ne dorment qu’une nuit à la prison de Decize. Des statistiques établies pour les années 1861 et 1862 indiquent le nombre de jours par trimestre et la répartition par sexe :
1er trimestre 1861 2ème trimestre 1861 3ème trimestre 1861 4ème trimestre 1861
Hommes
8
17
14
9
Femmes
2
1
0
2
Nbre de jours
16
?
151/2
14
1er trimestre 1862 2ème trimestre 1862 3ème trimestre 1862 4ème trimestre 1862
Hommes
7
5
5
9
Femmes
4
3
3
5
Nbre de jours
15
16
11
24

La salle de sûreté de la gendarmerie.

  • A la fin du siècle, les emprisonnements de courte durée s’effectuent à la gendarmerie, située dans la montée du château, actuelle rue Paul-Bert. Les deux locaux qui flanquent la tour de l’horloge sont affectés aux employés municipaux qui y entreposent balais, brouettes, pelles, planches et panneaux électoraux. Puis, lors de la construction du nouvel Hôtel de Ville (1909-1911), ces deux réduits sont démolis, la tour est flanquée de deux bassins dans lesquelles des lions crachent l’eau nécessaire à l’hygiène moderne. Les délinquants sont alors détenus dans la gendarmerie, s’il s’agit d’une période d’attente avant un transfert, ou à la prison de Nevers pour les peines les plus longues ; quant aux emprisonnements de 24 ou 48 heures, ils sont remplacés par des journées de travaux d’intérêt collectif, sans doute sur des petits chantiers de terrassement ou de nettoyage, sous contrôle des cantonniers.

    (1) A.D.N. cote 7 L 19.


Pierre Volut, CD-ROM Histoire de Decize, XIXe-245)