Croyance et sorcellerie

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On s'explique difficilement qu'à l'aube du 20ème siècle, alors que l'instruction est répandue à profusion jusque dans les plus petites localités, la croyance aux sorciers soit encore profondément enracinée dans certains pays, notamment dans le Morvan. Les faits ci-après rapportés en fournissent la preuve.

Philibert C...., âgé de 30 ans, propriétaire-cultivateur, demeurant au hameau de Boulois, commune d'Ouroux, se croit ensorcelé par ses voisins, qui lui auraient « jeté un sort ». Pour arriver à rompre le maléfice, il a consulté, paraît-il, un des grands maîtres de la sorcellerie, habitant Château-Chinon. Nul autre ne sait mieux dévoiler l'avenir, rompre les maléfices, en signaler les auteurs, faire retrouver les objets perdus, ou encore revenir le lait des vaches, enlever la vermine des animaux, faire gagner un procès compromis, faire réussir des mariages, etc..., etc... Dans les localités voisines telles que Gacôgne, Dun-les-Places et Chaumard on trouve bien des sorciers, mais aucun n'est à la hauteur du grand pontife qui étend son cercle d'action dans tout l'arrondissement. Il est avéré que lorsqu'une personne ensorcelée «suit un traitement» pour détruire le sort qui lui a été jeté, elle ne doit, pas plus que les gens de sa maison, chercher à converser avec les voisins qu'il faut éviter d'accoster pendant tout le « temps prescrit » par le maître sorcier, sans quoi le maléfice persiste et tout est à recommencer.

C'est ce qu'ignorait probablement Mme Angélique Léger, demeurant audit lieu de Boulois, mais à présent elle est complètement édifiée sur ce point.

Lundi dernier, 7 mai, à neuf heures du matin, Mme Léger se rendait dans un de ses champs, quand elle rencontré le jeune domestique de son voisin l'ensorcelé. Sans s'arrêter, elle lui demanda où il allait : - « Travailler dans le champ de mon maître » répondit l'enfant. Cette conversation, bien anodine cependant, mais suffisante pour détruire l'effet du traitement prescrit, parvint aux oreilles de C... qui s'élança à la poursuite de sa voisine, à laquelle il aurait, parait-il, sans autre explication, administré un vigoureux coup de poing sur l'œil gauche, suivi d'un non moins vigoureux coup de pied dans les jambes, après quoi il prit la fuite.

Revenue de son ahurissement, Mme Léger se rendit péniblement à Montsauche, où le docteur Alombert lui fit un premier pansement. Elle alla ensuite trouver le brigadier de gendarmerie, qui se rendit à Boulois pour procéder à une enquête. La justice sera saisie; si les faits rapportés plus haut sont reconnus exacts, l'agresseur sera puni, mais le grand-maître sorcier, véritable auteur responsable, continuera d'exercer, au vu et au su de tout le monde, sa coupable industrie. Cette profession d'attrape-nigauds, qui ne demande aucune mise de fonds et n'est pas sujette à patente, demanderait cependant à être surveillée dans l'intérêt de la sécurité publique.

  • Le Journal de la Nièvre – 09/05/1900

--Patrick Raynal 17 mai 2014 à 09:44 (CEST)

Sorciers en Auxois et Morvan en 1644

Notes communiquées par M. Colombet : Commission de folklore et linguistique de Dijon 1962.

" Mlle Vignier rappelle que tout le long de la vallée de l'Ouche, sur les plateaux qui bordent cette rivière et jusqu'à Lucery- L'Evêque, Saint Symphorien-les-Autun, Montréal et Santigny, s'est développée durant l'été de 1644 une véritable épidémie de sorcellerie. La misère consécutive aux passages des troupes était très grande, les habitants de ces villages, situés dans des contrées naturellement âpres, se mirent à la disposition de quelques illuminés qui prétendaient identifier les sorciers jugés par l'opinion publique responsables des calamités présentes. Les intentions de ces justiciers, parmi lesquels dominait une forte majorité de femmes, n'étaient pas toujours absolument pures et plus d'une vengeance personnelle dicta les éxécutions sommaires par noyade ou bûcher. La justice royale ne put intervenir à temps pour limiter les ravages : les sorciers, ou soi-disant tels, furent souvent jugés par la Tournelle après leur décès, en même temps que leurs éxécuteurs.
L'affaire la plus sanglante eut lieu à Mâlain : le village, jugé tout entier responsable, fut condamné à payer des dommages-intérêts aux familles des victimes. A Macogne et Meilly, le curé lui-même se laissa entraîner dans la vague de purification : ailleurs l'arrivée des officiers royaux suscita de véritables jacqueries.
En fait, le prétexte des accusations de sorcellerie était souvent fort mince : A Santigny, où la justice de l'abbaye de Moutiers-Saint Jean veillait, un homme fut accusé d'être "vaudois" et sorcier, mais la procédure révéla que l'on ne pouvait lui reprocher que d'être le fils d'un homme lui-même suspect de sorcellerie vingt ans plus tôt, et qui avait alors été acquitté après avoir avoué, poussé par la fatigue, que le diable "homme affreux et noir" le contraignait chaque année à arracher un chou de son propre jardin ! Mais la mère de ce "vaudois" avait bel et bien péri en 1596 dans les flammes d'un bûcher élévé sur la place publique du village pour avoir fréquenté le sabbat et fait sa révérence devant le diable en tenant une bougie. Tels furent sans doute les souvenirs qui, un peu partout aux confins de l'Auxois et du Morvan, justifièrent, durant l'été de 1644, de bien pitoyables affaires."

  • Source : Le Morvan coeur de la France - J. Bruley - Tome II
  • Transcripteur : Mabalivet (discussion) 14 avril 2020 à 13:56 (CEST)

1868 - L'herbe empoisonnée

Dans votre article du 17 avril sur les Empoisonneuses d'herbe, vous paraissez convaincu que pareille croyance est loin de notre beau pays de France. C'est une erreur car la plupart de nos paysans sont aussi superstitieux que les Roumains (allusion au courrier du 17/04 émis par une Roumaine). Le fait suivant, entre mille à ma connaissance, suffira pour vous .prouver ce que j'avance. J'ai exploité, dans la commune de Saint Parize le Châtel, la ferme dite de Lange ; j'y avais pour voisin un nommé B***
Pendant trois années de suite, cet homme a perdu au printemps, dans une pâture de nouvelle création, de quinze à vingt pièces de bétail. Comme voisin, et d'accord en cela avec un vétérinaire de Nevers, homme très intelligent et très instruit (M. Ausalony) nous l'engagions dès la première année à changer ses bêtes de pâture, car nous étions convaincus que la mortalité, qui frappait là seulement, sans franchir à droite chez moi et à gauche chez lui, dans des héritages limitrophes, ne pouvait avoir qu'une cause, à savoir une nourriture trop riche puisque tous les animaux mouraient. de la maladie dite : le sang de raie.
La seconde année, nous lui conseillâmes de faucher son pré au lieu de le faire manger en herbe. Sa réponse à tous les conseils possibles fut invariable : « On a empoisonné mon herbe, et le foin le serait aussi bien il n'y a à cela rien à faire que d'aller, je ne sais déjà plus où, trouver le désensorcelleur.
La troisième année fut plus terrible que les deux premières : il perdit jusqu'à vingt-quatre pièces. J'ignore s'il a persisté la quatrième année, ayant quitté le pays. Mais ce dont je suis certain, c'est que si la mortalité a cessé, ce qui est très probable, au lieu d'en attribuer la cause à une chose bien naturelle, la transformation de la sole du pré, il est convaincu, comme tous les paysans ses voisins, d'un seule chose, c'est que l'empoisonneur aura été annihilé dans ses pouvoirs par le désensorcelleur.
De semblables faits, l'homme qui a vécu à la campagne peut les citer par milliers, et par malheur nos paysans, si intelligents sur beaucoup de points, sont complètement en arrière au point de vue superstitieux.

  • Le Petit Journal du 14/07/1868