Breton Gabriel correspondances d'avril 1917 à juin 1917

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Retour au front.

Mardi soir, [24 avril 1917].
Enveloppe : Aux Vendanges de Bourgogne, Hôtel-Restaurant.
L. Rosaz, propriétaire, Chalon-s-Saône.

Ma chère Maman,
Nous venons d'être avertis d'avoir à nous tenir prêts à partir pour le jeudi 26 ; à cette date nous serons donc sur le point d'être enlevés. Je pense que nous partirons vers samedi ou dimanche.
Toutes mes affaires sont prêtes et [je] n'ai besoin de rien pour ce départ.
J'aurai sûrement 7 ou 8 jours au mois de juin et, si vous ne voulez pas venir pour mon départ ici, ce qui est toujours assez ennuyeux, parce que tout le monde est énervé, vous me verrez à cette époque ; mais si vous voulez venir me voir, passez-moi un télégramme, dans ce cas n'arrivez pas plus tard que jeudi, vendredi au maximum.
Dès que je saurai la date exacte de mon départ, je vous enverrai un télégramme ; vous m'enverrez alors mes cent francs de fin de mois en un mandat télégraphique, non que j'ai besoin d'argent mais je pense que partant le 28 ou 30, une lettre chargée de vous ne me parviendrait que vers le 8 ou 10 mai et j'ai besoin d'une petite réserve pour partir.
Envoyez-moi ce mandat télégraphique aux Vendanges de Bourgogne, M. Breton, s/lieutenant. Je mettrai si vous ne venez pas mon vélo et ma valise chez Thévenet qui aura bien une occasion de vous envoyer l'un et l'autre.
Je vous tiendrai demain au courant de ce qui se passe.
Je vous embrasse bien fort.
G. Breton.
Image du télégramme

Télégramme de Chalon, 25 avril, 17 h 45.

Partons vendredi midi inutile venir recevrez photos envoyez ce que demande lettre hier soir baisers Gabriel.

Mercredi, [lettre postée de Chalon le 25 avril 1917].
En-tête : Aux Vendanges de Bourgogne, Hôtel-Restaurant.
L. Rosaz, propriétaire, Chalon-s-Saône.

Ma chère maman,
Nous venons d'apprendre que nous allons partir vendredi à 12 h 21 pour la région de Toul.
J'ai pu enfin avoir mes photos ce soir et je vais vous les envoyer demain ; mon vélo et ma valise resteront chez Thévenet qui tâchera bien de trouver une occasion pour vous les faire parvenir.
Je suis un peu ahuri au milieu de tous ces préparatifs de départ, enfin j'ai bien tout ce qu'il me faut et c'est l'essentiel. Je vous ai écrit hier et avant-hier et envoyé un télégramme ce soir ; je pense avoir de vos nouvelles demain et le mandat télégraphique que j'ai demandé ; s'il n'était pas parti vendredi matin, inutile de me l'envoyer car je ne l'aurais pas.
Je passe naturellement au 134e et je vous enverrai dès mon arrivée mon adresse exacte quand j'aurai des choses curieuses à vous dire, j'écrirai dans l'intérieur des enveloppes et vous y ferez attention.
Mes photos ne sont pour une fois pas trop mauvaises et vous en donnerez à qui vous voudrez, j'en garde trois.
Le bonjour et mon bon souvenir à tous ; quand vous m'écrirez, donnez-moi l'adresse de Germaine à Neufchâteau, si j'avais l'occasion d'y passer j'irais les voir.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
G. Breton.

Carte-lettre. Vendredi [27 avril 1917].
G. Breton, s. lieut., 134e Rég. d'Inf., 9e Btn.

Ma chère Marguerite,
Nous sommes partis à midi de Chalon et nous sommes passés par Chagny et Dijon. Je ne sais pas encore le numéro du secteur postal où nous allons. Je vous l'envoie dès que je le saurai, en tous cas c'est le même que celui du petit Barbier et la même adresse, sauf la compagnie ; j'ai tout ce qu'il me faut et tout va bien. Je vous ai envoyé hier soir les photos et un petit rouleau de photos prises à la chasse, que Guite tirera et dont elle m'enverra quelques exemplaires. Je vous écrirai dès mon arrivée.
Bons gros baisers.
G. Breton.
Ai bien reçu le télégramme et la lettre.

Carte-lettre. Samedi soir, [postée le 29 avril 1917].
G. Breton, s. lieut., 134e Rég. d'Inf., 9e Btn, secteur postal 201.

Bien arrivé. Derrière mon adresse. Je vous fais parvenir et ma valise et mon vélo que vous recevrez cette semaine. Je pense que vous avez maintenant mes photos. Je suis assez bien installé.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
G. Breton.



G. Breton, s.lieut. 134e Inf., 9e Btn
Centre des Spécialistes. Secteur 201.
Lundi, [carte-lettre postée le 1er mai 1917].

J'ai déjà changé. Je suis venu m'instruire pour être mitrailleur et je vous envoie ma nouvelle adresse. Je suis très occupé et vous écrirai une grande lettre dès que j'aurai une minute.
Derrière mon adresse très exactement.
Je vous embrasse bien fort toutes deux.
G. Breton.

Dimanche, [lettre postée le 6 mai 1917].

Ma chère Maman,
Un petit mot ce matin de dimanche ; vos lettres commencent à arriver et je pense que vous recevez régulièrement les miennes. Avez-vous reçu ma lettre au sujet de l'Amérique ? J'ai fait ma demande aussi ici ; il n'y a pas beaucoup, beaucoup de candidats, mais assez quand même, du reste tout se fera en haut lieu et c'est le ministre et les grands chefs qui décideront. Si mon oncle veut, c'est certain, parce que je ne suis pas sans titre et qu'il ne me faut pas grand chose pour être pris ; je trouve que ça serait aussi intelligent que Verdun ou la Somme parce que ce n'est pas de frais et qu'il y aura bien d'autres terribles batailles. Je deviens bon mitrailleur et commence à savoir faire à peu près marcher ces petites machines. À part cela, tout va bien, je suis assez tranquille et heureux dans ce nouvel emploi.
Je vous embrasse bien fort toutes deux.
G. Breton.

Dimanche 13 mai.

Ma chère Maman,
J'ai reçu seulement samedi la lettre où tu me dis partir pour Paris ; alors je vous écris à Decize, les lettres viennent très mal ici, surtout du fait que je suis détaché, elles vont à mon régiment et me reviennent généralement avec 10 heures de retard ; au contraire, ici je les donne à un cycliste qui va en ville et elles bénéficient de 18 ou 24 heures d'avance.
J'ai fait ici une demande pour l'Amérique et nous ne saurons rien de plus. Du reste je suis persuadé que seul le piston fera quelque chose, car c'est certain pour moi.
La guerre a pris à mon avis un tout nouveau caractère depuis ma blessure, c'est extraordinaire comme tout change vite ; enfin je vous raconterai cela en permission ; en tous cas nous verrons les résultats et ça vous ira mieux que tout.
Ma vie est assez monotone ici, je deviens assez bon mitrailleur, très bon artilleur ; par contre j'ai des dispositions pour envoyer et surtout faire envoyer des saletés sur le nez des Boches en quelques coups avec notre petit canon ; je flanque tout ce qu'on veut par terre et cela de 1200 à 1500 m. C'est très intéressant ; enfin j'aime mieux cela que l'exercice de toute la journée. Depuis deux jours, nous avons un très beau temps, mais quand même toutes les cultures sont très en retard, je pense que cela doit être la même chose dans la Nièvre.
Les paysans ont-ils fait preuve de bonne volonté ? Je l'espère, ils doivent certainement assez gagner et piller. Guite fera bien de garder encore quelque temps les Monchaut, nous avons bien un Jarre ! Je sais bien que les prés de Mussy seront toujours les prés de Mussy, mais ça ne fait rien et il vaut mieux attendre un an ou deux. Du reste, si ça ne va pas, je ne pourrai pas les expulser du moulin. Il n'y a que nous qui les fassions, tous ceux qui sont malades ne paient rien, je ne sais pas pourquoi nous serions plus bêtes ou plus scrupuleux que les autres. J'aurai peut-être un mot de vous demain.
Je vous embrasse bien fort toutes deux.
Guite a-t-elle rapporté les précédentes photo-plaques et a-t-elle travaillé ?

Samedi, [lettre postée le 20 mai 1917].

Ma chère maman,
Je quitte le cours et cette dernière semaine a été très chargée. Reçu mes 100 F et ta lettre de Decize. Je rentre ce soir dans mon centre d'où je vous écrirai demain. Je tâcherai de prendre ma permission sous peu. Ne paye pas mes impôts, je refuse absolument.
Mon oncle m'a envoyé un mot mensonger et ridicule, mais je ne veux rien tenter avant ma permission.
Je vous embrasse bien fort.
Gabriel.

Dimanche, [lettre sans date].

Ma chère maman,
Je suis donc rentré dans ma compagnie pour quelque temps sûrement, mais je ne vaux pas tarder à partir en permission. Je pense être à Decize pour la fin de la semaine ou le début de l'autre. Hâtez donc la confection de l'habit demandé et préparez mon petit costume kaki et quelques pantalons blancs, que j'emporterai en revenant. Je loge maintenant avec mon ancien capitaine dans une petite maison près d'un bois plein de muguet et de bêtes volantes et courantes. Le fort où sont les hommes est à côté, mais il n'est pas si bien que celui que je viens de quitter. Le capitaine Barreaux est très gentil, j'ai une chambre à côté de lui et ai presque le confort moderne autant que faire se peut.
Avez-vous ma valise ? Vous n'en avez parlé jamais et avez-vous aussi mon vélo ?
Je laisse mon oncle tranquille, tout ce qu'il dit est mensonger et je le verrai à Paris quand je passerai et tâcherai alors de me débrouiller ; par lettres on ne s'entend pas beaucoup ou l'on se dit des sottises.
Je vous envoie quelques photos prises du fort, que vous garderez pour souvenir. Vous ne me racontez pas ce que vous avez entendu dire à Paris sur la grande offensive et du reste vous avez dû avoir des tuyaux ? Que pense-t-on de cela et en sait-on exactement le prix ?
Donc attendez-moi pour samedi, dimanche ou lundi. Voyez pour l'habit. Ne payez pas nos impôts. J'attends les photos de Guite.
Je vous embrasse bien fort toutes deux. Le bonjour à tout le monde.
G. Breton.
Toul – Porte Moselle

Le mardi, lettre sans date.

Ma chère Maman,
J'ai fait bon voyage samedi et je suis arrivé sans trop de retard à Paris. Je me suis dérangé hier lundi et suis parvenu à ce que mon oncle ne pouvait pas, je suis enfin lieutenant officiellement ; j'avais vu un commandant en passant par Paris et c'est fait, ma nomination est parue du 6. Sans cela je ne le serais qu'à la revue de janvier... ou février.
C'est bien dommage que je n'aie rien eu plus tôt, enfin mieux vaut tard que jamais.
Je vais acheter un képi et faire mettre des galons et vais rendre visite à mon cher oncle ce soir même pour bien lui montrer que je n'ai nul besoin d'eux. J'aurais bien voulu être avec vous pour coudre ces galons, enfin ça sera pour la prochaine fois.
Mon capitaine Barreaux est là et nous allons nous payer un petit dîner et probablement aller à l'Opéra ou à l'Opéra Comique. Il fait assez mauvais à Paris, pluie et boue. Les Parisiens sont fous pour l'emprunt, les aéros volent et jettent des petits papiers pour l'emprunt ; il y a aussi le Zeppelin ; des tanks et des canons et des machines de tranchées, enfin si ça peut procurer de l'argent, c'est fort bien... Cela ne nous nuit en rien.
Je repartirai jeudi soir ou vendredi matin pour T... [Toul] où je serai ainsi à la fin de la semaine.
Je pense que les Boches vont avoir encore de sérieux démêlés avec les Russes ; la paix est loin d'être faite mais méfiez vous encore une fois pour votre Russe, c'est à peine si cette fois on va palper des coupons ! Je m'en doutais, enfin ça ne peut bien être que transitoire, mais ces gens-là sont bons à toutes les saletés.
Je vous embrasse.
G. Breton.

Cette lettre fait référence à plusieurs événements du printemps 1917 : la première révolution russe, d'où l'inquiétude de Gabriel Breton pour les coupons des emprunts russes souscrits par sa famille ; le lancement d'un nouvel emprunt de guerre par le gouvernement français ; la mort du baron de Zeppelin (8 mars 1917).

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Mardi, [lettre postée le 6 juin 1917].

Ma chère Maman,
Me voici donc à peu près revenu de cette permission ; j'ai tant fait de choses qu'elle me paraît déjà loin et j'ai déjà peine à croire que je serais parti et revenu.
J'ai fait tout ce que j'ai pu à Paris pour me débrouiller ; je me suis gagné les bonnes grâces de ma tante, j'ai attendu le retour de mon oncle qui n'est rentré que samedi matin ; j'ai vu pas mal de gens. L'oncle me paraît décidé à faire quelque chose, ou du moins se renseigner sur ce qu'il ignore... Il m'a tout à fait permis.
Je viens d'arrêter ma lettre pour voir un combat contre un avion boche qui vole au-dessus de nous ; les obus éclatent tout autour de lui, mais il monte et descend et on ne peut guère le repérer. Depuis quelques jours il fait très beau et toutes les escadrilles volent ; toute la journée il y a des combats d'avions, c'est très intéressant, mais il ne faut pas rester le nez trop dehors car les éclats retombent sur le nez des trop curieux.
Je vais passer pour quatre jours dans une autre compagnie pour assurer un petit service pendant la permission d'un camarade. Chacun son tour.
Ne vous pressez pas trop pour mes habits ; il fait tellement chaud que je ne suis à mon aise que dans les effets de toile. Pour en revenir à l'Amérique, il faut attendre un peu pour voir la tournure des événements, mais je pense bien finir par me tirer d'affaire de manière ou d'autre ; mais si mon oncle veut s'en donner la peine, c'est sûrement fait. Avez-vous vu les Jarre ? Que pensent-ils de l'affaire ? Je ne veux plus rien leur céder ; tant pis pour eux, j'en ai assez fait comme cela.
Je vous ai parlé dans une lettre de Paris de l'Espagne ; je crois que ces gens-là vont finir en révolution ; alors il faut faire attention à leurs valeurs car ça ne vaudrait tout à fait rien de rien, car personne ne pourrait les aider au point de vue financier(1).
La tata, pour en finir par elle, ne peut voir sa bru ; aussi j'ai eu tous les meilleurs morceaux et tous les bons gâteaux.
Je vous embrasse bien fort, je suis tué de chaleur aujourd'hui.
G. Breton.

Le lundi 18, [lettre postée le 19 juin 1917].

Ma chère Marguerite,
Il me semble que tu deviens assez paresseuse, car je ne vois pas souvent de tes nouvelles ; il me semble que l'espagnol et l'anglais aussi t'absorbent à un tel point que tu ne penses pas à écrire à ton frère ; à moins que le travail du jardin finisse par trop t'absorber ; enfin je pense que cette lettre te fera sortir de ta paresse.
Je suis toujours dans mon fort ; seulement ça ne serait pas mal s'il n'y avait pas plein de mouches et de moustiques très venimeux, de sorte que dans le bois il faut pour ainsi dire livrer tout le temps bataille pour n'être pas comme une baudruche au bout de cinq minutes. Je n'ai jamais vu un pays pareil ; de plus, le soir, quand les mouches sont couchées, ce sont les crapauds, limaces, couleuvres, etc, qui sautent, bavent et rampent partout. Charmant pays. Où sont les bords de la Loire et le sable fin, et les beaux arbres ? Ici, c'est infect. Je pense que nous ne resterons pas longtemps ici, dans quelques jours nous irons sans doute à quelques kilomètres de V..., nous y ferons des travaux sans doute.
Tout le corps que tu connais, où est le père de Germaine, est par là au repos. Dis-moi encore le numéro du régiment de son père si tu le connais, moi je ne me rappelle pour ainsi dire de rien et deviens tout à fait abruti.
L'armée américaine va sans doute arriver vers le mois de juillet ; on en profitera pour faire un peu de tam-tam, pour réchauffer l'ardeur des Parisiens, on pourrait peut-être aussi faire un emprunt à cette occasion, mais je crois que l'on ferait mieux de tout prendre sans rien payer, ça serait plus franc.
Le bon Jarre a-t-il payé ? Je compte sur ta fermeté pour lui faire envoyer tous les papiers multicolores en cas de non-exécution. Le combat doit s'engager avec énergie, assez de sottises comme cela. Mon chien Scaff va-t-il bien et les poulets pourront-ils un jour entrer dans les boîtes de la maman à destination d'un quelconque secteur ?
Je vais écrire à mon oncle pour me rappeler à son bon souvenir et aussi pour la chose que tu sais. Il faudra des gens en quantité, nous allons voir s'il ment toujours.
Je t'embrasse bien fort et compte sur une lettre.
Gabriel.

(1) En Espagne, des troubles sociaux commencent au printemps 1917, conséquence de l'envolée des prix alimentaires et de l'exemple russe. G. Breton semble ici se préoccuper de valeurs financières espagnoles, d'actions que sa famille possède.

Note : Gabriel Breton sera muté au 128e Régiment d’Infanterie Ve Armée en 1918.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL 18 avril 2017