« Anne Charlotte Alixand et le Duc » : différence entre les versions

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(/* Quand on est riche, duc et qu'on rampe à la courChanson contre le Duc de La Vallière, 1758, in Emile Raunié, Chansonnier historique du XVIIIe siècle, Paris, A. Quantin, 1884. Une autre chanson satirique accuse La Vallière de «lécher le derri...)
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Le grand seigneur devient tout naturellement régisseur de théâtre pour Madame de Pompadour, lorsqu'elle fonde son ''Théâtre des Petits Cabinets'' en 1747. La Vallière, Nivernais, la Pompadour, Mesdames de Brancas, de Rochefort et de Marchais montent eux-mêmes sur les planches, pour le roi et quelques spectateurs privilégiés. Selon les témoins de ces représentations, La Vallière, Nivernais et Madame de Pompadour font preuve d'un réel talent ; le meilleur rôle de La Vallière aurait été le personnage de Tartuffe...<br> Lorsqu'il écrit ses billets doux à sa ''charmante enfant'', le Duc est plus proche d'Arnolphe, le barbon de l'''Ecole des femmes''... Mais qui est donc son Agnès ?
Le grand seigneur devient tout naturellement régisseur de théâtre pour Madame de Pompadour, lorsqu'elle fonde son ''Théâtre des Petits Cabinets'' en 1747. La Vallière, Nivernais, la Pompadour, Mesdames de Brancas, de Rochefort et de Marchais montent eux-mêmes sur les planches, pour le roi et quelques spectateurs privilégiés. Selon les témoins de ces représentations, La Vallière, Nivernais et Madame de Pompadour font preuve d'un réel talent ; le meilleur rôle de La Vallière aurait été le personnage de Tartuffe...<br> Lorsqu'il écrit ses billets doux à sa ''charmante enfant'', le Duc est plus proche d'Arnolphe, le barbon de l'''Ecole des femmes''... Mais qui est donc son Agnès ?
==Sources==
*Pierre VOLUT http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/<br>
*Images : Wikipédia, Site de St Pons de Thomières, AD Nevers.
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[[Catégorie:Personnages]]
[[Catégorie:Nivernais]]

Version du 31 mai 2021 à 19:08

Mon très-cher enfant, l'arbitre souveraine de ma vie...

Le petit Leblanc dépose le billet et le colis que son maître lui a confiés sur la table de la sœur tourière. C'est encore pour Mademoiselle du Mousseau. Depuis près de trois mois, il ne se passe pas un jour sans que M. le Duc ne vienne lui rendre visite, ou, quand il est empêché, qu'il lui envoie un ou deux billets, un cadeau, des tartes, un lapin, des champignons, des fraises, des glaces... Ses domestiques Leblanc et Collier sont connus de la sœur tourière.

Le couvent du Petit Calvaire est situé tout contre le Palais du Luxembourg, dans la rue Vaugirard, vis-à-vis la rue des Fossoyeurs[not 1]. Pour les pensionnaires, comme pour les religieuses, la discipline n'est guère sévère ; d'ailleurs, le couvent est ouvert sur le quartier très animé qui l'entoure. Par les fenêtres, d'un côté on voit le grand jardin du Luxembourg où déambulent du matin au soir les promeneurs ; de l'autre, on distingue le chantier de la nouvelle église Saint-Sulpice.

Les demoiselles, toutes de bonnes familles, reçoivent une éducation complète : lecture, écriture, maintien, musique, chant et prières. Elles ont le droit de recevoir dans leurs chambres leurs professeurs, les membres de leurs familles, et parfois leurs correspondants parisiens. Elles ont des servantes particulières, dont les gages et la nourriture sont aux frais des familles. Mademoiselle du Mousseau parcourt rapidement le billet que lui a remis Pierrette, sa femme de chambre :

« Autrefois, les Romains inscrivoient sur leur calendrier les jours qu'ils regardoient comme malheureux et expliquoient les divers événemens qui les leur faisoient regarder comme tels. Pour moy, j'inscrirai le mercredi sur le mien, jour que je regarderay toujours comme funeste, puisque c'est un jour où je dois être privé du bonheur de voir mon très cher enfant. Les autres jours où je dois éprouver le même malheur seront notés de même, mais on y verra toujours la même raison, parce que c'est la seule qui puisse me causer un vray chagrin. Ouy, cher enfant, je me crois assez ferme pour supporter patiemment toutes les contrariétés que les hommes regardent comme des malheurs, mais je vous avoue que je ne le suis pas assez pour supporter votre absence, accoutumé au plaisir de vous voir. Je ne connois plus d'autre bonheur, quelque froidement que vous receviez les assurances de ma tendresse ; je ne connois plus d'autre plaisir que celuy de vous dire que je vous aime, et celuy de chercher à vous en donner des preuves. L'expérience vous fera connoître qu'on n'aime pas aussi parfaitement que je vous aime, et que je ne seray content que lorsque je vous en verray bien convaincue, et que vous rendrez justice à la tendresse de mes sentimens pour vous. Adieu, mon bel enfant, j'attends demain avec bien de l'impatience. Je seray sûrement à dix heures et demie bien précises chez vous, et je n'y seray jamais assez tôt au gré de mon impatience[not 2]. »

La jeune fille ouvre une cassette, où elle dépose le billet. Le colis qui accompagne le billet renferme un nouveau présent : un éventail décoré de chinoiseries. Vraiment le vieux duc est incorrigible ! Après la harpe, la croix d'or et le perroquet, il ne sait plus quels cadeaux offrir à sa protégée... à son bel enfant...

Quand on est riche, duc et qu'on rampe à la cour[not 3]...

Le duc de La Vallière

Celui qui adresse de si jolis billets et tant de cadeaux à une pensionnaire de dix-huit ans pourrait être son père, et même son grand-père ; mais c'est aussi l'un des plus puissants personnages de la Cour de Louis XV. Louis-César de La Baume Le Blanc, second Duc de La Vallière, Pair de France, Grand Fauconnier de France, Directeur des Chasses Royales, Président du Tribunal de la Varenne du Louvre est en 1777 âgé de 68 ans.

Le Duc de La Vallière est l'héritier et petit-cousin de la célèbre maîtresse de Louis XIV. Mère de quatre bâtards royaux, mais délaissée et humiliée par ses rivales, en décembre 1673 Louise de La Vallière s'est enfermée au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. L'immense fortune qu'elle avait obtenue du Roi-Soleil, au temps où il l'aimait, passe à sa fille Marie-Anne, mariée au prince de Conti, qui lègue ses biens à Charles-François de La Baume Le Blanc, le premier duc de La Vallière.

Louis-César, né le 9 octobre 1708, commence, comme tous les jeunes gens de son rang, une carrière militaire qui le conduit en Bohême, lors de la guerre de Succession d'Autriche. Le 19 février 1732, il épouse Anne-Julie-Françoise de Crussol, fille du Duc d'Uzès, « une femme belle et aimable, galante sans coquetterie, simple avec dignité, douce par humeur et polie par bonté, sans défaut dans l'esprit ni le caractère » selon Madame de Genlis. Le couple a une fille, née en 1740 : Adrienne-Emilie-Félicité, qui épouse Louis Gaucher, duc de Châtillon, en 1756.

Le Duc de La Vallière et sa femme mènent chacun de son côté une vie très libre. Madame de Genlis poursuit son portrait de la jolie duchesse : « Elle serait parfaite si elle avait autant d'éloignement pour le vice qu'elle paraît avoir de penchant pour la vertu[not 4]. » Ce que cette observatrice sévère appelle le vice, c'est l'une des occupations habituelles et indispensables des Grands du XVIIIe siècle, la galanterie, le libertinage. Madame de La Vallière a publiquement plusieurs amants : le duc de Nivernais[not 5], le chanteur Géliote, le comte de Bissy[not 6]...

Le Duc n'est pas en reste ; il collectionne les bonnes aventures, et il alterne les danseuses de l'Opéra avec les dames de la Cour. En décembre 1748 il « s'est mis à entretenir la petite Duvigné, qui a à peine treize ans et qui n'est qu'une enfant[not 7] ». Chamfort raconte une autre passade de cet amateur d'adolescentes : Le duc de La Vallière, voyant à l'Opéra la petite Lacour sans diamants, s'approche d'elle et lui demande comment cela se fait. C'est, lui dit-elle, que les diamants sont la croix de Saint-Louis de notre état. Sur ce mot, il devint amoureux fou d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le subjuguait par les mêmes moyens qui réussirent à madame Dubarry près de Louis XV. Elle lui ôtait son cordon bleu, le mettait à terre, et lui disait :
Mets-toi à genoux là-dessus, vieille ducaille
[not 8]

Sa fortune, son rang, la protection de la Pompadour et celle du roi permettent au Duc les plus grandes fantaisies. Il vend son château de Choisy à Louis XV, il loue à Madame de Pompadour son autre château de Champs (une petite merveille qu'il a héritée de la princesse de Conti et qu'il a fait décorer par les plus grands artistes de son temps). Il vend Champs en 1763 à Gabriel Michel, l'un des directeurs de la Compagnie des Indes, et il fait aménager une nouvelle maison de campagne, le château de Montrouge. La Vallière obtient le gouvernement du Bourbonnais, qu'il revend à un enfant de seize ans, Monsieur de Peyre.
A Paris, le Duc réside dans son bel hôtel de la rue du Bac ; il a profité d'une vaste opération immobilière, l'achat à très bas prix de terrains vagues dépendant de l'abbaye Saint-Germain. L'hôtel est rempli de meubles de style et de livres. Car, avec la chasse et le théâtre, la bibliophilie est devenue l'une des passions de Monsieur le Duc. En 1768, son bibliothécaire, l'abbé Rive, écrit : « Me voilà à la tête de la bibliothèque la plus curieuse de l'Europe[not 9] ». La plus curieuse bibliothèque car elle renferme à la fois des manuscrits érudits, des romans libertins et des chefs-d'œuvre ; mais aussi l'une des plus riches. Le marquis de Paulmy va lui acheter environ 40000 volumes, le libraire Debure dressera en 1784 un inventaire en trois tomes[not 10]

Le Duc écrit des récits dans le goût médiéval : Les Infortunés Amours de Comminge et Les Infortunés Amours de Gabrielle de Vergi et de Raoul de Coucy ; il dirige une importante Bibliothèque du Théâtre François (qui sera complétée plus tard par Paulmy)[not 11]

Le grand seigneur devient tout naturellement régisseur de théâtre pour Madame de Pompadour, lorsqu'elle fonde son Théâtre des Petits Cabinets en 1747. La Vallière, Nivernais, la Pompadour, Mesdames de Brancas, de Rochefort et de Marchais montent eux-mêmes sur les planches, pour le roi et quelques spectateurs privilégiés. Selon les témoins de ces représentations, La Vallière, Nivernais et Madame de Pompadour font preuve d'un réel talent ; le meilleur rôle de La Vallière aurait été le personnage de Tartuffe...
Lorsqu'il écrit ses billets doux à sa charmante enfant, le Duc est plus proche d'Arnolphe, le barbon de l'Ecole des femmes... Mais qui est donc son Agnès ?



Sources


Notes et références

Notes

  1. Le couvent des Religieuses du Calvaire a été installé tout contre le Petit-Luxembourg par Marie de Médicis en 1622. La rue des Fossoyeurs (du cimetière Saint-Sulpice) a été rebaptisée rue Servandoni en 1806.
  2. Billet du Duc de La Vallière adressé à Anne-Charlotte Alixand, dossier Alixand, pièce n° 142, Archives Départementales de la Nièvre, cote 1 E 2.
  3. Chanson contre le Duc de La Vallière, 1758, in Emile Raunié, Chansonnier historique du XVIIIe siècle, Paris, A. Quantin, 1884. Une autre chanson satirique accuse La Vallière de «lécher le derrière» de la Pompadour.
  4. Mémoires du marquis d'Argenson.
  5. Témoignage de Madame du Deffand, en juillet 1742 : «Le Nivernais ne la hait pas et je crois qu'il n'en aime point d'autres
  6. Pierre Jélyotte (ou Géliote), né en 1713 à Oloron-Sainte-Marie, enfant de chœur à Toulouse, il a triomphé à l'Opéra de Paris entre 1733 et 1755. Selon Marmontel, c'était « un homme à bonne fortunes dont toutes les femmes étaient folles.» Jélyotte est mort à Oloron en 1797. Claude de Thiard comte de Bissy est né en 1713 à Paris. Après avoir exercé des fonctions administratives (lieutenant-général du Bas-Languedoc), il s'est consacré aux lettres, il a traduit le poète anglais Young. Elu à l'Académie Française en 1750, le comte de Bissy est mort en 1810 à Pierre-de-Bresse.
  7. Texte cité dans une brochure présentant le château de Champs-sur-Marne. Editions de la Caisse Nationale des Monuments Historiques, 1974.
  8. Chamfort, Caractères et anecdotes, Edition Larousse, Paris, 1928, p. 101. Il convient toutefois de se méfier des propos venimeux de Chamfort qui n'a pas assisté à cette scène.
  9. Dominique Coq, Histoire des bibliothèques françaises, Paris, 1988.
  10. Le fonds Paulmy est devenu la bibliothèque de l'Arsenal. Marc Antoine René Le Voyer de Paulmy d'Argenson est né à Valenciennes en 1722. Après une brillante carrière diplomatique, il est nommé ministre de la guerre en 1757. Membre de l'Académie Française, de l'Académie des Sciences, de l'Académie des Inscriptions, chancelier de la Reine, il a consacré ses loisirs aux recherches érudites. Il est mort en 1787.
  11. Notices sur les OEuvres de Théâtre, publiées par H. Lagrave, Studies on Voltaire and the eighteenth century, Genève, Société Voltaire, vol XLII, 1966.

References