Affaires au 17ème siècle

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1682 - Exécution d'une présumée sorcière

Laurent Chantraine, parmi les décès relevés à Saint-Père, a déniché celui-ci; un bel exemple de meurtre organisé par l'église et la société.

Suzanne-niron-sorciere.jpg

Et voici la transcription:

Le vingtdeuxiesme octobre 1682 au cymetiere de cette paroisse a esté inhumée Suzanne Niron aagée de trente cinq ans ou environ ayant esté trennée dans les eaux, levée et reconnue innocente par la justice ainsy que m’ont declaré Monsieur le bailly et Monsieur le procureur qui ont signé le present acte.

Que signifie:

  • traînée dans les eaux ?
  • levée
  • reconnue innocente ?

Le musée de la sorcellerie à Concressault (18) relate ce type de torture: La présumée sorcière était plongée dans l’eau avec un poids. Si elle flottait, elle était donc coupable et brûlée. Par contre, si elle coulait, elle était déclarée innocente (mais noyée!).

Voici donc un cas-type de procès religieux où l'accusée avait peu de chances de pouvoir faire preuve de son innocence.

Pourtant à l'origine, le jugement de Dieu par le test de l'eau consistait à jeter pieds et poings liés dans la rivière les personnes soupçonnées de relations diaboliques: grâce à Dieu, les chrétiens surnageaient; quant aux sorciers, alourdis du poids de leurs péchés, ils s'enfonçaient irrémédiablement.

On relate certains cas où des «sorciers convaincus » eurent la chance de s'en tirer. La procédure fut donc quelque peu modifiée. Par exemple à Chéu dans l'Yonne: « Si l'humain coulait et se noyait, c'était que Dieu avait jugé bon de rappeler à lui son âme innocente pour la régaler ad aeternam des délices du paradis. On récupérait pieusement le noyé et on lui administrait un enterrement très chrétien, comme il sied à un élu de Dieu. Si quelqu'un, par contre, avait le mauvais goût de remonter à la surface, Dieu, épouvanté, manifestait ainsi qu'il n'en voulait pas en son céleste royaume. Le rescapé était donc démasqué comme un abominable sorcier, qu'à coups de gaffe on ramenait sans ménagements sur la rive et qu'on hissait aussitôt directement sur le bûcher. Les flammes se chargeaient de le sécher et de l'exorciser.»

--Patrick Raynal 2 novembre 2008 à 19:14 (UTC)

1693 - Pierre Balluë, assassin par fanatisme

Le père tue sa fille

  • Le 25 juin 1693, les officiers de justice de Corbigny font une macabre découverte dans une vigne appartenant au tailleur d’habits Pierre Balluë(1) : le cadavre coupé en morceaux d’une jeune fille. La victime est aussitôt identifiée. C’est Françoise Balluë, l’une des filles du tailleur. Les témoignages sont accablants : la jeune fille a été assassinée le 4 du même mois par son père et sa mère Jeanne Leloy, « en haine de la conversion de ladite Françoise Balluë à la religion catholique, apostolique et romaine. »
  • Le procès-verbal rédigé par les autorités locales est transmis au présidial de Saint-Pierre-le-Moûtier et, le 5 novembre 1694, après une assez longue instruction et de complexes recherches, Pierre Balluë est condamné « à faire amende honorable, nud en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la principale porte et entrée de l’église paroissiale de Saint-Seigne de la ville de Corbigny, où il sera conduit par l’exécuteur de la haute justice et là dira que meschamment, en haine de la religion catholique, apostolique et romaine, il a commis le parricide(2) en la personne de Françoise Balluë sa fille, dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roy, à la Justice. Ce fait, aura le poing de la main droite couppé au-devant de ladite église, et ensuite mené en la place publique de la ville de Corbigny pour avoir les jambes, cuisses et reins rompus, vif sur un échaffaut, qui pour cet effet sera dressé en ladite place, et mis ensuite sur une rouë, la face tournée vers le ciel pour y finir ses jours. Ce fait, son cadavre sera jetté dans un feu qui, pour cet effet, sera allumé auprès et ses cendres jettées au vent… »
  • Cette condamnation reste formelle car le condamné n’a pas été appréhendé. Toutefois, la cérémonie a lieu en effigie : un tableau représentant le meurtrier est promené de l’église à la place publique et les châtiments successifs sont administrés à ce tableau par le bourreau. Cette exécution en effigie a coûté la somme de cent livres.
  • Le crime de Pierre Balluë n’est pas un acte de dément. Tous les témoins interrogés par le bailli de Corbigny et le lieutenant criminel décrivent le tailleur comme un homme paisible, efficace et serviable. Pierre Balluë, dit de Sainte-Foy, n’a pas tué sous l’empire de l’ivresse, ni à la suite d’un égarement de sa raison. Il a sacrifié sa fille dans l’exaltation du fanatisme religieux. Au-delà des siècles, alors qu’autour de nous l’intolérance, l’épuration ethnique et la violence raciste s’agitent un peu partout, le crime de Pierre Balluë nous interpelle et nous fournit un aspect peu reluisant du Siècle de Louis XIV.

Que sait-on de Pierre Balluë ?

  • Il est né vers 1647 au lieu-dit Sainte-Foy, d’où son surnom. Sa première épouse, Anne Jougan, qui lui a donné plusieurs filles - dont Françoise - est décédée le 27 avril 1680(3). Le 11 janvier 1682, Pierre Balluë a épousé en secondes noces Jeanne Leloy, fille du menuisier Simon Leloy.
  • Après l’assassinat de sa fille, le signalement de Pierre Balluë est diffusé : un homme de petite taille, aux yeux enfoncés, aux cheveux châtains, longs et mêlés de blanc (il a alors près de 50 ans), de petite corpulence, un peu voûté, le teint coloré ; il parle un peu du nez.
  • Dernière information qui est loin d’être un simple détail : Balluë fait partie des religionnaires de Corbigny, autrement dit : il est protestant.

Les protestants dans le Nivernais

  • Les Guerres de Religion ont ensanglanté le Nivernais, comme la plupart des provinces françaises. Trois villes ont particulièrement souffert pendant cette sinistre période : La Charité-sur-Loire, Cosne et Corbigny. Les différents édits de tolérance, dont le plus connu est l’Édit de Nantes, ont garanti quelques lieux de sûreté à la minorité réformée et, en principe, la liberté de culte, mais les plaies ouvertes au XVIe siècle ne se sont pas vraiment refermées(4).
  • A la fin du XVIIe siècle, deux importantes communautés calvinistes ont réussi à préserver leur foi et à mettre en œuvre leur esprit d’entreprise. A La Charité et à Corbigny, les religionnaires restent unis, solidaires, fidèles à leur culte, malgré les multiples pressions exercées sur eux pour qu’ils se convertissent. Corbigny et les villages voisins comptent une vingtaine de familles huguenotes ; leur réussite sociale est indubitable, ce qui contribue à attiser les haines et les jalousies. Les plus notables de ces religionnaires sont les marchands de bois Mazilier, Stample, Pinette, Bizot, les apothicaires David Ballon et Jacques Collon, les cordonniers Jean Lombard et Pierre Bonamy, le maître-horloger Abraham Cuisin(5) et le ministre Etienne Girard. Des personnages influents leur assurent une relative protection contre les persécutions : Jacques Pinette est notaire, Isaac Etignard avocat, plusieurs nobles comme le sieur de Précy sont protestants.
  • Tout au long de son règne, Louis XIV a été obsédé par la minorité protestante qui s’écartait si malencontreusement de la norme et il s’appliqua à multiplier tracasseries et interdictions à son encontre(6). A partir de 1679, l’influence de Madame de Maintenon et du haut clergé va transformer cette attitude d’hostilité intermittente en une véritable guerre. De 1680 à 1684, les édits restrictifs se multiplient et ils sont répercutés dans le Nivernais par une série d’incidents. Des rixes éclatent à La Charité à propos de processions, d’officiers étrangers, de prétendus blasphèmes. Dans les deux places protestantes, les moines et le clergé séculier rivalisent d’ardeur pour réclamer la fermeture des temples et l’expulsion des ministres. Près de Corbigny, le temple de Beugnon(7) est perçu par les ultra-catholiques comme un défi ; les protestants seraient prêts à investir abbayes et églises comme lors du siècle précédent, selon une rumeur que répandent certains prédicateurs. Enfin, le 18 octobre 1685, l’Édit de Fontainebleau révoque l’Édit de Nantes, met tous les religionnaires hors la loi et jette à bas l’équilibre précaire qu’Henri IV avait mis en place.
  • La pression devient plus forte. Certains protestants s’enfuient en Hollande, à Genève, en Prusse. D’autres se convertissent (par exemple des abjurations sont enregistrées à Decize dans les deux paroisses). Souvent ces abjurations sont des stratagèmes pour échapper à la justice et les nouveaux convertis se réunissent secrètement dans des granges isolées et parviennent à soustraire leurs défunts au clergé catholique. D’où une série de procès intentés contre des cadavres, que l’on exhume et que l’on expose sur des claies, à la façon des criminels les plus odieux : procès contre Suzanne Fontaine le 13 juin 1688, contre Marie et Louise Pinette le 21 septembre 1694, contre Jeanne Droit le 12 mai 1699, contre Jean Joubert le 8 juin 1699, contre Jeanne Colon le 9 janvier 1700, contre Marthe Lemoine le 23 janvier 1701...(8)
  • L’assassinat commis par Pierre Balluë se produit au paroxysme de cette persécution. Le fanatisme religieux a des liens étranges avec le pouvoir: il peut se développer dans une majorité sûre de sa toute-puissance, acharnée à éliminer une minorité haïe ; il fait également des ravages chez les persécutés, luttant pour survivre. Pierre Balluë a voulu appliquer à la lettre le précepte biblique : « Si ton bras fait le mal, coupe-le, si ton œil voit le mal, crève-le… »

Seconde enquête : la fuite de l’assassin

  • Après son forfait, Balluë quitte Corbigny discrètement. C’est à la suite de dénonciations que la justice est alertée ; la confraternité des protestant aura plusieurs fois des failles et le silence sera rompu autant par les proches de Pierre Balluë (son épouse, sans doute prise de remords) que par certains de ses protecteurs.
  • Le 23 juin 1693, un premier jugement est rendu contre le contumax. Le lieutenant criminel charge l’huissier Chaillot d’assigner le meurtrier « à comparoir » sous quinzaine pour répondre de son acte. D’autres assignations sont confiées aux huissiers de Corbigny, les sieurs Guillemain et Chevrier. A plusieurs reprises, du 10 juillet au 3 novembre 1693, le préconiseur Florimond Goubillot, de Saint-Pierre-le-Moûtier, et son collègue corbigeois annoncent au son du tambour que Pierre Balluë doit se rendre au tribunal. Le meurtrier est introuvable.
  • Un an plus tard, l’enquête reprend et quelques indices sont livrés. Jean Chambon, aubergiste du Logis de la Gaule, à La Charité, affirme que peu après le meurtre Pierre Balluë a dîné chez lui à plusieurs reprises. Il résidait alors chez ses coreligionnaires de La Charité Abraham Jallot et son fils Simon. Plusieurs commerçants de la ville viennent dénoncer les complices de l’évasion de Pierre Balluë. Des filières de fuite existaient, d’abord le long de la Loire puis vers les frontières orientales du royaume. Daniel Jallot aurait gardé l’assassin trois ou quatre jours chez lui puis il l’aurait fait installer dans un bateau et lui aurait donné de l’argent.
  • Il est difficile de croire sur paroles les innombrables témoins qui viennent déposer contre Balluë en novembre 1694. A La Charité comme à Corbigny on découvre que le meurtrier, présenté d’abord comme un homme calme, travailleur et sympathique, aurait eu une foule d’ennemis : des gens qui, manifestement, en rajoutent, soit par pur esprit de vengeance, soit pour se dédouaner. La procédure s’enlise sous cette avalanche de témoignages imprécis. Il manque à cet énorme dossier(9) quelques précisions sur le sort de Jeanne Leloy, l’épouse du meurtrier : alors que les premiers documents l’associaient au meurtre, elle est absente de la seconde enquête. Aurait-elle abjuré le protestantisme pour échapper à la justice ?
  • Dernière énigme, qui ne sera sans doute jamais résolue : qu’est-il advenu de Pierre Balluë ? A-t-il refait sa vie dans un pays d’exil ? Où ? Comment ? A-t-il des descendants ?

    (1) Le nom est aussi orthographié Ballu, Balut, Balus. L’orthographe adoptée ici est celle de l’acte d’accusation.
    (2) Logiquement, Pierre Balluë aurait dû être accusé d’infanticide. Mais ce terme s’appliquait au meurtre d’un enfant en bas âge. Le terme parricide semble avoir été adopté pour tout meurtre familial d’un adulte ou d’un adolescent, quel que soit le lien de parenté avec le meurtrier.
    (3) Registre de Ceux de la Religion (c‘est à dire les Protestants), du 29 mai 1668 au 27 décembre 1684, A.D.N., cote IV-E 8 à 11.
    (4) Madeleine Saint-Eloy, Les Religionnaires de Corbigny après la Révocation de l’Édit de Nantes, Mémoires de la Société Académique du Nivernais, tome LVII, 1971, pp. 11-42.
    (5) Abraham Cuisin est témoin de nombreux baptêmes et mariages de sa communauté. Parmi les travaux qu’il a effectués, on peut mentionner l’horloge posée sur le nouveau beffroi de Decize. Le ministre est le pasteur protestant.
    (6) Eric Le Nabour, La Reynie, le policier de Louis XIV, Paris, Perrin, 1991.
    (7) A Chitry-les-Mines.
    (8) A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, dossiers B 80, B 86, B 92, B 93, B 94.
    (9) A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, cotes 2B 85 et 2B 201.

Texte communiqué par Pierre VOLUT http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/



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