Nevers pont de Loire
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PONT DE LOIRE à NEVERS
- Passage de la route nationale n° 7 de Paris à Antibes (sous le 1er Empire, de Paris à Rome).
Ce pont remonte à une haute antiquité, si l'on admet du moins que Nevers est le Noviodunum Haeduorum où César avait établi pour sa campagne de l'an 52 av. J.-C. (Gergovie-Alesia) une tête d'étapes (dépôt de vivres et de chevaux pour entretenir les troupes en campagne) ; César ne parle pas expressément, il est vrai, d'un pont sous cette forteresse, alors qu'il en cite d'autres sur l'Allier, en amont de son confluent avec la Loire ; mais les communications d'un organe d'armée aussi important ne pouvaient être réduits à franchir la Loire à gué. Ce pont devait être en bois, comme ceux de l'Allier. Tous, ainsi que l'oppidum lui-même, ayant été incendiés par les Héduens, partis en dissidence après l'échec de César devant Gergovie, les Romains séparés en deux groupes sans communications (César en Auvergne, Labiénus dans le Sénonais) furent un moment en danger de ne pouvoir se réunir.
Pendant les siècles de paix qui suivirent la conquête romaine, la Gaule étant sillonnée de bonnes routes, Nivernum n'a pu se passer d'un pont permanent. C'est même l'existence de ce pont qui est la raison d'être de la cité nivernaise des temps gallo-romains, reconstruction ou transfert de Noviodunum. Enfin, Pépin, pour ses campagnes d'Aquitaine, n'aurait pas, trois ans de suite, réuni son armée à Nivedunum derrière la Loire s'il n'avait disposé d'un moyen sûr de passer le fleuve.
Au moyen âge, le pont, encore en bois, fut emporté par les eaux en 1309, par les glaces en 1389.
Jusque dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il se composa de trois parties formant une convexité vers l'amont et d'une longueur totale de 580 mètres :
1° Grand pont (lui-même convexe) sur le bras navigable, côté de la ville, reconstruit en pierre de 1407 à 1535, avec onze arches, coupé à chaque extrémité par une porte entre deux tours : porte de Loire, du côté de la ville, faisant partie de l'enceinte de Pierre de Courtenay, avec un pont-levis du côté extérieur, rebâtie en 1433, démolie en 1734 ; citadelle ou fort du côté campagne, construite en 1567 peut-être sur des fondations antérieures, pour recevoir une garnison royale et interdire aux protestants l'usage de ce pont, avec un pont-levis sur chaque face, démolie en 1770. L'arche marinière (la plus près de la ville) se barrait par une chaîne, défendue par une batterie casematée dans la culée(1).
2° Pont Notre-Dame, sur le « rueau de la Gonnière », bras secondaire, au sud du précédent, d'abord en bois, rebâti en pierre de 1536 à 1560, formé de 9 arches, appuyé à deux îles ; au nord l'île aux Bœufs qui, à plusieurs reprises, reçut un baraquement pour les pestiférés ; le cimetière de la paroisse Saint-Sauveur y fut transféré en 1738 ; elle a disparu après les travaux de 1770 ; au sud, un plateau sur lequel était une chapelle (Notre-Dame du Bout-du-Pont ou de la Colombe, puis Sainte-Solange) ; le cimetière cité plus haut y fut transféré en 1770 : c'est le plateau de la Bonne-Dame ; chapelle et cimetière ont disparu à la Révolution.
3° Pont de l'Official sur des bras morts, n'ayant d'eau qu'à la suite de crues et nécessitant alors une sentine (bateau) pour le passage, construit en bois (1483) aux frais de Pierre Régnier, chanoine et official de Saint-Cyr(2) avec le concours de la ville pour six livres, reconstruit en pierre en 1604, emporté en 1628, rétabli par Colbert en 1670(3) ; 11 arches.
A la fin du XVIe siècle, Guy Coquille écrit : « Est ladite ville de Nevers accommodée d'un beau, haut et grand pont qui traverse la rivière de Loire et composé de 20 arches(4) et 20 pilles de pierre de taille, de belle et bien seûre structure et est le plus beau pont, plus large et plus haut qui soit sur la rivière de Loire. La première pille devers la ville est fort large, creuze et voûtée en dedans avec canonnières pour défendre la muraille de la ville et batre à fleur d'eau ceux qui, par bateaux, voudraient s'en approcher ; ledit pont est fourny de deux ponts-leviz ès deux bouts l'un devers la ville, l'autre devers les champs et ès-dits deux bouts sont de bonnes et fortes tours pour les défendre et batre aux advenues ».
En 1644, Coulon répète : « Ce pont est magnifique, basty de pierres de taille et soutenu de 20 arcades d'une riche structure... »
Le grand pont constamment restauré (1748-1760), dépense 400.000 livres) ; les deux autres menaçant ruine, on décida (projet Régemortes(5) de remplacer le pont Notre-Dame par un prolongement en ligne droite (7 arches) du vieux pont, suppression de l'île aux Bœufs, réduction de largeur de la rivière en établissant deux plateaux à l'extrémité sud du futur pont avec les déblais de l'île, enfin remplacement du pont de l'Official par une levée. Les travaux furent exécutés de 1770 à 1776 et coûtèrent 800.000 livres. On les termina en plantant d'arbres et de charmilles les deux plateaux de la Bonne-Dame et de la Blanchisserie pour en faire une promenade publique.
Malgré des réparations onéreuses au vieux pont, 5 arches de celui-ci furent emportées par la crue du 23 novembre 1790. On les remplaça au bout de trois ans seulement par un pont provisoire en bois, de près de 200 mètres, qu'il fallait lester de pierres à chaque crue pour qu'il ne fût pas emporté, et qui coûta de gros frais d'entretien. Il fut supprimé en 1833.
La reconstruction totale du grand pont en pierre (7 arches en ligne droite) fut entamée en 1808, mais la première pierre ne fut posée qu'en 1817 et le travail ne fut terminé qu'en 1832, sous la direction de MM. Mossé et Boucaumont(6) ; sa dépense, non comprise celle du pont provisoire, fut de 1.500.000 fr. à 2 millions, fournis par l'État, le Département et la Ville. Un péage, établi de 1827 à 1843, devait produire, annuellement, d'après les prévisions, 150.000 fr., puis 44.000. On ne réalisa que 26.000 fr.(7). Le pont actuel, formé de la soudure des deux parties, de 1770 et 1817, est en grès rouge de Coulandon, près de Moulins (Allier), pour les parties vues et en pierre de Saint-Eloi et de Nevers pour les parties cachées. Sa longueur est de 350 mètres ; il est composé de 14 arches identiques de 19 m. 50 d'ouverture donnant un débouché de 274 mètres, et d'une arche de halage sur la rive droite ; l'épaisseur des piles est de 4 mètres ; le tablier a 13 m. 64 de largeur. Des escaliers relient le tablier au bas quai de la rive droite ; une rampe, en aval le relie aux sables de la rive gauche. Deux pavillons, servant aux bureaux d'octroi et de péage, s'élevaient à l'entrée du pont, du côté de la ville ; ils ont été supprimés en 1883.
Le pont a résisté aux crues du XIXe siècle, qui ont dépassé celles de 1790, de 0 m. 45 en 1856 et de 0 m. 68 en 1866.
En raison de la qualité des pierres du pont, « un grand nombre de citoyens de la ville et du dehors » avaient pris l'habitude de venir y aiguiser leurs outils ; il fallut un arrêté préfectoral (7 février 1833) pour mettre fin à cette pratique.
Jusqu'à une époque assez récente, le mercredi des Cendres, un cortège de masques se rendait sur le pont pour jeter à l'eau un mannequin représentant Carnaval.
(1) Cette chaîne avait été fabriquée et posée en 1437 afin que nuls bateaux menant du blé « ne passissiont jusques ad ce qu'ilz en eussiont baillé aucune quantité aux habitants de la ville ».
(2) Possédait en 1474 des domaines à Challuy et à Saint-Antoine.
(3) D'où l'inscription retrouvée dans ses fondations :
- Renovatur ut coluber.
- Nomine Niverno plures qui stare per annos
- Non potui, firmus nomine régis ero ;
- Lilia si patris metas posuere profundo.
- Et metas Ligeri lilia nostra dabunt.
- Faxit Deus qui ventis et mari imperat.
- Renovatur ut coluber.
- Traduction libre :
« Il (le pont) se renouvelle comme la couleuvre (allusion au changement de peau annuel des serpents et jeu de mots sur le nom (Coluber-Colbert) et les armes (une couleuvre) du ministre.
Moi (pont) qui sous le nom de Nevers n'ai pas pu durer un assez grand nombre d'années, je serai solide sous le nom du roi ; si le père (Louis XIII) a su endiguer la mer (La Rochelle), le fils (Louis XIV) saura bien endiguer aussi la Loire. Que Dieu le fasse qui commande aux vents et à la mer.
Il est possible que la ponctuation ne soit pas exacte, ce qui modifierait un peu le sens.
(4) Pour les deux premiers ponts seulement : grand pont et pont Notre-Dame.
(5) Constructeur du pont de Moulins ; était ingénieur de la Généralité de Moulins dont dépendait Nevers et le sud de la province.
(6) Boucaumont fut maire de Nevers en 1863.
(7) Les gens en sabots ou nu-pieds étaient exempts de péage. En 1834, le fermier écrit au préfet : « Nombre d'individus se permettent de se déchausser à l'entrée... les uns mettant leurs souliers dans des paniers ou sous leur tablier, les autres, plus effrontés, les portant dans leurs mains et cela souvent sous les yeux de mes employés, en leur faisant la grimace et se moquant d'eux... des personnes non nécessiteuses, au contraire, aisées et quelques-unes on pourrait dire riches, ne rougissent pas d'user d'une si sordide économie ». Il est de tradition que, parmi ces dernières, on comptait Mme de La Rochefoucault, propriétaire du château du Marais et de l'hôtel (la Banque de France).
Victor GUENEAU dans Mémoires de la Société académique du Nivernais – 1926/T28