Thuriault Jean Baptiste

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Jean-Baptiste THURIAULT, anarchiste (convaincu ou influencé ?)

Jean-Baptiste Thuriault, en 1893

Né à Chougny le 24 avril 1853, Jean-Baptiste THURIAULT est le 6ème des 9 enfants de Pierre THURIOT et Reine MERLIN.

Jean-Baptiste s'établit comme taillandier à Nevers au début des années 1880. Il habite alors au 11 rue de la Parcheminerie, et semblait employer alors deux ouvriers.

Il se marie le 11 juillet 1882 avec Marie-Louise Deschamps, une couturière de Nevers, et un contrat de mariage sera passé devant Maître Gérin, notaire à Nevers, dans lequel Jean-Baptiste apporte 2000 F provenant d'outillages et marchandises… Avec son épouse, il aura quatre enfants. L'un d'entre eux, Maurice, est né le 8 septembre 1883.

Il s'installe ensuite au "Cholet", commune de Saint-Eloi, où il connut la prospérité.

En mai 1886, il s'établit à Fourchambault, où il possède avec son frère une maison dans le quartier de la Fonderie; on devrait plutôt dire "où il possède encore" car la maison est, paraît-il, fortement hypothéquée. Jean-Baptiste deviendra même un temps conseiller municipal : élu lors d'une partielle le 9 janvier 1887 avec le meilleur score (637 voix sur 660 votants). Il est dit de lui qu'il a une bonne instruction primaire, alors que deux autres conseillers sont dits "illettrés" (sic).

lettre de démission du 27 mai 1889

Il démissionna, à la suite de mauvaises affaires selon certains, à cause de ses idées selon d'autres… Toutefois, sa lettre de démission du 27 mai 1889 (ci-contre) est motivée par un changement de domicile…


Il devait habiter à cette époque rue de Garchizy, dans une maison qui appartenait auparavant à son épouse (qui lui venait de ses défunts parents ?), et que celle-ci avait apportée en dot; et c'est là que le couple donna naissance à Philippe, le 26 mai 1885; hélas ce petit-là ne vivra que quelques mois. En mars 1889, il revient donc au "Cholet", y travaille pour un marchand de fer de Nevers, et emploie 6 ouvriers; il occupe à ce moment un appartement avec atelier qu'il loue au sieur Beauchet, maréchal-ferrant à Saint-Eloi. Le loyer annuel est de 750 F.

Alors, il "ne se fait pas remarquer, malgré ses idées", passe pour un ouvrier sérieux et intelligent, mais, n'étant pas secondé par sa femme, ses affaires périclitent. C'est en 1891, à Saint-Eloi, que dut naître le troisième enfant, encore un garçon : Henri (en hommage à son oncle ?). Puis enfin, une fille apparaîtra enfin, prénommée Hélène.

Aucun rapport ne fait état de conduite particulière durant cette période. On raconte toutefois à Saint-Eloi que "dernièrement il fit habiller en femmes ses deux ouvriers qu'il envoya se confesser auprès du curé de l'endroit…". Jean-Baptiste sera ensuite répertorié comme militant anarchiste : le 18 avril 1892, le commissaire spécial de Nevers le présentait comme "un rêveur qui manque de plomb dans la tête et lit beaucoup d'écrits anarchiques". Le commissaire soulignait son intelligence alors qu'un de ses collègues de Clamecy, en 1896, le qualifiait de "très bon ouvrier et courageux, mais d'une intelligence nulle" !

Quoi qu'il en soit, en 1893-1894, Jean-Baptiste Thuriault devint une des principales préoccupations des autorités nivernaises, aux yeux desquelles il passait même pour "le grand maître de l'anarchie" dans le département. C'est en 1892 qu'il semble avoir pris contact avec les milieux anarchistes : son nom figure parmi les correspondants au journal anarchiste marseillais "L'agitateur" dans un numéro du mois d'avril de cette année-là. Ce qui lui vaut plusieurs perquisitions ! En mai 1892, sur commission rogatoire du juge d'instruction de Paris, on saisit chez lui, au "Cholet", presse et brochures anarchistes, des traités de chimie et manuels sur la fabrication d'explosifs…, ainsi qu'une lettre de Paul Bernard, emprisonné en Espagne.

En juin 1893, les autorités trouvent cette fois six cartouches de dynamites enveloppées dans un numéro du "Père Peinard" ! Arrêté, il nia que ces explosifs fussent à lui; l'instruction fut close sans résultat, et il fut libéré. Mais au cours de cette perquisition était aussi saisie une correspondance échangée avec Paul Bernard, qui ne fut sans doute pas ce qui intéressa le moins les autorités, surtout quand la même année, Jean-Baptiste Thuriault, qui avait fait faillite, alla s'installer comme chef de fabrication, au moulin de Vesvres, à Tannay : Paul Bernard y avait monté, associé à un nommé Guyard, une petite fabrique d'outils de sabotiers et de galochiers, à l'aide de capitaux fournis en grande partie par un cousin avoué à Largentière (Ardèche).

Le déménagement était la seule solution pour se faire "oublier". A cette époque, il suffit de faire 30 kilomètres pour s'installer comme parfait étranger.

Le moulin de Vesvres (ou mieux, pour les autorités, "le groupe de Tannay") devint vite le point d'attraction numéro un pour les autorités qui y voyaient le "foyer d'anarchisme" du département. La personnalité de Paul Bernard, son passé et celui de Jean-Baptiste Thuriault, lui-même lié avec Etienne Roussillon, qui leur valaient la réputation d'être "nettement partisans de la propagande par le fait", leurs lectures (Le Libertaire et La Sociale), les bruits qui couraient sur les prétendues opinions de leurs ouvriers, leurs rapports avec des militants comme Gauthé et André Barrage, contribuèrent à cette méfiance; elle fut encore accentuée par des ragots (Bernard renvoyant un ouvrier qui aurait salué les gendarmes) colportés par l'associé Guyard, en mauvais termes avec Bernard au point qu'il se mit au service des autorités pour jouer les indicateurs. Aussi Bernard et Thuriault passaient-ils pour "deux anarchistes des plus dangereux, capables de tout et prêts à toutes les besognes".

Extraits de quelques rapports de la sûreté:

  • 26/09/1894: 2 jours de prison à Cosne infligés par l'autorité militaire (85ème régiment d'infanterie)
  • 27 et 28/09/1894: passages à Cosne signalés au préfet de Nevers et au sous préfet de Clamecy
  • "Arrivée à Cosne le 03/06/1895 de Tannay en compagnie des anarchistes BERNARD Paul Auguste et GUYARD. Quitte Cosne le 04/06 pour Briare, revient le même soir. Repart le 05/06 à Tannay…"


La réputation qui était faite aux associés compromirent l'entreprise et, après une période de prospérité (avec de nombreuses commandes de toute la France et même de l'étranger), les affaires subirent les contrecoups de cette méfiance; l'usine dut fermer, et en juillet 1896, Bernard alla s'établir à Cravant (Yonne) où il ouvrit une nouvelle fabrique avec, en grande partie, le même personnel. Ayant recueilli sa belle-sœur, après la mort de son frère Henri en mai de la même année, Jean-Baptiste rejoignit donc son ami Bernard à Cravant.

En septembre 1897 il revint dans la Nièvre et s'établit à Prémery où il travaille à l'usine Lambiotte, comme ouvrier outilleur. Il était considéré comme "très bien" par le directeur de l'établissement qui, il est vrai, tout comme la Gendarmerie, ignorait son passé d'anarchiste. De Prémery il alla en novembre 1900 à Corvol-l'Orgueilleux où il resta peu de temps, et s'installa enfin comme maréchal-ferrant au moulin de Latrault, commune de Breugnon.

Le rapport établi sur son compte à ce moment porte : "Anarchiste convaincu, très connu dans le département en raison de son attitude politique. En tous temps et partout où il est passé, il a cherché à faire des adeptes […] A toujours prêché le bouleversement de la société par la violence. Homme dangereux qui ne devra jamais être perdu de vue. Ami intime de Bernard."

On perd ensuite complètement sa trace…jusqu'à son décès. La copie d'une lettre d'un notaire de l'Yonne nous apprend en effet que Jean-Baptiste Thuriault est décédé dans ce département le 9 janvier 1924, très précisément à Givry, son épouse étant toujours en vie à cette date. Moins de deux mois plus tard, son fils Maurice se mariait, à Mailly-la-Ville, avec une certaine Marie Durant.

Jean-Baptiste Thuriault est l'un de mes arrière grands-oncles paternels. J'ai pu retrouver son petit-fils, André Thuriau, et les contacts que j'ai eus avec lui font état d'une fin de vie très miséreuse pour Jean-Baptiste. En fait, ses idées plutôt empreintes de justice humaine et sociale que de véritable anarchie, ont sûrement nui à sa vie de famille.


Je tiens à remercier tout particulièrement Patrick Raynal, qui m'avait grandement aidé à l'époque à étoffer la biographie de Jean-Baptiste Thuriault, et auquel il a consacré de remarquables pages sur son site : http://saint-eloi.waika9.com/jbt/pages.htm


Un article sur Jean-Baptiste, signé du journaliste Christophe Journet, est paru en juillet 2008 dans le Journal du Centre.


--Jean-Michel Th. 20 septembre 2008 à 10:50 (UTC)