« Carnet de route de Jean Petitjean » : différence entre les versions

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<font color="blue"><u>'''Dimanche 28 février 1915</u> :'''</font color="blue">
<font color="blue"><u>'''Dimanche 28 février 1915</u> :'''</font color="blue">
*Nuit très mauvaise. J’ai de la fièvre. Je tousse et je ne dors pas. Je me fais porter malade. Je vais à la visite vers 8 heures et je suis reconnu par le major Gaultier comme ayant un début de bronchite. Je ne veux pas me faire évacuer. Je reste à l’Infirmerie.<br> Le soir un 75 de la première batterie éclate.<br> Il n’y a qu’un blessé heureusement pas gravement atteint.<br><br>
*Nuit très mauvaise. J’ai de la fièvre. Je tousse et je ne dors pas. Je me fais porter malade. Je vais à la visite vers 8 heures et je suis reconnu par le major Gaultier comme ayant un début de bronchite. Je ne veux pas me faire évacuer. Je reste à l’Infirmerie.<br> Le soir un 75 de la première batterie éclate.<br> Il n’y a qu’un blessé heureusement pas gravement atteint.<br>
 
<font color="blue"><u>'''Dimanche 21 mars 1915</u> :'''</font color="blue">
*Voici le printemps ! Journée admirable.<br> Le ciel est bleu, le soleil est chaud, nous sommes gais, comme tous les oiseaux qui saluent le printemps. Les arbres commencent à sentir les premiers effets de ces huit jours de soleil car les bourgeons éclatent.<br> Nous nous sentons revivre. Si seulement on pouvait avancer et gagner définitivement !<br> À Saint-Julien violent bombardement, quelques fantassins sont tués, des chevaux sont blessés, le soir la batterie reçoit une forte ration de 220, mais chacun se terre dans sa cagna et il n’y a pas de blessé.<br> La musique du 95 nous gratifie d’un concert vers 4 heures et cela nous remonte notre moral.<br> Les avions survolent nos lignes. Un aviateur a bien failli être descendu par notre section d’avion. Les coups étaient bien placés mais grâce à sa vitesse, il réussit à s’échapper.<br>
 
<font color="blue"><u>'''Jeudi 25 mars 1915</u> :'''</font color="blue">
*Beau temps. Je dois monter demain matin aux tranchées pour 48 heures comme téléphoniste réparateur de ligne.<br>
 
<font color="blue"><u>'''Vendredi 26 mars 1915</u> :'''</font color="blue">
*Nous partons de Boncourt à 6 heures, Gauvrit, Perche et moi pour le poste de la Redoute. Après être sortis du village nous montons une côte dure-dure. Là-haut se trouve une petite plaine ; à notre gauche la batterie de fer. C’est celle du Capitaine Heunequieu du 155 court ; près de ces pièces en position depuis le début d’octobre, se trouvent les abris des servants.<br> Un véritable petit village est construit le long du bois et ce matin nous voyons la fumée s’échapper des cheminées. Ce sont les cuistots qui font le feu, à droite c’est le fort de Liouville démoli par les 305 autrichiens au mois de septembre dernier. Nos pièces sont dans le bois avoisinant le fort. Après avoir devant nous le chemin qui mène à la croix Saint-Jean dans le bois, nous apercevons Marbotte qui hélas n’existe plus que de nous.<br> Avant d’arriver près du village, on aperçoit de tous les côtés des trous d’obus. Les uns sont énormes, les autres petits mais tous ont un aspect terrifiant.<br> Nous tournons à droite, nous traversons le village ; aucune maison n’est restée debout, seules quelques rues chancelantes se dressent parmi ces ruines.<br> C’est un spectacle impressionnant rappelant celui de Clézentaine.<br> Sur la gauche de la route, l’église dresse fièrement son clocher où s’agite le coq gaulois. Les Boches ne l’ont pas encore touché mais il ne tardera guère sans doute car,  malgré qu’il n’y ait que des ruines, le bombardement continue journellement.<br> Au bout du village sur la gauche, un champ de tombes. Des milliers de petites croix blanches marquent la place de ceux qui ont été tués dans les environs ou de ceux qui étaient trop grièvement blessés et sont morts au poste de secours. Plus loin de ce cimetière de héros, une quinzaine de croix autour d’une colonne de pierre. C’est là que des héros sont ensevelis.<br> Ce sont des hommes du Génie qui dans une attaque où l’Infanterie ne voulait pas marcher se dévouèrent, coupèrent les fils de fer en avant des tranchées allemandes et prirent la tranchée. Leurs camarades survivants ne voulurent pas les mêler aux autres et seuls, ils sont ensevelis dans ce petit coin sur la droite. L’étang de Mauronval partant à droite et à gauche, des trous d’obus. Sur le flanc de la colline qui se trouve à notre gauche, des villages sont installés, habités par le Génie, l’Infanterie, l’Artillerie lourde etc. Près de chaque maison des croix indiquent que des obus pleuvent dans ces parages et qu’il y a des morts chaque fois hélas.<br> Nous laissons sur notre droite la route de Saint-Agnant et nous montons la côte qui mène aux tranchées.<br> Dans un ravin une batterie de 120 ; c’est là que se trouve comme chef de pièces mon ami Léveille.<br> Partout des tombes, des habitations. Ce sont les cuisines de l’Infanterie, plus haut sur la crête, le poste Mathieu, autrement dit le central téléphonique du secteur, ce sont les servants de notre groupe qui sont téléphonistes à ce poste.<br> Nous continuons et toujours des cagnas, des tombes enfin avant le tournant de la route qui va à Saint-Mihiel.<br> On aperçoit l’entrée des boyaux qui mènent aux tranchées, près à droite et à gauche se trouvent des tonneaux pleins d’eau potable que l’on purifie avec de l’eau de javel.<br> Un verre est posé de chaque côté. Un fantassin est là, semblant vous inviter à déguster l’eau de sa source, triste source ! Qui n’a hélas que peu de ressemblance avec les sources de villes d’eau.<br> Nous rentrons enfin dans le boyau qui nous mènera à notre poste. C’est un fossé profond se déroulant pendant plusieurs kilomètres en faisant des remontées, tel un serpent.<br> Quelquefois on trouve un endroit plus large, où on se met pour laisser passer ceux qui viennent en sens contraire. Ce boyau qui traverse le bois a un aspect terrifiant. De chaque côté des trous d’obus indiquent par là que les Boches l’ont repéré, les arbres sont tous hachés soit par des balles, soit par les éclats d’obus. Des tombes dans tous les bois indiquent que si les arbres souffrent, les hommes se font tuer aussi.<br> Enfin en haut de 2 kilomètres et de plus d’une demie-heure de chemin, nous arrivons à notre poste téléphonique.<br> C’est un abri très aléatoire, une plaque de tôle soutenue par quelques traverses de fer et le tout recouvert d’une couche de pierre et de terre. Un obus de 100 ou même du 77 percutant, anéantirait ce pauvre abri.<br> Dans l’abri, deux chambres étroites et de même grandeur. Dans l’une se trouve le téléphone et couchent les 3 téléphonistes. Dans l’autre couche le Lieutenant-Observateur et son Sous-Officier.<br> La paille est tassée, on y dort bien quand même mais c’est la fatigue qui vous endort plutôt que le sommeil naturel. Près de notre poste à 3 mètres environ, se trouve encore des tombes de l’autre côté, c’est l’abri des Artilleurs faisant marcher le lance-bombe dit crapouillot, minenwerfer, etc…<br> Au bout de notre boyau des cabinets très rudimentaires, près d’un arbre repéré car à chaque instant l’ami Fritz s’amuse à faire un carton.<br> Il doit croire qu’il y a quelque chose près de cet arbre.<br> Comme un effet du hasard, lorsque nous prenons possession de notre service, aucune ligne ne marche. Il nous faut partir vérifier la ligne et la réparer. Nous commençons par celle reliant la première ligne avec notre poste. A 50 mètres, nous arrivons dans les premières tranchées dites tranchées de première ligne.<br> C’est un fossé étroit de deux mètres de profondeur environ, sinueux, plein de boue ; en avant se trouvent des créneaux, trous dans lequel on voit la tranchée d’en face et où on peut tuer avec quelque chance d’être préservé d’une balle en pleine tête. Les créneaux sont recouverts de sac de terre ; sur l’autre côté, des trous sous terre, c’est la chambre de repos, pas spacieuse du tout. On y tient deux très serrés, pendant ce temps les autres montent la garde d'observateur pour voir si les Boches ne sortent pas pour nous faire sauter. Enfin toutes sortes de factions pour se protéger le plus possible contre l’ennemi. Au bout de ces tranchées se trouve notre poste de première ligne. Nous réparons la ligne coupée en plusieurs endroits sauf hélas volontairement, car même en première ligne, il y a sinon des espions, du moins des soldats - non pas des soldats car on ne peut leur donner ce nom - mais des bandits qui coupent les lignes pour empêcher de tirer l’Artillerie si les Allemands faisaient une attaque.<br> Nous retournons à notre abri, déjeuner repas qui ne vaut pas ceux de la maison et consiste en boîte de conserve.<br> Le soir, le téléphone nous apprend que le crapouillot va lancer 20 bombes de 150 entre 1 heure et 4 heures. Il y aura des émotions car les Boches vont répondre.<br> Deux coups de 75 ouvriront le concert. En effet à 1 heure, deux sifflements stridents passent au-dessus de nos têtes et éclatent aussitôt avec un bruit sec dans la direction présumée de l’obusier Allemand.<br> Quelques minutes après, notre crapouillot lance sa bombe qui éclate à 400 mètres avec un bruit semblable à l’éclatement d’un gros obus.<br> Deux coups de 77 répondent immédiatement, puis dans la direction de la Redoute un petit bruit sec et un objet qui tourne sur lui-même d’aspect rectangulaire qui monte à 150 mètres en l’air et qui retombe comme une pierre. Un bruit sourd et d’énormes éclats de terre, de pierre. C’est une bouteille qui s’écrase près de nous semant la terreur dans les environs.<br> De temps à autre, une bouteille plus grosse que les autre, 1 m 05 de haut et 24 cm de diamètre, c’est une torpille. Elle semble planer et tourner en cadence, monte à grande hauteur en faisant « wrou, wrou, wrou », puis elle descend comme une pierre et explose avec un bruit formidable. Les éclats vont jusqu’à 300 mètres. C’est un véritable obus.<br> Pendant toute l’après-midi, nous recevons ainsi des 105, 77, bouteilles-torpilles etc…<br> Quelques fantassins sont blessés mais il n’y a pas de tués dans la tranchée.<br> À la nuit, tout se calme sauf quelques coups de fusils à droite et à gauche.<br> Nous nous couchons fatigués à 9 heures.<br>
 
<font color="blue"><u>'''Samedi 27 mars 1915</u> :'''</font color="blue">
*De bon matin, nous sommes debout. Nous vérifions nos lignes. Elles sont coupées en différents endroits par les balles ou les éclats de grenades. Nous allons dans la tranchée de première ligne où l’on voit la route d’Apremont à Saint-Mihiel : cote 362.<br> Comme il fait un temps superbe, on voit les Boches passer sur la route. La distance est de 800 mètres environ, nous les canardons avec du 75 mais la communication téléphonique étant trop longue, les coups arrivent trop tard. Nous installons alors une ligne directe et les obus radinent aussitôt.<br> Nous en descendons ainsi quelques uns à un moment donné. Deux Boches se mettent à chahuter sur l’herbe. Nous leur envoyons deux coups de 75 en entendant le sifflement de l’obus. Ils se relèvent et foncent droit sur les obus. La fumée noire nous empêche de voir ce qu’ils deviennent. Ils ont dû être mis en pièces. Les pauvres bougres, les fantassins qui sont à côté de nous jubilent de nous voir ainsi faire la chasse.<br> Près de ce boyau, il y a quelques centimètres sans terre, deux fantassins enterrés.<br> En regardant dans un créneau, je distingue très bien la tranchée boche à 20 mètres de là. Les fantassins sont encore étendus entre les deux lignes. On ne peut pas les prendre sans être certain d’être descendu par une balle boche.<br> C’est un triste spectacle du reste dans la tranchée.<br> Il y a des nôtres enterrés dans les parapets, recouverts de sacs de sable. L’après-midi, le bombardement recommence violent.<br> Nous lançons des bombes, des grenades à main, à tige, à fusil, des calendriers, des obus ; les Boches répondent de même et c’est toute l’après-midi l’épée de Damoclès suspendue sur nos têtes. Ce n’est pas drôle !<br> Il y a bien entendu des morts et des blessés de chaque côté.<br> Je reçois un éclat de torpille tout à fait près de moi. C’est une veine de n’avoir pas été touché.<br> Nous réparons les lignes quand même, ce qui n’a rien de drôle. Le soir arrive et le vacarme s’apaise. On n’entend que le sifflement des balles.<br><br>


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --[[Utilisateur:Mnoel|Mnoel]] 18 février 2015 à 11:01 (CET)
Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --[[Utilisateur:Mnoel|Mnoel]] 18 février 2015 à 11:01 (CET)


[[Catégorie:Guerres]]  
[[Catégorie:Guerres]]  
[[catégorie:Sources militaires]]
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Version du 10 mars 2015 à 12:07

Lundi 1er février 1915 :

  • Voici six mois de guerre passés, depuis près de cinq mois nous n’avons pas bougé.
    C’est la guerre de tranchées. On doit attendre un moment plus favorable, sans doute le printemps pour livrer l’assaut aux positions ennemies.
    Je ne crois pas à un changement de situation avant avril. La guerre se poursuivra ensuite plusieurs mois et vers la fin de novembre nous pouvons espérer la paix.
    Les 6 mois de campagne ne m’ont pas trop fatigué ; chose extraordinaire, je n’ai pas encore été malade. Il semble que cette campagne m’ait consolidée au point de vue physique.
    La situation dans notre petit coin ne bouge pas, c’est pour chacun les mêmes positions que le 25 septembre et cela n’est pas encore fini.
    Ce mois de janvier a été dur car il a plu et gelé une partie du mois. La boue a été terrible, les chemins n’étaient la plupart du temps que des rivières de boue.

Mardi 2 février 1915 :

  • Journée très calme, dégel. Quelques obus sur les positions de batterie au-dessus de Mécrin et sur le moulin. Heureusement pas de blessé.
    [...]

Dimanche 21 février 1915 :

  • Nous nous couchons un peu en attendant le départ. L’ordre arrive de se tenir prêt vers 2 heures ½ mais à 3 heures arrive un contre-ordre.
    Nous restons là. Je vais à Haudiomont prévenir les fourgons et aux postes en tête de revenir. Haudiomont est à 14 kilomètres de Verdun.

Lundi 22 février 1915 :

  • Nous entendons une violente canonnade dans les environs de Verdun.
    Le quartier est consigné. Il y a Verdun un service très sévère. On ne peut rentrer sans laisser passer.
    Pour voyager sur les routes, il y a des patrouilles à chaque instants. Dans la caserne où nous logeons, il y a une réserve de bêtes à cornes, 1800. La plupart des pauvres bêtes sont maigres. Il y aura une plus grosse part d’os que de viande pour ceux à qui on fera la distribution.

Mardi 23 février 1915 :

  • Nous logeons toujours dans les casernes de Verdun.
    Nous allons participer à l’attaque des Éparges. L’Infanterie Coloniale réussit à prendre 3 lignes de tranchées. Le gain est de 3 kilomètres de profondeur. Il y a beaucoup de morts chez nous. Mais les Allemands laissent 3000 hommes sur le terrain.
    6 contre-attaques sont repoussées par nous. En face à Pont-à-Mousson la 1ère Brigade fait du bon travail. Elle participe à la prise du signal des Xou et de Norroy.
    La température est toujours froide.

Mercredi 24 février 1915 :

  • Nous embarquons le soir à 10 heures à la gare de Verdun. Il tombe de la neige à plein temps. Il fait froid. Nous partons à minuit par Sainte-Menehould, Bar-Le-Duc et enfin nous arrivons à Sorcy vers 11 heures ½ du matin, fatigués, gelés.
    J’ai pris une bonne grippe durant ce court voyage. Nous allons à Ville-Issey nous reposer.

Jeudi 25 février 1915 :

  • Nous restons à Ville-Issey. Rien à signaler.

Vendredi 26 février 1915 :

  • Repos à Ville-Issey. Nous devons partir demain pour Liouville. La 1ère brigade arrive à Pont-à-Mousson où elle a participé à l’attaque réussie du signal de Xou et de Norroy. Il gèle fortement.

Samedi 27 février 1915 :

  • Lever à 4 heures du matin, départ à 5 heures. Nous passons par Euville et nous arrivons à Boncourt où l’échelon doit rester.
    Pas de cantonnement, nous sommes sur la route. Vers le soir, nous trouvons une maison pour la cuisine et une grange pour coucher.
    Tout est d’une saleté repoussante. La cuisine ressemble à un fumier. La rue est couverte d’objets de toutes sortes : vieux pantalons, chaussures, képis, etc… La paille de la grange n’est plus que de la poussière.
    Je vais porter un pli à la position de batterie. Les pièces sont à 4 kilomètres de Boncourt, près de Saint-Julien-Girauvoisin, dans un bois sur la gauche de la route. L’emplacement est dans le bois, les pièces sont bien cachées et les cagnas bien construites mais pas aussi solides que celles de Mécrin.
    Il y a des trous de crapouillots et de marmites un peu partout. L’emplacement est une véritable écumoire. La 7, 8, 9 brigades qui y étaient avant nous, n’ont pas eu beaucoup de morts. Effet du hasard et de veine purement et simplement, espérons que cette veine continuera pour nous le temps que nous y resterons.
    Aujourd’hui, il fait encore froid mais le dégel commence vers midi c’est alors la boue gluante.

Dimanche 28 février 1915 :

  • Nuit très mauvaise. J’ai de la fièvre. Je tousse et je ne dors pas. Je me fais porter malade. Je vais à la visite vers 8 heures et je suis reconnu par le major Gaultier comme ayant un début de bronchite. Je ne veux pas me faire évacuer. Je reste à l’Infirmerie.
    Le soir un 75 de la première batterie éclate.
    Il n’y a qu’un blessé heureusement pas gravement atteint.

Dimanche 21 mars 1915 :

  • Voici le printemps ! Journée admirable.
    Le ciel est bleu, le soleil est chaud, nous sommes gais, comme tous les oiseaux qui saluent le printemps. Les arbres commencent à sentir les premiers effets de ces huit jours de soleil car les bourgeons éclatent.
    Nous nous sentons revivre. Si seulement on pouvait avancer et gagner définitivement !
    À Saint-Julien violent bombardement, quelques fantassins sont tués, des chevaux sont blessés, le soir la batterie reçoit une forte ration de 220, mais chacun se terre dans sa cagna et il n’y a pas de blessé.
    La musique du 95 nous gratifie d’un concert vers 4 heures et cela nous remonte notre moral.
    Les avions survolent nos lignes. Un aviateur a bien failli être descendu par notre section d’avion. Les coups étaient bien placés mais grâce à sa vitesse, il réussit à s’échapper.

Jeudi 25 mars 1915 :

  • Beau temps. Je dois monter demain matin aux tranchées pour 48 heures comme téléphoniste réparateur de ligne.

Vendredi 26 mars 1915 :

  • Nous partons de Boncourt à 6 heures, Gauvrit, Perche et moi pour le poste de la Redoute. Après être sortis du village nous montons une côte dure-dure. Là-haut se trouve une petite plaine ; à notre gauche la batterie de fer. C’est celle du Capitaine Heunequieu du 155 court ; près de ces pièces en position depuis le début d’octobre, se trouvent les abris des servants.
    Un véritable petit village est construit le long du bois et ce matin nous voyons la fumée s’échapper des cheminées. Ce sont les cuistots qui font le feu, à droite c’est le fort de Liouville démoli par les 305 autrichiens au mois de septembre dernier. Nos pièces sont dans le bois avoisinant le fort. Après avoir devant nous le chemin qui mène à la croix Saint-Jean dans le bois, nous apercevons Marbotte qui hélas n’existe plus que de nous.
    Avant d’arriver près du village, on aperçoit de tous les côtés des trous d’obus. Les uns sont énormes, les autres petits mais tous ont un aspect terrifiant.
    Nous tournons à droite, nous traversons le village ; aucune maison n’est restée debout, seules quelques rues chancelantes se dressent parmi ces ruines.
    C’est un spectacle impressionnant rappelant celui de Clézentaine.
    Sur la gauche de la route, l’église dresse fièrement son clocher où s’agite le coq gaulois. Les Boches ne l’ont pas encore touché mais il ne tardera guère sans doute car, malgré qu’il n’y ait que des ruines, le bombardement continue journellement.
    Au bout du village sur la gauche, un champ de tombes. Des milliers de petites croix blanches marquent la place de ceux qui ont été tués dans les environs ou de ceux qui étaient trop grièvement blessés et sont morts au poste de secours. Plus loin de ce cimetière de héros, une quinzaine de croix autour d’une colonne de pierre. C’est là que des héros sont ensevelis.
    Ce sont des hommes du Génie qui dans une attaque où l’Infanterie ne voulait pas marcher se dévouèrent, coupèrent les fils de fer en avant des tranchées allemandes et prirent la tranchée. Leurs camarades survivants ne voulurent pas les mêler aux autres et seuls, ils sont ensevelis dans ce petit coin sur la droite. L’étang de Mauronval partant à droite et à gauche, des trous d’obus. Sur le flanc de la colline qui se trouve à notre gauche, des villages sont installés, habités par le Génie, l’Infanterie, l’Artillerie lourde etc. Près de chaque maison des croix indiquent que des obus pleuvent dans ces parages et qu’il y a des morts chaque fois hélas.
    Nous laissons sur notre droite la route de Saint-Agnant et nous montons la côte qui mène aux tranchées.
    Dans un ravin une batterie de 120 ; c’est là que se trouve comme chef de pièces mon ami Léveille.
    Partout des tombes, des habitations. Ce sont les cuisines de l’Infanterie, plus haut sur la crête, le poste Mathieu, autrement dit le central téléphonique du secteur, ce sont les servants de notre groupe qui sont téléphonistes à ce poste.
    Nous continuons et toujours des cagnas, des tombes enfin avant le tournant de la route qui va à Saint-Mihiel.
    On aperçoit l’entrée des boyaux qui mènent aux tranchées, près à droite et à gauche se trouvent des tonneaux pleins d’eau potable que l’on purifie avec de l’eau de javel.
    Un verre est posé de chaque côté. Un fantassin est là, semblant vous inviter à déguster l’eau de sa source, triste source ! Qui n’a hélas que peu de ressemblance avec les sources de villes d’eau.
    Nous rentrons enfin dans le boyau qui nous mènera à notre poste. C’est un fossé profond se déroulant pendant plusieurs kilomètres en faisant des remontées, tel un serpent.
    Quelquefois on trouve un endroit plus large, où on se met pour laisser passer ceux qui viennent en sens contraire. Ce boyau qui traverse le bois a un aspect terrifiant. De chaque côté des trous d’obus indiquent par là que les Boches l’ont repéré, les arbres sont tous hachés soit par des balles, soit par les éclats d’obus. Des tombes dans tous les bois indiquent que si les arbres souffrent, les hommes se font tuer aussi.
    Enfin en haut de 2 kilomètres et de plus d’une demie-heure de chemin, nous arrivons à notre poste téléphonique.
    C’est un abri très aléatoire, une plaque de tôle soutenue par quelques traverses de fer et le tout recouvert d’une couche de pierre et de terre. Un obus de 100 ou même du 77 percutant, anéantirait ce pauvre abri.
    Dans l’abri, deux chambres étroites et de même grandeur. Dans l’une se trouve le téléphone et couchent les 3 téléphonistes. Dans l’autre couche le Lieutenant-Observateur et son Sous-Officier.
    La paille est tassée, on y dort bien quand même mais c’est la fatigue qui vous endort plutôt que le sommeil naturel. Près de notre poste à 3 mètres environ, se trouve encore des tombes de l’autre côté, c’est l’abri des Artilleurs faisant marcher le lance-bombe dit crapouillot, minenwerfer, etc…
    Au bout de notre boyau des cabinets très rudimentaires, près d’un arbre repéré car à chaque instant l’ami Fritz s’amuse à faire un carton.
    Il doit croire qu’il y a quelque chose près de cet arbre.
    Comme un effet du hasard, lorsque nous prenons possession de notre service, aucune ligne ne marche. Il nous faut partir vérifier la ligne et la réparer. Nous commençons par celle reliant la première ligne avec notre poste. A 50 mètres, nous arrivons dans les premières tranchées dites tranchées de première ligne.
    C’est un fossé étroit de deux mètres de profondeur environ, sinueux, plein de boue ; en avant se trouvent des créneaux, trous dans lequel on voit la tranchée d’en face et où on peut tuer avec quelque chance d’être préservé d’une balle en pleine tête. Les créneaux sont recouverts de sac de terre ; sur l’autre côté, des trous sous terre, c’est la chambre de repos, pas spacieuse du tout. On y tient deux très serrés, pendant ce temps les autres montent la garde d'observateur pour voir si les Boches ne sortent pas pour nous faire sauter. Enfin toutes sortes de factions pour se protéger le plus possible contre l’ennemi. Au bout de ces tranchées se trouve notre poste de première ligne. Nous réparons la ligne coupée en plusieurs endroits sauf hélas volontairement, car même en première ligne, il y a sinon des espions, du moins des soldats - non pas des soldats car on ne peut leur donner ce nom - mais des bandits qui coupent les lignes pour empêcher de tirer l’Artillerie si les Allemands faisaient une attaque.
    Nous retournons à notre abri, déjeuner repas qui ne vaut pas ceux de la maison et consiste en boîte de conserve.
    Le soir, le téléphone nous apprend que le crapouillot va lancer 20 bombes de 150 entre 1 heure et 4 heures. Il y aura des émotions car les Boches vont répondre.
    Deux coups de 75 ouvriront le concert. En effet à 1 heure, deux sifflements stridents passent au-dessus de nos têtes et éclatent aussitôt avec un bruit sec dans la direction présumée de l’obusier Allemand.
    Quelques minutes après, notre crapouillot lance sa bombe qui éclate à 400 mètres avec un bruit semblable à l’éclatement d’un gros obus.
    Deux coups de 77 répondent immédiatement, puis dans la direction de la Redoute un petit bruit sec et un objet qui tourne sur lui-même d’aspect rectangulaire qui monte à 150 mètres en l’air et qui retombe comme une pierre. Un bruit sourd et d’énormes éclats de terre, de pierre. C’est une bouteille qui s’écrase près de nous semant la terreur dans les environs.
    De temps à autre, une bouteille plus grosse que les autre, 1 m 05 de haut et 24 cm de diamètre, c’est une torpille. Elle semble planer et tourner en cadence, monte à grande hauteur en faisant « wrou, wrou, wrou », puis elle descend comme une pierre et explose avec un bruit formidable. Les éclats vont jusqu’à 300 mètres. C’est un véritable obus.
    Pendant toute l’après-midi, nous recevons ainsi des 105, 77, bouteilles-torpilles etc…
    Quelques fantassins sont blessés mais il n’y a pas de tués dans la tranchée.
    À la nuit, tout se calme sauf quelques coups de fusils à droite et à gauche.
    Nous nous couchons fatigués à 9 heures.

Samedi 27 mars 1915 :

  • De bon matin, nous sommes debout. Nous vérifions nos lignes. Elles sont coupées en différents endroits par les balles ou les éclats de grenades. Nous allons dans la tranchée de première ligne où l’on voit la route d’Apremont à Saint-Mihiel : cote 362.
    Comme il fait un temps superbe, on voit les Boches passer sur la route. La distance est de 800 mètres environ, nous les canardons avec du 75 mais la communication téléphonique étant trop longue, les coups arrivent trop tard. Nous installons alors une ligne directe et les obus radinent aussitôt.
    Nous en descendons ainsi quelques uns à un moment donné. Deux Boches se mettent à chahuter sur l’herbe. Nous leur envoyons deux coups de 75 en entendant le sifflement de l’obus. Ils se relèvent et foncent droit sur les obus. La fumée noire nous empêche de voir ce qu’ils deviennent. Ils ont dû être mis en pièces. Les pauvres bougres, les fantassins qui sont à côté de nous jubilent de nous voir ainsi faire la chasse.
    Près de ce boyau, il y a quelques centimètres sans terre, deux fantassins enterrés.
    En regardant dans un créneau, je distingue très bien la tranchée boche à 20 mètres de là. Les fantassins sont encore étendus entre les deux lignes. On ne peut pas les prendre sans être certain d’être descendu par une balle boche.
    C’est un triste spectacle du reste dans la tranchée.
    Il y a des nôtres enterrés dans les parapets, recouverts de sacs de sable. L’après-midi, le bombardement recommence violent.
    Nous lançons des bombes, des grenades à main, à tige, à fusil, des calendriers, des obus ; les Boches répondent de même et c’est toute l’après-midi l’épée de Damoclès suspendue sur nos têtes. Ce n’est pas drôle !
    Il y a bien entendu des morts et des blessés de chaque côté.
    Je reçois un éclat de torpille tout à fait près de moi. C’est une veine de n’avoir pas été touché.
    Nous réparons les lignes quand même, ce qui n’a rien de drôle. Le soir arrive et le vacarme s’apaise. On n’entend que le sifflement des balles.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 18 février 2015 à 11:01 (CET)