La juridiction consulaire

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Au 17e siècle, la juridiction contentieuse du commerce et de l'industrie n'est pas à Nevers séparée des juridictions ordinaires.
Il n'y a pas alors de juges-consuls dans la région. Les procès de caractère industriel ou commercial sont portés devant les tribunaux, qui suivant l'ordonnance de 1667 doivent juger les causes sommairement et dans les formes les plus simples. Les Nivernais se partagent entre les magistrats du bailliage et ceux du présidial, qui les uns et les autres s'intitulent juges-consuls de la province. D'ailleurs, on est peu satisfait de leurs services. Ils conservent leurs méthodes habituelles, coûteuses et interminables. Ils s'opposent à tout projet de juridiction nouvelle.
De bonne heure cependant les marchands de Nevers réclament une juridiction consulaire et les intendants appuient leurs revendications. En 1688, l'intendant d'Argouges écrit au Contrôleur général que le commerce n'est pas aussi prospère qu'il devrait être. « La difficulté que les marchands trouvent à obtenir justice les uns des autres, faute de juridiction consulaire, les retient et empesche un plus grand débit. S'ils ont procès ou quelque compte à faire ensemble, ils sont obligés d'aller devant les juges ordinaires, qui n'entendent pas le commerce comme feraient d'anciens négociants et rendent des sentences avec de grosses épices. Il arrive souvent que, bien loin de régler les parties, ils les embrouillent davantage et les consomment en frais ».

En 1781, les marchands de Moulins réclamant aussi une juridiction consulaire invoquent des formalités ordinaires, car ce sont des « actions de chaque jour, qui chaque jour doivent être décidées ». Au présidial, une sentence coûte 36 à 40 liards et il faut une année pour l'obtenir. Dans une juridiction consulaire les déboursés ne dépassent guère 4 liards à 10 soles, et les délais oscillent de huit jours à « deux fois 21 heures ».

De plus, certains marchands sont actuellement traduits en huit ou dix sièges ordinaires différents, pour raison de leur négoce, et étant forcés de quitter leurs maisons et leurs magasins pour s'y transporter, il est certain qu'ils souffrent et que leur débit diminue. Profitant du passage de Mr Daguesseau, conseiller d'état (c'est le père du célèbre chancelier de France), ils ont osé se déclarer malgré les représailles possibles des anciennes juridictions.

L'intendant précise en ces termes : « Les magistrats, qui y sont opposés, se trouvant toujours dans l'échevinage, accablent de subsistances et de logements de gens de guerre ceux qu'ils savent avoir esté assez hardis pour en parler »

Il n'existe aucun juge-consul dans toute la généralité. Or cette juridiction, conclut d'Argouges, est nécessaire, si l'on veut éviter la désolation et la ruine entière du commerce et de l'industrie.
Ces doléances n'ayant pas été écoutées, les marchands de Nevers prennent souvent le parti de recourir à la juridiction consulaire de Bourges (datant de 1565). Mais les juges ordinaires ne se laissent pas évincer sans résistance.

C'est ainsi qu'au début du 18e siècle, le sieur Faure de Nevers a des démêlés avec le présidial de St Pierre le Moûtier. Créancier d'un certain Marin Baudrion en vertu d'un billet du 20 janvier 1707, il fait condamner son débiteur le 18 mars 1709 par les consuls de Bourges. Mais le présidial intervient avec d'autant plus d'âpreté que ce Baudrion est apparenté à un procureur de St Pierre. La sentence de Bourges est annulée. Toutefois, le jugement du présidial est lui-même cassé par un arrêt du Conseil d'état, qui donne raison à Jean Faure.

C'est sur ces entrefaites que l'édit de mars 1710 organise de nouvelles juridictions consulaires dans un certain nombre de villes, en particulier à Nevers. Le 28 juillet, les principaux groupes de marchands : merciers, drapiers, épiciers, apothicaires, orfèvres et marchands de fer, assemblés en présence du subdélégué, désignent un prévôt et quatre consuls. Nicolas Pinet, sieur du Deffend, est élu juge ou prévôt. Jean Faure, (C'est le même que précédemment. Son élection avait un caractère de protestation évidente à l'égard des juges de St Pierre le Moûtier), Jean Cabanne, Jacques Devillars, sieur de Chaumont et Antoine Moireau sont élus 1er, 2e, 3e et 4e consuls. Pinet et Devillars s'étaient enrichis dans le commerce des fers; Cabanne était épicier, Moireau apothicaire et Faure drapier. Le personnel subalterne de la juridiction est ainsi composé : Greffier en chef Pierre Dubois, notaire – Premier huissier audiencier François Batiller, également notaire – Huissier audienciers François Gauthier et Jean Chopin. L'intendant homologue l'élection et vient à Nevers le 12 octobre recevoir le serment des élus.

Le sieur Pinet du Deffend, qui est officier et noble, prête serment à condition que cela ne puisse nuire à ses privilèges. « Ce serment ne pourra, dit-il, le faire regarder comme faisant partie du corps des marchands ».

Antoine Moireau fera fonction de procureur du roi. La première séance est ouverte le 13 novembre, surlendemain de la St-Martin. Désormais, les élections se feront tous les ans aux Jacobins le jour ou le lendemain des Morts. Les élus prêtent serment à l'audience qui suit la St-Martin.
Cette juridiction nouvelle est d'abord assez mal accueillie par les anciennes. Le bailliage considère naturellement ces juges comme des rivaux. Les questions de préséance, si importantes sous l'ancien régime, sont âprement discutées entre consuls et officiers de bourgeoisie par exemple.

En 1711, les officiers de bourgeoisie prétendent avoir le pas sur les marchands. Le 3 juin (Parmentier I, p.158), veille de la Fête-Dieu, les échevins se conforment aux usages des autres villes, en particulier de Clermont, décident que les consuls précéderont la bourgeoisie dans les cérémonies publiques, et notamment à la procession du St-Sacrement, ce qui n'est pas admis sans résistance. En 1719, aux obsèques de l'évêque, nouvel incident avec la milice bourgeoise.

Le public au contraire fait aux juges le meilleur accueil. Dans la plupart des marchés de caractère industriel ou commercial une clause spéciale est introduite en vertu de laquelle les contractants s'engagent, en cas de difficulté ou de conflit, à ne pas reconnaître d'autre juridiction que la juridiction consulaire. Ses décisions sont écoutées sans trop de résistance. Les consuls savent d'ailleurs se faire respecter.

Le 9 avril 1788, l'apothicaire Charles Bompoix, qui a calomnié le juge Gaspard Breu et mis en doute sa bonne foi, est obligé de paraître et de se rétracter solennellement (minutes Barreau)

La dignité de prévôt ou de juge paraît enviée et donne un réel prestige aux yeux de tous les artisans et marchands. Les plus grands noms du commerce local se rencontrent sur les registres de la juridiction : les manufacturiers de faïence à peu près sans exception, des marchands merciers comme les Faure et les Gasque, des marchands de bois comme Carimautrand ou Fayot, des orfèvres comme Gallot ou Sionnest, des droguistes comme Bonlits, des apothicaires comme Vialay.
Les consuls siègent à l'hôtel de ville. Toutefois, en 1759, ils trouvent leur salle d'audience en dangereux état, ainsi d'ailleurs que tout l'édifice municipal. Des étais soutiennent la charpente, dont une pièce s'est rompue. Ils demandent alors à siger provisoirement dans la salle du corps de ville, mais sur le refus du maire, ils prennent le parti de se réunir chez l'un d'entre eux, ce qui est très incommode, car le public encombre l'appartement et doit même se tenir debout jusque dans la rue. Les consuls ayant réclamé un local, composé au moins de deux pièces, une salle d'audience et une chambre de conseil, les échevins, sur l'ordre de l'intendant, les installent dans une maison appartenant aux sœurs de charité. On y transporte les tapisseries, les bancs et tous les objets appartenant à la juridiction consulaire. Il en est ainsi pendant quelque temps, ensuite les juges retournent l'hôtel de ville. A la fin du siècle, les audiences ordinaires ont lieu le lundi et le jeudi à 2 heures de l'après midi. D'après l'almanach de 1788, les sieurs Thuillier, Barrreau, Leblanc de Neuilly, Rouderon, Rérolle sont agréés par arrêt du Parlement pour porter la parole aux audiences.
Les Consuls de Nevers semblent avoir été très occupés. Ils donnent beaucoup de travail à leurs subordonnés. Dès l'année 1712, ils sévissent contre leurs huissiers audienciers, qui ne sont pas assidus, et ne s'occupent pas de maintenir l'ordre ni d'imposer le silence dans la salle d'audience. Désormais, les huissiers devront être présents conformément à leur tableau de service, 'à peine de 10 liards d'amende la première fois et d'interdiction ensuite ». Le 9 août 1766, un arrêt du Parlement précise leurs fonctions et plus particulièrement celles du premier huissier audiencier, à la requête de Claude Verger fils, qui occupe alors cet emploi.

La cour reconnaît à Verger un certain nombre d'avantages et lui permet de percevoir 2 sols 6 deniers « par chaque appel de cause », 10 sols « par chaque lecture qui sera faite à l'audience de tous traités de sociétés de marchands, bilans, contrats d'atermoiement, comptes, procès-verbaux d'enquêtes, et telles autres lectures que ce puisse être », et 5 sols « par chaque témoin entendu ».

La compétence des consuls s'étend à toute la province de Nivernais, villes et campagnes. Ils ont à résoudre toutes les difficultés concernant le commerce et l'industrie. Il faut toutefois mettre à part la métallurgie qui ne tarde pas à avoir ses juges spéciaux, avec la juridiction de la marque des fers. (§ sur le commerce des fers - à venir) Dans les registres de la juridiction consulaire, il est surtout question de débiteurs, qui ne paient pas leurs créanciers, de conventions ou traités, qui ne sont pas loyalement exécutés. Une foule d'affaires concernant le commerce des grains, de bois ou de vins touchent de près à l'agriculture et amènent de nombreux paysans aux audiences. Les faillites et banqueroutes sont naturellement du ressort de la juridiction consulaire.

On peut citer un bilan de faïencier en 1712, un bilan d'émailleur en 1754 (Liasses de la juridiction consulaire)

Enfin, les consuls interviennent souvent dans certains démêlés qui mettent aux prises maîtres et compagnons à propos du travail ou des salaires.Janvier 1715, voiturier par eau et compagnon de rivière; novembre 1782, maître et compagnons charpentiers. Les juridictions consulaires correspondent ainsi à nos tribunaux de commerce et conseils de prud'hommes tout à la fois. A la fin de l'année 1790, la juridiction de Nevers se transforme en tribunal de commerce.
Jusqu'à la Révolution, cette cour était restée la seule de la génération de Moulins. Nevers était en somme la ville la plus active, le véritable chef-lieu industriel et commercial de la généralité.