Commerce du grain

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Le marché de Nevers

  • Le commerce des grains sous l'ancien régime est moins une opération commerciale qu'un service officiel d'intendance et de ravitaillement.
  • Les nombreux arrêts du Parlement et du Conseil d’État qui légifèrent ce commerce, les décisions des contrôleurs généraux et des intendants sont le plus souvent hostiles à la liberté. Sous l'influence des philosophes et des économistes quelques périodes libérales interviennent, il est vrai, par exemple avec les édits de 1763 et de 1764, ou l'arrêt du Conseil du 13 septembre 1774. Mais dans certaines provinces comme le Nivernais, la politique de liberté est toujours mal accueillie et mal appliquée. L'histoire du commerce des grains n'est trop souvent ici qu'une suite de prohibitions, ou les ordonnances de police viennent renforcer les restrictions d’État, ou même les suppléent au besoin, quand la royauté devient trop conciliante.
  • A Nevers ce commerce des grains est un commerce d'approvisionnement et non d'exportation. Pour être exportateur, un pays doit être riche et produire plus qu'il ne consomme. Or le Nivernais est à ce point de vue un pays pauvre. L'humidité du climat et du sol ne favorise pas la culture des céréales. Le seigle et l'avoine sont les seules productions appréciables du pays. Quand aux céréales riches comme le blé, elles sont peu cultivées ou donnent des rendement insuffisants. L'exportation n'est possible que dans les bonnes années ou quand les marchands de provinces voisines offrent des prix élevés. Certains convois remontent ainsi la Loire vers Lyon ou les villes du Bourbonnais. D'autres descendent sur Orléans ou Nantes. Quelquefois, il s'agit de fournitures de grains aux armées. Mais l'ensemble de ce trafic est insignifiant. Un état dressé au 18e siècle sur le commerce des grains dans la généralité de Moulins constate que les divers marchés de la subdélégation de Nevers ne sont guère établis que pour faciliter la subsistance des habitants. Il ne se fait aucun commerce extérieur, même à Nevers, où la Loire établit cependant une communication avec la ville de Nantes, parce que la province de Nivernais produit à peine le bled nécessaire pour le besoin physique des habitants. Presque toutes les transactions concernent l'approvisionnement de la ville.
  • Le centre de ce trafic est le marché aux grains. Au 17e siècle, il était installé sur la place St Sébastien, mais l’emplacement était insuffisant et mal commode, surtout avant la démolition de la chapelle et des maisons voisines. C'était également le passage de la grande route de Paris à Lyon. Il y avait là un carrefour dangereux, où se croisaient voitures publiques et particulières, carrosses, chaises de poste et charrettes. Le marché aux grains était un encombrement qui s'ajoutait aux embarras causés par la vente des menues denrées. Le marché du samedi émigre d'abord place ducale, puis une ordonnance de police du 22 mars 1736 décide qu'après Quasimodo, le marché du mercredi s'y transportera également, et qu'il n'y aura plus aucun négoce de grain sur la place St Sébastien, sauf les deux samedis de la foire des Brandons et de St Cyr, où le marché reprendra son ancien emplacement, afin de dégager un peu les abords du palais ducal.
  • D'ailleurs, d'un côté comme de l'autre, l'installation est peu confortable. Le marché se fait en plein air. Dans un mémoire de l'année 1766 relatif aux octrois, la ville insiste sur la nécessité de construire une halle au blé, car dans les périodes de mauvais temps, il ne vient presque pas de marchands et le peuple souffre ainsi davantage de l'intempérie des saisons. Mais il en fut toujours de la halle au blé comme de la tuerie des bouchers. A défaut de halle, les marchands entreposent leur blé dans les bâtiments de certaines communautés religieuses, par exemple chez les Jacobins et dans les greniers du Chapitre. Les échevins ont aussi des magasins à l’hôtel de ville, et les habitants qui demeurent à proximité des marchés louent volontiers leurs locaux disponibles.
  • Les heures d'ouverture varient avec les saisons. Au 18e siècle, de Pâques à la Toussaint, c'est-à-dire en été, le marché ouvre à 10 h du matin et ferme à 1 heure de l'après-midi. De la Toussaint à Pâques, il est ouvert de 11 heures à 2 heures. En 1785, les boulangers demandent que les marchés ne commencent pas avant midi, afin de laisser aux gens de la campagne le temps d'arriver. Le 16 mai 1787, les officiers de police ordonnent que les marchés ouvriront à 11 du matin été comme hiver. Défense d'ouvrir les sacs avant 11 heures sous peine de 10 liards d'amende. La durée des transactions est aussi restreinte que possible, en vertu de ce principe que vendeurs et acheteurs doivent être pressés, afin de ne pouvoir se concerter ni faire aucune cabale.
  • L'entrée de ces marchés n'est pas ouverte sans distinction à tout vendeur ni à tout acheteur. La vente est interdite à certaines catégories de gens, nobles, officiers de justice ou de police qui seraient tentés d'user de leur influence pour faire des monopoles ou accaparements. Le marché est ouvert à tous les paysans des environs, à tous les habitants de la ville, qui ont des récoltes à vendre, aux communautés religieuses et surtout aux blatiers de Nevers et aux blatiers forains, car dans toutes les localités voisines, même dans de simples villages, des paysans improvisés marchands font le commerce des grains. Toutes sortes de précautions sont prises contre ces blatiers. Ils doivent être inscrits sur les registres de police et rendre compte de leurs opérations. Astreints comme les boulangers et les bouchers à un véritable esclavage, ils doivent assurer l'approvisionnement de la ville, où ils sont inscrits. Même après 1763, ces rigueurs ne se relâchent pas à Nevers. Les blatiers restent en quelque sorte enrégimentés. Une ordonnance de police du 25 septembre 1766 leur impose l'obligation de se faire inscrire par nom, surnom et demeure, au greffe de la police sous peine de 50 liards d'amende. Il semble même que ces formalités deviennent encore plus sévères que par le passé, car le greffier de la police aura désormais un registre spécial et percevra un droit de 20 sols à chaque enregistrement.
  • Les blatiers sont les principaux fournisseurs des marchés. Ils achètent au dehors et vendent à Nevers avec bénéfice. Dans les campagnes du Nivernais, comme le blé n'est pas très abondant, ils avancent quelquefois argent et semences à des paysans dont ils partagent les récoltes. Ils ne manquent pas non plus d'intervenir quand les paysans sont en difficulté avec le lise. Ils font des marchés avec tous les habitants qui ont du blé à vendre. Comme les récoltes se battent uniquement au fléau, le grain ne peut être livré qu'en automne ou même en hiver. Les blatiers le retiennent, alors qu'il est encore dans les gerbes, et paient d'avance une partie de la somme, afin d'engager le vendeur. Ils font souvent du commerce avec des curés ou des seigneurs, qui liquident le produit de leur dimes ou de leurs droits féodaux, avec des marchands éloignés qui n'ont pas toujours le loisir de venir à Nevers. Les blatiers tirent aussi leur blé des régions voisines. Les voituriers par terre l'amènent du Berry, les mariniers descendent l'Allier l'amènent du Bourbonnais et de la Limagne d'Auvergne. D'autres arrivages viennent au contraire du Nord, de l'Auxerrois, de l'Orléanais et de la Beauce. Ce blé étranger est plus important, surtout dans les mauvaises années que la production locale.
  • En principe, les marchés aux grains n'admettent comme acheteurs que les particuliers de la ville. Sous l'ancien régime, certaines coutumes persistent, qui n'existent plus aujourd'hui. Les habitants font des provisions de grains, soit qu'ils préparent leur pain chez eux, soit qu'ils prennent des précautions contre les famines. Les communautés religieuses et surtout les hôpitaux sont aussi de bons clients. Tous les ans, l’Hôtel-Dieu et l’hôpital général font de grandes provisions, mais avec une procédure quelquefois spéciale, par adjudication. L'après-midi seulement, les boulangers et les meuniers sont admis auprès des blatiers. Dans les années difficiles boulangers et meuniers s'efforcent d'éluder ces règlements et de se mêler à la foule des acheteurs. Les condamnations sont fréquentes et de nombreuses ordonnances doivent au cours du 18e siècle leur rappeler qu'ils ne doivent pas entrer au marché avant 1 heure ou deux heures de l'après-midi suivant les saisons ou les années.
  • Les meuniers sont admis à vendre, mais dans certaines conditions destinées à empêcher la fraude. Suivant une ordonnance du 13 janvier 1733, ils se mettront dans les marchés de la place ducale à l'entrée de la rue de la prison et sur le pavé qui s'étend devant la maison de M. de Commercy ou de Madame de Chaugny. A St Sébastien, ils iront au-dessus du puits. Une ordonnance du 27 août 1767 divise le marché de la place ducale en trois parties : l'emplacement des blatiers de Nevers, celui des forains et celui des meuniers, sans aucune communication entre eux, pour qu’il n'y ait pas de monopole.
  • Il arrive que sans entrer au marché, boulangers et meuniers s'entendent avec les blatiers par des intermédiaires étrangers, qui font des achats en leur nom. Quand il y a des troupes en garnisons, ils profitent de la crainte qu'elles inspirent et chargent les soldats de ces commissions. Par exemple, en 1698, le blé devenant rare, les cavaliers de garnison servent d'intermédiaires aux boulangers, ce qui amène dans les marchés un rencher (enchère) considérable. Les commissionnaires ne sont même pas nécessaires. Certains blatiers, préférant faire du commerce en gros avec les boulangers plutôt qu'au détail avec les habitants, refusent pendant le marché d'ouvrir leurs sacs, ou exigent des prix excessifs. L'après-midi, ils livrent aux boulangers, qui ont retenu leurs grains le matin avant l'ouverture. En 1723, on accuse ainsi les blatiers forains d'être d'intelligence avec les boulangers. En 1739 et 1740, des manœuvres identiques sont signalées.
  • La vente est sous le contrôle des officiers de police, qui font des inspections fréquentes et prennent la mercuriale. Cette mercuriale donne le prix des grains dans les divers marchés. Par malheur au 17e siècle, il nous en reste seulement quelque maigres extraits se rapportant aux marchés de la St Martin.
  • Les magistrats peuvent taxer les grains et décréter la vente forcée, quand il y a coalition parmi les blatiers. Une ordonnance du 29 juillet 1723 décide que les sacs devront toujours être ouverts, et que s'ils ne sont pas vendus à la fin du marché, ils seront saisis et emportés dans les magasins de la ville, pour être ramenés au marché suivant et vendus aux taux normaux. Toute manœuvre tendant à la hausse est interdite. Les blatiers doivent rester à la place qui leur a été assignée, quand ils ont amené leurs grains, et ne pas s'entendre avec leurs voisins. Toute imprudence de langage expose à des poursuites. Il n'est pas permis dans un même marché d'acheter pour revendre et de faire de la spéculation.
  • Les fraudes sur la qualité des grains ne sont pas moins prohibées. Au marché du 29 avril 1789, on s'aperçoit que les blatiers ont mêlé leur blé de nielle, de vesse et d'ivraie et qu'ils le vendent aussi cher que du blé de 1ère qualité. C'est une façon détournée d'augmenter les prix. L'inconvénient est surtout sensible aux indigents à qui ces bleds mélangés ou altérés ne donnent point la quantité de farine sur laquelle ils ont le droit de compter. Une ordonnance du 30 avril menace les blatiers de 300 liards d'amende et de confiscation, s'ils continuent à mêler leurs blés de graines étrangères et malfaisantes.
  • Les précautions peuvent aller jusqu'à de véritables essais de pain, uniquement destinés à vérifier la qualité de certains blés suspects. En 1782, autre année difficile, le blatier Benoît Prémery vend au marché 15 sacs de froment si défectueux que l'incident fait grand bruit et provoque l'intervention des magistrats, car le blatier a encore un dépôt chez les Jacobins une certaine quantité de ce blé. Le procureur ducal fait saisir les 15 sacs. Un archer du bailliage retire d'abord une coupe de ce grain; les officiers de police procèdent à un premier examen avec le concours de deux boulangers désignés d'office comme experts. Ceux-ci dans leur rapport affirment que le blé a une odeur d'échauffé et que le grain est piqué. Alors les magistrats décident de procéder à un véritable essai. Pierre de Champrobert, juge de police, dirige l'opération et fait préparer 4 pains.
Il fait conduire l'un des sacs au moulin du sieur Gousin, près du Ravelin. Les diverses opérations sont conduites avec un véritable luxe de précautions. La farine est versée dans un sac, soigneusement attaché avec une corde, sur laquelle on appose un cachet aux armes du bailliage. Champrobert se transporte ensuite chez le boulanger Claude Henriot. La farine est versée dans le moulin à bluter, puis dans l'arche à pétrir, où elle est mise en pâte avec le levain. L'arche est alors fermée. Champrobert y appose des scellés, sous forme de bandes de papier, qui portent à chaque extrémité le sceau du bailliage. Le lendemain matin il revient, vérifie les cachets, brise les scellés. Claude Henriot prépare 4 pains qui sont marqués et mis au four.
La cuisson achevée, on apporte les pains au bureau. Les jurés boulangers, le docteur en médecine Robert de Genest et le chirurgien juré Dominique Doumie sont présents et prêtent serment de dire en conscience, les premiers si le le pain en question est bien manœuvré, les autres si l'usage journalier de cette farine peut devenir nuisible à la santé. Le travail a été convenable, mais le médecin et le chirurgien déclarent qu'après avoir senti, goûté et avalé le dit pain, ils ont reconnu une odeur forte de charançon, un goût de moisi et de l'âcreté. Ils ont fait tremper des morceaux dans de l'eau froide et de l'eau chaude, ce qui a développé encore ces mauvais goûts. L'usage continuel serait nuisible à la santé. Les sacs sont confisqués et les magistrats décident de recommencer l'expérience avec le blé de Jacobins.
Ils font prendre 2 quarteaux, qui sont passés au crible aux frais de Benoît Prémery, portés à la rivière et lavés. 7 grands pains sont préparés et vérifiés par Doumie et Robert de Genest. Le médecin et le chirurgien mêlent un peu de teinture de sirop violet à une décoction de pain ordinaire et à une décoction de ce pain suspect. Une teinte verdâtre apparaît alors, un peu plus foncée avec le blé de Benoît Prémery, ce qui indique une nature plus alcaline. Mais trempé dans l'eau chaude et dans l'eau froide, ce dernier pain ne dégage qu'une faible odeur de charançon. A la dégustation, les experts ne ressentent qu'une légère âcreté à la gorge. Ce pain ne peut être nuisible à la santé.
Ce grain est d'ailleurs moins défectueux. Il sera donc mis en vente, mais sera mélangé avec du froment de meilleure qualité, dans la proportion de deux tiers de bon grain contre un tiers de grain médiocre.
  • Les magistrats interviennent aussi en faveur des marchands. Il est quelquefois nécessaire d'assurer leur sécurité, soit sur le marché lui-même, soit sur les routes, quand la disette provoque de l'agitation et des émotions populaires. Même en temps ordinaire des vols se produisent. Des sacs de grains disparaissent.
En 1741, un blatier de Nolay, Jean Gauthier, s'aperçoit qu'on lui a pris un sac. Une enquête immédiate fait découvrir le coupable, un vigneron de Coulanges, qui est condamné à 8 jours de prison et sera d'abord conduit sur la place à l'issue du prochain marché pour recevoir publiquement la correction. - Registre de Police, 4 mars 1741

Il arrive aussi que des voleurs de profession s'attaquent à la bourse des blatiers.

En 1789, un vagabond, qui a dérobé au blatier Jean Vallot sa bourse pleine d'écus un jour de marché sur la place St Sébastien, est condamné aux galères. Il sera d'abord 'battu et fustigé', puis flétri et marqué sur l'épaule.

Enfin les magistrats s'efforcent d'imposer à tous des habitudes d'ordre. Le 10 août 1780, les blatiers Pluvinet et Billebaut sont condamnés chacun à 3 liards d'amende pour avoir au dernier marché criblé leurs blés sur la Place ducale.

  • Si les ventes au dehors sont interdites, les contraventions sont fréquentes, surtout dans les mauvaises années. De multiples ordonnances doivent rappeler à l'ordre les blatiers avec des peines de plus en plus sévères. Une ordonnance de police du 25 septembre 1765 interdit de rien vendre en dehors du marché sous peine de 300 liards d'amende, dont un tiers au dénonciateur. Mais les ventes clandestines en ville ou dans les faubourgs échappent facilement à la surveillance de la police. Le 19 août 1723, un cabaretier du faubourg de Mouesse est condamnée car sa maison est un véritable entrepôt de grain. Des gens du dehors y amènent du blé qui est vendu aux boulangers. - En juin 1725, on dénonce aux officiers de police plusieurs habitants, qui ont fait dans leurs greniers des amas de blé, et le vendent sur place journellement au lieu de le conduire au marché.
  • Boulangers et habitants n'hésitent pas à aller au devant des blatiers, aux portes de la ville et sur les chemins. Ils entrent en pourparlers avec eux et ramènent les chargements. En 1765, on prétend que les boulangers vont ainsi jusqu'à la Baratte et jusqu'au Pont St Ours. D'ailleurs ces ventes peuvent se dissimuler en plein marché. Au lieu d'apporter tous leurs sacs, les blatiers n'apportent que des échantillons ou montres et négocient en cachette avec certains acheteurs. Le procédé est interdit, mais il faut répéter souvent les interdictions et grossir le taux des amendes.
  • Une exception au privilège des marchés est faite en faveur du port. Il arrive souvent que des bateaux de blé débarquent tout ou partie de leur cargaison. Mais la police intervient ici comme dans les marchés. Les habitants se servent d'abord; boulangers, meuniers et blatiers passent ensuite, d'ordinaire 24 heures après l'arrivée des bateaux. Par contre le privilège des marchés de Nevers s'étend à toute la banlieue. Les paysans des villages voisins doivent apporter leur grain au marché et ne rien vendre chez eux, ni blé battu, ni blé en paille ou en herbe. En 1767, les magistrats sont avisés que certains blatiers ou particuliers de la ville achètent les blés en paille dans les environs. Les gens de la campagne prennent l'habitude de ne plus venir à Nevers et les marchés ne sont plus garnis. Une ordonnance du 3 septembre interdit out achat à 3 lieues à la ronde, sous peine de confiscation au profit de l'hôpital général et de 50 liards d'amende. En 1789, les peines deviennent encore plus sévères par suite de l'extrême disette. Le 25 juin défense est faite aux fermiers, marchands et blatiers d'acheter aucuns grains en vert, sur pied, dans les pailles et sur montres. Quelques contraventions sont réprimées avec la dernière rigueur. Le 20 août, le blatier Pierre Pascault est condamné à 800 liards d'amende, dont la moitié au profit du bureau de charité de Nevers, pour avoir le 18 juillet précédent acheté une récolte sur pied.
  • Toutefois au delà de la banlieue, les prohibitions tombent. Certains habitants, même de simples artisans, se fournissent dans des localités du Nivernais, où ils ont des parents et des amis. Les boulangers sont, plus encore que les simples particuliers, intéressés à faire des provisions dans les campagnes, sans trop compter sur les marchés de la ville. Les communautés religieuses, les hôpitaux achètent volontiers dans les paroisses et les marchés des bourgades voisines ou même à des marchands étrangers qui passent par terre ou par eau. Habitants et communautés opèrent ainsi comme de vrais blatiers, sans doute pour obtenir des conditions plus favorables, ou simplement parce que les marchés de Nevers ne sont pas assez abondants.
  • Mais en somme d'un bout à l'autre du 18e siècle, c'est toujours la même réglementation à outrance du marché aux grains. A Nevers, la police des blés est plus sévère que la police corporative. Le peuple la croit nécessaire et s'imagine qu'elle empêche les disettes.
  • Toutes les fois que la famine est menaçante, les autorités, d'accord avec les populations, redoublent de rigueur dans l'application de la police des grains. Suivant une opinion alors très répandue, quand il y a disette, ce n'est pas la faute de la terre ni des récoltes, c'est la faute de quelqu'un, le résultat de quelque machination criminelle. Certaines catégories de gens portent alors le poids des responsabilités : producteurs qui ne veulent pas vendre leur grain, blatiers qui n’amènent pas tous les blés qu'ils ont achetés, spéculateurs qui font des accaparements, ou exportent le grain au dehors. La population voit partout des accapareurs et les poursuit d'une haine farouche.
  • C'est en vain que certains hommes d'état, gagnés aux nouvelles idées économiques, essaient de réagir. Dès la fin du 17e siècle, des administrateurs tels que Le Vayer sont très en avance sur les idées de leur temps. Le Vayer croit que la liberté est indispensable au commerce. Il intervient et réglemente le moins possible. Ce n'est pas de sa part inertie de fonctionnaire, partisan de la théorie du moindre effort, mais conviction d'un homme paisible et réfléchi, qui croit à une sorte d'équilibre naturel des choses. Il estime que plus on règlemente, plus on effraie les populations. Même dans des années difficiles comme en 1698, il se se trouble pas et s'efforce de faire partager à tous sa confiance, la disette étant d'après lui plus factice que réelle. Il intervient seulement quand le danger est certain et les précautions nécessaires. Mais d'ordinaire les villes ont un état d'esprit tout différent, et certaines cours, comme le parlement de Paris, sont toujours disposées à désapprouver.
  • Tantôt les producteurs sont spécialement visés. Le 16 février 1699, les échevins font publier au marché à blé et dans tous les carrefours de la ville un arrêt, que le parlement a rendu le 30 janvier précédent. La cour fait défense aux laboureurs, fermiers et à tous autres particuliers, qui on du bled et d'autres grains pour leur provision jusqu'à la moisson prochaine, d'en acheter soit pour les vendre, soit pour les garder en magasin, à peine de 500 liards d'amende et de confiscation du dit bled et autres grains qu'ils auraient achetés; leur enjoint de faire battre ceux qu'ils ont par proportion à la quantité qu'ils ont et au fourrage qui est nécessaire pour les bestiaux qu'ils peuvent avoir, et d'en faire porter une certaine quantité qu'ils ont et au fourrage qui est nécessaire pour les bestiaux qu'ils peuvent avoir, et d'en faire porter une certaine quantité toutes les semaines aux marchés les plus proches de leur demeure. En 1741, par ordre du Procureur général du parlement, les échevins interdisent même aux laboureurs des environs d'acheter des grains de semence, s'ils n'apportent pas au marché une quantité équivalente de blé.