Breton Gabriel correspondances de janvier 1917 à mars 1917

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Mardi 2 janvier 1917.

Ma chère Maman,
J'ai bien reçu par le petit poilu le colis que vous lui aviez donné pour moi ; les marrons glacés et les confitures ainsi que le poulet sont bien arrivés, aussi tout est donc pour le mieux. Pas de nouvelles encore pour notre départ, le premier contingent quitte le Bourgneuf demain pour aller s'équiper et se préparer à partir de Chalon vendredi ; nous ne savons pas encore quand nous allons suivre, peut-être dans cinq ou six semaines, peut-être dans quinze jours, nous ne savons rien de bien précis à ce sujet.
Tout ceci nous énerve bien et c'est très ennuyeux d'être là comme l'oiseau sur la branche, sans bien savoir [de] quel côté se retourner au juste.
Hier, jour de l'an, ripailles et beuveries de la troupe, pas mal d'ivres le soir, mais enfin tout s'est normalement passé et nous n'avons eu ni plus ni moins de tapage que d'habitude. Il faudra donc pousser le bon Wickler pour mes chaussures, il faut absolument qu'il me les donne avant le quinze. Je ne veux pas être pris au dépourvu, qu'il mette de bons clous et qu'il soigne les coutures. Si je vois que nous sommes encore ici pour un mois, je viendrai à Decize le 15 ou le 21 ; si au contraire nous partions vers cette époque, vous pourrez toujours venir 24 ou 48 h à Chalon quand nous y serons pour nous former et nous équiper, habiller, etc.
Je suis embêté pour mon caoutchouc et ne trouve nulle part ce que je voudrais et il me faut absolument quelque chose de pratique pour la guerre ; si je ne vais pas à Toul, nous pourrons aller à Paris ou Nancy, cela irait bien, mais nous ne savons rien de vrai au sujet de notre séjour dans un camp d'instruction du front.
Beaucoup de départs tous ces jours pour Salonique, ça va sûrement barder là-bas. Avez-vous lu tout ce qui concerne le nouvel impôt sur le revenu ? Il faudra que nous fassions une nouvelle déclaration pour payer le moins possible, c'est bien embêtant et il faut réellement que l'on manque d'argent de plus en plus, où cela va-t-il finir ?
Mes récupérés sont de plus en plus lamentables, quel troupeau ! On aura sûrement l'Alsace et la Lorraine avec eux !
Envoyez-moi mes 100 F avant la fin de la semaine.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
Gabriel Breton.

Lundi soir, lettre postée le 8 janvier 1917.

Ma chère Maman,
J'ai bien reçu le petit oiseau que tu avais annoncé ; j'ai envoyé un poilu pour le chercher à Fontaines et je l'ai eu hier, nous l'avons mangé hier avec deux camarades qui partent et il en reste encore assez pour mon dîner de ce soir et mon petit-déjeuner de demain peut-être.
Rien de nouveau pour notre départ, nous ne pouvons dire encore quand il aura lieu ; les premiers sont partis cette nuit et ils ont été prévenus au moins 3 semaines à l'avance, mais dans le métier militaire tout change du jour au lendemain. Maintenant que l'on sait que nous partons sous peu, nous mettons les bouchées doubles, on voudrait tout apprendre et, pour aider, la pluie et le mauvais temps ne cessent point, c'est curieux ; alors tous les jours il y a foule chez le médecin.
Je pense peut-être aller avec vous un dimanche, ce serait le 21 si nous sommes encore là ; si nous venons à partir je vous l'écrirai ou enverrai un télégramme pour que vous veniez nous voir à Chalon, où nous resterons sûrement quelques jours pour nous préparer et nous habiller avant de partir ; les autres y sont restés cinq jours.
Marguerite a-t-elle mon stylo ? Qu'elle se dépêche de me le faire rendre car j'en aurai sûrement besoin.
Elle ne m'a pas envoyé d'échantillons pour mon caoutchouc ; j'ai bien reçu le catalogue mais je voudrais voir surtout les étoffes.
Rien de neuf ici ; tout le monde est énervé à cause des départs et les hommes sont très insupportables comme vous pouvez le penser ; nous avons eu des inspections et tout le monde en a reçu pour son grade, ce n'est pas très amusant ; et hier dimanche nous avons eu une revue à cause des cochons qui étaient sales ; enfin c'est la guerre !
Clémence est-elle revenue du lycée et son mari est-il parti pour Salonique ? Beaucoup de départs tous ces jours-ci pour là-bas, ça finira mal.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux.
G. Breton.

Lundi, lettre postée le 29 janvier 1917.

Ma chère Maman,
Hier je vous écrivais que je ne savais rien au sujet de mon départ ; ce matin nous avons reçu la dépêche qui nous annonce notre envoi au front, d'où beaucoup de tumulte et de remue-ménage. Nous n'avons aucun détail du reste à ce sujet, je pense que nous resterons sans doute une huitaine ici, puis une huitaine à Chalon, ce qui fait que nous partirons sur le front très vraisemblablement autour du 10 février. Malgré le froid, je pense que le plus gros de l'hiver s'achève et c'est toujours ça de pris.
Vous viendrez donc, si vous voulez passer deux jours à Chalon, quand nous y arriverons ; je vous enverrai un télégramme ou une lettre suivant le cas ; nous avons en effet trois ou quatre jours où l'on nous habille puis, à partir d'une certaine date, nous devons être prêts à enlever, ce qui fait que cette date peut varier entre quatre jours et quatre semaines comme c'est déjà arrivé. Je ne sais pas où l'on va nous former, ni comment, mais je pense que nous passerons au 134, ce qui ne veut pas dire que nous y resterons.
Peut-être aurez-vous mon caoutchouc et aussi mon Onoto [stylo-plume] qui me manquerait beaucoup. J'ai révisé tout mon linge et je n'ai besoin de rien que des petites bricoles, [ill.] et autres que je trouverai fort bien à Chalon.
Ça ne me plaît pas plus que cela de partir avec nos [ill.] mais enfin nous aurons sûrement quelques mois pour nous mettre au courant, mais je crains bien la vie du camp, le froid et les privations pour ces gens-là, enfin c'est la guerre.
On raconte les choses les plus invraisemblables sur l'offensive ; pour moi ça ratera encore sûrement, parce que l'on ne se rend pas bien compte et que la capacité offensive de nos troupes se perd tous les jours ; enfin les Boches en auront peut-être assez ; on n'a pas l'air d'avoir trop besoin de la classe 18, ni des réformés, exemptés, etc. Mes petits sont un peu abîmés au milieu de tout cela mais ils y vont avec assez de cœur.
Je vous enverrai un mot dès que nous serons nous-mêmes fixés ; vous pouvez écrire à mon oncle qu'il ne craigne plus pour sa réputation et que je ferai mon possible pour ses élections ! Si tant est que les électeurs veuillent de lui. Je vais bien et je préfère encore ce temps à la boue ou à la saleté.
Ne vous en faites pas trop et je pense que tout ira bien.
Bons baisers.
G. Breton.

Soldats du 56e R.I.

Soldats du 56e R.I.
Collection de l'association « Pour ceux de 14 », site Internet pourceuxde14.canalblog.com

Lundi soir, lettre postée le 30 janvier 1917.

Ma chère Maman,
D'après les derniers renseignements nous devons être prêts à enlever le 12, ce qui nous donne encore quinze jours.
Nous ne quitterons donc le Bourgneuf que le 8 ou 9 environ, c'est-à-dire jeudi ou vendredi de l'autre semaine.
Si vous avez encore un poulet bourré de châtaignes, vous pourrez me l'envoyer en gare [de] Fontaines.
Vous m'enverrez aussi mes cent francs vers le 1er puisque je reste encore quinze jours ici. Nous ne quitterons donc pas Chalon avant le 15 ou 20 février, comme cela je pense bien que tout le froid aura cessé.
Vous pouvez donc aussi prévoir votre voyage pour Chalon vers le 8 ou 9 février.
Je vous embrasse bien fort.
G. Breton.
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Mardi, [lettre postée de Chalon le 18 février 1917].

Ma chère Maman,
Nous sommes toujours à Chalon et probablement pour encore sûrement quelques jours ou semaines. Hier 40 malades, aujourd'hui 52 : grippes, angines, courbatures fébriles et rougeoles. Nous ne savons rien d'officiel au sujet de notre départ, mais de l'avis de tous nous ne pouvons partir dans cet état ; mais enfin... la décision n'est pas encore prise à notre sujet.
La pluie et le dégel ont commencé samedi soir à la nuit et nous sommes naturellement maintenant dans la boue et le verglas, ce qui ne contribue pas peu à rendre tout le monde enrhumé. Je me porte heureusement très bien. Les prix de pension, chambres, repas ont augmenté de presque ½ en trois mois et encore avec son argent on ne trouve pour ainsi dire rien ; la moindre chose est hors de prix, les cafés même ont tout augmenté, 1 café à 0,50 F, 1 tilleul idem, 1 marc 0,60 F, etc, etc.
Il paraît qu'à Paris c'est la même chose, d'après ceux qui y vont ou en reviennent, pas de charbon, pas de légumes, mais des malades. Cette fois c'est la guerre ; maintenant tout ceci me prouve que nous ne sommes ni gouvernés ni commandés. Plantez et semez, élevez poules, cochons, etc. Cela peut durer encore un an et ce sera alors en or ; les fermiers ont moins de privations car il me semble que vous allez toucher au quart d'heure du général japonais. Dans la campagne nous nous en tirons, mais sûrement les grandes agglomérations auront de mauvaises heures ; nous nous sommes moqués des Boches mais nous aussi nous tenons les cartes [de rationnement] et ce n'est pas fini.
Maintenant je pense que ça peut finir, mais il y aura quand même après de très mauvais jours. Je pense que vous ne tarderez pas à emblaver le jardin. Guite trouvera là un excellent dérivatif à son ennui et elle peut se rendre aussi utile qu'en apprenant la langue des hidalgos qui sont aussi tous des... porcos.
Ai mangé le canard, il était très bon ; il y en a des nuages ici, mais très sauvages.
Je vous embrasse bien fort, écrivez-moi toujours ici.
G. Breton.
Compatissez aux malheurs de Jean. Il ferait mieux d'exercer ses talents aux tranchées.

Vendredi, [lettre postée de Chalon le 23 février].

Ma chère Maman,
Rien de nouveau dans notre situation qui reste stationnaire ainsi que celle des malades ; en attendant le dégel est venu et c'est toujours autant.
Nous ne pouvons rien dire au sujet de notre départ qui se fera sans doute aux premiers jours de mars. En attendant, cette rougeole nous aura toujours retardés d'au moins un mois, c'est toujours ça. Je ne sais pas du tout ce que l'on fera de nous, ni où l'on nous enverra. Enfin je vous dirai tout cela quand nous aurons quelques renseignements. Vous devez penser comme moi que toutes les mesures restrictives que l'on fait ne prouvent pas que nous ayons été malins jusque là ; tout va de mal en pis ; si cette année n'est pas tout à fait bonne, nous manquerons de blé et de pommes de terre, ça c'est certain. Donc emblavez ferme, on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve, ni les sous-marins boches, ni les glorieuses offensives ; donc il faut prévoir que tout ne sera pas comme sur des roulettes ; déjà on supprime presque tous les trains de voyageurs en attendant de tous les supprimer ; les commerçants ici se lamentent parce que l'on ne peut plus rien expédier ; encore une conséquence de notre prévoyance, le menu de deux plats fait que lorsque l'on revient de l'exercice, il faut deux déjeuners pour avoir son compte et je crois que j'aimerais cent fois mieux être nourri à l'ordonnance plutôt que de payer les repas à des prix idiots et de voir un œuf se promener dans la sauce blanche ou rouge et un petit bout de viande avec des pommes frites pour 3 F, 3, 50 F.
C'est pour vous dire que vous ferez bien de faire comme la fourmi pendant la belle saison, d'avoir des mères poules [ill.], voire une vache et d'emblaver le jardin sans vous soucier des fleurs ni des allées ! Ceci n'est pas une blague mais gare le prochain hiver si nous ne sommes pas victorieux, ce que j'espère mais dont je ne suis pas certain, car les Boches font un effort aussi grand que le nôtre, alors...
Je vais bien, j'irai peut-être chasser dimanche pour oublier l'exercice et tout le fourbi.
Envoie-moi 150 F comme je t'ai dit dans l'autre lettre. Je n'ai pas eu de vos nouvelles cette semaine mais les correspondances ne vont pas très fort.
Je vous embrasse bien fort. Gabriel.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL 15 janvier 2017