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==5° Opération du 25 août 1958 :==
==5° Opération du 25 août 1958 :==


« Le 586<sup>e</sup> B.T. participe à une vaste opération montée à l'échelon du secteur. Dès 5 heures du matin, un convoi de jeeps et de voitures blindées emporte le commandant, l'O.R., lieutenant en tête, le toubib et ses infirmiers, les transmissions avec leur matériel et le command car, 20 prisonniers dans un G.M.C. Pour porter le matériel, un 4x4 transportant le mortier de 81 et la patrouille blindée de la C.C.A.S. Complète l'ensemble.
« Le 586<sup>e</sup> B.T. participe à une vaste opération montée à l'échelon du secteur. Dès 5 heures du matin, un convoi de jeeps et de voitures blindées emporte le commandant, l'O.R., lieutenant en tête, le toubib et ses infirmiers, les transmissions avec leur matériel et le command car, 20 prisonniers dans un G.M.C. Pour porter le matériel, un 4x4 transportant le mortier de 81 et la patrouille blindée de la C.C.A.S. complète l'ensemble.


A 6 heures, un avion broussard survole le terrain et l'observe. 6 h 30, 4 bombardiers arrivent et lâchent quelques bombes. Malheureusement un épais brouillard recouvre les montagnes et l'aviation doit abandonner son action.
A 6 heures, un avion broussard survole le terrain et l'observe. 6 h 30, 4 bombardiers arrivent et lâchent quelques bombes. Malheureusement un épais brouillard recouvre les montagnes et l'aviation doit abandonner son action.

Version du 6 février 2024 à 13:10

Vendredi 4 novembre 2011.

Maurice Cahour a été appelé dans l'Armée de l'Air en novembre 1956. Après trois mois de classes à la Base de Transit Air de Marseille, il a passé 13 mois à la Base Aérienne du Bourget. Puis il a été affecté au 16e Bataillon de Chasseurs à Pied à Arras et, pour de courtes périodes, à différentes autres unités, avant de se retrouver « tringlot » et d'être envoyé en Algérie.

Le 1er juillet 1958, Maurice Cahour embarque à Marseille sur le Kairouan. Il appartiendra désormais au 586e Bataillon du Train. D'Alger, il est conduit en camion à Marceau (actuel village de Ménaceur), à vingt kilomètres de Cherchell. Il y reste jusqu'au 31 janvier 1960.

Le village de Marceau abrite dans un bordj le commandement du 586e BT et un Centre de Transit et de Tri (prison provisoire pour les rebelles arrêtés dans le secteur). Les quatre compagnies du 586e BT doivent contrôler une vaste zone de djebel. Elles sont dispersées dans des villages et des fermes isolées ; de nombreuses opérations de ratissage et escarmouches les opposent aux rebelles.

Le caporal Maurice Cahour est secrétaire de l'officier de renseignement ; il a donc la tâche d'enregistrer les interrogatoires, les entrées et sorties des prisonniers, de surveiller les visites. Cela lui a permis de rassembler de nombreux documents et de tenir un journal, qu'il a recopié quelques années plus tard. Son journal de 264 pages (Algérie 58 – LY 55 L 50)[not 1] , complété par des croquis, des cartes, des plans et un album de photos, est très précis et intéressant. Voici quelques extraits.

1° Arrivée à Alger :

« Le matin [2 juillet 1958], vers 5 h 45, après avoir avalé un café et deux croissants, je montai sur le pont. La baie d'Alger était en vue et les côtes apparaissaient encore plus escarpées et plus montagneuses que celles de Provence. Peu à peu, Alger la blanche (crème et verte) se précisa sur son flanc de colline. A 6 h 30, le Kairouan pénétrait dans le port et vingt minutes plus tard il était immobilisé au quai.

Une longue attente, puis nous débarquons. On nous rassemble et des militaires du service d'accueil distribuent des tracts et des petits livrets destinés à éclairer notre ignorance de la réalité algérienne. Nous traînons ensuite sur cinq cents mètres paquetages et valises, vers un autre coin du port. Nous regardons hébétés cette ville nouvelle pour presque tous, des yaouleds nous accostent pour cirer les chaussures et vendre des journaux... »

2° Présentation de Marceau :

« Marceau, 150 âmes, est un petit bled situé à 24 km de route au sud de Cherchell, et à 100 bornes à l'ouest d'Alger. L'agglomération se dresse au fond d'une vallée réputée par sa lourde chaleur en été. Entre les pitons, l'Oued Zaouia, simple filet d'eau, récupère le trop plein des sources qui font de Marceau un pays florissant. La route départementale goudronnée s'arrête là et celui qui veut s'enfoncer dans le djebel doit se véhiculer de ses propres moyens sur des pistes de viabilité incertaine.

Les fellahs cultivent leurs lopins de terre aux bords de l'oued ou dans le flanc des pitons à faible pente. Les gosses gardent les troupeaux dans la montagne : bœufs maigres, moutons et chèvres et, le soir venu, les gamins en criant rentrent leurs bêtes à la démarche nonchalante. Aux alentours du village des gourbis en terre ou des mechtas de roseaux abritent leurs constructions au milieu des jardins. Ces pauvres bâtisses contrastent avec les solides maisons de pierres de Marceau. Le village par lui-même n'a rien d'exceptionnel : une rue goudronnée bordée de platanes dispensateurs d'ombre et formée d'habitations sans relief peintes en blanc crémeux. Au milieu de cette artère principale, un petit square avec le monument aux morts sert de place publique. Deux rues sableuses se profilent parallèles à la route et se terminent dans l'allée qui descend de l'enceinte fortifiée qu'est le bordj au marché... »


3° Le souk :

« Le marché à Marceau, c'est l'événement de la semaine. Dans les douars des djebels, l'armée a eu l'heureuse initiative de créer des « souks ».

Tous les dimanches les indigènes d'El Gourine affluent de tous côtés par les pistes, les routes, les sentiers, vers Marceau. Légèrement en contre-bas de la route, sur un terrain en pente douce, le marché est délimité par une clôture de fil de fer et largement ombré par des oliviers millénaires.

De 8 à 11 heures les affaires battent leur plein, à ce moment plus de trois cents personnes se pressent à qui mieux mieux. Alignés près de la piste, les vendeurs offrent aux acheteurs éventuels leurs hottes remplies de fruits ou de légumes : énormes tomates rouges, melons jaunes ouverts, poivrons d'un beau vert foncé, amandes, pommes de terre, salades, haricots verts, oignons, pastèques, pommes. Et puis, lorsque l'été sera fini, les oranges, mandarines, citrons, pamplemousses remplaceront les grenades, figues fraîches, raisins.

Un peu plus bas, des camelots venus de Cherchell et de Marengo étalent pour le plaisir des yeux les multiples coloris de leurs couvertures, tapis, étoffes, vêtements, sacs, chaussures, tout cela arrangé en un désordre bien étudié.

– Eh ! Mon zami ti veux une couverture, rigarde, ci pas cher.
– Sahha, sahha, je n'ai besoin de rien.

Ah ! Ces commerçants, que n'ont-ils pas dans leur bazar ambulant : robes, chemises, culottes, ceintures, matelas, buffets, bibelots de toutes sortes, briquets, montres, bracelets, souvenirs.

[...] De temps en temps, des Européens et des soldats viennent remplir leurs sacs de provisions. Parfois, une fatma voilée fait son apparition au milieu de la masse compacte des hommes. Le mouvement ondulant des hanches et la finesse des chevilles permettent seuls de distinguer l'âge de cette femme dont les voiles blancs laissent un orifice d'un centimètre carré pour l'un de ses yeux.

C'est pourquoi l'on voit fréquemment les hommes tâter et choisir des robes pour leurs compagnes restées devant l'entrée du marché, ou tout simplement à la maison.

Dans un coin, le café en plein air l'été attire toujours beaucoup de monde. Assis nonchalamment par terre, les habitués dégustent le kaoua en mâchonnant leur affreux tabac à chiquer.

Tout à côté mais en-dehors de l'enceinte du marché, la vente des animaux de tous calibres bat son plein : bœufs, moutons, chèvres, ânes, mulets, tout cela forme une bruyante cacophonie. La volaille, elle, a sa place avec les légumes. »

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4° Mort d'un soldat :

« Le destin est là, et parfois il semble appeler ses victimes et les pousser vers leur fin. Marquès, petit pied-noir, était secrétaire de l'officier de renseignement du 586e B.T. Il ne sortait jamais du bordj fortifié, ce qui évidemment est ennuyeux en plein bled quand ses oreilles sont rabattues des exploits des crapahuteurs qui rentrent depuis des mois sans une égratignure. Un matin donc le lieutenant de la C.C.A.S.[not 2] partait avec une section en reconnaissance. Marquès le supplia de l'emmener. Il partit. Le groupe tomba sur une petite bande et l'accrochage eut lieu. Pas de dégâts. Un rebelle s'avance, semblant se rendre. Marquès s'avance vers lui en parlant arabe et il s'écroule le crâne traversé par une balle, lui qui ne sortait jamais. »

5° Opération du 25 août 1958 :

« Le 586e B.T. participe à une vaste opération montée à l'échelon du secteur. Dès 5 heures du matin, un convoi de jeeps et de voitures blindées emporte le commandant, l'O.R., lieutenant en tête, le toubib et ses infirmiers, les transmissions avec leur matériel et le command car, 20 prisonniers dans un G.M.C. Pour porter le matériel, un 4x4 transportant le mortier de 81 et la patrouille blindée de la C.C.A.S. complète l'ensemble.

A 6 heures, un avion broussard survole le terrain et l'observe. 6 h 30, 4 bombardiers arrivent et lâchent quelques bombes. Malheureusement un épais brouillard recouvre les montagnes et l'aviation doit abandonner son action.

Sont en place dans le secteur à nettoyer : des éléments du 1er B.T.A. (tirailleurs algériens), l'artillerie avec 11 canons, des tirailleurs sénégalais, le 586e B.T. et les parachutistes.

Peu après 6 h 30, les rebelles retournent habilement l'effet de surprise en montant à l'assaut en rangs compacts, ils sont 120 environ. Les gars du B.T.A. sont surpris dès l'abord, un militaire est tué et un autre porté disparu avec son arme collective, un F.M. Comment cela peut-il arriver ? Il y a sûrement eu faute grave du chef de pièce. Les Français se reprennent cependant et les mitrailleurs crachent par rafales sèches sur les rebelles qui se sont disséminés. C'est leur tactique favorite lorsque le feu est nourri. Le brouillard d'ailleurs facilite cette dispersion en petits paquets.

Après ce premier accrochage, l'artillerie et les mortiers pilonnent la zone infestée par les rebelles retranchés.

Vers 7 h 30, deux chars légers 12 tonnes Schaffy, 3 auto-mitrailleuses et 5 half-tracks arrivent par les pistes sur la forêt de Tizi Franco, ça crache toujours. La poussière soulevée par le convoi disparaît dans les nuages au plafond particulièrement bas, mais peu étendu.

10 h. Le soleil brille à nouveau, les tirs reprennent, les coups sourds des obus alternent avec les ta-ta-ta-ta des mitrailleuses. Un broussard revient survoler le terrain. Les rebelles tentent d'échapper à l'étau qui les enserre. Ils obligent nos soldats à crapahuter par monts et par pitons. Certains éléments feront le voyage à pied Tizi Franco-Gouraya, soit plus de 40 km avec parcours en dents de scie. Jusqu'au soir les gars harassés marcheront sans manger.

11 h 30. Les avions reviennent et, guidés depuis le sol par radio, ils mitraillent en piqué les uns à la suite des autres comme en un bal au tournis infernal, balayant le terrain de leurs 4 mitrailleuses.

12 h. Le B.T.A. accroche à nouveau une section rebelle dans le lit desséché d'un oued.

13 h. Un hélicoptère sanitaire fonce vers Blida, emmenant un blessé.

15 h. Les mitrailleuses crachent encore après une assez longue accalmie. Puis le terrain est fouillé méthodiquement. C'est très difficile, les broussailles et les arbustes trop denses empêchent la visibilité à plus de dix mètres. Un fellagha blessé tire avec son fusil Garant sur le brigadier Ledoeuil de la 2e Compagnie. La balle ricoche sur la cartouchière avant et rentre dans le bras, n'occasionnant qu'une blessure légère. Un hélicoptère le ramène à Marceau, d'où la Sanitaire l'évacue sur Blida pendant que l'hélico retourne en hâte sur les terrains des opés.

Les fouilles continuent, les morts sont dénombrés, les refuges fouillés. L'un d'eux, invisible d'avion, contenait plus de 100 kg de nourriture : viandes séchées, figues, biscuits, sucre, couvertures. Devant l'impossibilité de récupérer ces provisions, la cache est incendiée.

17 h. Les camions du B.T.A. arrivent à Marceau vides et attendent l'ordre de monter chercher les combattants.

18 h. 2 avions T6 armés survolent le bordj où se trouve le P.C. du 586e B.T. Puis ils rasent les crêtes voisines et plongent derrière les crêtes, vers le thalweg. Ils font ainsi plusieurs tours, volent un peu plus loin, recommencent, puis disparaissent.

19 h. Un camion 4x4 vient chercher le mortier du bordj.

20 h. Les camions montés redescendent les pistes en lacets et les phares allumés dans le lointain donnent l'illusion d'une retraite aux flambeaux. Mais les camions sont vides, l'opé continue.

21 h. Le poste d'écoute du bordj dévoile : Préparez l'assaut pour 22 h 30.

22 h. Les gars du 586e rentrent se coucher, eux ils sont tout près de leur base. Mais demain il faudra repartir de bonne heure. »

L'opération continue toute la journée du 26 août. Bilan : 47 rebelles tués ; du côté français 12 morts dont un capitaine et un lieutenant. L'Echo d'Alger fait état de ce bilan le 29 août, mais ne donne pas le nombre des « pertes dans les rangs amis ».

6° L'exécution de Si Idir et de Guekakma :

Un commerçant de Cherchell, Braham Nouar, est assassiné le 30 août 1958. Le lendemain, c'est un fermier, M. Cau. Au cours des opérations de représailles, les soldats du 586e B.T. blessent et arrêtent un chef F.L.N., Si Idir.

« 12 octobre. Si Idir a perdu beaucoup de sang. Il est soigné et un de ses bras est immobilisé. Le lendemain de l'opé, le dimanche matin, il va mieux. Il parle, reconnaît que M. Nouar a été condamné à mort pour avoir refusé de verser une certaine somme d'argent. Il dénonce l'assassin de M. Cau : Yacoubi Mouloud, et raconte d'autres détails moins intéressants.

Le soir, il fume, disant que les Français sont gentils. Il est endormi et transporté à Galibert. On creuse un trou. Miraillès le réveille et il se voit avec frayeur au bord de sa tombe. Avec son P.M., le tueur de l'O.R. tire trois balles dans le crâne et cinq dans la poitrine. Puis d'un coup de pied il le balance dans le trou. Son corps est recouvert de terre. Si Idir a vécu. »

Le 22 décembre, Guekakma, commerçant de Marceau, est arrêté sur dénonciation. Dans sa mechta, les soldats trouvent un révolver chargé.

« A l'interrogatoire, Guekakma, membre du Comité des Trois du sous-secteur d'El Gourine, reconnaît avoir succédé à Hendi, chef tué. L'ancien épicier de Marceau est au maquis depuis deux ans. Assez grand, 45 ans environ. Il déclare n'avoir rien fait, ni tué qui que ce soit. Sonné de coups, passé au courant, il ne dira rien de plus : « Tuez-moi plutôt que de me battre ».

Le lendemain soir, Miraillès et le lieutenant l'interrogent pendant que commando et camionnette se préparent pour l'exécuter. Il ne dit que des fariboles et accepte, très fataliste, son destin sans essayer de réagir. On l'emmène à Galibert, Miraillès le descend d'une rafale de P.M. et il est enterré. »

7° Retour en France :

« 31 janvier. 7 h 30. Départ en camions après distribution à chacun de fusils américains Garant avec 16 balles. Trois camions et une jeep forment le convoi, de quoi se faire avoir dans une bonne embuscade. Je préfère mettre un chargeur dans mon Garant.

9 h 30. Après avoir vu défiler une dernière fois la route si connue et fascinante de Marceau à Alger, nous descendons des camions près du port d'Alger et rendons les fusils. J'ai du mal à extraire mon chargeur car je ne connais pas le mécanisme du fusil. Attente. J'achète des vues panoramiques d'Alger à un yaouled.

Nous sommes tous là tranquilles, comme ahuris, n'osant pas croire à la quille après 27 mois d'armée.

Enfin on nous appelle. Nous nous rangeons en file dans le sous-sol de la gare maritime et regardons le long chapelet des libérables qui montent dans le bateau et y pénètrent. Longue attente avant de mettre les pieds sur le Kairouan. J'aurais préféré le Ville d'Alger que je ne connaissais pas.

12 h. Le navire quitte lentement le quai d'accostage. La traversée est d'un calme aussi plat du côté de la mer que de celui des quillards. Ils n'y croient pas encore. Ils se massent à l'avant du pont et contemplent cette mer qui les ramène enfin vers la métropole.


  • Texte communiqué par Pierre Volut
  • Transcripteur Martine NOËL (discussion) 29 janvier 2024 à 12:17 (CET)
  • Images :Album M. Cahour

Notes et références

Notes

  1. LY 55 L 50 correspond aux coordonnées du village de Marceau sur les cartes d'Etat-Major.
  2. C.C.A.S. : Compagnie de Commandement et d'Administration Spéciale.

References