« Carnet de route de Jean Petitjean (suite) » : différence entre les versions

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*Cette magnifique lettre est lue devant tous les hommes de la deuxième batterie et arrache des larmes à ceux qui on connu ce héros.<br> La deuxième batterie a répondu par l’intermédiaire de notre Capitaine Bellingard, une lettre de remerciement et lui annonçant que la deuxième batterie, le nommait :<br>  
*Cette magnifique lettre est lue devant tous les hommes de la deuxième batterie et arrache des larmes à ceux qui on connu ce héros.<br> La deuxième batterie a répondu par l’intermédiaire de notre Capitaine Bellingard, une lettre de remerciement et lui annonçant que la deuxième batterie, le nommait :<br>  
:::::::::'''CAPITAINE COMMANDANT D’HONNEUR DE LA DEUXIEME BATTERIE.'''<br><br>
:::::::::'''CAPITAINE COMMANDANT D’HONNEUR DE LA DEUXIEME BATTERIE.'''<br>
 
<font color="blue"><u>'''Jeudi 1<small><sup>er</sup></small> juillet 1915.</u> '''</font color="blue"><br>
*Nous quittons notre position à 3 heures du matin, position que nous occupons depuis 4 mois.<br>
*Nous arrivons à Sorcy à 10 heures du matin. Le village à l’air agréable. Il est propre. Les gens paraissent très atterrés, ils louent leurs lits et préfèrent coucher dans la paille que de manquer l’occasion de gagner un franc.<br> Ces 4 mois de plateau de Liouville ne nous ont pas trop fatigués. La position était très dure à chaque instant. Les obus arrivaient. Il fallait être prudent et ne pas trop se promener dans les régions crapouillotées car on risquait toujours un éclat ou une balle. Nous nous y étions habitués et quand on a parlé du départ, tout le monde aurait voulu rester. Les abris étaient solides, bien construits et confortables. Il y avait du reste, de la place devant chaque cagna. On avait planté des arbres jeunes qu’on espérait voir grandir quelques mois encore.<br> De petits jardins étaient aménagés partout. On cultivait les fleurs et les légumes. Il y avait des jardins véritablement superbes où toutes les fleurs étaient naturelles. Ce fut d’abord le muguet, puis les anémones puis toutes les nombreuses fleurs des bois.<br> Dans les jardins potagers : la culture de la salade, des choux, des radis étaient générale. Quelques jardins cultivaient des fraisiers, des pommes de terre enfin tout ce que l’on espérait pouvoir manger un jour.<br> Un grand nombre de ces habitants préhistoriques possédait des cages où on élevait des petits oiseaux, puis dans les bois quelques-uns avaient des lapins. Presque tous des chiens qui étaient devenus nos bons amis.<br> Les pauvres bêtes avaient beaucoup de mal à s’habituer aux éclatements d’obus.<br> Comme ornement ce n’était pas difficile. Les pignons étaient faits avec des obus pas trop abîmés. Il y avait là toute la gamme des obus boches depuis l’inoffensif 77, le vieux 88, des 105  nombreux, 130, 150, 210 et le colossal 305.<br> Comme ornement intérieur, il y avait les fusées de 105, 130 et 77.<br> Et tout cela avait un aspect étrange.<br>
*Des industries s’étaient également montées. Ce fut d’abord les fabricants de cannes les plus variées, des sifflets, des objets de toutes sortes puis l’industrie de la bague vient détrôner celle de la canne, les fabricants de bagues n’avaient jamais soif car les habitudes du régiment étaient revenues. On ne recevait pas d’argent. C’était pour un litre ou deux que l’on faisait une bague. Personne n’aurait voulu d’argent.<br> Tous les parents et amis recevaient ainsi la bague du front. Souvenir de l’endroit où l’on vivait la vie de sauvage.<br> Dans ce bois, il y avait de l’Artillerie de différents calibres. D’abord les 75 qui avaient 12 pièces. Les 155 longs et carrés, une pièce de marine pris à deux cents mètres. Le fort de Liouville avec des pièces. Une section de 75 pour tir sur avions était sur la crête d’en face, à deux cents mètres de chez nous. Dans le bas, un village, Saint-Julien, complètement démoli par la mitraille boche. Dans ces ruines, quelques habitants vivaient une vie infernale mais malgré le peu de sécurité qu’offrait ce malheureux village, ils restaient là attachés à leur foyer. En avant de nous, c’était : Saint-Agnan et Apremont occupés du reste par les Boches.<br> Nos pertes durant ces quatre mois furent insignifiantes : 3 morts et une quarantaine de blessés. Deux pièces furent démolies par les obus boches. 16 autres sautèrent par la faute d’une fabrication défectueuse d’obus.<br> Heureusement, il n’y eut chaque fois que des blessés légers.<br> Par une étude soignée, on est arrivé à savoir d’où provenaient ces éclatements de pièces.<br> Les obus fabriqués dans différentes usines par des mains souvent inexpérimentées étaient à parois irrégulières, souvent l’obus était trop gros pour la bouche du canon.<br> Il arrivait que la pièce au bout de quelques coups chauffait, les obus mauvais dès le départ avaient une renflure. Il en résultait que l’obus se grippe dans l’âme de la pièce, un éclatement se produisait alors et la pièce sautait en quantité de morceaux.<br> Nous avons ainsi perdu 1220 pièces depuis le début de la guerre. Une responsabilité très grande incombe à ceux qui prenaient dans leurs usines des gens qui n’avaient jamais manié un outil mais qui grâce à des amitiés criminelles trouvaient une place de tourneur dans une usine et étaient dispensés de ce fait d’aller se battre.<br> Les fautes ont eu pour résultat la perte d’un grand nombre d’obus inutilisables. La perte de plus de 1200 pièces de 75.<br> La perte d’hommes est assez grave, celle de blessés ou tués par ces mauvais obus. Une prolongation de la guerre de plusieurs mois à cause du déchet d’obus, qui nous a certainement gênés dans l’offensive du printemps qui n’a pu être faite.<br> Il y a là des coupables. Je dirai des criminels. Il faudra après la guerre les rechercher et les punir comme ils le méritent.<br>
*Il n’y a pas du reste que là où il y a eu de grosses fautes de commises. Elles sont nombreuses, presque toutes criminelles, puisque la vie des combattants en dépend. Il faudra rechercher tous ces coupables. Les combattants le veulent et l’exigent. Ils l’auront car ils ne reculeront devant aucun sacrifice pour cela.<br>
*Avec ce mois de juillet, nous commençons notre douzième mois de guerre et cela ne semble pas près de se terminer.<br> La situation des Alliés semble très bonne quoique les Russes aient subi un échec grave. Le front continue à opposer assez de résistance pour espérer un retour offensif sérieux de la part de nos amis.<br> Les Italiens avancent lentement, ils occupent les Autri-Allemands [Austro-Allemands].<br> C’est le principal !<br>
*Les Serbes se reposent.<br> Les Belges tiennent bien les quelques kilomètres de notre front.<br> Les Anglais continuent à faire un sérieux effort pour nous soulager. Nous nous tenons et même nous restons presque toujours maître des tranchées prises à Varmentes, malgré les furieuses contre-attaques.<br> Dans notre région, le mois de juin a été d’un calme complet.<br> Je ne crois pas que ce mois de juillet nous apporte un changement sérieux dans la situation générale. Il faut attendre le mois d’août pour voir surgir un événement important.<br> Tel que la fin de la Turquie, la participation de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Grèce.<br> Les Allemands nous attaqueront fortement mais ils en seront pour leurs frais. On peut donc s’attendre à subir la guerre pendant de longs mois encore.<br> Peut-être mieux, ferons-nous la campagne d’hiver mais d’ici là, des événements importants seront accomplis. Notre force sera nettement supérieure, nous dominerons l’adversaire et cette campagne d’hiver, si elle se produisait, ne serait pas aussi  terrible que la première.<br> Ayons donc encore de la patience. Sachons tenir avec bonne humeur. Ne pensons pas à la paix mais seulement à la Victoire.
 
<font color="blue"><u>'''Mercredi 14 juillet 1915.</u> '''</font color="blue"><br>
*C’est aujourd’hui le jour de la Fête Nationale ; que de souvenirs très forts que me rappelle cet anniversaire. Année glorieuse de 1789 qui en ce jour sublime sut donner au peuple français les premières notions de Justice, de Liberté et de Droit, par la prise de la citadelle de la Bastille, prison où on vous enfermait sans jugement. Le peuple parisien sut se libérer de ce joug honteux, féroce et profondément injuste. La Justice alors commença à apparaître sur la terre de France. Elle germa et fit de nous un peuple libre, juste, généreux, prêt aux sacrifices pour des causes justes. Le germe ne resta pas seulement sur la terre française ! Il partit chez les nations voisines et une ère nouvelle commença pour les peuples asservis par le joug des tyrans. L’espérance dans la Liberté, la Justice, le Droit. Aussi pour nous Républicains, cette date représente plus qu’une Fête Nationale. Elle représente véritablement la Fête Internationale, la fête du progrès, de la justice.<br>
*Quelle belle comparaison à faire avec 1915. Au jour où l’ennemi de la civilisation souille encore notre sol, nous comprenons mieux que jamais ce jour symbolique et lorsque la victoire certaine arrivera, ce sera une autre date de progrès vers un idéal supérieur de civilisation dans le droit, contre la force brutale et barbare !<br> Nos pères ont donné leur sang en 89 pour la Liberté de la France !<br> Nous autres leurs fils, de 1914-1915, nous le donnerons pour le monde et la civilisation.<br>
*Pour ce jour notre Capitaine, sincère Républicain, donne de champagne et un déjeuner plus délicat que de coutume.<br> Je prononce quelques paroles à la table sur cette glorieuse journée et cherche à faire comprendre la beauté pleine de sacrifice de cette grande journée dans le progrès de la Justice, de la Liberté et de la Civilisation. Elle viendra, j’en suis sûr.<br><br>  


Texte de Pierre Volut  http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/  mis en page par --[[Utilisateur:Mnoel|Mnoel]] 5 juin 2015 à 14:53 (CEST)
Texte de Pierre Volut  http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/  mis en page par --[[Utilisateur:Mnoel|Mnoel]] 5 juin 2015 à 14:53 (CEST)

Version du 23 juillet 2015 à 11:12

Guerre 1914-1918 57.jpg

Mardi 1er juin 1915 :

  • Voilà que nous commençons le 11ème mois de guerre !
    C’est effrayant de penser que nous sommes encore vivants après 10 mois passés sous les balles, bouteilles et obus, bien peu nombreux hélas !
    Car pour ceux qui comme moi en sont sortis indemnes, que de camarades morts ! Tués au champ d’honneur, blessés grièvement et qui resteront estropiés ! C’est affreux la guerre !
    Nous avons eu durant le dernier mois une joie. La participation de l’Italie qui nous fera raccourcir la guerre de quelques mois. Mais hélas nous qui pensions, qui croyions à une offensive du Printemps, nous avons été déçus ! L’offensive a raté. Dans notre secteur, l’offensive a été mal organisée ; l’entrain de l’offensive a pris des caractères spéciaux, c’est-à-dire de la continuité dans l’offensive mais, comme nous n’attaquons maintenant que dans ce secteur, les Boches ont emmené des renforts considérables et la percée tant escomptée restera comme toutes les autres.
    Il nous faudrait attaquer sur tous les fronts à la fois. L’ennemi serait sûrement culbuté mais pour cela il faut sacrifier beaucoup d’hommes.
    Mais le sacrifice serait moins grand que dans les attaques partielles comme nous les faisons depuis 8 mois.
    Enfin, il faut se résoudre à la tactique de notre Joffre, car il a vaincu dans la Marne alors que beaucoup désespèrent. Il doit attendre encore quelque chose peut-être, l’intervention pour le mois de juin et en Transylvanie. La Grèce, la Bulgarie suivront certainement mais il faut compter plusieurs mois pour fêter ce digne événement.
    Peut-être alors, verrons-nous la décadence de ces Germains qui, si on veut bien être franc, sont merveilleux.
    Napoléon n’eût pas fait mieux. Ils sont malgré les actes de barbarie commis certainement par une bande de saoûlots, héroïques et sortiront de cette guerre battus, c’est certain. Aucune puissance n’eût pu vaincre contre pareille coalition.
    Ils ont commis des fautes comme tous les gens qui se croient impossibles à battre. Ils seront battus d’ici quelques mois par leur faute.
    L’organisation est leur force mais ce sont des soldats et non des guerriers, comme nous autres. Notre histoire est là pour le prouver. Ils se sont crus imbattables et ils ont commis des fautes d’étourdis dont heureusement nous avons profité.
    Nul soldat allié ne doute maintenant de la victoire. Nous avons pour nous le Droit et la Force.
    Notre victoire sera peut-être moins belle que leur défaite mais ce sera la cause de la Justice et de la Liberté qui triompheront. Ce sera une plus belle victoire pour nous autres Français Républicains qui aurons su nous mettre à la tête de ce grand mouvement d’émancipation des peuples, asservis sous le joug du Germanisme.
    Allons, saluons encore une fois ce mois de juin qui sera un des derniers de cette terrible guerre où les peuples se massacrent pour la cause du Droit et de la Liberté.
    Vive la République qui par sa loyauté sa franchise diplomatique a su s’attirer l’Italie, qui avec la Roumanie feront triompher des idées du Latinisme, qui sont les idées de civilisation et les idées du Droit.

Jeudi 10 juin 1915 :

  • Journée calme. Nous recevons une lettre de notre ancien Capitaine, le Capitaine Dupont, que nous avons tous regretté au mois de septembre lorsqu’il est tombé près de nous grièvement blessé. Le pauvre ami a quitté définitivement le Commandement de la 2ème batterie. Que de souvenirs nous évoque cette belle lettre que je copie sur mon carnet de route les larmes aux yeux.

LETTRE DU CAPITAINE DUPONT

Bourges le 2 juin 1915
A ma Chère Batterie,
Je n’avais qu’un espoir depuis de long mois. C’était de me remettre suffisamment pour aller vous retrouver et terminer la campagne que nous avions commencée ensemble pendant les dures journées d’Août et de Septembre.
Nous avions été ensemble à la peine. J’aurais voulu que nous soyons ensemble à l’honneur.
Malheureusement, les médecins me déclarent inapte à faire campagne dans une batterie montée pendant des mois encore. J’ai donc demandé le commandement d’une batterie d’auto-canons contre avions-poste qui ne demande ni équitation, ni marche, ni terrain varié.
Je pourrai ainsi continuer à faire ce que vous faites tous : servir la France qui a besoin de toutes nos bonnes volontés.
Je vous ai vus à l’œuvre pendant des semaines et des mois et je n’oublierai jamais les dates du 20 et 26 septembre qui peuvent être inscrites en lettres d’or dans l’histoire de la 2ème batterie.
Vous aviez montré ces jours-là ce que vous étiez capables de faire. Je sais que sous la conduite d’un Capitaine en qui vous aviez justement confiance, vous avez continué depuis.
J’étais fier de vous commander. J’en étais heureux aussi car vous m’avez donné la plus grande joie qui puisse avoir un chef, celle de sentir les cœurs de tous ses hommes vibrer à l’unisson avec le sien dans un commun amour de la Patrie.
Vous avez toujours fait votre devoir et vous l’avez fait gaiement, vaillamment à la française. Je n’oublierai jamais non plus la confiance, le dévouement, l’attachement dont vous m’avez donné tant de preuves.
De tout cela, Officiers, Sous-Officiers, brigadiers et canonniers de la 2ème batterie, mes bons compagnons d’armes, je vous remercie du fond du cœur. J’emporte votre souvenir à jamais gravé dans ma mémoire.
Continuons tous, chacun de notre côté, à servir de toutes nos forces, notre Chère Patrie et crions, une dernière fois ensemble « Vive la France ».
Votre Capitaine et ami.
DUPONT

  • Cette magnifique lettre est lue devant tous les hommes de la deuxième batterie et arrache des larmes à ceux qui on connu ce héros.
    La deuxième batterie a répondu par l’intermédiaire de notre Capitaine Bellingard, une lettre de remerciement et lui annonçant que la deuxième batterie, le nommait :
CAPITAINE COMMANDANT D’HONNEUR DE LA DEUXIEME BATTERIE.

Jeudi 1er juillet 1915.

  • Nous quittons notre position à 3 heures du matin, position que nous occupons depuis 4 mois.
  • Nous arrivons à Sorcy à 10 heures du matin. Le village à l’air agréable. Il est propre. Les gens paraissent très atterrés, ils louent leurs lits et préfèrent coucher dans la paille que de manquer l’occasion de gagner un franc.
    Ces 4 mois de plateau de Liouville ne nous ont pas trop fatigués. La position était très dure à chaque instant. Les obus arrivaient. Il fallait être prudent et ne pas trop se promener dans les régions crapouillotées car on risquait toujours un éclat ou une balle. Nous nous y étions habitués et quand on a parlé du départ, tout le monde aurait voulu rester. Les abris étaient solides, bien construits et confortables. Il y avait du reste, de la place devant chaque cagna. On avait planté des arbres jeunes qu’on espérait voir grandir quelques mois encore.
    De petits jardins étaient aménagés partout. On cultivait les fleurs et les légumes. Il y avait des jardins véritablement superbes où toutes les fleurs étaient naturelles. Ce fut d’abord le muguet, puis les anémones puis toutes les nombreuses fleurs des bois.
    Dans les jardins potagers : la culture de la salade, des choux, des radis étaient générale. Quelques jardins cultivaient des fraisiers, des pommes de terre enfin tout ce que l’on espérait pouvoir manger un jour.
    Un grand nombre de ces habitants préhistoriques possédait des cages où on élevait des petits oiseaux, puis dans les bois quelques-uns avaient des lapins. Presque tous des chiens qui étaient devenus nos bons amis.
    Les pauvres bêtes avaient beaucoup de mal à s’habituer aux éclatements d’obus.
    Comme ornement ce n’était pas difficile. Les pignons étaient faits avec des obus pas trop abîmés. Il y avait là toute la gamme des obus boches depuis l’inoffensif 77, le vieux 88, des 105 nombreux, 130, 150, 210 et le colossal 305.
    Comme ornement intérieur, il y avait les fusées de 105, 130 et 77.
    Et tout cela avait un aspect étrange.
  • Des industries s’étaient également montées. Ce fut d’abord les fabricants de cannes les plus variées, des sifflets, des objets de toutes sortes puis l’industrie de la bague vient détrôner celle de la canne, les fabricants de bagues n’avaient jamais soif car les habitudes du régiment étaient revenues. On ne recevait pas d’argent. C’était pour un litre ou deux que l’on faisait une bague. Personne n’aurait voulu d’argent.
    Tous les parents et amis recevaient ainsi la bague du front. Souvenir de l’endroit où l’on vivait la vie de sauvage.
    Dans ce bois, il y avait de l’Artillerie de différents calibres. D’abord les 75 qui avaient 12 pièces. Les 155 longs et carrés, une pièce de marine pris à deux cents mètres. Le fort de Liouville avec des pièces. Une section de 75 pour tir sur avions était sur la crête d’en face, à deux cents mètres de chez nous. Dans le bas, un village, Saint-Julien, complètement démoli par la mitraille boche. Dans ces ruines, quelques habitants vivaient une vie infernale mais malgré le peu de sécurité qu’offrait ce malheureux village, ils restaient là attachés à leur foyer. En avant de nous, c’était : Saint-Agnan et Apremont occupés du reste par les Boches.
    Nos pertes durant ces quatre mois furent insignifiantes : 3 morts et une quarantaine de blessés. Deux pièces furent démolies par les obus boches. 16 autres sautèrent par la faute d’une fabrication défectueuse d’obus.
    Heureusement, il n’y eut chaque fois que des blessés légers.
    Par une étude soignée, on est arrivé à savoir d’où provenaient ces éclatements de pièces.
    Les obus fabriqués dans différentes usines par des mains souvent inexpérimentées étaient à parois irrégulières, souvent l’obus était trop gros pour la bouche du canon.
    Il arrivait que la pièce au bout de quelques coups chauffait, les obus mauvais dès le départ avaient une renflure. Il en résultait que l’obus se grippe dans l’âme de la pièce, un éclatement se produisait alors et la pièce sautait en quantité de morceaux.
    Nous avons ainsi perdu 1220 pièces depuis le début de la guerre. Une responsabilité très grande incombe à ceux qui prenaient dans leurs usines des gens qui n’avaient jamais manié un outil mais qui grâce à des amitiés criminelles trouvaient une place de tourneur dans une usine et étaient dispensés de ce fait d’aller se battre.
    Les fautes ont eu pour résultat la perte d’un grand nombre d’obus inutilisables. La perte de plus de 1200 pièces de 75.
    La perte d’hommes est assez grave, celle de blessés ou tués par ces mauvais obus. Une prolongation de la guerre de plusieurs mois à cause du déchet d’obus, qui nous a certainement gênés dans l’offensive du printemps qui n’a pu être faite.
    Il y a là des coupables. Je dirai des criminels. Il faudra après la guerre les rechercher et les punir comme ils le méritent.
  • Il n’y a pas du reste que là où il y a eu de grosses fautes de commises. Elles sont nombreuses, presque toutes criminelles, puisque la vie des combattants en dépend. Il faudra rechercher tous ces coupables. Les combattants le veulent et l’exigent. Ils l’auront car ils ne reculeront devant aucun sacrifice pour cela.
  • Avec ce mois de juillet, nous commençons notre douzième mois de guerre et cela ne semble pas près de se terminer.
    La situation des Alliés semble très bonne quoique les Russes aient subi un échec grave. Le front continue à opposer assez de résistance pour espérer un retour offensif sérieux de la part de nos amis.
    Les Italiens avancent lentement, ils occupent les Autri-Allemands [Austro-Allemands].
    C’est le principal !
  • Les Serbes se reposent.
    Les Belges tiennent bien les quelques kilomètres de notre front.
    Les Anglais continuent à faire un sérieux effort pour nous soulager. Nous nous tenons et même nous restons presque toujours maître des tranchées prises à Varmentes, malgré les furieuses contre-attaques.
    Dans notre région, le mois de juin a été d’un calme complet.
    Je ne crois pas que ce mois de juillet nous apporte un changement sérieux dans la situation générale. Il faut attendre le mois d’août pour voir surgir un événement important.
    Tel que la fin de la Turquie, la participation de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Grèce.
    Les Allemands nous attaqueront fortement mais ils en seront pour leurs frais. On peut donc s’attendre à subir la guerre pendant de longs mois encore.
    Peut-être mieux, ferons-nous la campagne d’hiver mais d’ici là, des événements importants seront accomplis. Notre force sera nettement supérieure, nous dominerons l’adversaire et cette campagne d’hiver, si elle se produisait, ne serait pas aussi terrible que la première.
    Ayons donc encore de la patience. Sachons tenir avec bonne humeur. Ne pensons pas à la paix mais seulement à la Victoire.

Mercredi 14 juillet 1915.

  • C’est aujourd’hui le jour de la Fête Nationale ; que de souvenirs très forts que me rappelle cet anniversaire. Année glorieuse de 1789 qui en ce jour sublime sut donner au peuple français les premières notions de Justice, de Liberté et de Droit, par la prise de la citadelle de la Bastille, prison où on vous enfermait sans jugement. Le peuple parisien sut se libérer de ce joug honteux, féroce et profondément injuste. La Justice alors commença à apparaître sur la terre de France. Elle germa et fit de nous un peuple libre, juste, généreux, prêt aux sacrifices pour des causes justes. Le germe ne resta pas seulement sur la terre française ! Il partit chez les nations voisines et une ère nouvelle commença pour les peuples asservis par le joug des tyrans. L’espérance dans la Liberté, la Justice, le Droit. Aussi pour nous Républicains, cette date représente plus qu’une Fête Nationale. Elle représente véritablement la Fête Internationale, la fête du progrès, de la justice.
  • Quelle belle comparaison à faire avec 1915. Au jour où l’ennemi de la civilisation souille encore notre sol, nous comprenons mieux que jamais ce jour symbolique et lorsque la victoire certaine arrivera, ce sera une autre date de progrès vers un idéal supérieur de civilisation dans le droit, contre la force brutale et barbare !
    Nos pères ont donné leur sang en 89 pour la Liberté de la France !
    Nous autres leurs fils, de 1914-1915, nous le donnerons pour le monde et la civilisation.
  • Pour ce jour notre Capitaine, sincère Républicain, donne de champagne et un déjeuner plus délicat que de coutume.
    Je prononce quelques paroles à la table sur cette glorieuse journée et cherche à faire comprendre la beauté pleine de sacrifice de cette grande journée dans le progrès de la Justice, de la Liberté et de la Civilisation. Elle viendra, j’en suis sûr.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 5 juin 2015 à 14:53 (CEST)