« Unis comme au front autour d'une table » : différence entre les versions

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*Gabriel Breton a consacré un chapitre de son roman ''Tonin'' à un banquet d'anciens combattants. Un banquet qui se tient le 11 novembre 1919, premier anniversaire de l'Armistice. Le marchand de vin Tonin Roucault a engraissé un cochon - prénommé ''Guillaume'' - en prévision de l'hiver; lorsque ''Guillaume'' atteint les cents kilos, Tonin se range aux avis de son ami Philippe : "''On pourrait peut-être organiser une petite fête pour le 11 novembre. C'est l'anniversaire de notre victoire, en somme. On mangerait le boudin et les grillades ensemble. On ferait quelques bonnes galettes aux grillaudes ; les gratons ne te manqueraient pas. Je peux arranger très bien tout cela. On te paierait les frais, bien sûr, et ta marchandise, et on te prendra une pièce de vin."'' Les préparatifs du banquet, l'aménagement d'une grange durent un bon mois. La veille de la date prévue, ''Guillaume'' est mis à mort, dépecé, transformé en mets appétissants.<br> La grange, débarrassée de ses toiles d'araignées, est ornée de drapeaux tricolores. "''On y joignit par reconnaissance un fanion anglais et un emblème américain, pour ménager toutes les susceptibilités et n'être pas en reste avec nos alliés. Pour compléter, Philippe fit déployer enfin au-dessus de la table une immense banderole sur laquelle un peintre local s'était ingénié à tracer en lettres noires aussi hautes que possible la formule à la mode : "Unis comme au front !"''<br> Les invités arrivent par petits groupes, drainant avec eux amis, connaissances et désœuvrés. Le cochon est entièrement dévoré, le quarteau de vin mis en perce est vite épuisé. Alors, les anciens combattants échangent leurs souvenirs : "''Les "t'en souviens-tu... ?","tu te rappelles" ou... "la fois où nous étions..." commandaient le défilé des heures gaies ou sombres, heureuses ou malheureuses, dont le rappel formait le canevas du drame dont tous avaient été, bien malgré eux, les acteurs bénévoles... Il n'était pas question d'action d'éclat. Le combattant a la pudeur de ses exploits personnels qu'il est très mal placé pour juger et qui, au fond, ne l'intéressent guère. Ce qui comptait, c'étaient les jours de misère et de peine. Au fond de leur quart, ils retrouvaient la boue des tranchées, les longues heures de veille sous la pluie glaciale, les ravitaillements parcimonieux. Ceux de la Marne ne s'extasiaient pas devant les charges répétées à la baïonnette ou le feu de leurs chaînes de tirailleurs en pantalon garance alors qu'ils ménageaient leurs dernières munitions... Non, c'était le rappel des étapes prodigieuses le long des routes parsemées d'épaves; pour ceux de Verdun, c'était mieux que cette infernale canonnade : ces terrains où l'on s'enlisait, et ces trous d'obus où disparaissaient des corvées tout entières.<br> Enfin, on se lassa des souvenirs et l'on réclama les chansons. Chansons de guerre... chansons de marche... reprises en chœur par tous les convives, avec accompagnement de bruit de couteaux et de fourchettes sur les quarts et les assiettes." ''Les convives entonnent ''La Madelon, Tipperary, Les godillots sont lourds dans l'sac, Auprès de ma blonde...'' Ils passent insensiblement aux chansons civiles : ''Le Temps des cerises, Les Blés d'or'' et terminent brillamment avec ''Le Cornemuseux''.<br> "''Cette séance de chant ayant asséché les gosiers, les brocs circulèrent de nouveau tandis que les bouteilles de vieux marc faisaient leur apparition pour dignement clôturer la cérémonie.''" Le petit jour se lève sur une assemblée fort éméchée, assez mal en point. "''La mine défaite, le teint verdâtre, agités de nausées"'', les héros regagnent leurs demeures en titubant. Et Tonin Roucault, l'organisateur du banquet est bien désolé car, de son ''Guillaume'', il ne reste plus que la tête et les quatre pattes, et ce sera bien maigre pour assurer la nourriture hivernale<small><sup>(1)</sup></small>.<br><br>
*Gabriel Breton a consacré un chapitre de son roman ''Tonin'' à un banquet d'anciens combattants. Un banquet qui se tient le 11 novembre 1919, premier anniversaire de l'Armistice. Le marchand de vin Tonin Roucault a engraissé un cochon - prénommé ''Guillaume'' - en prévision de l'hiver; lorsque ''Guillaume'' atteint les cents kilos, Tonin se range aux avis de son ami Philippe : "''On pourrait peut-être organiser une petite fête pour le 11 novembre. C'est l'anniversaire de notre victoire, en somme. On mangerait le boudin et les grillades ensemble. On ferait quelques bonnes galettes aux grillaudes ; les gratons ne te manqueraient pas. Je peux arranger très bien tout cela. On te paierait les frais, bien sûr, et ta marchandise, et on te prendra une pièce de vin."'' Les préparatifs du banquet, l'aménagement d'une grange durent un bon mois. La veille de la date prévue, ''Guillaume'' est mis à mort, dépecé, transformé en mets appétissants.<br> La grange, débarrassée de ses toiles d'araignées, est ornée de drapeaux tricolores. "''On y joignit par reconnaissance un fanion anglais et un emblème américain, pour ménager toutes les susceptibilités et n'être pas en reste avec nos alliés. Pour compléter, Philippe fit déployer enfin au-dessus de la table une immense banderole sur laquelle un peintre local s'était ingénié à tracer en lettres noires aussi hautes que possible la formule à la mode : "Unis comme au front !"''<br> Les invités arrivent par petits groupes, drainant avec eux amis, connaissances et désœuvrés. Le cochon est entièrement dévoré, le quarteau de vin mis en perce est vite épuisé. Alors, les anciens combattants échangent leurs souvenirs : "''Les "t'en souviens-tu... ?","tu te rappelles" ou... "la fois où nous étions..." commandaient le défilé des heures gaies ou sombres, heureuses ou malheureuses, dont le rappel formait le canevas du drame dont tous avaient été, bien malgré eux, les acteurs bénévoles... Il n'était pas question d'action d'éclat. Le combattant a la pudeur de ses exploits personnels qu'il est très mal placé pour juger et qui, au fond, ne l'intéressent guère. Ce qui comptait, c'étaient les jours de misère et de peine. Au fond de leur quart, ils retrouvaient la boue des tranchées, les longues heures de veille sous la pluie glaciale, les ravitaillements parcimonieux. Ceux de la Marne ne s'extasiaient pas devant les charges répétées à la baïonnette ou le feu de leurs chaînes de tirailleurs en pantalon garance alors qu'ils ménageaient leurs dernières munitions... Non, c'était le rappel des étapes prodigieuses le long des routes parsemées d'épaves; pour ceux de Verdun, c'était mieux que cette infernale canonnade : ces terrains où l'on s'enlisait, et ces trous d'obus où disparaissaient des corvées tout entières.<br> Enfin, on se lassa des souvenirs et l'on réclama les chansons. Chansons de guerre... chansons de marche... reprises en chœur par tous les convives, avec accompagnement de bruit de couteaux et de fourchettes sur les quarts et les assiettes." ''Les convives entonnent ''La Madelon, Tipperary, Les godillots sont lourds dans l'sac, Auprès de ma blonde...'' Ils passent insensiblement aux chansons civiles : ''Le Temps des cerises, Les Blés d'or'' et terminent brillamment avec ''Le Cornemuseux''.<br> "''Cette séance de chant ayant asséché les gosiers, les brocs circulèrent de nouveau tandis que les bouteilles de vieux marc faisaient leur apparition pour dignement clôturer la cérémonie.''" Le petit jour se lève sur une assemblée fort éméchée, assez mal en point. "''La mine défaite, le teint verdâtre, agités de nausées"'', les héros regagnent leurs demeures en titubant. Et Tonin Roucault, l'organisateur du banquet est bien désolé car, de son ''Guillaume'', il ne reste plus que la tête et les quatre pattes, et ce sera bien maigre pour assurer la nourriture hivernale<small><sup>(1)</sup></small>.<br><br>

Version du 8 juin 2021 à 11:41

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Guerre 1914-1918 57.jpg
  • Gabriel Breton a consacré un chapitre de son roman Tonin à un banquet d'anciens combattants. Un banquet qui se tient le 11 novembre 1919, premier anniversaire de l'Armistice. Le marchand de vin Tonin Roucault a engraissé un cochon - prénommé Guillaume - en prévision de l'hiver; lorsque Guillaume atteint les cents kilos, Tonin se range aux avis de son ami Philippe : "On pourrait peut-être organiser une petite fête pour le 11 novembre. C'est l'anniversaire de notre victoire, en somme. On mangerait le boudin et les grillades ensemble. On ferait quelques bonnes galettes aux grillaudes ; les gratons ne te manqueraient pas. Je peux arranger très bien tout cela. On te paierait les frais, bien sûr, et ta marchandise, et on te prendra une pièce de vin." Les préparatifs du banquet, l'aménagement d'une grange durent un bon mois. La veille de la date prévue, Guillaume est mis à mort, dépecé, transformé en mets appétissants.
    La grange, débarrassée de ses toiles d'araignées, est ornée de drapeaux tricolores. "On y joignit par reconnaissance un fanion anglais et un emblème américain, pour ménager toutes les susceptibilités et n'être pas en reste avec nos alliés. Pour compléter, Philippe fit déployer enfin au-dessus de la table une immense banderole sur laquelle un peintre local s'était ingénié à tracer en lettres noires aussi hautes que possible la formule à la mode : "Unis comme au front !"
    Les invités arrivent par petits groupes, drainant avec eux amis, connaissances et désœuvrés. Le cochon est entièrement dévoré, le quarteau de vin mis en perce est vite épuisé. Alors, les anciens combattants échangent leurs souvenirs : "Les "t'en souviens-tu... ?","tu te rappelles" ou... "la fois où nous étions..." commandaient le défilé des heures gaies ou sombres, heureuses ou malheureuses, dont le rappel formait le canevas du drame dont tous avaient été, bien malgré eux, les acteurs bénévoles... Il n'était pas question d'action d'éclat. Le combattant a la pudeur de ses exploits personnels qu'il est très mal placé pour juger et qui, au fond, ne l'intéressent guère. Ce qui comptait, c'étaient les jours de misère et de peine. Au fond de leur quart, ils retrouvaient la boue des tranchées, les longues heures de veille sous la pluie glaciale, les ravitaillements parcimonieux. Ceux de la Marne ne s'extasiaient pas devant les charges répétées à la baïonnette ou le feu de leurs chaînes de tirailleurs en pantalon garance alors qu'ils ménageaient leurs dernières munitions... Non, c'était le rappel des étapes prodigieuses le long des routes parsemées d'épaves; pour ceux de Verdun, c'était mieux que cette infernale canonnade : ces terrains où l'on s'enlisait, et ces trous d'obus où disparaissaient des corvées tout entières.
    Enfin, on se lassa des souvenirs et l'on réclama les chansons. Chansons de guerre... chansons de marche... reprises en chœur par tous les convives, avec accompagnement de bruit de couteaux et de fourchettes sur les quarts et les assiettes."
    Les convives entonnent La Madelon, Tipperary, Les godillots sont lourds dans l'sac, Auprès de ma blonde... Ils passent insensiblement aux chansons civiles : Le Temps des cerises, Les Blés d'or et terminent brillamment avec Le Cornemuseux.
    "Cette séance de chant ayant asséché les gosiers, les brocs circulèrent de nouveau tandis que les bouteilles de vieux marc faisaient leur apparition pour dignement clôturer la cérémonie." Le petit jour se lève sur une assemblée fort éméchée, assez mal en point. "La mine défaite, le teint verdâtre, agités de nausées", les héros regagnent leurs demeures en titubant. Et Tonin Roucault, l'organisateur du banquet est bien désolé car, de son Guillaume, il ne reste plus que la tête et les quatre pattes, et ce sera bien maigre pour assurer la nourriture hivernale(1).

Cérémonie du 11 novembre au cimetière de Decize, photo années 1930.



(1) Gabriel Breton, Tonin, op. cit., p. 162-177.

Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL (discussion) 6 juin 2019 à 17:50 (CEST)