Une épidémie d'angine couenneuse à Nevers en 1881

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  • L'épidémie d'angine couenneuse qui vient de sévir à Nevers n'a pas duré longtemps, un mois environ. Comme toutes celles qui l'ont précédée, elle a offert des variétés très diverses. On a pu constater qu'il existait en même temps la bronchite, l'angine simple, l'angine pultacée, la laryngite et le croup.
  • Àcette époque, il y eut une grande différence entre la température du matin environ 5° au-dessus de 0, et celle du milieu du jour: 15°. Les vents du nord-est et du sud-est soufflèrent d'abord, ensuite ce fut le tour des vents du nord ouest et du sud-ouest. C'est quand le baromètre était le plus élevé que les malades étaient le plus nombreux. Quatre enfants sont morts ; ils étaient âgés de trois à huit ans. Quelques personnes trouveront peut-être que les décès ont été peu nombreux. Si un seul enfant eût succombé, le malheur eût été bien grand quand même, car à cet âge un enfant commence à tenir une grande place dans la famille.
    La première petite fille qui a été atteinte est morte le 14 mars. Elle habitait la caserne. Sa mère et trois soldats sont tombés malades les jours suivants. Les taches blanches qui recouvraient leurs amygdales n'offraient pas la résistance des fausses membranes diphthériques ; on les enleva facilement à l'aide de l'acide chlorhydrique et du crayon d'azotate d'argent. Quatre jours de traitement ont suffi pour amener la guérison. Nous avions eu affaire plutôt à l'angine pultacée qu'à l'angine diphthérique.
    Un enfant, rue de Nièvre, était atteint depuis quelques jours de bronchite et d'angine simples, lorsque le 23 mars on vit des fausses membranes apparaître sur les amygdales. Quatre jours plus tard on cessa de les voir. Les narines cependant étaient le siège d'un suintement très-abondant. Tout-à-coup les symptômes du croup vinrent nous inquiéter. Le 26 au soir l'enfant mourait asphyxié. C'est le croup secondaire qui l'a fait succomber.
    Une petite fille, âgée de six ans, demeurant rue de Mouësse, n'avait qu'une bronchite légère le 28 mars. Ce jour-là, elle offrit tous les symptômes du croup ; le lendemain, 29, elle était morte. Le même jour, son frère, âgé de quatre ans, fut atteint d'angine couenneuse. Les fausses membranes disparurent plusieurs fois, mais le nez laissa couler continuellement un liquide sanguinolent qui contenait des microbes diphthériques. La mort arriva le 9 avril, causée par la septicémie.
  • La perte de ces enfants a rempli d'effroi toute la ville. Aussi a-t-on amené à ma consultation un grand nombre d'enfants. Les mêmes faits que j'avais observés dans la terrible épidémie de Saint-Benin-d'Azy se sont reproduits. J'ai vu que plusieurs enfants étaient affectés d'angine simple et que quelques-uns avaient sur les amygdales une tache blanche, semblable à du blanc d'oeuf cuit, et que j'appelle la tache prémonitoire. On a bien soigné l'angine simple, on a fait disparaître les taches nacrées, la diphthérie s'est trouvée arrêtée. Quand l'angine couenneuse disparaît à son début, le croup secondaire arrive rarement.
  • Pendant que cette épidémie régnait, le laryngoscope a rendu quelques services. Une jeune fille âgée de huit ans se portait très bien le matin. À midi elle fut prise d'une toux rauque, sa voix était éteinte, sa respiration offrait tous les symptômes du croup. La face un peu rouge faisait craindre l'asphyxie. On la ramena de la pension chez ses parents, qui habitent place Guy-Coquille. Les parents eurent peur, les maîtresses de la pension craignaient qu'une maladie contagieuse n'existât dans leur maison et qu'on ne fût forcé de licencier les autres élèves. À quelle affection avions-nous affaire ? Trois enfants venaient de mourir du croup. Cette dernière maladie existait-elle ? Devait-on pratiquer la trachéotomie ? Le laryngoscope pouvait seul nous tirer d'embarras. La petite fille était bien docile ; elle se prêta volontiers à l'examen de sa gorge. L'instrument fit découvrir les cordes vocales un peu rouges, légèrement gonflées et nullement recouvertes de fausses membranes. On était en présence d'une laryngite simple. On comprend à présent pourquoi certains trachéotomistes obtiennent tant de succès. Ils doivent commettre quelques erreurs de diagnostic.
  • À quelques jours de là, on m'amena un petit garçon de dix ans qui respirait et avalait bien ; il avait des glandes engorgées sous le menton. À l'aide du laryngoscope on reconnut des taches diphthériques derrière les amygdales et sur le pharynx. Ces fausses membranes négligées auraient envahi le larynx. Cette épidémie ne s'est pas bien étendue dans la ville et n'a pas duré longtemps. Cela tient à ce que tout le monde sait que la diphthérie est éminemment contagieuse et qu'elle peut être transmise même par des personnes qui n'en sont pas atteintes, mais qui ont séjourné dans le voisinage des malades. Les médecins ont aussi pris de grandes précautions ainsi, le chirurgien-major a fait évacuer la chambre de la caserne dans laquelle était morte la jeune fille, a fait blanchir les murs avec de la chaux et l'a remplie de vapeurs de soufre. Chez les indigents, il n'était pas facile de recourir à ces moyens. Ils n'ont qu'une chambre qu'ils ne peuvent pas quitter. Ils ne peuvent pas non plus envoyer leurs enfants chez leurs parents, aussi étroitement logés et aussi malheureux qu'eux. J'ai fait laver plusieurs jours de suite leurs demeures avec de l'eau phéniquée. Quand je l'ai pu, j'ai fait sortir des maisons où il existait un cas d'angine couenneuse les enfants qui n'étaient pas souffrants, je les ai éloignés des parents, car s'ils fussent restés dans le voisinage, leurs mères auraient tenu à aller les voir et auraient pu porter dans leurs vêtements les germes de la maladie. Pour traiter les malades on s'est servi suivant les cas, de miel citrique ou aluné ; on a cautérisé avec l'acide chlorhydrique ou l'azotate d'argent ; on a fait vomir aussi. L'angine pultacée a été guérie facilement ; il n'en a pas été de même du croup et de la véritable angine couenneuse. Les médecins qui enregistrent continuellement des succès lorsqu'ils traitent ces dernières maladies engagent leurs confrères à alimenter leurs malades. Ils sont plus heureux que moi. Dès que ces affections sont graves, tous ceux que je soigne refusent absolument de boire et de manger. Ils n'acceptent les aliments que quand ils vont mieux. Il résulte de tout ce qui précède que si la diphthérie règne, il est nécessaire d'examiner chaque jour la gorge et la poitrine des enfants, de soigner les angines, les laryngites et les bronchites même les plus légères et de prendre toutes les précautions pour prévenir le développement de ces affections ; les fausses membranes ne se forment jamais sur une muqueuse saine.
  • Il y a eu trente ans le 1er mars dernier que j'ai été nommé médecin du bureau de bienfaisance. Pendant tout ce temps j'ai vu la misère de près. J'ai pénétré bien souvent dans des logements humides, privés d'air et de soleil. Je dois dire qu'ils n'ont jamais été la cause de l'angine couenneuse et du croup mais en facilitant l'apparition des maladies des voies respiratoires, ils exposent au développement du microbe diphthérique, qui ne demande qu'un terrain bien préparé pour se multiplier et déterminer de grands accidents. Il est bien difficile d'appliquer la loi sur les logements insalubres. Comment, en effet, empêcher d'habiter une chambre malsaine ? Comment contraindre à faire des réparations quand le propriétaire est dans la gêne ? Un seul moyen est praticable : une ville devrait tous les ans employer une somme à l'achat de maisons inhabitables et à leur démolition. Nous savons qu'on fera plusieurs objections à notre système; aussi nous engageons nos contradicteurs à en trouver un autre qui lui soit préférable. Nous nous y rallierons bien volontiers.
Ch. Fichot, 28 avril 1881.

Source : Gallica, Bulletin de la Société Nivernaise des Sciences et Arts, 11ième volume de la collection.

Martine NOËL (discussion) 11 mai 2020 à 18:53 (CEST)