Un type local : La marine de Nevers

De Wiki58
Aller à la navigationAller à la recherche

Les qualités et les défauts de cette religion populaire, ainsi comprise, apparaissent aussi, mais très exagérés, dans la marine de Nevers.

Ici, les sentiments religieux, et plus encore l'esprit de superstition, sont très sensibles, comme il arrive à tous ceux qui vivent sans cesse au milieu des dangers.

Leur dévotion

Les bateliers nivernais ont une grande dévotion pour la Vierge, pour St-Nicolas et St-Arigle, qu'ils appellent couramment St-Aré.
Quand ils entreprennent de longs voyages ou que le temps est mauvais et la Loire dangereuse, ils ne partent pas sans s'agenouiller au pied de la madone de la rue du Rivage. (Cette Madone existe encore aujourd'hui)
Ils lui demandent une heureuse navigation et lui promettent au retour pour elle et son Jésus toutes sortes de jolis bibelots.

Les lieux

Certaines familles de mariniers ont aussi des madones dans la façade de leurs maison, ou dans une niche du corridor, et les entourent du même culte naïf avec fleurs et exvoto, (On voit encore une de ces niches dans un couloir de la rue des Pâtis. Une image sculptée de St-Aré décorait, dans une assez opulente maison de mariniers, quai Amiral Jacquinot, un bel escalier de pierre avec rampe en fer forgé.)
St-Nicolas a sa chapelle, sur les bords de la Nièvre. C'est un édifice de proportions très restreintes et d'apparence médiocre avec ses mauvais pilastres toscans et son fronton triangulaire. (Le bâtiment s'est conservé à l'entrée de la rue des Pâtis, mais il a depuis longtemps perdu sa destination première.) Mais si l'extérieur est banal et nu, c'est à l'intérieur la plus décorée de toutes les chapelles de Nevers. Les mariniers, en effet aiment tout ce qui frappe à l'œil. Leur exubérance est toute méridionale et italienne, avec des mélanges un peu criards de dorures et de couleurs trop vives. Un véritable fouillis d'exvoto se balancent à la voûte ou le long des piliers : esquifs de toute grandeur, jusqu'au vaisseau de haut bord avec sa mâture et sa voilure complètes, (Un vaisseau de ce genre est conservé sous verre dans l'église de Cuffy, près du Bec d'Allier.) statuettes et figurines d'émail ou de faïence, achetées au Murano de Nevers ou sur les quais de Loire.
C'est encore la Madone ou les deux saints, qu'ils invoquent en cours de route, quand la violence du courant les entraine sur les piles d'un pont, ou qu'ils ne sont plus maître de leurs chalands. Leur reconnaissance est à proportion du service rendu. Leur religion est un perpétuel marché. Ils essaient même de jouer au plus fin avec le bon St-Nicolas, lui donnant une modeste bougie, quand ils lui ont promis, dans une heure de péril, un cierge gros comme le mât de leur bateau.

Les processions

La confrérie des mariniers, installée dans l'église St-Arigle et placée sous l'invocation de St-Nicolas, est l'une des plus anciennes et des plus puissantes de la ville. Elle se distingue par la richesse de ses bannières, rehaussées d'or et de broderies. Le bâton, (aujourd'hui conservé au musée de Nevers), est l'un des plus beaux des anciennes confréries.
St-Nicolas, abrité sous une sorte de portique à colonnes, ressuscite les trois enfants, que le mauvais hôte a dépecés et mis au saloir. Sur le portique des figures d'anges soutiennent une petite barque avec un mât et sa voile en forme d'étendard.
Les mariniers prennent une part active à l'organisation de toutes les fêtes, surtout religieuses. Le jour de la Fête-Dieu, ils amènent les pèlerins de la campagne dans leurs barques décorées de feuillage. Ils abritent avec les voiles de leurs bateaux les autels élevés en plein air dans les rues et les carrefours. Ils sont toujours en tête dans les processions et les cérémonies. Ils mènent grand tapage avec leurs tambours et leurs clarinettes.

Leur caractère

Dans leur religion, comme dans leur vie journalière, ils conservent leur caractère bruyant et indocile, leur belle humeur et leur verve un peu rude. « Ne sont point chrétiens ceux qui ne savent pas le christianisme joyeux ». Leur langue pittoresque n'épargne pas aux choses de la religion les surnoms ou sobriquets. Ils reconnaissent à leur son les diverses cloches de la ville : à St-Cyr « la Grande Gueularde et la Sermonière », aux Jacobins « la long Diseuse », à l'abbaye « la Babillarde ». Ils sont aussi arrogants à l'église que sur les quais de Loire.
Le clergé ne fait pas des mariniers ce qu'il veut et s'efforce de ne pas leur déplaire. Ils exigent que les processions visitent la marine, le quai de Loire et la rue du Rivage. Modifier les itinéraires traditionnels serait une grave offense.

On raconte qu'une année, le Chapitre ayant changé ces habitudes, les mariniers se vengèrent en désertant les cérémonies de St-Cyr. Ils allèrent à la procession paroissiale de St-Pierre au lieu d'aller à celle de St-Cyr. « Allez dire à monsieur le curé de St-Pierre que la marine en masse se rendra en son église. Je serais 500 milliers. Allez dire aux chanoines qu'ils fassent étayer la tour de leur cathédrale, car elle devra en crouler de dépit. » Ils ajoutaient en guise de conclusion : « Nous aimons mieux St-Pierre dans son petit doigt que St-Cyr dans tout son corps ».

Dans le cortège de la Fête-Dieu, il n'est pas rare qu'ils provoquent des incidents.

28 mai 1728 : Le batelier André Guillaume, qui porte l'une des torches de S-Nicolas, quitte à diverses reprises le défilé et s'arrête dans les cabarets. Le procureur du roi lui fait des remontrances, qu'il accueille avec des insultes. Alors, désireux de supprimer le mauvais exemple et d'accélérer la marche de la procession, le procureur ordonne à des sergents de quartier de conduire le confrère en prison. Aussitôt, un groupe de mariniers, « au nombre de 25 à 30 », se précipite sur les sergents, les frappe à coups de pierre et délivre le captif.

Les élections

A St-Arigle, les mariniers sont aussi des hôtes encombrants. Ils prennent quelquefois au sérieux les élections de fabriciens et prétendent imposer leurs candidats.

En 1726, le curé de St-Arigle, Léonard Antoine Goussot, assisté de son parent le notaire Goussot, pensait faire admettre sans difficulté ses deux candidats, le sieur Duplessis, magistrat, et le sieur Moisy, avocat. Mais « il s'est attroupé de dessein prémédité quantité de bateliers sans domicile ni mesme connus ». Les « cabalistes » désignent deux d'entre eux, les sieurs Berthelot et Minguet. Le curé ne les accepte pas, « les sujets par eux nommés n'étant pas capables de remplir les places : ne devant estre admis que des notables de la paroisse, gens d'exemple et à édifier les autres ». D'ailleurs, les mariniers, malgré leur cabale, sont mis en minorité. Alors, ils se répandent en invectives contre le notaire, qu'ils accusent de s'entendre avec le curé et de falsifier le vote. Au milieu des clameurs et du tapage, ils menacent le prêtre de lui retirer leur confrérie avec tous les ornements qui décorent l'église St-Arigle. (Chambre des notaires-Minutes Frébault)


Telle était cette population, très chrétienne, mais chrétienne à sa manière.