Tirage au sort

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Le tirage au sort

Le service militaire proprement dit, sous l'ancien régime, est en principe volontaire. Des officiers et sous-officiers recteurs parcourent le pays, surtout les campagnes. Ils s'efforcent de convaincre tous les naïfs qu'ils rencontrent. Ils ont même recours à la violence, quand la persuasion est inefficace.

Mais avec les guerres de Louis XIV la consommation d'hommes est telle que ces enrôlements deviennent insuffisants. Un nouveau mode de recrutement apparaît, qui prélude à la conscription. Un règlement de Louvois, en 1688, ordonne de créer des milices provinciales, destinées en principe à la défense des provinces, mais qui ne tarderont pas à renforcer les régiment de ligne. Ces miliciens (sous l'ancien régime le mot milicien ne désigne pas les habitant embrigadés dans la milice bourgeoise, mais ceux que le tirage au sort a désignés), seront tirés au sort parmi les habitants. Cette méthode, une fois établie, se maintiendra, à côté des enrôlements volontaires, jusqu'à la révolution, surtout dans les périodes de guerre. A vrai dire, ces nouvelles obligations militaires sont assez restreintes, au moins dans les villes. Nevers fournit quatre hommes en 1689 et six en 1701, alors que le régiment de milice de la généralité de Moulins compte 18 compagnies et 900 hommes en 1689, 22 compagnies de 45 hommes en 1701. (En 1701, les régions de Nevers, Saint Saulge, Moulins Engilbert, Château Chinon, Saint Pierre le Moûtier, fournissent chacune une compagnie. Tous ces contingents se rassemblent à Nevers et renforcent le régiment d'Infanterie de Tournaisis, alors en garnison dans la ville.)

Le principe

Le recrutement des miliciens comporte une sorte de conseil de révision, suivi d'un tirage au sort. En 1701, l'intendant ordonne aux échevins de faire assembler, le dimanche qui suivra la réception de ce mandement, tous les habitants célibataires de 22 à 40 ans. Ils dresseront un état de ceux qui peuvent servir, c'est-à-dire qui ont une talle d'au moins 5 pieds avec un tempérament assez robuste. Parmi les hommes mariés, seuls le volontaires seront inscrits. L'état sera communiqué au subdélégué. Celui-ci fera procéder au tirage au sort. Aussitôt les échevins font publier ces ordres par les curés des paroisses. Le dimanche 13 février, les habitants se réunissent et le conseil de révision commence. Les échevins ont une toise. Des médecins et chirurgiens examinent les conscrits. Une liste de 21 noms seulement est arrêtée. Elle ne comprend que des ouvriers (jardiniers, vignerons, faïenciers, cordonniers, menuisiers, tailleurs de pierre, fendeurs, cloutiers, cordiers, couvreurs). Les plus jeunes ont 23 ans, les plus âgés 30. La plupart ont 24 ou 25 ans. Le même jour, on procède au tirage au sort. On écrit les noms sur des billets, que l'on met dans un chapeau. Les échevins ont convoqué les intéressés, afin qu'ils puissent contrôler ces opérations, mais personne ne se présente. Après avoir attendu de 5 heures à 6 heures, le subdélégué Marion Fait tirer 6 billets. Le sort désigne les faïenciers Jolivet et Jérémie, le cordier Tanchon, le couvreur Marisy dit Guillon, le cloutier Gauthier dit Bel enfant et le tailleur de pierre Joseph Laloge dit la Douleur.

L'accueil dans la population

Il semble que le tirage au sort ait tout d'abord épouvanté les populations. L'armée avait alors une réputation déplorable. La perspective de partir en guerre avec des aventuriers de toute espèce et d'anciens forçats était encore plus désagréable que la guerre elle-même. Dans les campagnes l'affolement est général. En 1694 et 1695, l'intendant Le Vayer déclare que la plupart des garçons prennent la fuite. Les autres se procurent des remplaçants, qu'ils paient très cher, de 60 à 100 l., si bien que le régiment de milice du Bourbonnais enlève chaque année à la province plus de 20000 écus. Bientôt, les troubles gagnent les villes, avec les guerres interminables et souvent malheureuses de la succession d'Espagne. Les exemptions irritent l'opinion publique. En dehors des privilégiés, qui échappent à toute obligation, d'autres faveurs accordées à certaine catégories du Tiers-Etat paraissent plus vexatoires encore. Les magistrats, les fonctionnaires, les gens de loi, les représentants les plus riches du commerce et de l'(industrie, leurs commis et domestiques obtiennent d'être exemptés. L'attitude de certains échevins, qui font éliminer leurs amis et protégés, exagère encore les abus. Les intendants eux-mêmes reconnaissent que le tirage au sort retombe sur les éléments les plus humbles de la population. Alors les habitants ne paraissent plus à la révision bien que les ordonnances menacent de faire attacher à la chaîne et conduire aux galères ceux qui ne paraîtront pas, ou qui ne rejoindront pas leur régiment. Les opérations de la milice deviennent impossibles. On prend l'habitude de mettre la main sur des individus suspects ou sur quelques pauvres diables qui, de force, deviennent conscrits.

Le détournement

Mais des incidents se produisent quelquefois. En juin 1705, alors que la Fête-Dieu rassemble à Nevers une grande foule de campagnards, un jeune garçon de la paroisse de Varennes est saisi et conduit chez le lieutenant de maire Coquelin. Aussitôt les paysans s'ameutent. Coquelin, qui veut rétablir l'ordre à coups de canne, est maltraité, perd sa canne, son épée, son chapeau et doit se réfugier dans une maison voisine. Par crainte d'une sédition, il fait mettre le jeune homme en liberté. De même en 1707, l'intendant reçoit une requête des huissiers de police et des sergents de Nevers. Les uns et les autres déclarent que depuis quelques années le tirage de la milice est abandonné. Ils arrêtent par force et par ruse tous les malheureux qu'ils peuvent saisir, ce qui « leur a attiré la haine du public, de mauvais traitements, et même a mis leur vie en danger », car plusieurs fois les habitants se sont attroupés avec armes et bâtons. Cette année, comme il fallait 9 miliciens, ils ont appréhendé 9 ou 10 habitants, « la plupart faits, fainéants, vagabonds et gens dont la ville aurait dû être purgée ». Le procédé a été du goût de la population, car il a permis aux garçons travailleurs de rester dans leurs familles. Mais l'un de ces « fainéants », apparenté à la cuisinière de l'intendant, se fait relâcher et porte plainte à St Pierre le Moutier. Huissiers et sergents demandent l'indulgence, car ils se bornent à exécuter les ordres des échevins.

Ces miliciens, enrôlés de force, doivent être traités comme des forçats à la chaîne. Les conscrits de Nevers sont escortés à Moulins par les sergents de quartier, pour que toute évasion soit impossible. Quand des miliciens passent à Nevers ou se concentrent dans la ville, on ne les envoie plus loger chez l'habitant comme des soldats ordinaires, car au départ les contingents seraient très diminués. En 1703 on les enferme dans les prisons, sous la garde de la milice bourgeoise. En 1711, une quarantaine de miliciens, destinés au régiment de Bourbonnais, sont enfermés dans le corps de garde de l'hôtel de ville, sous la surveillance des habitants.

Le remplacement

Après 1715, le tirage au sort est toujours, impopulaire. Mais les guerres deviennent moins fréquentes. L'opinion publique s'habitue à ce mode de recrutement. Les conseils de révision reparaissent. Les jeunes gens tirent au sort ou se procurent des remplaçants. En 1719, les 8 miliciens de Nevers sont des volontaires, qui parlent moyennant finances. Ce sont les curés de la ville qui ont négocié l'affaire. Le 20 mai, ces 8 conscrits se présentent au bureau de l'hôtel de ville, avec les sommes d'argent, que les autres garçons ont versées pour les indemniser. Le total atteint 618 l. 15 sols. Tous frais déduits, il reste 588 l. Chaque volontaire touchera donc 73 l. 10 sols. En 1736, la ville doit envoyer 2 miliciens. « Les garçons propres à tirer à la milice » paraissent devant les échevins et déclarent qu'ils ont profité des tolérances accordées par la royauté. Ils se sont cotisés pour engager deux remplaçants. Ils leur ont promis à chacun d'eux 80 l., une paire de souliers et une cocarde. La collecte a produit 158 l. 9 sols. Il reste donc peu de chose à ajouter. Le 15 septembre 171, par devant notaires, le sieur Gilbert Decante, originaire de Jaugenay, s'engage à partir comme milicien de la ville de Nevers à la place de Claude Bondon, moyennant une indemnité de 108 l. Afin de faciliter le recrutement de la milice, la ville prend aussi sa part des frais. D'ordinaire elle se charge de l'équipement et « petit habillement » des soldats provinciaux de la généralité ( En 1743, la ville fournit au milicien Claude Favier des bas, des souliers, des boucles, des cocardes, soit 9 l. au total. En 1755, elle inscrit à son budget 155 l. pour l'équipement des recrues. En 1775, les dépenses montent à 212 l.).

Les conséquences matérielles

Toutefois, jusqu'à la fin de l'ancien régime, le tirage au sort provoque des désordres. Après chaque séance, il faut remettre en état les salles et le mobilier (En 1766, la ville est obligée de faire réparer le jeu de paume. Les dépenses montent à près de 400 l. Il faut payer 220 l. 14 sols à un menuisier, 31 l. 12 sols à un maçon, 5 l. 2 sols à un serrurier. En 1776, la séance a dû se passer à l'hôtel de ville. Il faut payer 15 l. à un ferblantier, Granger, « pour réparations faites aux tuyaux servant d'échenés », qui ont été endommagés lors du tirage de la milice. En 1784, il faut réparer les bancs de la juridiction consulaire, qui ont été démolis.) Les échevins sont obligés de prendre des précautions. La maréchaussée, les régiments en garnison renforcent la milice bourgeoise, ce qui occasionne encre des frais, car il faut payer et régaler ces gens, ainsi que les commissaires qui viennent présider. L'agitation gagne aussi la rue. La police des cabarets doit être plus rigoureuse les jours de milice. Le 11 mars 1779, le tirage au sort étant fixé au mercredi qui suit, les magistrats interdisent aux aubergistes et cabaretiers de recevoir aucun garçon, « à compter depuis mardi prochain heure de midi, jusqu'au mercredi 3 heures heures du soir », sou peine de 20 l. d'amende. Il en est de même tous les ans.

La durée Les miliciens de Nevers, ainsi enrôlés, partent en guerre dans les périodes critiques de notre histoire. En temps ordinaire, ils servent dans le régiment provincial de Bourbonnais. La durée du service varie de 2 à 5 ans. Ils reviennent ensuite avec des certificats de congé, qui leur valent certains privilèges : exemptions d'impôts pendant quelques années. Mais ces avantages temporaires ne sont pas très appréciés. Ils ne suffisent pas à compenser les ennuis de la garnison et les périls de la guerre.

En somme, les devoirs militaires sous l'ancien régime étaient plus restreints qu'aujourd'hui. Le tirage au sort est la seule institution, qui se rapproche du service militaire, supprimé depuis, et remplacé plus récemment par la journée défense citoyenne. C'était obligation très dure et peu équitable, une sorte d'impôt en nature analogue à la corvée, mais qui retombait sur quelques individus seulement.


Source : L'organisation du Travail à Nevers 1660-1790, par Louis Geneau, agrégé d'histoire et géographie, docteur ès lettres – Librairie Hachette et Cie - 1919