Pravieux Jules

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Les héros positifs de Jules Pravieux.

  • Né à La Machine en 1866, reçu en 1889 avocat à la Cour d'Appel de Paris, Jules Pravieux a rapidement abandonné les prétoires et s'est consacré à la littérature(1). Son premier roman, Ami des Jeunes, paru en 1897, lui permet d'obtenir trois ans plus tard le Prix Montyon décerné par l'Académie Française. Fort de ce succès, Pravieux publie onze autres romans et prononce plusieurs conférences, des textes engagés, où l'auteur prend la défense des prêtres, d'une religion conservatrice repliée sur ses certitudes, contre la république laïque et contre les mœurs modernes.
  • Jules Pravieux a écrit ses trois derniers romans après la première guerre mondiale. S'ils connaissaient leur bonheur ! (paru en 1919) n'aborde que très brièvement le départ des soldats pour le front en août 14 : dans le même train se retrouvent le curé du village, le meunier Émile Lefresne et l'ancien partageux Primages. Au-delà de leurs affrontements idéologiques, un même patriotisme les réunit. Ces pages sont surtout l'occasion d'affirmer le dévouement du clergé français que les autorités avaient voulu écarter de la vie sociale en 1904 et qui s'est porté massivement volontaire pour servir dans les hôpitaux militaires et les ambulances.
  • Leur Oncle, roman publié en 1921, aborde le délicat problème des prisonniers évadés. Le narrateur, président honoraire du tribunal d'une petite ville, a deux neveux et deux nièces, dont l'existence est bouleversée par la guerre.
    Georges s'engage avec enthousiasme (il devance l'appel), il est hyper-militariste et fait preuve d'une conduite héroïque ; c'est l'image-même du bon soldat que véhiculent les brochures patriotiques.
    Françoise épouse René au cours d'une permission ; mais il est, peu après, gravement blessé ; il est amputé d'une jambe ; il est hospitalisé à Bulle, en Suisse.
    Aline s'éprend d'un jeune Américain. Après une période de quiproquos, elle découvre que ce jeune homme si gentil, qui lui faisait la cour, est fiancé dans son pays, et qu'il l'oubliera dès son départ. De dépit, elle épouse un jeune noble des environs, Gaëtan du Housseau.
    Le personnage le plus intéressant, et aussi celui que leur oncle préfère, c'est André. En 1914, il réside à Odessa, en Russie, où son métier d'ingénieur l'a conduit. Il ne revient pas en France pour la mobilisation. La famille est scandalisée par ce qu'elle appelle une désertion. De plus, des bruits courent sur André ; il vivrait avec une jeune anarchiste et il aurait participé à plusieurs soulèvements révolutionnaires en Russie. Quand il parvient enfin à retrouver sa ville natale, André rassure et déçoit en même temps son oncle. Il a erré longtemps d'un pays à l'autre, pour éviter l'Europe Centrale, où il aurait été prisonnier des Allemands et des Autrichiens. En revenant, il fait son devoir, mais il trahit sa conscience, car il est profondément antimilitariste. Jules Pravieux lui fait tenir de longs prêches contre la guerre bourgeoise, le troupeau qui va à l'abattoir, le sort absurde de l'Alsace et la Lorraine, qu'il aurait été plus sage de ne pas perdre quarante ans plus tôt, et la propagande incendiaire de Déroulède. Enfin, il se résigne à partir...
    Et puis, sa famille est avisée par les gendarmes, quelques mois plus tard, qu'il a quitté sa compagnie et qu'il aurait déserté, cette fois au front. Il est passible de la peine de mort. Plusieurs témoignages de ses compagnons de tranchées viennent renforcer l'accusation de désertion. Un certain Planchat, blessé hospitalisé à Bourges, raconte qu'André se livrait à des propos défaitistes, qu'il prétendait que "de l'autre côté - c'est des Boches qu'il parlait ! - on n'est peut-être pas bien payé, ni bien nourri, mais au moins, on est tranquille pour sa peau(2)." André aurait filé vers les lignes allemandes, au cours d'une patrouille, quelque part entre l'Alsace, la Suisse et Belfort.
    On retrouve André en Suisse. Il mène la vie d'un clochard et il raconte son odyssée. Il n'a pas déserté, mais il est tombé dans une embuscade. Plusieurs mois de régime sévère dans un camp de prisonniers l'ont guéri de ses illusions pacifiques : les Allemands ne se montrent guère fraternels avec les prolétaires de tous les pays. André a réussi à s'enfuir et à franchir la frontière suisse. Mais il n'ose reparaître en France, où l'attend le Conseil de Guerre. À moitié convaincu, son oncle intervient auprès d'officiers supérieurs de ses relations. André est gracié ; il se fiance avec Claire Larchey, une voisine ; et, pour montrer qu'il n'est ni un lâche, ni un pistonné, il demande à être affecté dans l'aviation. Il lui faut de l'action, pour oublier à la fois ses théories pacifistes et l'ambiance de chauvinisme dans laquelle se complaisent tant de civils, d'embusqués et de boutefeux (Pravieux brosse un panorama de tous les ridicules des gens de l'arrière). Au cours d'une reconnaissance, l'avion d'André est abattu.
    Le roman évoque un autre aspect de la guerre : l'arrivée des Américains. Les Nivernais ont dû être, comme le narrateur, à la fois choqués et enthousiasmés par cette organisation efficace et étrange qui s'emparait de Saincaize, de Saint-Parize, de Myennes, de Verneuil et de Nevers.
"30 juin 1917. L'Amérique bouge !
Les Américains nous arrivent, et toute la ville s'en va à la découverte du Nouveau-Monde. Serions-nous las de nous voir entre Français ? Nous connaîtrions-nous trop ? Je ne sais, mais tout le monde ici n'a d'yeux que pour les hommes de là-bas qui nous viennent avec le prestige de l'inconnu et l'auréole de la légende.
Ce type américain qu'a donné la fusion de tant de races serait-il un type nouveau d'humanité qui doit se substituer au nôtre, le supplanter ? La vérité est que ces gaillards ont de l'allure et du cran. Quand on les voit passer, le torse ferme, la tête haute, ils ont tout l'air de vous dire : "Que craignez-vous maintenant, hommes de peu de foi, puisque nous sommes là ?" Il n'y a pas d'apparence qu'ils soient gênés d'être en France : ce qui les étonne le moins, c'est de s'y voir. Ligué pour abattre le Boche, l'univers entier, n'ayant pas réussi, râlait à bout de souffle. Mais l'Amérique a bougé et l'univers respire. Notre surprise les surprendrait : ils y verraient une offense. Ce n'est pas un peuple qui s'ignore, ni qui soit démuni d'une certaine candeur. O innocence américaine ! Tu sembles faite en série, tant on te retrouve la même chez tous ! Un cerveau d'aventurier heureux, l'audace dans la conception, la vigueur dans l'exécution, le regard droit, la main à la poche pour vous montrer qu'elle n'est point vide, cœur d'or ou tout au moins de nickel, voilà l'homme qui vient de par delà les Océans pour sauver le monde. On l'admire et déjà on l'aime, par avance, pour être bien sûr de l'aimer assez et assez longtemps. On se dépêche(3)."
  • Évidemment, toutes les jeunes filles tombent amoureux des Américains. Une des nièces du narrateur, Aline, "est éblouie : elle a un dollar dans l’œil". Pendant près d'un an, elle ne jurera "plus que par son lieutenant de génie, John Reynner, vingt-huit ans, ingénieur dans une mine du Colorado, fils d'un richissime homme d'affaires, [...] grand, musclé, râblé, il donne l'impression d'une force sûre d'elle-même...(4)"
  • La guerre se termine. Le greffier M. Bonmigny, l'éternel optimiste, est satisfait : ses pronostics de victoire ont enfin été accomplis. Son contradicteur, le notaire Larosey, n'est pas dupe : "Alors, parce qu'un général français s'est rencontré, cette nuit, dans un wagon, avec un lot de Boches et qu'ils ont mis leur paraphe au bas d'un papier, vous croyez que tout est changé, que des millions d'hommes qui se haïssaient vont se jeter dans les bras les uns des autres, en s'écriant : "Puisque nous n'avons pu parvenir à nous tuer tous jusqu'au dernier, embrassons-nous !" Alors, vous croyez comme ça que la haine est morte et que la misère va s'en aller, au commandement, se cacher dans son trou ! Non, non, monsieur Damenay, il y a encore de beaux jours pour la misère ! Vous verrez! Vous verrez !(5)" Le notaire annonce, sur un ton apocalyptique, des jours terribles à venir : une guerre contre les bolcheviques, une rupture entre la France et les Américains ; le seul qui tirera son épingle du jeu sera John Bull... "et nous serons roulés comme des cigares...(6)"
    Le narrateur partage ce constat et il conclut par ces mots : "Dans les heures exaltantes que nous vivons, il n'y a peut-être que les fous qui ne perdent pas la raison." Ces pages sont rédigées en 1920, alors qu'un corps expéditionnaire franco-anglo-polonais vient d'arrêter l'Armée Rouge à Varsovie, alors que les États-Unis reprennent une politique isolationniste, juste après la conclusion du Traité de Versailles, l'occupation de la Ruhr, plusieurs putschs à Berlin et à Munich, et la fondation du N.S.D.A.P... Les événements donnent en partie raison à M. Larosey.
  • Le Vicaire et le romancier, dernier roman de Jules Pravieux, se déroule entre le premier août 1914 et le 24 novembre 1918. Mais la guerre n'est que le prétexte à un affrontement, qui se transforme en amitié, entre un prêtre et un écrivain agnostique. Les deux hommes ont été mobilisés, en raison de leur âge, dans un service d'ambulances. La fraternité du front permet à chacun de découvrir l'autre. Claudius Tramard découvre que "les frocards ne sont pas des embusqués" et l'abbé Dumat découvre que le métier des lettres n'est pas aussi condamnable qu'il le croyait, et qu'on peut même écrire un livre avec de bons sentiments.
    Jules Pravieux conclut, par la mort de Claudius Tramard - dans un roman qui précède la sienne de quelques mois - une longue réflexion sur la littérature, ses joies, ses peines et l'inanité des grands projets, une réflexion qu'il avait commencée trente ans plus tôt dans une plaidoirie devant ses collègues. Comme un leitmotiv, le romancier Georges Ohnet, auteur du Maître de forges est cité par Tramard, en guise de contre-exemple. La littérature n'est qu'une chimère, et elle véhicule des idées superficielles...
    Jules Pravieux n'a pas directement connu l'horreur des tranchées. La guerre semble très lointaine dans ce roman. Les conversations littéraires et théologiques entre l'abbé Dumat et Claudius Tramard ont lieu dans une grange, à l'hôpital, au sanatorium. L'auteur réserve ses talents de caricaturiste à la société civile qui assiste dans les salons d'un château à une lecture du nouveau roman de Tramard par le maître en personne :
"Plusieurs dames vinrent en toilette de gala : ce n'est pas tous les jours, en province, qu'on vous offre un régal si parisien ! Évidemment cette cérémonie à laquelle les avait invitées la châtelaine était pour elles une fête et on avait mis la robe de la grand'messe de Pâques. [...] Elles écoutaient dans un silence d'extase (à en juger, du moins, sur les apparences), un silence coupé seulement par quelques exclamations en sourdine : "Délicieux ! Exquis !" On eût pu croire que le cher auteur faisait une distribution de petits fours(7)."
  • Dans ses trois romans sur la guerre, Jules Pravieux n'échappe pas à son défaut majeur, un manichéisme systématique. L'abbé Dumat, René et Georges (les neveux de Leur Oncle) sont des héros positifs, sans faille, des modèles de patriotisme et de foi religieuse. Si Claudius Tramard et André ont longtemps des comportements erratiques, ils sont tenaillés d'une angoisse métaphysique qui est résolue par leur rédemption finale.
    En revanche, les mauvais sont repoussants : les Boches ou choucroutards sont avides de sang et "portent sur eux une odeur de fauves". Les étudiants bolcheviques d'Odessa ont déjà le couteau entre les dents et l'ancienne amie d'André, venue en France pour le harceler, est une sorte de Mata-Hari. Même les Américains, qui ont pourtant sauvé l'Europe, ne pensent qu'au business et à l'asservissement de leurs alliés. À l'arrière, dans les hôpitaux, aux terrasses des Cafés du Commerce, ou dans les salons, Pravieux nous dépeint une bourgeoisie vaniteuse, qui oublie sa lâcheté dans les futilités. Un profond pessimisme, causé peut-être par la maladie, se dégage des derniers livres de Jules Pravieux.

(1) Cf. Itinéraire Decizois, deuxième série, p. 76-95, et Decize et son canton au XIXe siècle et à la Belle Epoque, p. 198-202, 205 et 282.
(2) Leur Oncle, Plon-Nourrit, p. 89.
(3) Leur Oncle, p. 204-205.
(4) Leur Oncle, p. 206-207.
(5) Leur Oncle, p. 259-260.
(6) Leur Oncle, p. 262.
(7) Le Vicaire et le Romancier, p. 212 et 214.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL (discussion) 15 avril 2019 à 08:53 (CEST)