« Officiers d'Empire et officiers en exil » : différence entre les versions

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  • Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux est né le 6 mars 1786 à Paris. Il a passé son enfance à Decize, il a été élevé par sa mère, Anne-Charlotte Alixand(1). Cette enfance a été certainement assez difficile : sa mère, abandonnée par son époux, avec cinq enfants, a été forcée de divorcer pour éviter la prison, elle a subi les persécutions des révolutionnaires locaux, les tracasseries des tribunaux et les mauvais traitements de son gendre Pierre Schmidt(2).
  • À seize ans, Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux est entré dans l'armée, où l'ont suivi ses deux frères Julien et Charles. Des trois fils, seul Joseph-Hippolyte est revenu vivant des guerres de l'Empire. Sa carrière s'est poursuivie sous la Restauration. Après dix-neuf ans, un mois et vingt-neuf jours de service, il a pu faire valoir ses droits à la retraite et revenir à Decize(3).
  • On peut suivre sa carrière militaire, ses promotions et ses blessures dans le document récapitulatif de ses états de service. Sa première affectation est le 6e Régiment d'Infanterie Légère, qui participe alors à des opérations sur les côtes de Vendée, de 1802 à 1804. Puis, il rejoint la Grande Armée pour combattre en Allemagne. Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux est nommé caporal le 22 mars 1805, à l'âge de 19 ans ; Le 11 octobre suivant, à la bataille d'Ulm, il reçoit sa première blessure: « un coup de feu au jarret gauche. »
  • Un bref passage à l'École Militaire lui permet d'accéder au grade de sous-lieutenant. Il est alors affecté au 114e Régiment de Ligne et reprend la route de l'Est à la suite de l'Empereur. Seconde blessure sur le champ de bataille d'Eylau (8 février 1807) : « un coup de biscayen à la jambe gauche, avec fracture compliquée(4). » Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux monte en grade : lieutenant, adjudant-major, capitaine. Son régiment participe à la seconde campagne d'Espagne, si désastreuse pour l'armée française. Troisième blessure en avril 1813 : « une forte contusion à la bataille de Castella . »
  • Mars 1814 : la France va subir à son tour l'invasion. Le capitaine Trutié de Varreux passe au 18e R.I. pour une très courte période. Après la première abdication de Napoléon, il est placé en demi-solde, comme la plupart des officiers. Il reprend du service dans le 44e de Ligne en avril 1815 ; son régiment est dissous avant même d'avoir l'occasion de combattre ; Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux est à nouveau en demi-solde.
  • De 1817 à 1820, il est rappelé dans la Légion des Pyrénées(5), puis dans celle du Pas-de-Calais. Il quitte l'armée à la suite d'un rapport très défavorable, dont voici un extrait : « Il résulte [...] que le Sieur Trutié-Dewarreux (Joseph-Hippolyte), capitaine à la Légion du Pas-de-Calais, 3e Division Militaire, mène la vie la plus crapuleuse, qu'il se livre habituellement à l'ivrognerie et contracte des dettes, pour le paiement desquelles on est obligé de lui faire subir de fortes retenues sur ses appointements, que toutes les punitions qui lui ont été infligées n'ont produit aucun changement dans sa conduite et que les officiers de la Légion désirent qu'il en soit éloigné(6). »
  • Suivent dix ans d'inactivité, jusqu'à un ultime rappel, le 27 octobre 1830. Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux reste capitaine au 6e de Ligne pendant quelques mois, avant d'être définitivement mis en retraite, à l'âge de 45 ans.
  • De retour à Decize, l'officier se marie avec Elise-Philippine Rebreget(7). Il doit se contenter d'un modeste emploi d'instituteur public en 1838, alors qu'avant 1790 il bénéficiait, avec ses frères et sœurs, des lumières d'un précepteur privé, Jacques Imbert.

Les hasards du Palais-Royal.

  • Le 18 février 1818, Joseph-Hippolyte Trutié de Varreux se trouve en permission à Paris. Il écrit à sa mère une lettre intéressante à plus d'un titre. Le capitaine fait l'éloge d'un de ses chefs, le général Gouvion-Saint-Cyr(8) ; il livre aussi des réflexions amères sur l'armée nouvelle et la démoralisation des anciens soldats de Napoléon. Enfin, il a retrouvé la trace de son père : dans un restaurant du Palais-Royal, le célèbre Café de Foy, il a été abordé par deux « messieurs, chevaliers de Saint-Louis », anciens officiers du Royal-Piémont, qui avaient vécu plusieurs années en Angleterre ; là-bas, ils avaient entendu parler d'un certain comte Trutié de Varreux, émigré au service de l'armée britannique, résidant à Londres, et remarié avec une Anglaise « qu'il avait une fille et qu'il n'était pas heureux, à beaucoup près [sic](9). »

Fidèle à son roi, mais traître à son pays.

  • Jean-Baptiste-Charles Trutié de Varreux, a mené une carrière militaire deux fois plus longue que celle de son fils : 49 ans, 11 mois et 21 jours. Né à Port-au-Prince (Saint-Domingue) le 3 décembre 1753, il est entré à onze ans dans la Légion de Condé le 1er mars 1764. Sept ans plus tard, il a obtenu un brevet de lieutenant de cavalerie au Royal-Piémont.
  • En 1781, il est garde du corps du roi Louis XVI, lorsqu'il rencontre et séduit Anne-Charlotte Alixand. Le mariage est un peu mouvementé : la famille du jeune officier refuse cette roturière, mais « il faut réparer l'honneur perdu(10). » Jean-Baptiste-Charles Trutié de Varreux achète la charge de lieutenant-général de la châtellenie de Decize ; il obtient les grades de capitaine, puis de lieutenant-colonel de cavalerie.
  • Quand la Révolution éclate, il vient de partir à Saint-Domingue, pour visiter ses plantations de Varreux et du Lamentin. Son épouse ne le reverra jamais. Il repasse à Paris avant d'émigrer en 1791 ; de ce fait, il est condamné à mort par contumace. Le 10 octobre 1791, il se met à la disposition du duc de Lorge, son ancien supérieur, au camp de Limbourg, en Allemagne(11). Il participe à l'invasion austro-prussienne de la Champagne de l'année 1792 (arrêtée à Valmy).
  • On retrouve ensuite Jean-Baptiste-Charles Trutié de Varreux à Maëstricht, après le premier licenciement de l'armée des Princes ; il sert dans la compagnie de Damas ; il est blessé le 28 février 1793 au fort de la Hope. Il reçoit une seconde blessure à Quiberon, lors du catastrophique débarquement des émigrés (juin et juillet 1795)(12).
  • De 1795 à 1814, J.-B.-C. Trutié de Varreux est exilé en Angleterre. Il a perdu toutes ses terres de Saint-Domingue : l'Isle à sucre est devenue la république indépendante de Haïti, et la bourgeoisie mulâtre a confisqué les plantations. Le 14 novembre 1801, il épouse Amélie Brooke-Westcott ; ce mariage sera enregistré à Paris le 4 août 1827. Le couple donne naissance à une fille, Célestine Anatolie, le 14 mars1805.
  • Le gouvernement britannique verse au comte Trutié de Varreux son traitement de lieutenant-colonel, en échange d'une activité de renseignements. Il revient en France une première fois le 13 février 1813, il retraverse la Manche pendant les Cent-Jours, puis s'installe à Paris. En 1820, il adresse au ministre de la guerre une longue supplique pour obtenir que soit validé un grade qui lui a été conféré dans l'armée des Emigrés : maréchal de camp(13). Il meurt à Paris le 5 janvier 1838.

Grandeurs et servitudes...

  • Le père et le fils, bien qu'ils aient servi pendant plusieurs années dans des armées ennemies, ont sacrifié une grande partie de leur vie à un même idéal de grandeur et d'honneur ; c'est l'ingratitude de leurs maîtres qui les réunit dans les années 1820-1830. Mais, ils ont eu la chance de survivre à tant de combats, une chance qui n'a pas souri aux deux autres fils d'Anne-Charlotte Alixand : Pierre Robert Julien, lieutenant au 5e R.I.L., est présumé mort à Madrid le 2 mai 1808(14) ; Jean-Baptiste Pierre Charles, capitaine au 7e R.I.L., est présumé mort à Wilno, dans l’Armée de Russie.
  • Voici une lettre que le second des deux jeunes soldats a adressée à sa mère en 1809 :
« A Mad. Dewarreux, Grande Rue St Marcel, St Denis, dépt Seine,
Vienne, le 21 juillet 1809(15),
J'ai dû bien t'inquiéter, ma pauvre maman, et en effet j'étais bien inquiet moi-même, et cependant ma blessure est guérie et je n'ai plus de fièvre, à l'exception que je suis sec comme un hareng. Je me porte bien. Aussitôt que je me porterai assez bien pour pouvoir me tenir sur une jambe, je ferai ton affaire. Mais il y a grand inconvénient : je n'avais qu'un mauvais frac et le boulet qui m'a blessé a eu la bonté d'y faire un trou où passerait ma tête, et il est inracommodable [sic]. Je n'ai pas d'argent et je ne sais pas comment je vais faire. Si seulement dans le régiment il y avait un officier de ma taille, mais à quatre pouces près il y en a. Je suis d'une longueur du diable, mais que tout cela ne t'inquiète pas. Quand je devrais le voir en chemise, je le verrai. Je vais peut-être aller en France et, si je réussis, je veux te voir. En attendant, sois tranquille sur ce qui me regarde.
Adieu, ma chère maman, je t'embrasse de tout mon cœur(6). »

(1) Cf. Decize, le Rocher et la Révolution, chapitre VIII, p. 172 ; et Anne-Charlotte Alixand, in Mémoires de la Société Académique du Nivernais, tome LXXVII, 2002, pp. 47-80.
(2) A.D.N., dossier 1 E 2.
(3) Dossier J.-H. Truitié de Varreux, S.H.A.T., Vincennes.
(4) Le biscaïen était une sorte de mousquet, utilisé pour tirer à longue portée ; par extension, le nom désignait aussi le projectile.
Cf. Dictionnaire Robert.
(5) Louis XVIII réorganise l'armée en légions départementales, dont la mission est plus proche de la gendarmerie.
(6) Rapport au Roi, du 14 juin 1820, signé par le Ministre de la Guerre, le marquis de Latour-Maubourg. Dossier Trutié de Varreux, S.H.A.T., Vincennes.
(7) Fille de Jean-Baptiste Rebreget (commerçant et officier public pendant la Révolution) et de Marie-Anne Douette (elle-même fille du notaire Pierre Douette).
(8) Maréchal de l’Empire, le marquis de Gouvion-Saint-Cyr se rallie au roi Louis XVIII ; nommé ministre de la guerre, il réorganise l’armée et tente de protéger les cadres bonapartistes ; la loi du 12 mars 1818 crée le système de tirage au sort et de remplacement qui sera appliqué jusqu’en 1872. Gouvion-Saint-Cyr est vivement attaqué par les ultra-royalistes qui auraient préféré un retour aux conditions de l’Ancien Régime, dans lesquelles les nobles étaient automatiquement et presque exclusivement officiers.
(9) A.D. Nièvre, dossier Alixand, cote 1 E 2.
(10) Plusieurs lettres de M. et Mme Alixand à leur fille sont conservées dans le dossier 1 E 2. Le jeune officier, traité de « 
gueux et scélérat » par ses futurs beaux-parents, est également menacé de chantage par un créancier mécontent, le tuteur d’Anne-Charlotte. Cette situation complexe s’arrange subitement le 10 mai 1781. L’enfant qui naît quelques semaines après le mariage meurt en bas âge.
(11) Une importante colonie de nobles français se trouve alors entre Coblence, Worms et Limburg-an-der-Lahn. Parmi eux, plusieurs Nivernais, dont Charles Desprez de Roche, officier originaire de Champvert.
(12) Dans cette opération mal préparée, les nobles français sont livrés aux troupes républicaines de Hoche et Tallien, alors que la flotte angla ise assiste au carnage sans bouger, au large. Le comte d’Artois (futur Charles X) et son agent, le comte de Puisaye, promoteurs de ce débarquement, ont été accusés d’impéritie.
(13) Dossier J.B.C. Trutié de Varreux, S.H.A.T., Vincennes. Autres renseignements dans les actes du notaire Roubet, relatifs à la succession d’Anne-Charlotte Alixand, années 1845-1846, A.D.N., cote 3 E 39-303.
(14) Le 2 mai 1808, une émeute soulève les patriotes espagnols de Madrid contre l’armée française : le bruit court que Joseph Bonaparte, administrateur provisoire, va faire enlever la famille royale espagnole et l ‘assassiner, puis se couronner roi. Cette journée est suivie par de terribles représailles. Le peintre Goya a illustré dans un célèbre tableau les fusillades du
Tres de Mayo.
(15) Depuis le 13 mai, les troupes françaises occupent Vienne. Le 21 mai commence la bataille d’Essling, qui fait 15 à 16 mille morts français et 26 à 27 mille morts autrichiens ; la bataille de Wagram a lieu le 6 juillet suivant.
(16) Le fils d'Anne-Charlotte Alixand qui a écrit cette lettre ne l‘a pas signée. D'après les états de service de Joseph-Hippolyte, il n'était pas en Autriche à cette date. Il s’agirait plutôt de Charles.


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