Occupation wurtembergeoise

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  • 25 mars 1815 : Napoléon est revenu à Paris et il réorganise l'Armée pour un ultime combat. Pendant ce temps, les grandes puissances sont réunies à Vienne pour se partager l'Europe. L'article 2 du traité qui vient d'être signé avec les représentants de Louis XVIII prévoit une occupation de la France par les armées alliées ; l'armée française devra se retirer à l'ouest d'une ligne Cherbourg-Nantes, et sur la rive gauche de la Loire jusqu'à Nevers, puis à l'ouest de l'Allier jusqu'à sa source, enfin cette ligne de démarcation se prolonge à travers les Cévennes jusqu'à la mer. Des contingents d'occupation sont répartis entre les quatre Grands : Autriche, Prusse, Russie et Angleterre, avec l'appoint des autres alliés : Espagnols, Piémontais, Wurtembergeois, Bavarois, Hessois... La Nièvre sera partagée entre les Wurtembergeois et les Hessois.
  • Mais l'Aigle relève la tête et se lance dans ce qui sera sa dernière campagne. Il ira affronter ses ennemis en Belgique. Alors que le Congrès de Vienne vient de se séparer, c'est Waterloo, le 18 juin, puis l'abdication de Napoléon le 8 juillet ; Louis XVIII revient à Paris, une fois encore « dans les fourgons de l'étranger » ; l'armée française, considérablement affaiblie, reflue dans la zone qui lui a été impartie, l'occupation commence progressivement. Dès l'arrivée des troupes alliées, deux conceptions opposées sont affirmées par les vainqueurs. Pour Wellington, il s'agit simplement d'assurer l'affermissement de la royauté restaurée et du maintien de l'ordre ; par conséquent, les troupes d'occupation sont là en amies ; « il est ordonné que rien ne soit pris ni par les officiers, ni par les soldats, sans paiement(1). » D'autres chefs d'État et généraux, Allemands pour la plupart, veulent faire payer à la France les vingt années de ravages exercés par ses troupes sur leurs territoires et « organiser méthodiquement l'exploitation du pays. »
  • Les Wurtembergeois se déploient dans le département autour du 20 juillet. Ils étaient auparavant amalgamés à la Première Armée autrichienne : environ 20000 Wurtembergeois et 8000 Hessois sont répartis entre Orléans, Auxerre, Nevers, Moulins et Charolles. Decize reçoit une garnison de 700 hommes, pour la plupart installés à Saint-Privé ; la ville doit en outre accueillir un magasin de matériel et deux hôpitaux militaires, l'un dans les immeubles du vieil hôpital Saint-Jacques, l'autre à Germancy. Le général-baron von Missany et son État-Major résident aussi à Decize.

Vae victis !(2)

  • Les villages voisins ont à nourrir et héberger d'autres contingents : 100 cavaliers à La Machine, 208 hommes et 40 chevaux à Druy, un magasin militaire, un demi-escadron et 112 chevaux à Champvert, etc... Il faut obéir aux nombreuses réquisitions : viande, lait, pain et vin pour les militaires, avoine et foin pour les chevaux, chanvre, cuir de veau, fer et bois pour les ateliers et les magasins. Le 27 août, « les coffres de chirurgie de la ville de Decize sont épuisés de remèdes(3). » Le 27 septembre, un important corps de cavalerie traverse la ville : il faut fournir des draps aux soldats.
  • Un volumineux courrier est échangé entre le maire de Decize (Rouvin, puis Blondat de Levanges), le sous-préfet chargé de l'arrondissement (H. de Dreuille), et les particuliers qui sont soumis aux pressions incessantes de l'occupant. Un commissaire aux réquisitions est nommé pour la ville de Decize : c'est Charles-Constance Hanoteau, ingénieur de la navigation. Jean-Baptiste Rérolle est chargé des fournitures de blé par les campagnes environnantes. On apprend ainsi que le sieur Alexandre Schmidt, résidant à Rosières, a dû donner plusieurs bœufs, du froment et du seigle, que Guillemot, garde de M. de Vertpré, a fourni 25 doubles décilitres de seigle le 27 juillet, Prudon fils une vache, Rogue un bœuf et 500 livres, Blondat de Levanges près de 60 doubles d'avoine. Le magasin d'Edme Douette est transformé en entrepôt.
  • Peu après leur arrivée, les armées d'occupation ont exigé d'élargir leurs zones : au lieu de s'arrêter au cours de l'Allier, comme il était stipulé dans les accords du début de juillet, les Wurtembergeois entreprennent de se déployer dans tout le département de l'Allier. Son Altesse le Kronprinz arrive à Decize le 2 août avec des troupes supplémentaires qui se répartissent dans les cantons de Fours et de Decize, avant de pousser jusqu'à Moulins-sur-Allier.

La digue des Wurtembergeois.

  • À Decize, le général Missany veut installer un pont de bateaux au Gué-du-Loup, pour accélérer le passage des cavaliers et des chariots sur l'autre rive du fleuve. L'ingénieur Thibord vient vérifier cet ouvrage provisoire le 25 août ; le pont de bateaux sert déjà depuis près d'une semaine, mais il est menacé par le courant ; aussi, le 17 septembre, le général Missany fait-il établir un barrage en amont : il réquisitionne six abatteurs de bois et cinq voitures à La Machine, douze hommes, six bœufs et six voitures à Decize pour une période de six jours. À l'extrémité de la Saulaie est alors bâtie une digue constituée de troncs d'arbres, de claies et de fascines. Cette digue des Wurtembergeois va sérieusement perturber la navigation et modifier le lit de la Loire.
  • Le 6 mars 1816, soit six mois après l'érection de cette digue, le batelier Mandard se plaint à la mairie de Decize : « On a insinué adroitement au général Missany que cette digue était indispensable, ce qu'il crut sans peine, connaissant à peine la carte du pays. [...] La précipitation qu'on a apportée à la confection de cette entreprise altère tellement le bras droit de la Loire que, pour peu que la rivière de Loire baisse, la navigation est arrêtée, les bateaux obligés de séjourner, fait qui est arrivé en novembre dernier parce que l'eau filtrant à travers la digue remplit le bras gauche et dessèche la rivière. [...] Cette construction n'est que de pur agrément et d'aucune utilité. » La digue, construite sur ordre d'un général et - peut-être sur les mauvais conseils de spécialistes - va avoir des effets pervers durables ; pendant quarante ans, le bras droit de la Loire va s'ensabler, tandis que le bras de Crotte, jadis envasé, sera dragué ; c'est ainsi que les Decizois doivent leur Vieille Loire aux troupes wurtembergeoises.

Des réclamations en cascade.

  • L'occupation coûte cher. En plus des dettes de guerre à payer aux forces alliées (10,6 millions de francs pour le département de la Nièvre, près de 500 millions pour l'ensemble de la France), les populations occupées doivent jour après jour se plier aux caprices de ces soldats étrangers. Les cabaretiers sont les plus exposés car, s'ils servent trop bien la troupe, les voisins les considèrent comme des traîtres, et s'ils mettent de la mauvaise volonté, l'occupant n'hésite pas à les brutaliser. Le sieur Loiseau doit nourrir et loger le général Missany ; Marie Vénuat (veuve Perrin), aubergiste aux Halles, et Jean-Baptiste Archambault, aubergiste en ville, se plaindront aux autorités municipales et préfectorales jusqu'en 1821 ; les compensations obtenues ne sont jamais à la hauteur des dommages subis.
  • Le 20 août, le conseil municipal signe unanimement une pétition qui se termine ainsi : « puisse notre voix parvenir jusqu'au pied du trône et que les princes généreux qui l'ont relevé sachent ce qu'ils ignorent ; sans doute que leur bienfait suivi de tous les maux que peut enfanter la vengeance armée arrache journellement à la nation les cris du désespoir et de la malédiction(4). »
  • À la fin du mois de septembre et dans le courant du mois d'octobre, les Wurtembergeois repartent. Cette occupation a été, somme toute, très brève et assez calme, si on la compare à celle que Decize subira de juin 1940 à septembre 1944.
  • En décembre 1815, la municipalité fait vendre les stocks qui sont restés dans les magasins militaires; il faut aussi apurer les comptes des réquisitions. Les plus grandes difficultés surviennent à propos de vin : des bateaux qui transportaient du vin pour la maison Reuillon, Ethel et Cie, ont été saisis ; une partie du chargement a été bue par les Wurtembergeois, le reste est disponible. Or, la société Reuillon-Ethel a fait faillite, et les syndics réclament 5351 francs dus par la ville de Decize, en l'absence d'autres débiteurs reconnus. Une liste très précise donne le détail des vins que les troupes d'occupations ont ingurgités : huit poinçons et six feuillettes de vin de Bourgogne et du Midi, environ 500 bouteilles de nuits, 360 de fontenay, 48 de champagne, etc... L'État-Major savait arroser ses repas et occuper ses soirées, comme en témoigne la seule consommation personnelle du général et de ses commensaux : champagne, meursault, volnay, malaga et alicante.
  • Entre avril 1821 et juillet 1822, la municipalité de Decize établit une liste de 148 personnes lésées par l'occupation, vérifie le bien-fondé des réclamations et obtient du gouvernement la somme de 58552,47 francs(5).

  • Dépenses faites par les troupes d'occupation :

État de la dépense faite par les troupes alliées chez la dame Bourgeois,
veuve de Pierre Lesort, aubergiste au faubourg Saint-Gilles,
et dont elle réclame le paiement :
1° Un hectolitre ou un quart de vin 50,00 F,
2° 32 bouteilles de vin bouché à 1,50 F l'une 48,00 F,
3° Sept doubles décalitres d'avoine et objets divers 15,00 F.
Total 113,00 F.
La dame Lesort ne sait signer, étant illettrée.
Fournitures faites par Mr. Cartier lors du séjour des troupes alliées à Decize,
mémoire du 25 juillet 1815 :
planches dites membrures, 36 toises à 60 cts l'une 21,60 F,
mémoire du 23 août : planches pour la digue, 1040 toises à 73 cts l'une 780,00 F,
membrures pour la digue 189,00 F.
mémoire du 15 septembre : planches, 100 toises 1/2 à 40 cts l'une 40,20 F,
planches dites membrures, 100 toises à 60 cts l'une 60,00 F.
Total 1090,80 F.



(1) Texte cité par Roger André, L’Occupation de la France par les Alliés en 1815, Paris, De Boccard, 1924.
(2) Malheur aux vaincus !
(3) A.D.N., cote R 2217.
(4) A.D. Nièvre, cote R 2813.
(5) Autres sources : E. Duminy, Notes sur le passage des Alliés dans le département de la Nièvre, in Bulletin de la Société Nivernaise, 3e série, tome XI, p. 249-289. Hauptstaatsarchiv Stuttgart, documents photocopiés et transmis par M. le Dr Theil. Georges Bordenove, Louis XVIII.


Texte Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm