Milice bourgeoise

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Les obligations des classes ouvrières et marchandes sont plus considérables que leurs droits.

La composition
En principe, tous les habitants en état de porter les armes, de 18 à 60 ans, doivent le service militaire dans la milice bourgeoise. Cette milice forme quatre compagnies, une par quartier. Au XVIIe siècle, chaque compagnie est commandée par un capitaine-major, un capitaine enseigne, un lieutenant. Mais cet état-major s'accroit avec l'édit de mars 1694. Il comprend alors un colonel, un major, huit capitaines et neuf lieutenants. En 1788, il se réduit à un colonel, un major, quatre capitaines, six lieutenants, un enseigne. Sergents et caporaux commandent en sous-ordre.
En 1697, avec le règlement du comte de Busseaux, lieutenant du roi en la province de Nivernais, qui réorganise certains éléments de la milice bourgeoise, le nombre des sergents est réduit à 12, mais il est d'ordinaire de 24 au XVIIIe siècle avec un sergent-major.
La milice a sa musique. En 1697, le tambour-major a sous ses ordres 12 tambours, 5 fifres, 12 violons, 4 hautbois.

Le paquetage
Les hommes sont armés de l'épée et du fusil ou mousquet. Les sergents portent l'épée et la hallebarde. Les officiers ont le hausse-col, dernier souvenir de la cuirasse et du gorgerin. Ils marchent l'épée au côté et la canne à la main. La milice a son drapeau, que l'on appelle le drapeau-colonel, déposé à l'hôtel de ville, après avoir été béni en grande cérémonie à la cathédrale par l'évêque ou le doyen du chapitre. Il semble qu'au XVIIIe siècle chaque compagnie ait aussi un étendard.

Leurs fonctions
La milice bourgeoise doit s'assembler au moins quatre fois l'an et faire des exercices. Mais aux XVIIe et XVIIIe siècles, les réunions sont rares et négligées. La milice doit assurer le guet et la garde. Avec le siège de Nevers, en 1617, ou pendant les désordres de la Ligue ou de la Fronde, elle avait soutenu de véritables batailles.
Mais à la fin de l'ancien régime, elle n'a plus aucune occasion de jouer un rôle militaire. Quelquefois seulement, les habitants montent en armes sur les remparts : en 1709, quand la famine provoque des troubles dans les campagnes, au mois de décembre 1754 et au mois de janvier 1755, à l'approche de Mandrin.
En temps ordinaire, les occupations de la milice sont plus pacifiques et se réduisent à des opérations de police : surveillance aux portes de la ville, patrouilles de jour et de nuit, pour le maintien de l'ordre. Quand la ville a des régiment en quartiers d'hiver, la milice est spécialement chargée de surveiller les gens de guerre et d'arrêter leurs désordres.(voir le logement des gens de guerre). Elle assiste les magistrats dans leurs diverses fonctions, par exemple établissement et recouvrement des impôts. Elle saisit « militairement » les meubles des contribuables récalcitrants. En 1678, les échevins signalent à l'intendant le mauvais vouloir des sergents, qui semblent considérer cette « recherche militaire » comme indigne d'eux. L'intendant leur enjoint de marcher avec leurs hallebardes à côté des huissiers de police.

La milice bourgeoise a aussi un rôle de parade. Elle participe aux « entrées, assemblées et cérémonies publiques ». Elle prend les armes toutes les fois que les rois, les ducs ou de grands personnages sont attendus à Nevers. En 664, plus de 2 000 habitants sous les armes reçoivent le légat du pape et forment la haie depuis les quais de Loire, où le cardinal Chigy a débarqué, jusqu'à la cathédrale. On tire au sort la compagnie qui doit assurer la garde nuit et jour, aussi longtemps que le légat résidera dans la ville. La milice figure avec des crêpes aux obsèques des échevins ou des évêques, à tous les grands services funèbres. Elle assiste aux feux de joie célébrés à l'occasion de tous les événements heureux : naissances et mariages dans la famille royale ou ducale, victoires et traités de paix. Avec les guerres du règne de Louis XIV, les feux de joie se multiplient d'une manière insolite. Alors toute la milice est réunie avec des cocardes de différentes couleurs suivant les compagnies. Le billet d'honneur désigne le quartier qui doit venir en tête de cortège. Le Te Deum est chanté à la cathédral « environ l'heure de quatre après midi », avec accompagnement de salves et artifices au dehors. Le soir « environ les 9 heures » la musique et plusieurs sections vont au-devant des échevins à l'hôtel de ville. Les magistrats en robes rouges arrivent sur la place ducale avec cette escorte et allument le feu de joie, au milieu des acclamations populaires, des salves de mousqueterie et d'artillerie. La ville, en effet, a son artillerie et ses canonniers. Cette artillerie, très rudimentaire, comprend au XVIIIe siècle une douzaine de couleuvrines. Les échevins recrutent leurs canonniers parmi les gens de métiers, surtout les ouvriers du fer et taillandiers. L'emploi est très recherché car il donne droit à divers avantages : réduction des cotes d'impôts, exemption du logement des gens de guerre, gratification les jours de feux de joie. En 1753, naissance du duc d'Aquitaine, les canonniers se partagent 6 liards . Toutefois, il y a des risques. En 1749, le canonnier Joseph Martin est tué par une explosion. La ville fait à sa veuve une pension de 200 liards.
Après ces fêtes, les échevins offrent d'ordinaire un banquet aux officiers, des bals et des réjouissances au peuple.

En somme la milice bourgeoise assure différents services, qui n'ont rien de militaire. Officiers, sous-officiers et musiciens jouissent de quelques avantages : exemption du logement des gens de guerre, réductions d'impôts, gratifications diverses (dans les feux de joie, la ville accorde 1 liard à chacun des musiciens et sergents). Mais les habitants n'ont aucune rétribution. Les prises d'armes dérangent les artisans dans leur travail. Le service de nuit les trouble dans leur repos.

Les majors-tambours
Au XVIIe siècle, la milice bourgeoise est une organisation municipale et populaire, étroitement soumise aux échevins. Les magistrats municipaux désignent en toute liberté musiciens et sergents. Les habitants se disputent volontiers ces emplois en raison des avantages qu'ils comportent. Le tambour-major ou les officiers présentent les aspirants-musiciens. Le 27 janvier 1664, le savetier Pierre Lepage paraît à l'hôtel de ville. Il veut être tambour et promet de répondre à tout appel « en toutes occasions et assemblées publiques et particulières, où la communauté aura besoin de lui ». Le tambour-major Imbert de la Mantonnière déclare que le candidat est « capable de faire la charge et exercice de tambour ». Lepage est admis et prête serment d'obéir aux échevins et aux officiers. La plupart de ces musiciens sont des gens de métiers. Ils se succèdent quelquefois de père en fils. En 1713, Guillaume Dupont se fait recevoir tambour à la place de son père Étienne, qui est mort il y a un mois. Cette hérédité s'explique : le père a enseigné son art à ses enfants.

Les sergents
La nomination des sergents n'est pas différente. Le 10 juin 1661, le sieur Charles Gallois, marchand, vient à l'hôtel commun. Il veut être sergent à la compagnie de Loire. Le capitaine-enseigne du quartier l'accompagne. Les échevins l'acceptent, car il est de bonnes vie et mœurs, de la religion catholique, apostolique et romaine. Il prête serment de remplir ses devoirs en conscience. Il ne pourra « tenir hostellerie ni faire commerce illicite ». On craint sans doute qu'un sergent cabaretier soit plus apte à provoquer le désordre qu'à le réprimer. La plupart des sergent se cramponnent à leur emploi jusqu'à l'extrême vieillesse. En 1662, on se plaint que les sergents de quartier soient tous infirmes ou extrêmement âgés, si bien « qu'au moyen de leurs incommodités, ils sont absents, lorsque l'on a besoin de leurs services, par exemple contre les gens de guerre ou contre les habitants, qui se rencontrent désobéissants ». Il faut des « adjoints ou supernuméraires ». La plupart des sergents ne prennent leur retraite qu'avec des lettres de vétérance, qui leur conservent tous leurs privilèges, comme s'ils étaient toujours en activité. Le 23 avril 1769, le sergent-major Jean Cabanne reçoit des lettres de vétérance et devient en somme sergent honoraire. Ils se recrutent surtout parmi les marchands et les artisans aisés. Ici encore, l'hérédité, chère à l'ancien régime, apparaît. En 1702, le sergent-major Jean Laurent se retire à cause de son grand âge et de sa caducité, mais fait admettre à sa place son gendre Pierre Gallois.

Les capitaines-majors
Les échevins sont de droit capitaines-majors de chaque quartier. Les autres officiers sont élus d'après une procédure assez analogue à celle des échevins. Quand il se produit une vacance dans un quartier, les habitants, convoqués au son des cloches et du tambour, se rassemblent au même endroit que pour les élection municipales, un dimanche matin à l'issue de la grand'messe. L'élection est présidée par l'échevin du quartier, assisté du procureur du roi. Elle se fait à haute voix et à la pluralité des suffrages. Il peut y avoir parfois une cinquantaine de votants. Les gens de métiers semblent s'intéresser à ces nominations plus qu'à celles des échevins. Ils ont toujours la majorité, mais ils suivent d'ordinaire l'avis de ceux qui parlent les premiers. Certains candidats réunissent l'unanimité des suffrages. Une fois cependant la lutte est plus ardente. En 1660, dans le quartier de Croux, Jacques Pérude, sieur de Tabourneau, est élu enseigne, mais Jacques Moquot, avocat et Maître des comptes, proteste de nullité. Il prétend qu'on lui a retranché certaines voix, « sous prétexte qu'elles étaient en puissance de père et de mère », alors qu'on ne les a pas retranchées à Pérude. Quelques jours après, le 22 février, les conseillers de ville et les officiers de quartier élaborent un règlement. « Cy après aux assemblées qui seroient faictes pour l'eslection d'officiers de quartier, les enfants de famille auroient droit d'eslire à condition néantmoins que, s'il se rentroit que dans la mesme assemblée il y eust deux personnes d'unes mesme maison, père et fils, qui eussent donné leur voix, qu'elles ne seroient complées que pour une ». C'était une restriction de parenté analogue à celle qui devait s'introduire plus tard dans les élections militaires la représentation par feux. Le 29 février, les habitants du Croux sont convoqués à nouveau. L'affluence est considérable. Il y a plus de 159 votants. Pérude est élu cette fois avec une forte majorité. Mais les passions ne sont pas apaisées, car Moquot proteste encore. Il prétend que l'ordonnance du 22 février n'a pas été appliquée. Les officiers, une fois élus, prêtent serment à l'hôtel de ville. Certains d'entre eux sont de grands personnages, issus de la noblesse ou de la haute bourgeoisie. Cependant, ils jurent sans difficulté d'exécuter les ordres des échevins et les ordres du roi.

Mais ici, comme dans les élections de l'hôtel de ville ou de l'Hôtel-Dieu, la volonté populaire est entravée à la fin du XVIIe siècle par la fantaisie ducale. Au mois de décembre 1676, comme on devait procéder à l'élection d'un officier du Croux, le procureur du roi fait surseoir à cette assemblée, «jusques à ce que Monseigneur, qui est hors du royaume, soit de retour en France, pour avoir son agrément sur le fait de la dite élection, ayant un notable intérest d'avoir un officier de quartier qui lui plaise ». Il demande qu'on écrive au duc, aussitôt qu'il sera de retour, afin qu'il fasse connaître ses volontés. A contre-cœur, les échevins consentent. Ils font « défenses à tous tambours et trompettes de cette dite ville de battre la caisse et de publier aucune assemblée pour procéder à la dite nomination et à toutes personnes de sonner la cloche pour cet effet ». Le 14 mars 1680, Dollet de Solières, du bailliage et pairie, désigné par le duc, est élu.

Cette coutume, une fois établie, se perpétue par le même abus que dans les élections municipales. Le 18 juin 1684, Jean Thomas dit Maslin, est élu capitaine-enseigne au quartier de Nièvre. « Il s'est trouvé, dit le compte-rendu, par euphémisme qui fait sourire, que tous unanimement et conformément à la volonté de Monseigneur le Duc ont nommé le sieur Thomas ». Les élections ne sont plus désormais que des simulacres. Les Mancini décernent des brevets d'officiers à leurs candidats, souvent choisis dans leurs juridictions : bailliage et cour des Comptes. Ces officiers de milice font bon ménage avec les échevins, soumis eux-mêmes à la nomination des Mancini.

Le pouvoir ducal intervient aussi dans le choix des sergents de quartiers, qui désormais ne sont plus admis que « sous le bon plaisir de Monseigneur ». Le 21 mai 1688, il fait même casser le sergent Cabanne, trop dévoué à la municipalité, et lui fait déposer publiquement, à l'hôtel de ville, son épée et sa hallebarde. Sa nomination et sa réception sont biffées et déclarées nulles et de nul effet. Il n'est réintégré que le 6 novembre 1689.

La fin des élections
Le caractère municipal et populaire de la milice, déjà très diminué par l’ingérence ducale, est encore atteint par l'édit royal de mars 1694. Suivant la méthode partout employée en France à cette époque, les grades sont transformés en offices héréditaires avec privilèges en faveur des titulaires, nobles ou roturiers. Aussitôt, un certain nombre d'officiers de la milice, nobles ou riches marchands, Étienne Brisson, seigneur de Saincaize, Pierre Brison, écuyer, sieur du Pontot, Pierre Sallonnier, François Gascoing, Jean Thomas, dit Maslin, Guillaume Vaillant et Joseph Richard de Soultrait s'efforcent d’accaparer les nouvelles charges. Ils forment entre eux une sorte de société et moyennant la somme de 9 240 liards, ils achètent les deux offices de colonel et de major, trois offices de capitaines et quatre offices de lieutenants. En vertu de ce pacte, Étienne Brisson devient colonel, Pierre Brisson major ; ils échangeront leur grade tous les ans. Gascoing, Sallonnier, Maslin deviennent capitaines, Vaillant et Richard lieutenants. Les deux autres offices de lieutenants sont, moyennant argent, transformés en grades de capitaines et donnés à Jacques Devillars et à François Maslin. Mais au grand déplaisir de tous ces associés, plusieurs autres grades se trouvent également négociés par des bourgeois et marchands, tels que les sieurs Vaillant, Regnard, Chatelain, Chapus ou Michel, malgré le taux élevé des finances.

Ces officiers en titre semblent avoir été accueillis avec autant de mauvaise humeur que les échevins en titre. La protestation est unanime parmi les municipalités de la généralité de Moulins. Les différents échevins demandent que l'on procède aux élections comme par le passé, ou tout au moins que les nouveaux offices soient réunis ou incorporés aux ville, « pour y nommer et pourvoir ceux des dits habitants qu'ils adviseront ». Ils paieront les sommes nécessaires, mais supplient le roi d'avoir égard « à l'estat de pauvreté des habitants des dites villes et aux grandes sommes qu'ils ont payées depuis six années que la guerre dure ». Alors un arrêt du 9 novembre 1694 leur donne satisfaction. Tous les offices sont incorporés aux municipalités. Mais dans certaines localités, comme Nevers, les particuliers, qui viennent d'acheter des grades, les conserveront leur vie durant. A leur décès, les maires et échevins rembourseront les finances aux veuves et aux héritiers. Le roi impose à la généralité le paiement d'un tribut de 34 500 liards, prix total des grades qui n'ont pas encore été vendus. A Nevers, quinze offices étaient achetés. Restaient à pourvoir deux charges de capitaines et deux charges de lieutenants. Ainsi le second arrêt de 1694, rendait aux échevin leur liberté d'action, mais l'ancien régime ne fut pas pour cela restauré à Nevers ; Si le principe du scrutin est rétabli dès le mois de janvier 1695, les assemblées populaires ne reparaissent pas. Les élections se font en petit comité à l'hôtel commun, sous les auspices de la municipalité. Quelques notables seulement sont convoqués. Cette procédure s'explique. Faute d'argent, la ville ne peut verser sa part de 33 500 liards ; elle oblige donc ceux, qui ont l'honneur d'être élus aux charges non pourvues, à payer la finance des grades. C'est la méthode de la carte forcée. Parmi ces élus, quelques-uns se dérobent (Par exemple, le sieur Berger, receveur des deniers patrimoniaux et le sieur François Grousol, seigneur d'Aubigny), les autres s'exécutent (Par exemple, le sieur Pinet de Manielet et le marchand Pierre Seigne), mais deviennent propriétaires de leurs offices, au même titre que ceux qui ont négocié avec le pouvoir royal. En 1699, le décès de certains officiers, tels que le capitaine Vaillant et le lieutenant Chapus, aurait dû permettre à la ville de prendre possession de ces grades. Mais faute d'argent, il est toujours impossible de rembourser. Il faut encore procéder à des élections factices ; les élus négocient avec les héritiers de leurs prédécesseurs et deviennent aussi propriétaires de leurs charges ; La ville perdait ainsi tout le bénéfice du second arrêt de 1694. Quelques familles de bourgeois et de marchands accaparent les grades de la milice, les achètent et les vendent en toute liberté, comme si l'arrêt de novembre 1694 ne concernait pas Nevers. Même après les édits de suppression des offices en 1766 et 1717, les titulaires ne sont pas dépouillés. Les provisions continuent à se commercer ou à se transmettre de père en fils. Le simulacre d'élection a disparu. La ville homologue les marchés, en recevant le serment des nouveaux titulaires après information de vie et mœurs. Toutefois, au cours du XVIIIe siècle, la valeur de ces provisions diminue sans cesse, au point qu'elles ne trouvent plus acquéreurs. Alors à la veille de la Révolution, les échevins désignent librement les officiers de bourgeoisie.

La milice bourgeoise de Nevers n'est qu'une parodie de service militaire. La ville, trop éloignée des frontières, n'a pas l'esprit guerrier. Le service de la milice paraît inutile et même à charge. Les chefs ne prennent pas leur rôle au sérieux. Leur activité ne se manifeste qu'à l'approche de quelque grande cérémonie, à l'arrivée de quelque grand personnage. Alors état-major et municipalité se hâtent de réorganiser les compagnies, de passer en revue les bourgeois, de compléter les cadres. Quant aux habitants, ils subissent de mauvaise grâce des obligations dont ils ne comprennent pas toujours l'importance. Cet état d'esprit allait changer avec les garde nationales de la Révolution.

Source : Écrits de Louis Gueneau