Les ingénieurs de Véronique et Atar

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  • Helmut. Müller était le fils d'Otto Müller (1910-2002), un ingénieur allemand qui était venu en France, prisonnier de guerre, comme une centaine d'autres techniciens. Ils avaient travaillé sur les V1 et V2 à Peenemünde, sur la côte de la Mer Baltique. Repliés au début de 1945 à Emmendingen, dans la Forêt Noire jusqu'à la fin de la guerre, quand l'armée française a conquis cette région. Au début de 1947, ils avaient été installés avec leurs familles dans un grand camp militaire près de Vernon, le camp de la Madeleine, qui avait eu diverses utilisations entre 1926 et 1945 : le Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques (L.R.B.A.), auquel ils appartenaient désormais était chargé de construire les premières fusées françaises. Karl-Heinz Bringer, y développa la série des moteurs Viking à injection cylindrique qui équipèrent les fusées Véronique, Vesta, Diamant, puis Ariane 1 à Ariane 4.
    À Vernon, les familles allemandes étaient installées sur un plateau, à l’écart de la ville basse en bord de Seine, dans une forêt qui servit très vite de zone de jeux pour les enfants. Ces enfants nommèrent ce lieu Buschdorf (le village de la brousse). En mars 2018, l’émission 13 h 15 le Dimanche de France 2 leur a consacré un reportage intitulé Les Enfants du Buschdorf. La Cité comprenait 70 logements et elle a compté jusqu'à 235 habitants. En octobre 1951, une école a été ouverte pour les enfants des techniciens du L.R.B.A. qui étaient restés en France. De 1979 à 1984, les bâtiments de la Cité ont été progressivement abandonnés.
    Les site Buschdorf, les Allemands au L.R.B.A. donne d'abondants témoignages sur cette aventure.
    Les ingénieurs des Bayerische Motoren Werke, de Berlin à Decize.
Le personnel de la SNECMA
  • L'Allemagne a décentralisé ses usines, à la fin de la guerre, pour éviter les bombardements. En octobre 1944, l'atelier de développement des turbines à gaz B.M.W. est transféré de Berlin à Stassfurt (près de Magdebourg).
    En avril 1945, les Américains occupent cette région. Ils déplacent une partie importante du personnel à Munich. Le docteur Hermann Œstrich et ses principaux collaborateurs sont recrutés par le Ministère de l'Air Français pour un contrat de cinq ans. Les 120 ingénieurs du Groupe O travaillent d'abord à Lindau-Rickenbach (proche de la Suisse et de l'Autriche). Des ingénieurs des usines Dornier, Junkers et Heinkel les rejoignent. En octobre 1945, ils commencent les études du turboréacteur ATAR 101. Ils sont rattachés à la Société Voisin, filiale de la Société Nationale d'Études et de Construction de Moteurs d'Avions (SNECMA).
    Autour du docteur Œstrich, directeur technique, les études relèvent de la compétence de Hans Rosskopf ; les ingénieurs Triebnigg, Münzberg, Stieglitz, Wiegland, Menz, Quick et Borsdorff dirigent les différents ateliers, les essais en banc et les essais en vol.
    Le 25 juin 1946, le Journal du Centre titre un de ses articles :
« Avant un mois, Decize sera en France le centre important d'étude de moteurs d'avions. »
  • Le 15 juillet, les 200 ingénieurs et techniciens du Groupe O et leurs familles s'installent dans la Caserne des Gardes Mobiles Républicains. Ils sont encadrés par des ingénieurs français. Plusieurs Decizois sont recrutés pour compléter les effectifs de l'entreprise.
    Les machines-outils ont été, pour la plupart, prises à l'ennemi au titre des réparations de guerre. Des ateliers sont montés rapidement.
  • Le moteur ATAR 101 équipe dès 1949 des avions d'essai Martin B 26 Marauder, Bloch 161 Languedoc et des avions de transport. Ce turbo-réacteur, dans sa première version, développe une poussée initiale de 16,6 kN (1700 kp) ; la poussée initiale sera accrue dans les versions successives, en augmentant le diamètre de la turbine, afin d’équiper le Super Mystère B2, les Vautour et Étendard de Dassault. Plus tard, l’ingénieur Helmut Zborowski mettra au point le Coléoptère C 450, avion d’essai à voilure annulaire et décollage vertical, qui s’est écrasé en 1958, après quelques essais.
  • Le séjour des ingénieurs allemands à Decize n'est pas facilement accepté par toute la population. Dans un article ironique, le journal d'entreprise L'Envol recommande à tous les Français de venir s'établir à Decize, Pays de Cocagne. « En effet, il a été constaté qu'en un an, les 135 techniciens allemands avaient grossi de 700 kilos à eux tous, ce qui représente la coquette moyenne de 5,100 kilos par tête de pipe ! Détail amusant : les cadres ont grossi de 5,800 kilos en moyenne, le personnel non-cadre se contentant de 4,700 kilos...»
    Le Journal du Centre répercute régulièrement l'agacement des Decizois qui ne comprennent pas pourquoi ces ennemis d'hier - dont les compatriotes ont occupé les mêmes casernes pendant plus de quatre années terribles - bénéficient de salaires élevés qui leur permettent de s'alimenter mieux que les Français. Des reproches mesquins reviennent dans le journal : ils achètent des kilos d’oranges et de bananes dans les épiceries, leur cantine se fournit en lait dans les fermes voisines, alors que la population locale doit « tirer la vache par la queue [sic] .» Le simple fait de déambuler dans les rues de la ville est considéré comme une provocation(1). En mai 1950, La Vie Ouvrière, organe de la C.G.T., accuse la direction de licencier des ouvriers français et de continuer à salarier des Allemands ; il est même insinué que le docteur Œstrich et plusieurs ingénieurs avaient été des adjoints de Goering ; une caricature montre l'entrée de la caserne, surmontée des inscriptions « S.S. N.E.C.M.A. et Bureau d'em-boche. »
    Les autorités doivent faire paraître des mises au point pour expliquer que le Groupe O travaille pour la France et pour réfuter des informations mensongères, voire des calomnies.
  • Le docteur Œstrich devient directeur technique de la SNECMA en 1950. Naturalisé Français deux ans plus tôt, il est fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1962.
    En 1953, après le départ de l'usine SNECMA pour Melun-Villaroche et Corbeil, les bâtiments de la caserne accueillent - enfin - les Gardes Mobiles pour lesquels ils avaient été construits. Pendant quelque temps, il y a aussi des classes, avant la construction de l'école primaire de Saint-Privé (actuelle école René-Cassin).
  • Un moteur ATAR était venu à Decize en 2000. M. Jean Le Hen, ancien de l'entreprise, avait obtenu ce prêt et le transport gratuits. C'était pour une autre exposition : Decize, 2000 ans d'Histoire et de Patrimoine. La SNECMA n'était pas encore intégrée dans le groupe SAFRAN.
Un moteur ATAR 101, musée de Villaroche
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(1) Le Journal du Centre, 3 septembre 1946, 8 octobre 1946, décembre 1947.

Texte communiqué par Pierre Volut