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Version du 14 novembre 2015 à 12:36

Guerre 1914-1918 57.jpg

Le recrutement et les exceptions à la règle(1).

  • Dès la déclaration de guerre, les classes 1913 et 1914 ont été envoyés au combat, les classes des années précédentes ont été rappelées. Puis, chaque année, à mesure que les besoins en hommes se font sentir, l'armée fait appel, en plus de la classe normalement mobilisable, à des hommes plus âgés ou plus jeunes.
    Il est fastidieux de vouloir recenser tous les soldats mobilisés. Maurice Valtat, qui a étudié l'ensemble du département de la Nièvre pendant la Première Guerre Mondiale(2), estime le nombre total des Nivernais mobilisés autour de 70000 (il y a en août 1914 299312 habitants dans la Nièvre). Rapportés à la population du canton de Decize (16500 habitants en 1914), près de 3000 hommes ont été mobilisés et ont combattu à un moment ou un autre pendant ces années-là.
    Ainsi, la quasi-totalité des hommes du canton de Decize nés entre 1875 et 1900 ont été appelés sous les drapeaux : au front, dans les casernes et camps de formation, dans les dépôts de matériel, dans les bureaux ou dans les usines d'armement.
    Toutefois, il existe des exceptions à cette mobilisation générale :
• les ajournés :
- des étudiants sursitaires,
- les prêtres maintenus dans leurs paroisses,
- les ajournés pour cause de faiblesse physique,
• les exemptés définitifs :
- les infirmes, idiots et malades mentaux,
- les malades grabataires ou en traitement,
• les conscrits décédés juste avant leur incorporation (ce fait rarissime s'est produit à Devay).
  • L'administration militaire incorpore tous les hommes mobilisables. Lorsqu'une exception apparaît, l'autorité ad hoc ne peut se prononcer qu'après une enquête de gendarmerie ou après avoir examiné un dossier établi par la préfecture du département. Des dossiers regroupant les réclamations, les bordereaux de contrôle, les témoignages, les certificats médicaux ont été dûment remplis et conservés. Voilà pourquoi les exceptions nous sont connues(3).
  • On trouve aussi parmi ces dossiers des enquêtes sur d'éventuels embusqués, des refus de sursis, l'examen des appelés par les conseils de révision de départements où ils résident au moment de leur convocation (pour la majorité, c'est la région parisienne). Les dossiers de réclamations du canton de Decize nous apprennent ainsi qu'un nombre non négligeable de jeunes gens étaient domestiques ou employés du commerce à Paris.
    Il y a enfin quelques jeunes gens qui sont introuvables dans le canton de Decize au moment de leur incorporation, non pas par peur de la guerre, mais parce qu'ils ont devancé l'appel et se sont engagés avant l'âge légal.

Les ajournés étudiants.

  • En août et septembre 1914, les conseils municipaux ont été soumis à une tâche difficile : certains étudiants demandaient un report d'incorporation afin de continuer leurs études à la rentrée d'octobre. Accepter toutes ces requêtes - venant presque toutes de familles de notables -, c'était prêter le flanc aux accusations de corruption, de défaitisme, de favoritisme... Le ministère de la guerre donna aussitôt des instructions très strictes aux commissions militaires qui devaient examiner les dossiers et de nombreux étudiants ont été mobilisés ; le report de leurs études étant admis par les universités et les écoles normales.
    Chaque année le problème se posa à nouveau avec ceux qui avaient entamé leurs études après la déclaration de guerre, qui étaient trop jeunes pour aller à l'armée en 1914, mais qui étaient mobilisés en 1915, 1916, etc... D'autant plus que certains milieux universitaires, les inspecteurs d'académie, les dirigeants socioprofessionnels faisaient pression pour que le contingent d'étudiants ne soit pas tari par la mobilisation générale. Il fallut donc réexaminer les demandes de sursis et, parfois, répondre favorablement. Trois cas d'étudiants ajournés concernent des jeunes gens du canton de Decize :
Eugène Alexandre Gautheron, résidant à La Machine, est ajourné au début de la guerre.
Charles Léon Sallé, né le 13 juin 1898 à Decize (classe 1918 mobilisable en 1917), étudiant depuis le 1er octobre 1915 à l'École Normale de Varzy et ce pour un cycle de trois ans consécutifs, est ajourné en 1917.
En revanche, Maurice Vailland n'obtient pas d'ajournement supplémentaire en janvier 1917. Né le 11 mars 1898 à Saint-Germain-Chassenay, il est alors élève de l'école Sainte-Geneviève de Versailles et il prépare l'École Militaire (argument paradoxal pour éviter la guerre !) : le conseil de révision de la Seine-et-Oise le déclare bon pour le service.
Quant à Louis Ragouneau, de Decize, il a changé d'avis. Le sursis de cet étudiant en médecine avait été accepté par le conseil de révision au début de l'année 1915. Mais le jeune homme s'est engagé le 24 avril suivant à Paris et il a été affecté au 5e Régiment d'Artillerie Lourde.

Un prêtre ajourné.

  • L'abbé Félix Alphonse Albert Carnicelly, de la classe 1899, a été longtemps vicaire à Decize et animateur du Cercle Saint-Aré. En octobre 1918, il est curé de Dampierre-sous-Bouhy. Il demande le prolongement du sursis qui lui a été accordé les années précédentes. Cette requête est acceptée par le préfet(3).

Les ajournés pour faiblesse.

  • De la même façon qu'en temps de paix, mais avec réticence, les médecins militaires ajournent les conscrits qui leur semblent trop faibles pour porter les armes. Ainsi le journalier Etienne Bonnot, de La Machine (classe 1916), le domestique agricole Pierre Jeandot, originaire de Saint-Léger, échappent à la mobilisation.
  • La maigreur excessive est un argument à prendre en considération. Louis Amiot, de Decize, commis-épicier à Paris, ne pèse que 43 kilos pour 1,52 mètre. Le Decizois Joseph Fabien Martin, exilé à Genève, ne pèse que 46 kilos. André Billoué, de La Machine, valet de chambre à Paris, pèse 54 kilos pour une taille d'1,73 mètre (deux années consécutives, il obtient l'ajournement). On peut raisonnablement s'interroger sur l'efficacité de ces trois hommes dans leurs métiers respectifs.

Les exemptés pour maladies mentales.

  • L'armée ne peut incorporer des hommes qui ne jouissent pas de toutes leurs facultés mentales. Les longues années du conflit suffiront pour rendre fous, irrémédiablement, des milliers de soldats, soumis au bruit, à l'horreur(4).
    La gendarmerie est chargée de vérifier l'état mental de quelques jeunes gens en âge de servir, des jeunes gens que leur entourage, les maires des communes, des instituteurs prétendent inconscients, débiles, idiots. La grande misère de ces marginaux est ramassée dans les enquêtes de gendarmerie. Il y a l'innocent Annet C..., de Béard(5), dont la « grande occupation, lorsqu'il est sur les chemins, est de ramasser les chiffons de papier, les plumes de volailles, les pierres et autres objets qu'il peut trouver, et qu'il lance dans les champs, dans les jardins... » Il y a l'illettré Jean-Baptiste G..., de La Machine, « complètement déséquilibré, qui n'est jamais venu à l'école de sa vie », selon M. Etienne Régnier, directeur de l'École Schneider.
  • Dans la plupart des cas, l'idiotie de ces jeunes gens n'est pas congénitale. Ils ont souffert de convulsions dans leur premier âge. Charles S..., fils d'un négociant de grains et fourrages à Decize, est juste capable de conduire l'attelage de son père. Paul-Jean C..., de Saint-Léger, épileptique, semblait guéri à l'âge de cinq ans, et il a subi des rechutes à 16 ans. Le Machinois Jean-Baptiste D..., 21 ans, sans profession, explique lui-même : « J'ai toujours mal à la tête et aux jambes et, si je le pouvais, je serais content d'être soldat. On m'a dit que j'avais des crises, mais je ne le sais pas et ne m'en rends pas compte. L'autre jour, je me suis retrouvé au lit et cela m'a semblé drôle. Je ne peux me livrer à aucun travail. [...] J'ignore de quelle maladie je suis atteint. » Juste avant l'enquête, il a été interné 22 mois à La Charité.
    Le cas de Louis Victor Alexandre M... est encore plus pathétique. C'est le fils d'un conseiller municipal de la commune de Decize. Il souffre de troubles mentaux depuis 1913. Ses parents l'ont fait interner dans la maison d'aliénés de Leyme (Lot) et ce dans le plus grand secret. Son père se justifie : «J'ai, ainsi que tous les miens, soigneusement caché la maladie de mon fils, de sorte que la plus grande partie de la population de Decize ignore où il se trouve actuellement. » Le docteur Régnier, qui a examiné le malade, confirme.

Un infirme exempté.

  • Le dossier de François B..., de Champvert, est constitué de plusieurs certificats médicaux. Le jeune homme ne parle pas, ne comprend rien et, physiquement, il est très disgracié : il mesure moins de 0,80 mètre.

Les exemptés pour maladies graves.

  • Louis V..., de La Machine, souffre de tuberculose osseuse. Il est condamné à vivre couché dans son lit. Le fils du maire de Sougy, est atteint de sylpho-colite et d'une arthrite du genou. Il doit suivre un régime alimentaire très sévère. Deux médecins ont signé des certificats pour appuyer l'exemption : le docteur Talon, de Nevers, et le docteur Bayrac, directeur de cure à Châtel-Guyon.

Un décès avant incorporation.

  • Alexis Bouillot, né à Devay le 7 juillet 1895 n'a jamais été incorporé. Il est mort quelques jours après ses vingt ans, le 23 juillet 1915. Le conseil de révision n'a pu que lire l'avis de décès signé par le maire de sa commune.

Les rattrapés, les refus d'ajournement ou d'exemptions.

  • Tous les appelés qui suivent ne sont pas des embusqués. Si la bureaucratie militaire les a classés dans les dossiers de réclamation, ce n'est pas parce qu'ils réclamaient, mais parce qu'on les réclamait. Ils avaient quitté le canton de Decize pour être domestiques, employés de magasins ou apprentis à Paris, ou dans d'autres départements. Convoqués au conseil de révision dans la Nièvre, ils n'ont pu se présenter et l'autorité militaire a réexaminé leur situation, avec quelques mois ou un an de retard, dans leur département de résidence. Pour les incorporer dans des unités combattantes.
    Jean Thély, né à Saint-Léger le 15 octobre 1893 (classe 13), s'est établi cultivateur dans l'Aube. Il a réussi à échapper à la mobilisation de sa classe, mais il est rattrapé par le conseil de révision le 15 mai 1915 et il part aussitôt sous les drapeaux.
    Dans la classe 14, un seul rattrapé : c'est Louis Barbier, originaire de La Machine, valet de chambre au château de Plancy (Aube). Il est déclaré bon pour le service le 15 mai 1915, à Troyes.
  • La classe 15 est représentée par Marcel Bouchard, marinier(6) né à Decize, retrouvé à Auxerre, Pierre Bardon, né à La Machine, demeurant à Villeneuve-Saint-Georges, Pierre Charbonneau, né à Decize, et coiffeur-perruquier à Brienon-sur-Armançon (Yonne).
    En décembre 1916, le conseil de révision de la Seine déclare propre au service armé Pierre François Serre, né à Decize en 1898, et garçon épicier à Juvisy-sur-Orge. L'année suivante, c'est le tour de Gabriel Eugène Chauvot, originaire de Saint-Léger, tourneur-ajusteur à Paris ; ses compétences techniques lui permettent d'être affecté à l'aviation. Ferry Louis Debèze, de Thianges, domestique de ferme dans le Cher, est bon pour le service, de même que Louis Bergeron, né à Verneuil, maréchal-ferrant à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne). Edmond Bourdelier, de La Machine, employé à la Samaritaine, est dirigé vers un régiment d'artillerie. Bon pour le service armé ou propre à porter les armes, ce sont les appréciations portées sur les fiches de Louis Raizon, d'Henri Ernest Martin, garçon de café à Paris, d'Adolphe Simonin et Maurice Gustave Bournichon, tous deux valets de chambre à Paris (le dernier fait valoir qu'il sait nager et jouer du violon !). Henri Joseph Reboulot, autre Nivernais de Paris, sait conduire et monter à cheval ; le conseil de révision ne l'envoie pas dans la cavalerie mais dans l'artillerie.
Le conseil de révision, Musée des Arts Naïfs, Nice. Cf. jeanmorenon.fr

(1) Chapitre rédigé en 2001, Le Canton de Decize pendant la première Guerre mondiale, pp. 44-48.
(2) 14-18, Le Département de la Nièvre dans la Grande Guerre, Direction des Archives Départementales de la Nièvre, dossier documentaire n°5, 1990, p. 27.
(3) A.D.N., cotes R 2154, R2261-63.
(4) Le dossier d'archives intitulé Sursis pour les Ministres des divers cultes (A.D.N., cote R 2154) ne contient que dix demandes de prêtres nivernais. Ces demandes sont motivées par la surcharge de travail, chaque curé de campagne ayant à s'occuper de plusieurs paroisses voisines, dont les desservants sont sous les drapeaux ou trop âgés. Depuis la déclaration de guerre, près de la moitié des prêtres du diocèse sont aumôniers, brancardiers ou engagés dans les services auxiliaires.
(5) Un article paru dans la revue L’Art Funéraire Commémoratif de février-mars 1922 dénonce une situation atroce. Six poilus inconnus survivent dans des hôpitaux psychiatriques ; ils ne savent plus qui ils sont, aucun témoignage ne peut leur rendre leur identité ; aucune famille ne les a réclamés.
(6) Bien qu'ils aient été mélangés avec d'autres documents d'archives, ces dossiers médicaux doivent rester confidentiels. Les patronymes des jeunes gens souffrant de maladies mentales ont donc été masqués.
(7) Traditionnellement, les mariniers ont fui ou retardé le plus possible l’appel sous les drapeaux. Aux siècles précédents, ils étaient inscrits maritimes et les gendarmes avaient toutes les peines du monde à les conduire dans leurs ports d’embarquement. Cf. Decize et son canton au XIXe siècle, 1ère partie, ch. V, doc. 2.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par --Mnoel 14 novembre 2015 à 12:35 (CET)