La papeterie de Sembrèves au 19ème siècle

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Les années passent. La Révolution, l'Empire sont révolus. Et nous arrivons à une période d'expansion industrielle : dans le premier quart du 19ème siècle se créent de grandes usines métallurgiques, des manufactures importantes, toutes créations vivement encouragées par le gouvernement[not 1]

Le 26 décembre 1820, Amable Hageau, inspecteur des Ponts et Chaussées, demeurant à Paris, rue Montholon, n° 4, expose à M. le Préfet de la Nièvre, qu'il est propriétaire de trois usines, situées dans la commune d'Oisy, lesquelles existent depuis un temps immémorial.

Que la première de ces usines a été, dans la Révolution et sans autorisation, transformée en un moulin à fouler les draps et que, désirant la rendre à sa destination première, il sollicite avec dossiers et plans à l'appui, de bien vouloir rendre le foulon dit de la Papeterie à sa destination première.

Amable Hageau fait remarquer au préfet que ses usines sont établies sur des dérivations de la rivière du Sauzay, qui sert au flottage et sur laquelle il existe des vannes des marchands de bois en amont de chacune desdites usines, et qu'en conséquence, il le prie d'avoir la bonté de charger l'ingénieur des Ponts et Chaussées de l'arrondissement de Clamecy de constater par un rapport appuyé d'un plan et d'un nivellement en long, comprenant le moulin de Latraut jusqu'au foulon de Pressures, la hauteur et la largeur, tant des vannes des marchands servant au flottage que des vannes motrices et de décharge de ses trois usines. Et il le prie de prendre un arrêté l'autorisant à reconvertir le foulon en moulin à papier.

Papeterie à Corvol-l'Orgueilleux

L'affaire ne traîna point ; on favorisait les implantations d'usines ; l'industrie est en plein essor. A quelques kilomètres de Sembrèves, à Corvol-l'Orgueilleux, Thomas Varennes crée la papeterie de Vilette, qui connaîtra bien des vicissitudes mais subsistera, tandis que notre modeste manufacture, pourtant prudemment gérée, ne pourra faire face à la concurrence et s'éteindra vers 1835[1]

Le 28 juin 1821, Letixier, ingénieur ordinaire de l'arrondissement du Nord, résidant à La Charité-sur-Loire, adresse à l'ingénieur en chef du département de la Nièvre un rapport motivé, concluant avec de nombreux attendus d'ordre technique à l'approbation du retour de l'ancienne papeterie de Sembrèves à sa vocation primitive. L'ingénieur ordinaire avait pris avis des maires d'Oisy, de Clamecy, de Tannay et Nevers. Aucun de ceux-ci ne s'était opposé à la sollicitation de Hageau, bien au contraire, et l'ingénieur Letixier ajoute : « que les usines existent depuis un temps immémorial, qu'elles ne nuisent ni aux propriétés riveraines, ni à l'usine supérieure, dont le propriétaire n'eût pas manqué de se plaindre dans le cas contraire, que la papeterie de Sembrèves ayant été transformée en foulon pendant la Révolution sans autorisation préalable, on ne peut empêcher monsieur Hageau de rendre cette usine à sa première destination qui sera d'une grande utilité... ». L'ingénieur en chef, tout bien examiné, approuve le 24 juillet 1821.

Amable Hageau n'est point inconnu en Nivernais. C'est un ancien ingénieur du canal du Nivernais, en résidence à Baye, commune de Bazolles, tout près de La Collancelle[not 2]. En l'an vu, il est muté à la résidence de Clamecy, aux appointements annuels de 600 livres, « jusqu'au moment où les travaux du canal seraient remis en activité ». Il avait pu acquérir en 1810 une partie des biens que les La Bussière possédaient à Sembrèves, en toute connaissance de cause ; car, il avait été nommé le 3 floréal de l'an X, architecte expert pour les réparations des bâtiments ruraux qui se trouvent sous séquestre de la succession de Longueville. Mme de Longueville, née Marie-Madeleine de La Ferté-Meun, avait en premières noces, épousé Joseph de La Bussière de La Motte, et était la mère de Marie-Madeleine de La Bussière, épouse de Charry-Tannay et de Henry de La Bussière, mari de sa cousine Catherine de La Bussière-Sembrèves. Les héritiers de Mme de Longueville qui résidait au Ouagne, lieu très proche de Sembrèves, sont Mme de Charry et les enfants de Mme Vve Henry de La Bussière, née La Bussière-Sembrèves.

Amable Hageau, ayant fourni un volumineux dossier pour ses trois usines : un moulin à blé, un foulon, et l'ancienne papeterie de Sembrèves qui reprendra sa destination primitive, est autorisé, à la suite d'un second rapport favorable demandant quelques légères modifications, par ordonnance royale du 28 juin 1822, à exploiter la papeterie de Sembrèves.

Le maire d'Oisy, son adjoint et sans doute bien des habitants du lieu, se réjouissaient de la réouverture de la petite manufacture qui ne pouvait être qu'avantageuse au département et à la commune d'Oisy ; « d'autant que le département ne possède point de papeterie et que les bras inutiles à l'agriculture trouveraient à s'employer dans cette nouvelle usine » et, dans une lettre précédente du 1er mars 1821, ces édiles écrivent au préfet que l'usine à papier profiterait à tout l'arrondissement clamecycois « dont les divers marchands papetiers et notamment l'imprimeur de Clamecy» désirent le prompt rétablissement. La disparition du foulon ne sera nullement nuisible au foulage des draps : « attendu qu'en cette contrée, il existe plus de foulons qu'il est nécessaire pour fouler les draps qu'on y fabrique ».

Et la papeterie va cahin-caha, semble-t-il. Il ne reste pour apprécier son activité que quelques rapports d'ingénieurs des Ponts et Chaussées et de police concernant les manufactures de papier de 1822 à 1835. En consultant les registres d'état-civil, nous rencontrons en décembre 1822, Claude Vessier, natif de Marmagne en Côte-d'Or, qui épouse Marie-Françoise Pinsard, native de « Rouzelle » département de la Somme, belle-sœur de Laurent Levain, maître papetier. Le 30 mars 1830, Antoine Rodary, maître papetier, âgé de trente trois ans, époux de Cécile-Frasine Isabel, déclare la naissance à la papeterie de sa fille Victoire-Eugénie-Élisa : témoin de l'acte, l'instituteur Jacques Guimard et le grand-père de l'enfant, le papetier Pierre-François Isabel, âgé de quarante-quatre ans. La petite fille meurt le 30 août. Le 12 mars 1832, le sieur Philippe-François Isabel Age de soixante-seize ans, maître papetier accompagné de François Rodary, papetier âgé de trente-cinq ans, déclarent qu'à neuf heures du matin, est décédé en la papeterie Louis Glandelle, papetier, âgé de dix-huit ans, fils de défunt Louis et de Victoire Bogne, natif de la commune de Jouy-sur-Morin, arrondissement de Coulommiers en Seine-et-Marne. Les Isabel et leurs descendants qui travaillent en famille sont les derniers tenanciers de la papeterie de Sembrèves.

Tous papetiers, ils paraissent avoir beaucoup voyagé, comme en témoignent leurs lieux de naissance, presque tous éloignés de la région clamecycoise. Le 23 avril 1834, Pierre-François Isabel et son gendre Antoine Rodary, fabricants de papier demeurant à la papeterie de Sembrèves, font dresser l'acte mortuaire de Charles Rodary, papetier, fils de Jean et d'Anne Chanson ; il était né le 4 ventôse an III de la République en la papeterie de « Cahanniot » commune de Saint-Pantaléon, département de Saône-et-Loire. Et le 16 août 1836, meurt à la papeterie l'ancêtre Philippe-François Isabel, fabricant de papier ; son fils, le papetier Pierre-François vient déclarer le décès, accompagné, non plus de membres de sa famille, mais de deux laboureurs de Paroy, Pierre Cordonnier et Augustin Pic. Les deux derniers actes concernant des ouvriers papetiers sont ceux du mariage de Cyrille Rousselle, ouvrier papetier, fils de Marcel Rousselle et d'Anne-Marie Rose et de Victorine-Suzanne Isabel, fille de fabricant de papier, tous deux demeurant à Sembrèves en date du 13 novembre 1836. L'autre est l'acte de naissance de leur fille Rose-Zoé (27 mars 1837) dans lequel le père et le grand-père, Pierre-François Isabel se disent encore fabricants de papier. Ensuite, on ne mentionne plus de papetiers à Sembrèves.

Voici le rapport d'un ingénieur daté du 7 novembre 1825, concernant les établissements et manufactures de la Nièvre, capables de compter et de fournir des produits ailleurs qu'à la consommation locale:

Papeteries situées près de Clamecy.
Ces deux établissements appartiennent à MM. Hageau, inspecteur divisionnaire des Ponts-et-Chaussées et Thomas Varennes, propriétaire. Ils ne sont pas encore en pleine activité et ne fabriquent annuellement de quarante-huit rames de papier carré que l'on peut estimer quarante mille francs. Cette quantité de papier est vendue presqu'en totalité aux marchands de Paris. Les propriétaires de ces établissements se proposent d'y faire des augmentations ; aussitôt qu'elles auront été exécutées, on en instruira Son excellence[2] Il y a une grande disproportion entre la quantité de papier fabriqué et son prix ; n'y aurait-il point là une erreur ?

Les Archives départementales de la Nièvre conservent dans les dossiers Police (non classés) quelques lettres relatives à la papeterie de Corvol. Le 16 août 1826 le directeur de la Police, Franchet Desperey, s'inquiète de la fâcheuse influence que le propriétaire de la papeterie, M. Thomas Varennes, paraît exercer sur ses ouvriers et prescrit une surveillance sérieuse. Harcelés, le sous-préfet de Clamecy, le maire de Corvol, finissent par répondre au ministre de la Police, par la voie hiérarchique. De ces lettres ressort - le ministre de la Police doit être rassuré - que le « chef de la papeterie de Corvol ne s'occupe pas d'affaires politiques, mais que sa conduite n'est pas digne d'éloges, surtout les dimanches et les fêtes où il fait travailler sans aucune crainte, se prévalant que son domicile est à Paris... » comme si les Parisiens, écrit le sous-préfet Dupin, n'étaient pas assujettis aux lois de police en province, quand ils y sont. « Que quant aux ouvriers de tous âges et de tous sexes dont le nombre augmente tous les jours, sans savoir d'où ils sortent, ni qui ils sont, M. le Maire a demandé lui-même à leur chef si tous les ouvriers avaient des passe-ports et qu'il lui a répondu : qu'ils en eussent ou qu'ils n'en eussent pas, que cela lui était égal ». Le maire ajoute qu'en ce qui regarde les ouvriers, ils se conduisent assez bien, sauf quelques jeunes gens dont les mœurs ne sont pas excellentes. Le nombre des étrangers employés est d'une cinquantaine.

Amable Hageau, fonctionnaire et sans doute conformiste, ne subit pas ces tracasseries. D'ailleurs, sa petite manufacture n'employant que quelques vingt personnes était loin d'avoir l'importance de celle de Vilette où œuvraient deux cents ouvriers.

Le 18 avril 1829, le ministre du Commerce et des Manufactures ordonne une enquête sur l'état de l'industrie tant agricole que manufacturière et insiste, par suite d'une circonstance particulière qu'il n'indique point, pour connaître la situation des fabriques de papier du royaume, car on lui a assuré qu'il s'était fait depuis peu de très grands changements dans la composition de leurs usines. Le questionnaire insiste sur trois points, savoir :

  1. La quantité et valeur de la matière première employée ;
  2. L'estimation approximative de ce que coûte la fabrication ;
  3. Les quantité et valeur du produit obtenu.

Le préfet est invité, le cas échéant, à compléter les renseignements reçus, notamment en ce qui concerne les moyens de fabrication, le montant des salaires des ouvriers, l'estimation des frais divers, l'évaluation approximative du capital que les usines représentent, et à signaler les améliorations : « que les machines ont dû apporter dans la fabrication de ces dernières années ». Le ministre précise que l'enquête a pour but d'établir la statistique industrielle du pays et que toute pensée de fiscalité ou de surveillance est fort loin de ses intentions. En marge de la circulaire, on a noté qu'il n'existait dans le département que les papeteries de MM. Thomas Varennes et Hageau. Le 4 août 1829, le sous-préfet de Clamecy adresse à la préfecture de la Nièvre, pour être transmise en haut lieu, la réponse de Hageau au questionnaire réponse que celui-ci lui avait fait parvenir à la fin de mai. Et il ajoute qu'il n'a reçu aucune réponse de Thomas Varennes, de son préposé, non plus que du maire de Corvol-l'Orgueilleux, auxquels il s'est successivement adressé, quoique la papeterie de « La Villette » soit de loin la plus importante, mais : « M. Thomas Varennes a pour système et pour habitude de ne jamais donner aucun renseignement sur ses affaires ».

Amable Hageau indique tout d'abord que, dans sa manufacture, on utilise annuellement 150 000 kg de drilles, dénomination, dit-il, embrassant toutes les matières premières propres à être converties en papier. Ces drilles sont estimées 6 200 francs. L'usine comporte une cuve à papier blanc, une cuve à papier gris, deux mécaniques à cylindre et emploie vingt ouvriers : dix hommes, dix femmes. Les hommes reçoivent un salaire journalier de 2,25 francs, les femmes ne sont payées que un franc. Le nombre des jours de travail s'élève à 300, sauf s'il arrive accident ou s'il se fait de grosses réparations. Il est produit, chaque année, 2 400 rames de papier : « en grandeur de carré d'impression et collé, en bonne qualité » qui, pris en fabrique, est vendu 9,50 francs et vaut dans le commerce de 14 à 15 francs la rame. Et Hageau déclare qu'il paye les gros chiffons de toile 15 francs les 50 kilogrammes, tandis que les chiffrons de couleur ne s'achètent que 8 et 9 francs le demi-quintal.

La vieille papeterie touchait à sa fin. En 1835, si l'on trouve encore des papetiers à Sembrèves, on ne mentionne plus le moulin à papier, qui est transformée en moulin à farine et porte le nom de Moulin Savard. La papeterie, dont en 1832, le sous-préfet de Clamecy écrivait qu'elle faisait vivre plusieurs familles, n'avait pu concurrencer des fabriques beaucoup plus importantes et outillées de façon plus moderne. La papeterie de Corvol, qui subsiste encore aujourd'hui, connut de durs moments. Mise en faillite en 1835, elle était en 1846, la propriété d'un certain Boulard, habitant Clamecy.

Il est regrettable qu'à ce jour nous n'ayons pu avoir d'informations plus complètes sur cette vieille industrie. D'autres chercheurs seront peut être plus heureux. Qu'il aurait été précieux de retrouver le texte intégral d'un contrat de travail d'ouvrier papetier ou d'un brevet d'apprentissage ! Et la date de naissance de la papeterie nous demeure inconnue. Qui l'avait créée ? Il est possible que ce soit un des Gentil, seigneurs d'origine auvergnate et limousine. Combien d'ouvriers travaillaient à la papeterie? Probablement (y compris le maître papetier) trois ou quatre, si nous nous référons au nombre de lits installés dans la chambre de la papeterie avant la Révolution, neuf durant la période révolutionnaire, d'après le papetier André Androt, vingt au temps de l'exploitation de Hageau. Cette papeterie, qui resta la propriété des membres d'une même famille jusqu'en 1810, les Boulé, les La Bussière, descendant des Gentil confia fréquemment l'exploitation du moulin à papier à des gens de la région, tels que les Loiseau, les Belin, Bethenon... mais la gent papetière est d'humeur voyageuse et, en feuilletant des registres d'état civil, nous voyons des papetiers originaires de localités plus ou moins éloignées, où d'importantes papeteries étaient installées. Les familles de papetiers s'unissaient. En 1683, on célèbre à Oisy, le mariage d'Étienne Dalidet né en la paroisse de La Couronne, pays d'Angoumois. Louis Douard du pays de Tours en Touraine, épouse une des nièces du maître papetier André Loiseau ; Jacques Cognard, garçon papetier est originaire du Poitou ; il avait vingt-trois ans lorsqu'il mourut. Claude Brade, est natif d'Avallon. La femme du compagnon papetier Georges Bennetier, Antoinette Palaviau, est fille d'un papetier de Lazenay-en-Berry, André Androt est d'Annonnay, André Fage de Thiers...

Il aurait été heureux de retrouver un filigrane, marque de la papeterie, cela n'a pas été possible. Ce qui est assuré, c'est qu'à toutes les époques, le papier fabriqué à Sembrèves était vendu dans la région auxerroise, la Puisaye, l'Orléanais.


Source

  • Gallica : Vie et mort d'une industrie nivernaise : la papeterie de Sembrèves (avant 1661-1835) par Madeleine Saint-Éloy.


Notes et références

Notes

  1. Dès 1815, Thomas Varennes avait sollicité l'autorisation de construire une papeterie à Vilette, commune de Corvol-l'Orgueilleux. Par pétition du 27 décembre 1817, il renouvela sa demande, expliquant qu'il comptait installer provisoirement deux cuves, ce qui sera un grand avantage pour les ouvriers, qui sont souvent sans emploi. Le commerce y trouvant un débouché facile pour les chiffons qui s'exportent au loin. Cette papeterie existe toujours.
  2. Baye : étang servant à alimenter le canal du Nivernais.

References

  1. Arch. dép. Nièvre, sous-série 4 S, Ponts et Chaussées.
  2. Arch. dép. Nièvre, série S, moulins et usines.