« La démobilisation » : différence entre les versions

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''Tandis qu'la mitrailleuse arrose,''<br>
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''On a beau fair' le zigoteau,''<br>
''On a beau fair' le zigoteau,''<br>
''ça vous fait tout d'même quelque chose.''
''ça vous fait tout d'même quelque chose.''<br><br>
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Mais à ce jeu trop palpitant''<br>
''Mais à ce jeu trop palpitant''<br>
''Presqu'à coup sûr le poilu gagne.''<br>
''Presqu'à coup sûr le poilu gagne.''<br>
:::Par la vertu d'un percutant<br>
''Par la vertu d'un percutant''<br>
:::Souvent se termin' la campagne.<br>
''Souvent se termin' la campagne.''<br>
:::Et le blessé, pauvre garçon,<br>
''Et le blessé, pauvre garçon,''<br>
:::Ramené sur une civière,<br>
''Ramené sur une civière,''<br>
:::Revient goûter à sa façon<br>
''Revient goûter à sa façon''<br>
:::Les félicités de l'arrière :<br>
''Les félicités de l'arrière :''<br>
:::Quand on est tout nu sur l'billard,<br>
''Quand on est tout nu sur l'billard,''<br>
:::Et que le charcutier dispose<br>
''Et que le charcutier dispose''<br>
:::La scie, les pinc's et tout l'bazar,<br>
''La scie, les pinc's et tout l'bazar,''<br>
:::ça vous fait tout d'même quelque chose.<br>
''ça vous fait tout d'même quelque chose.''<br><br>
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''Enfin, il se r'trouve un beau jour''<br>
''Enfin, il se r'trouve un beau jour''<br>
:::Sur le pavé cherchant la pâture,<br>
''Sur le pavé cherchant la pâture,''<br>
:::L'Etat lui tend avec amour<br>
''L'Etat lui tend avec amour''<br>
:::Un os ainsi qu'une épluchure ;<br>
''Un os ainsi qu'une épluchure ;''<br>
:::Son député lui dit : "D'accord,<br>
''Son député lui dit : "D'accord,''<br>
:::La vie est dev'nue difficile,<br>
''La vie est dev'nue difficile,''<br>
:::Aussi je m'octroie, moi d'abord,<br>
''Aussi je m'octroie, moi d'abord,''<br>
:::Un p'tit supplément de douz'mille<small><sup>(4)</sup></small>."<br>
''Un p'tit supplément de douz'mille<small><sup>(4)</sup></small>."''<br>
:::A se sacrifier corps et bien,<br>
''A se sacrifier corps et bien,''<br>
:::Quand il voit à quoi l'on s'expose,<br>
''Quand il voit à quoi l'on s'expose,''<br>
:::Le poilu rêve et ne dit rien :<br>
''Le poilu rêve et ne dit rien :''<br>
:::Il en pense tout d'même quelque chose.''<br>
''Il en pense tout d'même quelque chose.''<br>
::::Mario Nicou<small><sup>(5)</sup></small>
::Mario Nicou<small><sup>(5)</sup></small>
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Version du 30 mai 2019 à 16:50

  • Le retour des soldats à la vie civile n'est pas chose aisée. Des hommes qui, pendant plusieurs années, ont été coupés des réalités économiques, qui ont vécu des événements horribles, qui ont vu mourir leurs plus proches camarades, se retrouvent déboussolés. Soumis à la discipline militaire, ils n'ont plus aucun sens de l'initiative. Habitués à la violence extrême, ils doivent désormais se plier aux relations sociales normales.
    Il leur faut avant tout un costume civil. Leur première prime de démobilisation, d'un montant de 52 francs, doit leur permettre les premiers achats vestimentaires. Au début de l'année 1919, les anciens combattants perçoivent une indemnité fixe de 250 francs, à laquelle s'ajoutent des primes mensuelles de 20 francs.
    Mais ces primes ne sont versées qu'après que l'ancien combattant(1) a rempli les formulaires adéquats à retirer dans les mairies. Et les maires sont invités à demander autant d'imprimés que de soldats démobilisés. Dans le canton de Decize, les communes rurales font preuve d'imprécision ou gonflent délibérément le nombre de démobilisés : si Saint-Léger-des-Vignes (1789 habitants en 1913) demande 80 dossiers et Avril-sur-Loire (315 habitants) en demande 20, Saint-Germain-Chassenay (543 habitants) en réclame 55, Devay (479 habitants) 50 et Verneuil (896 habitants) 100...
    Le soldat Charles Voisin, domicilié à Béard, classe 1893, a servi au 13e R.I. puis au 8e Régiment d'Artillerie depuis le 2 août 1914. Il est renvoyé dans ses foyers le 18 janvier 1919 par le dépôt démobilisateur de Nevers. Le 9 avril suivant, il se rend à la mairie de Béard où le maire-adjoint Puzenat remplit pour lui la demande d'indemnité et certifie qu'il est bien Charles Voisin (l'intéressé ne sait ni écrire ni signer).

Les Poilus Nivernais.

  • La solidarité des tranchées est à l'épreuve dès lors que la paix renvoie chacun dans ses foyers. Pour ces hommes qui ont subi plusieurs années de sacrifices, pour ceux qui sont revenus gazés, estropiés, démoralisés, de nouvelles épreuves ne tardent pas à se présenter : la réinsertion dans les familles, dans la société et dans le monde du travail est difficile.
    Les anciens combattants se regroupent, d'abord par régiments puis par communes. Les anciens du 160e et du 360e R.I. sont parmi les plus dynamiques. Ils fondent à Saint-Pierre-le-Moûtier l'une des premières sections des Poilus Nivernais, une association qui acquiert au début de l'année 1920 des structures départementales et un organe de presse, L'Echo des Poilus Nivernais.
    Une section des Poilus Nivernais est créée à Decize et Saint-Léger-des-Vignes le 10 octobre 1920. Son bureau provisoire regroupe MM. Dargniaud, Buisson et Saget. Le 30 janvier suivant, l'assemblée générale constitutive élit M. Dargniaud au poste de président. Le secrétaire est M. Wicker, le trésorier M. Pellorce. Le 29 janvier 1922, est décidée une séparation entre Decizois et Léogartiens. Le docteur Rolland est élu président de la section de Decize, MM. Léon Buisson et Désiré Martinet sont respectivement vice-président et secrétaire ; la section de Saint-Léger est présidée par M. Nourry. D'autres sections se forment à Trois-Vesvres (regroupant aussi des habitants de Druy-Parigny), Sougy, Cossaye, Lucenay-les-Aix, Toury-Lurcy. À La Machine, le président est M. Mourguy.
    Le premier objectif des sections de poilus est de regrouper le plus grand nombre d'anciens combattants. Vingt sections comptent 3000 cotisants dans la Nièvre au début de 1922, 4556 en mai. Il y en aura rapidement 10000. On dénombre 134 adhérents à Decize, 94 à Saint-Léger, 138 à La Machine, 53 à Trois-Vesvres... L'Écho des Poilus Nivernais répète, numéro après numéro, le mot d'ordre suivant : "Poilu ! Le Boche ne t'a pas tué. Prends garde ! L'indifférence et l'isolement te tueront ! Poilu ! Prends conscience de tes droits et de tes devoirs, et pour ne pas être le vaincu de la Paix, adhère aux Poilus Nivernais !"
    Les poilus se retrouvent chaque 11 Novembre pour commémorer la Victoire. Messe, défilé, dépose de gerbes au cimetière, discours et banquets deviennent les étapes rituelles de ces manifestations qui vont s'imposer à toute la population française. Les poilus militent pour la construction de monuments aux morts. Ils sont bien sûr présents aux inaugurations (à La Machine, le 29 octobre 1922). Le 11 novembre 1923, une grande manifestation rassemble tous les délégués de la Nièvre pour l'inauguration du monument aux morts de la Nièvre, Place Carnot à Nevers. Ce monument ne fait cependant pas l'unanimité : les conseils municipaux de plusieurs communes refusent de verser la subvention prévue.
    Depuis la fin des hostilités, des groupes de prisonniers de guerre et des soldats coloniaux encadrés par des officiers volontaires fouillent les champs de bataille, les cimetières improvisés et les fosses communes, afin d'identifier les restes des combattants ; ceux-ci sont inhumés dans de grands cimetières militaires ou des ossuaires, à moins qu'ils ne soient réclamés par leurs familles. La section de La Machine se charge du rapatriement et de l'enterrement des corps des soldats Mordon, Moutté, Besse, Grimblet, Chamard, Grimardia et Billoué (à La Machine) et Perdrillat (à Thianges). Les Machinois assistent en grand nombre à l'inhumation de Jules Vingdiolet, mort des suites d'une maladie contractée pendant sa captivité.
    La solidarité des poilus n'est pas limitée au souvenir de la Victoire et aux hommages aux morts. Des fêtes sont organisées au profit des veuves et orphelins. À Decize, la première fête se déroule le 12 juin 1921 dans la grande salle de l'Hôtel des Négociants. Les bénéfices de 4000 francs sont répartis entre les communes de Decize (pour les deux tiers) et Saint-Léger (un tiers) ; un comité des secours, présidé par le docteur Rolland et M. Constant Nourry, est chargé de distribuer ces secours pécuniaires. L'année suivante, le comte de Dreux-Brézé met la salle des Minimes à la disposition des Poilus de Decize ; sous la baguette de M. Sarlat, l'orchestre joue plusieurs morceaux patriotiques ; des monologues comiques sont récités par des artistes improvisés ; Le Réserviste aux cinq enfants est particulièrement apprécié.
    Les anciens combattants se retrouvent aussi aux mariages de leurs camarades : Raoul Pointu, ancien évadé d'Allemagne, épouse Mlle Alice Suchet à Decize. À Sougy, Charles Perriaud épouse Francine Renaud. À La Machine, les poilus se rendent au mariage de Joseph Amiot, à celui de Salvator Renaud. Leur journal, L'Echo du Poilu Nivernais, leur annonce la naissance d'enfants de leurs camarades Etienne Bourachot, Jean-Marie Genty, Gaston Dachet et Albert Dureuil en janvier 1922...
    Une mutuelle des anciens combattants se constitue en juillet 1922. Elle a son siège 17 rue des Boucheries à Nevers, dans un local qui deviendra par la suite la Maison du Poilu Nivernais. Des associations plus spécifiques se diversifient dès 1923 : l'Amicale du 213e, le Groupe des Anciens Prisonniers de Guerre.
    Les Poilus Nivernais veulent surtout constituer un groupe de pression et influencer les responsables politiques du pays. Tout en se défendant fermement d'adopter une idéologie politique ou religieuse. En deux ans, ils obtiennent, grâce au ministre André Maginot, l'amnistie pour les sanctions pénales liées aux faits de guerre, la réhabilitation de plusieurs soldats fusillés pour l'exemple(2), des emplois réservés (bureaux de tabac, gardes champêtres, emplois administratifs), la remise de décorations aux combattants, des réductions dans les transports en commun, des pensions et indemnités. L'Écho des Poilus Nivernais, comme toute la presse des anciens combattants, exerce cette pression en interpellant les hommes politiques locaux. Le docteur Régnier, député-maire de Decize, lui-même ancien combattant, s'engage en novembre 1920 à soutenir à la Chambre un projet de loi élargissant la présomption d'origine pour toutes les maladies qui ont pu être contractées par les soldats pendant la durée de la guerre. Beaucoup d'anciens combattants souffrent de tuberculose, d'arthrite, de surdité, de difficultés respiratoires, de lésions diverses ; certains en meurent plusieurs mois après l'armistice. S'agit-il toujours de maladies liées à la guerre ?
    Un débat très complexe oppose alors les partisans d'une extension sans limite de la notion de maladie résultant de la guerre à ceux qui tentent de limiter les dépenses budgétaires.
    Un Comité Départemental des Mutilés, Réformés et Veuves de Guerre de la Nièvre se constitue afin d'aider ces catégories les plus éprouvées(3). En 1927, il y a dans la Nièvre 601 dossiers de mutilés et 207 dossiers de veuves et ascendants. Un secrétariat a été créé ; il emploie 4 à 6 employés, selon les besoins. Parmi les responsables de ce comité figure un Decizois, Léonce Bouchenez, ancien combattant amputé d'une jambe devenu buraliste (il sera nommé maire de Decize pendant le Second Conflit Mondial).
    En 1936, le Comité devient Office Départemental. Certains Pupilles de la Nation, enfants de combattants morts pour la France, sont pris en charge par cet Office, qui surveille de près les agissements des tuteurs. Ainsi, l'Office intervient en justice pour que le jeune Boudard, de Decize, orphelin de père et de mère, dont les biens ont été dilapidés par son tuteur, retrouve intégralement son patrimoine dès sa majorité.
    La solidarité avec les anciens combattants est aussi une affaire commerciale. Plusieurs commerçants du département accordent des avantages et des remises aux anciens combattants et se font ainsi une publicité nouvelle. Les Galeries Decizoises (maison Carré et Chassot) font une remise de 5% à leurs acheteurs sur présentation de leurs cartes de poilus nivernais.

La guerre, la paix, ça vous fait tout d'même...

  • La collectivité est-elle suffisamment solidaire avec ceux qui ont connu tant de souffrances ? Non, répondent les intéressés. Certains le font avec humour et poésie. D'autres avec rage et une arrière-pensée révolutionnaire.

1 Pour rejoindre son régiment
Lorsque éclata la grande guerre
Le poilu marchait crânement
En déclarant : "Faut pas s'en faire !"
Là-bas nos frères de Strasbourg,
Mettant en lui leur confiance,
Saluaient l'aube du retour
Et renaissaient à l'espérance.
Quand on s'voit, du jour au lend'main,
Soldat d'une aussi noble cause,
On a beau faire le malin,
ça vous fait tout d'même quelque chose.

2 Devant Verdun, devant Arras,
On le voit ferme sous l'orage,
Rejeter sur le bec de gaz
Un adversaire ivre de rage.
La tâche est rude, il sait pourtant
L'accomplir avec allégresse,
Serrant les poings, serrant les dents,
Et parfois même aussi les fesses.
Quand il faut tenir au créneau
Tandis qu'la mitrailleuse arrose,
On a beau fair' le zigoteau,
ça vous fait tout d'même quelque chose.

3 Mais à ce jeu trop palpitant
Presqu'à coup sûr le poilu gagne.
Par la vertu d'un percutant
Souvent se termin' la campagne.
Et le blessé, pauvre garçon,
Ramené sur une civière,
Revient goûter à sa façon
Les félicités de l'arrière :
Quand on est tout nu sur l'billard,
Et que le charcutier dispose
La scie, les pinc's et tout l'bazar,
ça vous fait tout d'même quelque chose.

4 Enfin, il se r'trouve un beau jour
Sur le pavé cherchant la pâture,
L'Etat lui tend avec amour
Un os ainsi qu'une épluchure ;
Son député lui dit : "D'accord,
La vie est dev'nue difficile,
Aussi je m'octroie, moi d'abord,
Un p'tit supplément de douz'mille(4)."
A se sacrifier corps et bien,
Quand il voit à quoi l'on s'expose,
Le poilu rêve et ne dit rien :
Il en pense tout d'même quelque chose.

Mario Nicou(5)