La colonne Elster

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La Colonne Rapide n°6 de la Division Légère d'Auvergne (Cf. Henri Laurent, Souvenirs d’Auvergne, Revue Jeunesse et Montagne, n°173, 174 et 175. Henri Laurent, officier proche du colonel Thollon, a rédigé l’historique de la campagne d’après le J.M.O. de la C.R. 6, qu’il tenait en septembre 1944).

Formation de la Division Légère d'Auvergne

  • Dans les premiers jours de septembre 1944, la Division Légère d'Auvergne est formée autour de Clermont-Ferrand. Elle regroupe près de 9000 hommes issus de formations diverses : plusieurs maquis F.F.I. du Cantal et de l'Allier, 1250 hommes de la garnison de Vichy (parmi lesquels un escadron de gendarmerie mobile, des fusiliers-marins (Ces 120 fusiliers marins, commandés par le lieutenant de vaisseau Fontaine, étaient auparavant détachés à Vichy et Cusset, où ils assuraient la garde de l'amiral Darlan. Ils se sont joints à la C.R. 6 au début du mois de septembre) et la "Garde du Maréchal" ralliée in-extremis à l'Armée de Libération), des militaires de l'ancienne Armée d'Armistice (dissoute en décembre 1942), le groupe Jeunesse et Montagne (« Jeunesse et Montagne est un mouvement paramilitaire créé en 1940 pour conserver groupés les cadres de l’Armée de l’Air et pour faire effectuer aux jeunes un « service national », analogue aux Chantiers de Jeunesse. Les cadres de Jeunesse et Montagne étaient dans leur majorité acquis à la Résistance et relevaient de l’Organisation de Résistance de l’Armée depuis la rupture en 1942 de l’Armistice. Le commandant Thollon, pilote de chasse, « as » de 40, était le chef de l’Ecole des Cadres, installée à Chamonix, puis repliée à Theix, près de Clermont-Ferrand. » (Précisions de M. Henri Laurent, dans une lettre de septembre 1994)), des Polonais, des combattants Nord-Africains, ainsi que des résistants fraîchement enrôlés.
  • Le rôle de cette division, défini par l'état-major de la Première Armée (général de Lattre) est de remonter l'Allier et la Loire et d'intercepter les troupes allemandes refluant du Sud-Ouest et du Massif-Central. Elle dispose de véhicules variés, fournis par les maquis, par la population civile, ou pris à l'ennemi. Des officiers de liaison anglais accompagnent ces troupes, parmi ceux-ci le major Mac Pherson viendra inspecter les défenses sur la Loire. La Division d'Auvergne n'est que l'avant-garde du Groupe Mobile du Sud-Ouest, une force qui atteindra rapidement 35000 hommes, dont les chefs sont les colonels Schneider et Fayard ("Mortier").
  • La division est répartie entre plusieurs Colonnes Rapides (C.R.). La C.R. 6, forte de 700 hommes, part le 6 septembre de Clermont-Ferrand en direction du Donjon : elle doit franchir la Loire aux ponts de Diou et de Cronat, "nettoyer" la zone entre Digoin et Decize, entrer en contact avec les maquis F.F.I. du Nivernais et protéger la rive droite du fleuve. Elle est placée sous les ordres du colonel Thollon.
  • La C.R. 5 est chargée, quant à elle, d'occuper une partie de la Saône-et-Loire autour de Paray-le-Monial. La C.R. 7, venue de Toulouse et beaucoup mieux aguerrie, est envoyée "en pointe" à Autun et dans le Morvan ; elle sera sévèrement accrochée à Étang-sur-Arroux et participera à la difficile prise d'Autun.
  • Il s'agit de couvrir la première Armée Française qui remonte la Saône et surtout de bloquer l'importante colonne allemande Elster.

Il faut arrêter la colonne Elster

  • Le 20 août, alors que les Anglo-Américains débarqués en Normandie ont conquis le Nord-Ouest de la France et descendent vers la Loire, alors que les troupes débarquées en Provence remontent vers Lyon et la Bourgogne, il reste près de 100000 soldats allemands dans le Sud-Ouest, le Poitou, le Limousin. Ils reçoivent l'ordre de marcher le plus vite possible en direction de la Loire, puis du Nord-Est. C'est l'opération Herbstzeitlose (colchique d'automne). Les soldats allemands du LXIVe Corps d'Armée (commandé par le général Sachs) sont divisés en trois colonnes : les groupes de combat du général Nake et du général Täglischbeck réunissent les unités les mieux équipées (environ 68000 hommes), le groupe de marche du général Botho Elster rassemble des marins, les garnisons des Landes, des soldats isolés ou de petites unités auxiliaires ; chaque groupe dispose de bataillons d'artillerie anti-aérienne. Des troupes d'élite et la marine restent pour occuper les poches de Royan, La Rochelle et Saint-Nazaire.
  • Les deux premiers groupes traversent le Berry et le Nivernais dans la première semaine de septembre. Leurs convois sont harcelés par les résistants et par l‘aviation américaine, mais l'essentiel des troupes réussit à remonter vers le front.
  • Le groupe Elster part d'Angoulême et Poitiers ; il doit franchir la Loire, selon les prévisions, le 7 septembre au plus tard, quelque part au sud de Nevers. Or, le 6, les villes de Bourges et Nevers ont été libérées, le pont de Nevers (Les deux ponts de Nevers ont été minés par les Allemands. Les Résistants ont réussi à déminer le pont de Loire, mais le pont de chemin de fer a sauté), celui du Guétin et celui de La Charité sont gardés par les F.F.I. et les premiers F.F.L. arrivés du nord ; les ponts de Cosne et de Saint-Thibault sauteront le 9.
  • L'itinéraire de la colonne Elster s'infléchit vers le sud. Le 8 septembre, environ 6000 Allemands traversent le pont de Mornay. Ils se dirigent ensuite vers Saint-Pierre-le-Moûtier et Decize. Une course de vitesse s'engage avec la C.R. 6...

Mouvement de la C.R. 6 vers la Loire

  • Le 6 au soir, la C.R. 6 occupe Le Donjon ; le lendemain matin elle est à Digoin, ville que traverse la C.R. 7 dans les heures qui suivent. L'avant-garde de la C.R. 6 (compagnies Goaille et Lisbonnis) entre à Bourbon-Lancy, les compagnies Colliou, Eynard et Aubry occupent le pays entre Loire et Allier et atteignent Lucenay-les-Aix.
  • Le soir du 7 septembre, le lieutenant de vaisseau Fontaine et sa section de fusiliers-marins se rendent à Luzy. A l'entrée de la ville, un combat violent les oppose à un fort groupe d'Allemands, ils ont dix tués (Cf. dossier établi par M. Jacques Boutelet, avec le témoignage du fusilier-marin Quénéhervé).
  • Le vendredi 8 septembre, à 17 heures, le colonel Thollon entre à Decize. Plusieurs compagnies de la C.R. 6 ont déjà investi la ville, arrivant des deux côtés de la Loire : la compagnie Eynard par la rive gauche, et par la rive droite la compagnie polonaise du lieutenant Kierwack, la compagnie Durif de tirailleurs nord-africains, la compagnie Goaille.

Les maquisards locaux participent à la Libération

  • Quelques combats opposent, ce jour-là, les F.F.I. du Bloc-Maquis Decize et les derniers Allemands. L'accrochage le plus important se déroule à Brain. Plusieurs Allemands sont encerclés entre le château, la ferme de la régie et la route. Une fusillade éclate avec les hommes de la compagnie Mercier et des Nord-Africains de la C.R.6, six Allemands se rendent et laissent plusieurs morts. Du côté des assaillants, on déplore la mort de trois soldats nord-africains et celle de Georges Nouveau, fusillé par Allemands à la ferme de Brain.
  • Le commandant "Fleury" (de Soultrait) est lui-même pris dans une embuscade. Voici son récit.
"À l'arrivée à Decize, le commandant "Fleury" apprend qu'un engagement a lieu à Brain avec un groupe armé important d'Allemands. Il envoie tout de suite le lieutenant « Blanc » à son camp pour y prendre les éléments disponibles de sa Compagnie et se porter en renfort sur Brain. De sa personne, il rejoint la Garenne, prévient le capitaine "Thomas" des dispositions prises avec la compagnie Blanc et donne des ordres pour aiguiller dans la même direction les deux autres compagnies. Rendez-vous est pris pour 15 heures avec "Thomas" à Verneuil.
À 16 heures, à Verneuil, le commandant "Fleury" trouve une liaison le prévenant que l'affaire de Brain étant terminée, le capitaine "Thomas" a axé ses compagnies sur La Machine, le renseignement ayant été donné par des habitants de Verneuil qu'une grosse quantité d'armement a été abandonnée par les Allemands à Faye.
Reconnaissance est faite immédiatement sans grands résultats (quelques caisses de munitions, 2 ou 3 fusils, quelques obus de 45...)
Pour accélérer, il est décidé de rentrer directement à Decize par la route nationale. À 500 mètres de Faye, la voiture croise un Allemand en armes : arrêt immédiat, désarmement de l'Allemand stupéfait et embarquement de celui-ci.
Continuant la route, un groupe plus important (12 environ) d'Allemands se rencontre ; ceux-ci se couchent dans le fossé et mettent la voiture en joue. En marche arrière, la voiture se replie dans le premier virage (le commandant "Fleury", le capitaine "Chevrier" (Adrien Sadoul) et le lieutenant Lienne ne disposant que d'un revolver et d'une carabine).
Bien que le prisonnier n'ait pas encore repris ses esprits, il est décidé de le renvoyer auprès de ses camarades pour les décider à se rendre. Il retourne seul et l'on entend de grandes discussions et, quelques minutes après, les Allemands se profilent au virage mais, presque immédiatement après s'arrêtent et se mettent en position de tir dans les fossés.
Il ne reste plus qu'à aller chercher du renfort, ce que fait le commandant "Fleury" qui, un quart d'heure plus tard, ramène une douzaine d'hommes. Il est trop tard... les Allemands sont partis en rampant dans les fossés...
Retour à Decize. Le commandant "Fleury" est blessé d'une balle au pied, blessure sans aucune gravité. Dès pansement fait, le commandant "Fleury", toujours accompagné du capitaine Chevrier et du lieutenant Lienne, part à la recherche du commandant Renaud, commandant la Colonne Est (Le commandant de génie Renaud, ou "Renard", est responsable du minage et éventuel dynamitage des ponts dans la C.R. 6 (précision de M. Henri Laurent)). La liaison est réalisée vers 10 heures du soir à Cronat.
Retour à la Garenne vers 24 heures. le commandant "Fleury" apprend que la Compagnie Blanc a été placée au Sud de la Loire, où elle garde le canal et les débouchés de la région de Cossaye."

La colonne Elster à Dornes

  • La situation est plus inquiétante à Dornes. Les F.F.I. libèrent la ville dans la journée du 8 septembre, mais dès le soir, on apprend qu'une forte colonne allemande s'approche, venant de Chantenay-Saint-Imbert. Les F.F.I. et les gendarmes mobiles de la C.R. 6 se retirent dans les bois environnants. Le 9 au matin, le bourg de Dornes est investi par les Allemands. Les habitants sont réunis dans une remise de l'Hôtel du Commerce où ils sont tenus en otages. Claude Caillaux, ancien combattant de 14-18, n'obtempère pas aux ordres des ennemis ; il s'enfuit, une valise à la main ; il est abattu dans la rue.
  • Deux jeunes F.F.I. s'engagent à moto sur la route de Saint-Pierre-le-Moûtier. Ils ne s'aperçoivent que trop tard qu'ils roulent vers la colonne allemande ; le jeune Jean-Henri Lafaure est tué, son camarade parvient à s'enfuir. Un autre maquisard malchanceux, le cycliste Chambonneau, tombe entre les mains des Allemands à Saint-Pierre ; il est arrêté et conduit à la prison de Moulins, d'où il sort le lendemain quand la ville est définitivement libérée.
  • Dans la nuit du 9 au 10 septembre, la colonne repart vers Decize et Nevers et les F.F.I. peuvent reconquérir Dornes. "Ainsi s'acheva une journée qui restera longtemps gravée dans le cœur de ceux qui la vécurent" : l'adjoint au maire conclut ainsi son rapport (A.D.N., cote 999 W 62, documents fournis par les maires pour servir à l’Histoire de la Libération).

La colonne Elster tente de franchir la Loire

  • Ces Allemands qui se replient sont maintenant environ 11000. Leur intention est de franchir la Loire. Mais où ? Sur la rive droite, personne ne connaît leurs intentions. Passeront-ils au Fourneau (Bourbon-Lancy), à Cronat, à Decize, à Imphy, à Nevers, plus au Nord ? L'ordre est donné par le colonel Schneider de les en empêcher par tous les moyens, y compris la destruction des ponts.
  • Des dispositions pour assurer la défense des ponts sur la Loire sont prises dès le 8 au soir. Cent gendarmes de la Garde du Maréchal sont postés au Fourneau, un escadron de Gendarmes Mobiles à Gannay, la compagnie Goaille et des F.F.I. du Bloc-Maquis de Decize au pont du faubourg d'Allier, les deux sections Dupuy et Amanieu à Saint-Léger-des-Vignes pour la surveillance du barrage, les soldats polonais du lieutenant Kierwack au Gué-du-Loup.
  • Il semble que plusieurs désaccords se soient produits ce jour-là entre le général Elster (qui est encore à Châteauneuf-sur-Cher) et le colonel Brugert, qui commande l'avant-garde ; alors que des premiers pourparlers de reddition se sont engagés entre Elster, des chefs F.F.I. de l'Indre et du Cher et des émissaires américains, Brugert est décidé à forcer le passage et à conduire les éléments les plus aguerris de la colonne jusqu'en Allemagne. Et forcer le passage, c'est d'abord franchir la Loire à Decize (Michel Jouanneau, La Fin des illusions. La capitulation de la colonne Elster, livre édité par l'auteur).
  • Le soir du 8 septembre, un détachement allemand parvient jusqu'aux abords du canal latéral, à Germancy. Quelques accrochages ont lieu avec des petits groupes de maquisards. Des éclaireurs allemands tentent de franchir le fleuve sur le barrage, ils sont repoussés.
  • Le pont de Gannay est miné par les gendarmes. Sur celui de Decize, qui avait déjà été détruit partiellement en 1940, un détachement du Génie s'affaire dans l'après-midi du 9 septembre. De part et d'autre du pont, du côté de la ville, prennent position la section Angot (dans la maison Cliquet) et la section Sabatié derrière les premiers remparts ; les défenseurs disposent d'une mitrailleuse d'avion récupérée la veille et "bricolée", de quelques F.M. et d'un canon.
"Un moment pénible nous était réservé : l'intervention suppliante du propriétaire des maisons situées à proximité du pont - soufflées en 1940 et difficilement remises en état depuis. Se sont joints à lui des Decizois auxquels la destruction du pont rendrait la vie aussi difficile qu'elle l'avait été pendant de longs mois après juin 1940. Tous nous prient instamment d'éviter une nouvelle explosion qui ruinerait ces longs efforts. Thollon leur dit simplement : "Nous ne tenons pas plus que vous à voir détruire ce pont qui fait partie de votre patrimoine. Nous ne le ferons qu'en cas de nécessité absolue. Songez, toutefois, à ce que pourra devenir votre ville si l'ennemi force le passage (Henri Laurent, op. cit., n°174, p. 27)."
  • À Cronat, on déplore deux morts : le sergent Azéma, qui s'est tué lui-même par mégarde d'une rafale du F.M. qu'il vérifiait, et le soldat Queuille tué la veille à Champlevois, près de Cercy-la-Tour, par des motocyclistes allemands.
  • Un autre combattant de la C.R. 6 va mourir à Decize le 13 septembre, dans la caserne des gardes mobiles, des suites de ses blessures : Henri Boyé, caporal-chef F.F.I., né le 28 avril 1921 à Montauban (Tarn-et-Garonne).



Texte et images proposés par Pierre Volut et mis en page par Michel Mirault le 12 janvier 2017