Insurrection de Clamecy 1851 - 2ème partie

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La défense s’organise

Dans la journée de mercredi, le parti démocratique résolut après d’assez vifs débats de garder encore une attitude expectante. La soirée de ce jour et tout le lendemain jeudi furent calmes mais ce calme n’était qu’apparent. Une sourde agitation régnait dans la ville. Les travaux ordinaires étaient suspendus, les établissements publics pleins d’hommes dont les visages respiraient tour à tour la colère et l’anxiété. L’autorité, émue de ces premiers symptômes, essaya d’organiser une défense. Le sous-préfet, le procureur de la République et quelques autres fonctionnaires convinrent de se réunir à la caserne de gendarmerie. Le maire, M. Legeay convoqua à la mairie tous les citoyens sur lesquels on croyait pouvoir compter. Il en vint un assez grand nombre qui reçurent des armes et des munitions. Une dépêche fut en même temps expédiée au préfet de la Nièvre M. Petit-Lafosse, lui exposant la situation de la ville et lui demandant du secours. Le préfet, après avoir conféré avec le Général Pellion, résolut de partir lui même pour Clamecy avec une petite colonne de troupes. Il fut impossible de détacher plus de deux cents hommes, infanterie et cavalerie car le tocsin sonnait déjà entre Saint Pierre le Moûtier et Nevers. Le préfet partit le vendredi 5 décembre à la tête de cette petite troupe.

Cependant le jeudi soir à Clamecy l’insurrection n'était pas encore résolue. Une bande de paysans arrivée jusqu’aux portes de la ville, reçut contre-ordre et rebroussa chemin. On attendait les nouvelles de Paris et sans doute aussi les résolutions des démocrates de l’Yonne avec lesquels on était en relations suivies.

C’est dans la journée du lendemain que les bruits d’arrestations imminentes prenant plus de consistance achevèrent de surexciter les esprits. La morgue des réactionnaires qui montaient la garde à la mairie et se montraient nombreux à leur cercle, affectant beaucoup de résolution, exaspéraient les démocrates habitués à voir redouter leur audace. Durant toute cette journée du vendredi, Clamecy présenta un aspect sinistre.

Lancement et déroulement de l’insurrection

L’insurrection armée fut décidée dans l’après midi. On convint que les républicains de la ville attendraient l’arrivée des contingents des campagnes avant de commencer aucun mouvement. Millelot père partit pour Druyes, grosse commune de l’Yonne limitrophe du canton de Clamecy. D’accord avec le citoyen Dappoigny, chef influent de cette commune, il appela le peuple aux armes et bientôt le tocsin sonna à Druyes, Andryes, Sougères etc. Des bandes s’y formèrent et prirent le chemin de Clamecy. Cependant, l’autorité si confiante la veille, ne prenait aucune sérieuse mesure de défense. Au lieu de concentrer gendarmes, gardes nationaux et fonctionnaires sur un même point qu’ils eussent pu défendre avec succès, le parti réactionnaire divisa ses forces. Le sous-préfet, le procureur, le lieutenant de gendarmerie et quelques autres personnes restèrent à la caserne pendant que le maire était à l’Hôtel de Ville avec les gardes nationaux. A six heures du soir les paysans ne paraissant pas encore, Eugène Millelot, son frère et quelques autres jeunes gens qui étaient au café Gannier ne purent contenir leur impatience. Ils sortirent, coururent au quartier de Bethléem situé sur la rivière droite de l’Yonne et bientôt le tambour appela aux armes la population ardente de ce faubourg. Une colonne d’hommes armés se forma sur le pont. Les frères Millelot, Séroude, Gonnat, Guillien et d’autres prirent la tête. Le rassemblement monta au chant de la Marseillaise les rues étroites et sombres qui conduisent à la mairie.

Cet édifice était situé sur une place irrégulière et assez vaste. La prison était auprès de l’église sur une autre face de la place. Le clocher, vieille tour gothique, dominait tout le quartier. De là, une rue montant vers le haut de la ville conduisait à la caserne de gendarmerie.

Les républicains, encore assez peu nombreux, débouchent sur la place sous les croisées de la mairie. Quelques-uns coururent au clocher pour sonner le tocsin ou pour prendre position de manière à tirer sur les défenseurs de la mairie. Le trouble le plus extrême régnait à la mairie. Les gardes nationaux sentaient faillir leur résolution. Beaucoup craignaient d’exaspérer leurs adversaires par une résistance qu’ils jugeaient déjà impuissante.

Le maire s’avança seul au devant des insurgés. Il interpella les groupes les plus rapprochés, leur demanda ce qu’ils voulaient. Plusieurs répondirent qu’ils exigeaient la délivrance immédiate des prisonniers politiques. M. Legeay voulut essayer de les calmer. Il prononça quelques paroles de paix de conciliation mais sa voix fut couverte par des cris et la foule se précipita contre la porte de la prison. Le maire, surpris de ne pas voir auprès de lui les principales autorités de la ville, se rendit aussitôt à la gendarmerie pour avertir le sous-préfet et le procureur de ce qui se passait. Ceux-ci répondirent que leur intention était de défendre dans la caserne s’ils étaient attaqués. Cependant, après quelques pourparlers, ils envoyèrent vers la mairie une patrouille de six gendarmes conduits par le maréchal-des-logis.

Pendant ce temps les insurgés avaient sommé le geôlier d’ouvrir la prison. Sur son refus, un coup de feu avait été tiré, la porte violemment secouée puis enfoncée. Les prisonniers avaient été délivrés. Guerbet, rapidement informé de ce qui se passait, avait approuvé la prise d’armes et était sorti acclamé par la foule. Au même moment, la patrouille débouchait sur la place près de l’église et s'avançait vers les insurgés. Quelques coups de fusil tirés, semble-t-il, de derrière un corps de garde situé entre la mairie et la prison, provoquèrent une décharge de la patrouille. Les gendarmes tirant à quinze pas de distance tuèrent un des républicains et en blessèrent cinq. Les autres ripostèrent vivement, deux gendarmes furent tués, deux autres blessés. Les survivants s’empressèrent de regagner la caserne.

Aux premiers coups de feu, les gardes nationaux réactionnaires avaient laissé leurs armes et s’étaient enfuis les uns par les derrières, les autres à travers la place. Ces derniers coururent de grands dangers. L'un d’eux, l’instituteur Munier, fuyait vers une ruelle qui passe derrière l’église lorsqu’une balle l’atteignit et le renversa mortellement frappé. Un autre garde national, M. Tartrat, sortait de la mairie.

« Qu’avez-vous fait de la poudre qui était à l’Hôtel de Ville ? » lui dit Guerbet. Un homme à grande barbe et à figure sinistre s’écrie :
« Il faut le fusiller ! Il était à la mairie ! »
« Vous ne ferez pas cela ce serait un assassinat ! » réplique Guerbet.

Son intervention sauve M. Tartrat qui peut regagner son domicile. Le maire, revenu sur la place, trouva les gardes nationaux et la mairie au pouvoir des insurgés. Jugeant toute résistance inutile, il prit la résolution d’aller au devant du préfet dont il connaissait la marche. Il se rendit au faubourg, prit une voiture et, au risque d’être arrêté par les insurgés des campagnes qui couvraient les chemins, il courut jusqu’à Varzy. Le préfet n’y était encore arrivé. M. Legeay poussa jusqu’à Prémery. Il у rencontra le préfet et sa petite colonne le samedi matin vers neuf et demie. Prévenu de la gravité de l’insurrection, le préfet fit demander des renforts au Général Pellion et continua sa marche vers Clamecy.

Cependant les insurgés, maîtres de la mairie, ne savaient que résoudre. Surpris de leur facile victoire, ils croyaient la majeure partie de leurs adversaires à la caserne et n’osaient encore les y attaquer. Plusieurs d’entre eux quittèrent la ville pour activer le mouvement des campagnes. Les autres se répandirent dans les divers quartiers cherchant des armes et des munitions. Vers ce moment s’accomplit un crime odieux, le plus inexplicable de ceux qui ensanglantèrent Clamecy. L’un des citoyens les plus honorables de cette ville, M. Mulon avocat, rentrait chez lui donnant le bras à une dame, Mme Courot. M. Mulon était républicain ; il avait été commissaire du Gouvernement provisoire. On le regardait comme un homme de talent, généralement aimé et on ne lui connaissait pas d’ennemis personnels.

Il n’était qu’à quelques pas de sa porte lorsqu’un homme se détache d’un groupe d’individus que l’obscurité empêchait de reconnaître. Il s’approche de M. Mulon et lui enfonce, derrière le crâne, une bisaiguë de menuisier. M. Mulon pousse un cri, chancelle et tombe. Quelques minutes après il expirait. L’auteur de ce lâche attentat s’était perdu dans les groupes et n’a jamais été découvert. On raconte cependant à Clamecy qu’un insurgé déporté en Afrique aurait avoué à son lit de mort être l’assassin. Ce misérable, selon les uns, aurait frappé M. Mulon parce qu’il portait une redingote, d’autres disent qu’il avait cru reconnaître un avoué de la ville, chaud réactionnaire et n’avait frappé M. Mulon que par méprise ; d’autres enfin, prétendent qu’une haine privée a poussé le bras de l'assassin.

Cet assassinat fut suivi de près d’une tentative de meurtre commise aux portes de la ville. Un jeune homme appartenant à l’opinion républicaine modérée M. E. Poulain est accosté par un groupe d’insurgé. L'un d’entre eux âgé de vingt ans et nommé Roux lui demande l’heure. M. Poulain sans méfiance tire sa montre, Roux l’ajuste et lui décharge son arme à bout portant. La blessure ne fut heureusement pas mortelle.

Toute la nuit le tocsin ne cessa de sonner et le tambour de battre le rappel dans les villages de la vallée de l’Yonne qui entourent Clamecy. Millelot père et Dappoigny amenèrent les contingents de Druyes, Andryes, Sougères. Casimir Gonnat de Clamecy, le docteur Victor Belin amenèrent les insurgés de Corvol, Trucy etc. Des jeunes gens, Meunier, Girard, Beaufils soulevèrent Chevroches. A Oisy un paysan, Jacques Foubard marcha à la tête de l’insurrection avec ses trois fils. A Dornecy, l’instituteur E. Robert souleva la commune. A Entrains un riche propriétaire M. Conneau, dirigea l’insurrection. Toutes ces bandes armées marchèrent sur Clamecy tambour battant, drapeau rouge en tête mais sans se livrer à aucun excès. Le seul village de Pousseaux fut le théâtre d’une scène sanglante. Ce village, situé sur les bords de l’Yonne, était habité en majeure partie par des flotteurs, des mariniers, des compagnons de rivière presque tous affiliés aux sociétés secrètes. L’un des propriétaires de l’endroit, M. Bonneau s’était fait une célébrité locale par son acharnement contre le parti républicain. Âgé de soixante seize ans il avait conservé une verdeur et une énergie fort rares à cet âge.

Dans cette nuit du 5 au 6, les frères Millelot arrivèrent de Clamecy et firent sonner le tocsin dans le village. Presque toute la population valide prit les armes et descendit sur la place. Là, quelques voix crièrent qu’il fallait aller désarmer les Bonneau. La foule accueillit cette excitation et se dirigea vers la maison Bonneau. Presque tout le monde y était couché, M. Bonneau fils venait de se mettre au lit. Réveillé par le tambour et le tocsin il se vêtit à la hâte, fit lever les domestiques et descendit dans la cour. Son vieux père se levait en même temps. Les insurgés ne tardèrent pas à se présenter. M. Bonneau fils était sur la porte. Il fut sommé de remettre au peuple toutes les armes qui se trouvaient dans la maison. « Je ne les donnerai pas et je tuerai le premier qui viendra les prendre ! » répondit-il en refermant la porte. Les insurgés essayèrent de l’enfoncer mais, ne pouvant y réussir ils frappèrent contre les volets des fenêtres. M. Bonneau père et son fils étaient derrière, armés chacun d’un fusil. Le vieillard ne put contenir son impatience, il ouvrit lui-même les volets et se pencha au dehors couchant en joue les assaillants, son fils en fit de même. Des coups de feu retentirent. M. Bonneau fils crut que son père venait de tirer il fit feu. Mais, en se retournant il l’aperçut étendu sur le carreau frappé de deux balles. Le vieillard expira peu après.

Un des voisins de M. Bonneau, un ouvrier nommé Germain Cirasse fut accusé d’avoir tiré l’un des coups de fusil qui tuèrent M. Bonneau. Condamné à mort par le Conseil de guerre Germain Cirasse a été guillotiné quelques mois après à Clamecy. Presque en même temps une triste scène se passait au faubourg de Bethléem à Clamecy. M. Vernet curé d’Arthel venait de descendre à l’auberge Deschamps lorsqu’il fut assailli par une troupe de furieux qui voulurent lui faire prendre les armes et le forcer à marcher à l’insurrection. Le prêtre refusa et fut entraîné hors de la maison. Il fut insulté, frappé, accablé de mauvais traitements. Cependant quelques insurgés le défendirent, le nommé Roblin surtout. Ils obtinrent qu’on le ramenât à l’auberge mais, dans le trajet, des forcenés se ruèrent de nouveau sur le malheureux prêtre. Un homme lui porta un coup de bizaiguë qui fut amorti par l’épaisseur de son vêtement. Un jeune homme lui tira un coup de pistolet dont l’amorce ne prit pas feu. Enfin, au moment où il passait le seuil de la maison Deschamps, un autre furieux lui porta un coup d’épée dans le flanc et lui fit une blessure heureusement sans gravité.

La nuit entière se passa dans une situation terrible. Des bandes armées de fusils, de sabres, de haches, parcouraient les rues à la lueur de torches poussant des clameurs, déchargeant leurs armes en l’air. Des groupes de paysans et d’ouvriers entraient, les armes à la main, dans les maisons bourgeoises exigeant la remise des armes et des munitions. S’ils n’en trouvaient pas, la maison était fouillée de fond en comble. Rien d'uniforme dans ces perquisitions ; ici les groupes entraient brutalement, le pistolet au poing, la menace à la bouche. Ailleurs, les insurgés ne manquaient à aucun des égards dus aux habitants inoffensifs. Un fait est remarquable c’est qu’aucun excès grave ne fut commis pendant cette nuit. On n’a pas signalé un seul fait de pillage, pas même individuel. M. Rousseau, avoué, fut un moment installé comme maire par les insurgés mais bientôt, effrayé du désordre qui régnait il se retira, quitta la ville dès le lendemain et ne reparut pas. Le sous-préfet et le procureur de la République, réfugiés à la caserne de gendarmerie avaient bientôt renoncé à tout projet de résistance et quittèrent la ville le samedi matin. Le lieutenant resta seul avec dix ou douze gendarmes.

Toute la matinée du samedi, des bandes nombreuses arrivèrent des villages et grossirent énormément le nombre des insurgés. Cependant cette matinée fut calme et le courrier avait été intercepté. Les dépêches de Paris apportées à la mairie furent ouvertes et les insurgés se convainquirent de l’écrasement complet de la résistance dans la capitale. Millelot père découragé, proposa de renvoyer les paysans et de cesser une insurrection désormais inutile. Eugène Millelot et Guerbet s’y opposèrent vivement. Ils parlèrent de marcher sur Auxerre et obtinrent la continuation de la résistance. Le tocsin sonna de nouveau, des barricades furent construites et une foule nombreuse se porta vers la caserne de gendarmerie.

Guerbet, Millelot et Séroude précédèrent les rassemblements et entrèrent pour proposer au lieutenant une capitulation. Toute résistance était impossible et ne pouvait aboutir qu’au massacre des gendarmes. Le lieutenant consentit à se rendre mais il demanda des conditions honorables. Devant le Conseil de guerre même, on a rendu cette justice aux chefs de l’insurrection qu’ils firent tous leurs efforts pour les lui faire accorder. Mais la masse exaltée écoutait peu leurs exhortations. Elle était dans un état de fureur inexprimable. Séroude monte sur le perron :

« Citoyens s’écrie t-il le peuple est victorieux il doit être magnanime ; il faut épargner les gendarmes »

On lui répond par des cris de mort. Millelot père décide le lieutenant à faire démonter les carabines des gendarmes. Il en prend les noix et les montre au peuple :

« Les gendarmes sont désarmés dit-il, ils ne peuvent nous suivre. Le peuple ne peut rien exiger de plus. »

Les insurgés ne l’écoutent pas. Un grand nombre cherchent à pénétrer dans l’intérieur de la caserne. Les gendarmes avaient profité du temps gagné par ces pourparlers pour se réfugier dans une maison voisine. Un seul, le gendarme Bidan, brave homme d’un certain âge, était resté le dernier auprès du lieutenant. Il se tenait un peu en arrière de la porte d’entrée tout près du perron. Un insurgé va droit à lui et le couche en joue. C était un jeune homme de vingt ans nommé Rollin, conscrit de l’année, qui venait de subir un mois de prison pour avoir porté des coups de pied à Bidan dans l’exercice de ses fonctions. Le gendarme le reconnaît et, redoutant un acte de vengeance, il saisit le canon du fusil et le relève. Rollin, plus vigoureux que lui, le secoue et l’entraîne sur le perron. Une foule immense couvrait la rue. Quelques coups de feu partent, Bidan, frappé tombe. Cependant il se relève et descend les marches en chancelant. Les forcenés qui l’entourent se ruent sur lui. Un homme lui décharge un coup de crosse sur la tête, d’autres lui tirent à bout portant. Un flotteur de Pousseaux nommé Cuisinier, le frappe à coups de picot. Bidan paraissait mort. Il reçoit encore les coups de fusil de trois ou quatre misérables qui viennent l’achever. Tout à coup il se relève galvanisé, fait deux ou trois pas et retombe. Quelques insurgés le relevèrent alors, il fut placé sur un brancard improvisé et transporté à l'hôpital. Le malheureux respirait encore malgré dix huit blessures et ce ne fut qu’une heure après qu’il rendit le dernier soupir. Le docteur d’Arcy qui fit l’autopsie du cadavre conclut, dans son rapport médical, que quatorze assassins au moins ont trempé leurs mains dans le sang de Bidan. Les meurtriers dénoncés plus tard par la clameur publique furent jugés en Conseil de guerre. Cuisinier, condamné à mort, fut exécuté en même temps que Germain Cirasse. Cet odieux massacre d’un homme désarmé atterra les chefs de l’insurrection et les découragea profondément. Lorsque ces hommes qui n’avaient pris les armes que pour la défense de la Constitution républicaine virent à quels excès se portaient quelques uns de ceux qui les avaient suivis ils sentirent fléchir leur résolution. Aucun d’eux n’osa prendre sur lui la responsabilité de conduire un mouvement ainsi souillé dès son début.

L’insurrection, sans direction réelle, flotta comme au hasard. On ne parvint pas même à constituer une Commission révolutionnaire. Eugène Millelot seul ne paraissait pas abattu. Il essaya de relever le moral de ses amis. Il donna des ordres, fit des réquisitions, des proclamations, rendit des décrets au nom d’un Comité imaginaire. Il aurait voulu que l’on profitât des forces réunies à Clamecy (près de quatre mille hommes) pour marcher sur Auxerre soulever le département de l’Yonne et donner ainsi un but sérieux à l’insurrection. Les autres chefs reculèrent devant la difficulté de conduire ces bandes indisciplinées. Ce même soir Eugène Millelot se rendit avec quelques hommes chez le receveur particulier et le somma, toujours au nom du Comité, de lui remettre les fonds qui étaient en caisse. Le receveur, après quelque discussion, remit 5000 fr contre un reçu que Millelot signa. Cette somme fut transportée à la mairie et une faible partie servit à solder quelques fournitures de pain faites par des boulangers.

Un double meurtre fut encore commis ce jour là. Un flotteur, le sieur Galloux dit Daumé, se trouvait près de la barricade du pont de Bethléem non loin d’un groupe inoffensif de paysans et de gens de Clamecy. Tout à coup, sans provocation aucune, cet homme couche en joue ces gens qu’il ne connaissait pas et qui avaient pris part à l'insurrection comme lui et il fait feu. Deux hommes tombent mortellement blessés. Ce meurtre est d’autant plus inexplicable que Galloux avait joui jusqu’alors d'une bonne réputation. Traduit pour ce fait devant le Conseil de guerre, Galloux reconnu formellement par plusieurs témoins, fut condamné à mort et obtint plus tard une commutation de peine. On a parlé de deux autres tentatives de meurtre qui auraient encore été commises. Le fait n’est pas certain et du moins n’y eut il pas d’autres victimes.

On assure qu’Eugène Millelot voulait faire juger sommairement et fusiller les coupables de ces attentats. On affirme qu’il fit rechercher notamment Roux, celui qui avait tiré sur M. Poullain. Il est fâcheux qu'il n’ait pas exécuté sa menace. Le lendemain dimanche, il fit afficher la proclamation suivante :

« La probité est une vertu des républicains. Tout voleur ou pillard sera fusillé. Tout détenteur d’armes qui, dans les douze heures, ne les aura déposées à la mairie ou rendues sera arrêté et emprisonné jusqu’à nouvel ordre. Tout citoyen surpris ivre sera désarmé et mis de suite en prison.
Vive la République sociale ! »
Signé : Le comité révolutionnaire social, Clamecy 7 décembre.

Cependant les nouvelles de Paris transpiraient malgré les efforts des chefs pour les cacher. Elles commencèrent à jeter le découragement dans l’insurrection. Dès le samedi soir, un grand nombre de paysans quittèrent la ville et regagnèrent leurs villages. Le dimanche matin, l’insurrection était bien près de se dissoudre. On n’a pas oublié que le maire de Clamecy avait trouvé le préfet, déjà rendu à Prémery le samedi matin. Marchant hardiment avec sa petite troupe, ce fonctionnaire alla coucher à Varzy. Il apprenait en route les nouvelles de Clamecy grossies, selon l’usage par la clameur publique. Le procureur général M. Corbin l’accompagnait. Le dimanche à midi, il parvint en vue de Clamecy.

Les insurgés ne s’en doutaient pas. Ils ne connaissaient ni sa marche, ni la force de sa colonne. Aussi, la nouvelle de son approche causa t-elle un immense désordre dans la ville. Toutefois, la volonté de résister dominait. Le tocsin sonna, les tambours battirent le rappel, le cri aux armes souleva de nouveau une multitude furieuse, des barricades s'élevèrent avec rapidité. Les Millelot, Séroude, Coquard, Guillien se montraient parmi les plus ardents. Clamecy est bâtie sur les pentes d'un coteau élevé sur la rive gauche de l’Yonne et du canal du Nivernais. Une rue conduit jusqu’à la crête du coteau à un lieu nommé le Crot Pinçon. Une forte barricade y fut construite et de nombreux tirailleurs garnirent les maisons voisines. C’était le point probable de l’attaque. Cependant, à la mairie, un citoyen nommé Chapuis, s’offrit pour aller au-devant de la troupe et parlementer avec le préfet. Chapuis était un homme courageux et estimé. On accepta sa proposition. Un nommé Roubé et trois autres l’accompagnèrent. A quelques centaines de mètres hors de la ville ils rencontrèrent la colonne sur la route de Nevers. Ne se doutant pas que les tirailleurs déployés des deux côtés du chemin les enveloppaient, ils continuèrent d’avancer sans méfiance. Avant d’avoir pu expliquer leurs intentions, ils tombèrent criblés de balles. La colonne quittant alors la grande route gravit la colline en essuyant quelques coups de feu et gagna un lieu nommé les Chaumes au sommet de la hauteur. Ce point formait une position militaire importante. Une maison de campagne entourée d’un enclos ceint de murs servit de camp. Le préfet ne pouvant attaquer Clamecy avec deux cents hommes, s’y retrancha pour observer la ville en attendant les renforts déjà en marche. La troupe y alluma des feux de bivouac pour y passer la nuit.

A Clamecy on croyait l’attaque imminente. Millelot père distribuait de la poudre et un millier d’hommes armés étaient aux barricades. On avait défendu de sortir de la ville et donné l’ordre de tirer sur quiconque enfreindrait la défense. Des coups de feu furent ainsi tirés sur deux ou trois personnes qui essayaient d’aller au devant de la troupe. Cependant, lorsque l’exaltation produite par l’attente du combat fut tombée et que les républicains de [[[Clamecy]] purent mesurer les dangers de leur position, le découragement fut prompt. Ils ne pouvaient songer à tenir contre les forces qui accouraient de Nevers, de Bourges, d’Auxerre. Toute illusion leur était enlevée. Un habitant de leur ville arrivé le matin de Paris, M. Guéneau Étienne, avait été mandé à la mairie. Il avait dit ce qu’il venait de voir : « Paris plongé dans la stupeur tout le pays entre Paris et Clamecy tranquille, l’insurrection écrasée dans la capitale et le Président remerciant les troupes de leur belle conduite. » Sa parole de témoin oculaire produisit une grande impression. De dix heures à minuit on délibéra à la mairie. M. Moreau avocat, qui n’avait pris qu’une faible part aux événements antérieurs parvint à décider ses amis politiques à céder. Eugène Millelot, dont l'énergie fébrile soutenait encore les insurgés, consentit à se ranger à l’avis de M. Moreau. La reddition fut résolue.

Un honorable fonctionnaire, M. Lyonnet ingénieur des ponts et chaussées, offrit d’aller en parlementaire savoir à quelles conditions on accepterait la soumission de la malheureuse ville. Il se rendit aux Chaumes près du préfet, mais sa proposition ne fut pas même écoutée. Lui-même fut brutalement saisi et mis en état d’arrestation. MM. Moreau et Bretagne, venus peu après dans un but semblable, partagèrent le même sort. Ne voyant revenir aucun de leurs parlementaires, les insurgés quittèrent la ville dans la nuit. La plupart sortirent encore armés et se réfugièrent dans les grands bois qui couvrent les rives de l’Yonne vers la route d’Auxerre. Avant leur départ, 4760 fr sur les 5000 pris à la caisse, furent exactement remis au receveur avec une lettre signée Cherbonneau. Les 240 fr manquant avaient été payés à divers boulangers pour fourniture de pain aux insurgés.

Comme souvent en pareilles circonstances, le récit des trois jours où Clamecy fut au pouvoir des insurgés a fait l’objet d’exagérations inévitables dans les journaux de l’époque et de la part des chroniqueurs. On peut lire que Clamecy fut livrée trois jours au pillage, au meurtre, à l’incendie, au viol, la sous-préfecture pillée, nombre de maisons mises à sac, les sommes trouvées à la caisse du receveur emportées par les fugitifs, les registres des notaires brûlés. Le meurtre du gendarme Bidan fut raconté en y ajoutant des scènes sordides. C’est à cause de ces procédés que s’est forgée la sinistre légende de Clamecy bien que le procès des coupables ait rétabli la vérité.

Le 9 décembre eut lieu l’enterrement des deux gendarmes tués à la fusillade de la mairie.

De nouvelles troupes arrivèrent encore le 10. Des colonnes mobiles furent envoyées à la poursuite des insurgés qui fuyaient dans les environs. Communication avait été faite à tous les chefs de l’ordre du ministre de la guerre enjoignant de fusiller tout individu pris les armes à la main. Ordre était également donné de faire feu sur quiconque essayerait de fuir en présence de la force armée. Ces ordres inouïs, furent souvent exécutés.

Ce jour-là, 10 décembre, on fit deux cents prisonniers. L’un d’eux voulut fuir, il fut tué par les chasseurs du 10e. Le 11, une grande battue fut organisée dans les bois au nord de Clamecy. Quatre bataillons d’infanterie, de l’artillerie et soixante-quinze cavaliers enveloppèrent les bois et commencèrent un mouvement concentrique sur Clamecy. Un bon nombre de malheureux fugitifs furent pris. La plupart sachant le sort qui les attendait avaient le soin de jeter leurs armes avant de se rendre. Quelques uns résistèrent et des coups de fusil furent échangés ; deux ou trois militaires furent blessés. Plusieurs républicains furent tués en essayant de fuir. Un d’eux fut frappé de trois balles au moment où il traversait l’Yonne.

L’opération atteignit son but ; on ramena un grand nombre de prisonniers. Les colonnes mobiles parcouraient toute la contrée, opérant des arrestations en masse et désarmant les villages. Fusils de chasse, pistolets, armes de luxe, les habitants étaient tenus de tout remettre à la troupe. Beaucoup de propriétaires se joignaient aux colonnes et les guidaient dans leurs battues. A Entrains on fit un grand nombre de prisonniers ; l’un d’eux fut tué en essayant de résister, un autre s’élança dans un étang pour se sauver à la nage, on fit feu sur lui. Il disparut sous l’eau et se noya.

Les fugitifs, traqués de la sorte, se rendaient en foule. Les maires de Billy et de Pousseaux furent conduits, la corde au cou, à travers les rues de leurs villages. M. Conneau fut ramené à Entrains garrotté derrière une charrette. La prison de Clamecy regorgea bientôt, le nombre des arrestations dépassant quinze cents.

Certains quartiers, Bethléem et le Beuvron étaient comme dépeuplés. Longtemps la ville présenta l’aspect d'une cité prise de vive force. Les maisons étaient pleines de soldats y vivant et y agissant à leur discrétion. La terreur était universelle.

Pendant que ces événements se passaient à Clamecy l’arrondissement de Cosne était le théâtre d’une tentative insurrectionnelle qui, sur de moindres proportions, présentait des incidents semblables à ceux de Clamecy...

Source

  • La province en décembre 1851, étude historique sur le coup d’État par Eugène Ténot (1870)
  • Martine NOËL (discussion) 29 mai 2021 à 11:36 (CEST)

Notes et références

Notes


References