Immigration de 1800 à 1975

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Ebauche

L’essor de l’immigration de la Nièvre 1800-1914
Aspects de l’immigration (graphiques tirés des recensements quinquennaux 1851-1911)Immigration 01.jpg

La Nièvre est faiblement captive sur la croissance de l'immigration. Tous les départements connaissent un reflux des étrangers à partir des années 1880, lié à la crise économique. La Saône-et-Loire est touchée plus précocement et plus fortement du fait de la concentration des étrangers au Creusot.Immigration 01.jpg

Département très peu industrialisé et urbanisé au XIXe siècle, la Nièvre attire faiblement les ouvriers étrangers. On note toutefois, là encore, un accroissement des migrants italiens à partir de 1876 ainsi que des migrants belges à partir de 1880, la venue de ces derniers étant en partie liée à l’installation de l’usine de carbonisation du bois de Prémery. Immigration 02.jpg


L’ancienneté des migrations et leur spatialisation
La présence de travailleurs non nationaux en Bourgogne ne remonte pas précisément au XIXe siècle même si c’est durant cette époque qu’elle commence à se renforcer. Ce sont par exemple des Italiens, « gentilshommes verriers » et ouvriers d’Altare, province de Savone en Ligurie1, et des Lorrains qui développent à partir du XVIe siècle la faïencerie à Nevers ou au début du XVIIe siècle la verrerie à Longchamp (Côte-d’Or)

A partir de la Restauration (1814-1830), les migrations de non nationaux croissent progressivement en Bourgogne tout en restant globalement peu élevées par rapport à d’autres régions de France, du fait de la faiblesse des zones urbaines et industrielles. Cet essor s’effectue alors que des départements ruraux comme la Côte-d’Or, la Nièvre et l’Yonne connaissent une crise démographique.

Dans la Nièvre, la présence étrangère est particulièrement faible avec 600 étrangers en 1896 et 330 en 1911. Ce département dispose de quelques industries (charbon, sidérurgie, verrerie…) mais celles-ci dans leur grande majorité ne s’appuient pas sur la main-d’œuvre étrangère, comme l’observe un rapport du commissaire de police de Nevers de 1893 : « Quant aux ouvriers des usines de Fourchambault et de leurs annexes la Pique, et Imphy, de même que ceux qui travaillent dans les mines de charbon de La Machine et à la verrerie de Saint-Léger-des-Vignes [...] ils sont tous français ».

Diversité des métiers et mobilité
L’immigration est loin d’être homogène avec un certain nombre d’artisans urbains, des terrassiers, des mineurs, des travailleurs des carrières, des ouvriers du bâtiment (plâtriers, peintres, maçons…), des travailleurs d’usine également, notamment dans la sidérurgie, sans compter les petits métiers ambulants (poêliers-fumistes, figuristes, joueurs d’orgue....). Évoquons encore les quelques artistes et enseignants présents dans les villes sans oublier des dizaines de rentiers, hommes et femmes, qui s’installent dans les villes et les villages de Bourgogne, en provenance de toute l’Europe.

Nombre d’étrangers mais aussi de travailleurs français – pensons aux compagnons – sont particulièrement mobiles. Cette mobilité traverse tout le siècle et touche quasiment l’ensemble du monde ouvrier, artisans, travailleurs de l’industrie, ouvriers agricoles. Les ouvriers étrangers voyagent seuls, en couple, en famille ou en groupes, suivant des itinéraires plus ou moins étendus qui les font passer en Bourgogne, rejoindre d’autres régions de France et passer même parfois dans d’autres pays d’Europe, tels ces métallurgistes gallois de Cyfartha qui après avoir travaillé à Fourchambault au début des années 1820 se dirigent vers Châtillon en Côte-d’Or puis partent en Rhénanie vers 1825 pour construire une forge.

Les formes du recrutement
Il existe une grande diversité de modalités de recrutement au XIXe siècle. Certaines entreprises recrutent directement à l’étranger en passant éventuellement par des intermédiaires puisés dans les réseaux familial ou d’interconnaissance. A l’usine métallurgique de Fourchambault, l’industriel Georges Dufaud fait appel sous la Restauration à son gendre, fils d’un grand métallurgiste du pays de Galles, pour l’introduire dans le monde sidérurgique anglais et l’aider à recruter ses ouvriers puddleurs. Il fait également intervenir à Paris son associé Louis Boigues, lui demandant par exemple de « traiter » avec les ouvriers anglais à Paris en matière de salaire et de logement, avant qu’ils ne se rendent à Fourchambault.

Parfois une tentative de recrutement donne lieu à une procédure complexe qui passe par une multitude d’intermédiaires tant patronaux qu’ouvriers. Ainsi en 1913, les Houillères de Decize-la Machine dans la Nièvre, contrôlées par Schneider depuis 1865, devant faire face à de nombreux départs d’ouvriers français, font appel à la mine de fer de Droitaumont dans la bassin de Briey (actuelle Meurthe et Moselle), exploitée également par Schneider, pour tenter de recruter des ouvriers italiens. Celle-ci transmet les demandes de Decize à un colonel demeurant à Nancy, lequel propose un ouvrier italien âgé de 54 ans, chef d’une famille de 6 enfants, qui a déjà travaillé en France et qui peut recruter des compatriotes. L’opération est un échec : les ouvriers italiens arrivent effectivement à La Machine mais ils partent tous à peine leur contrat achevé.

Les principaux courants migratoires : une immigration essentiellement de voisinage

Les Allemands et Autrichiens
Les Italiens
Les Suisses
Les Belges
Les Britanniques
Les Polonais
Les Espagnols

Une embauche d’étrangers encore limitée

Si les zones de provenance de l’immigration s’étendent, l’embauche n’est ni générale ni massive, y compris au sein des entreprises travaillant pour l’armée. En juillet 1916 par exemple, les établissements privés de la Nièvre opérant pour la défense nationale n’occupent encore que 39 Belges, 2 Italiens et 19 Espagnols.
Dans la Nièvre, une enquête établie en mars 1916 montre que la plupart des entreprises métallurgiques n’emploient que peu ou pas d’étrangers. A la fin de l’année, la situation n’a guère changé : seules deux en occupent en nombre relativement important, mais nettement moindre qu’au Creusot : d’abord, la Société anonyme Fourchambault (anciennement Magnard) qui compte en décembre 1800 salariés dont une centaine de femmes et d’enfants ; parmi eux 121 prisonniers de guerre et 270 étrangers dont 150 Marocains, 105 Grecs, 6 Espagnols, 2 Belges. Ensuite, les aciéries d’Imphy qui fabriquent obus en acier, tôles à blindage, éléments de canon… et qui ont vu après la mobilisation leurs effectifs fondre de 800 à 380 ouvriers. En décembre 1916, leur personnel s’élève à 1450 personnes dont 110 femmes et 30 enfants. Elles occupent 25 prisonniers de guerre et une centaine de travailleurs étrangers dont 73 Grecs, 9 Portugais, 4 Belges, 2 Italiens.
En revanche, les autres usines comme Pécard frères, le fabricant de machines agricoles Meslé, La Pique à Nevers ou la manufacture de boulonnerie, ferronnerie et matériel pour chemins de fer Bouchacourt à Fourchambault n’emploient que quelques étrangers, des Belges le plus souvent. Il en est de même des forges nationales de La Chaussade à Guérigny qui occupent toutefois plus de 300 prisonniers de guerre en 1916.

En Bourgogne, la main-d’œuvre étrangère est en outre fortement utilisée par les entreprises que l’État major américain sollicite pour édifier, dans la Nièvre et en Côte-d’Or notamment, les baraquements accueillant ses dizaines de milliers de soldats et le personnel médical de ses hôpitaux. La Nièvre compte ainsi, en octobre 1918, environ 10.000 Espagnols employés au sein des entreprises travaillant pour le compte de l’armée américaine.

Les carrières de pierre ne peuvent elles non plus se passer de main-d’oeuvre étrangère. On pourrait citer l’exemple des carrières de Fléty dans la Nièvre où une centaine d’Espagnols environ, originaires d’Alfar-del-Pi, Benemontell, Finestrat dans la province d’Alicante viennent travailler pendant le conflit. Certains arrivent directement d’Espagne en passant par Cerbère où ils ont reçu leur carte d’identité, d’autres parcourent déjà le sud de la France, séjournant par exemple à Gallargues (Gard).

Citons enfin l’arrivée de nouveaux immigrés dans les campagnes pour faire face aux départs sur le front. Les agriculteurs utilisent d’abord des étrangers qui n’ont pas fui la France, tel ce Galicien se disant insoumis de l’armée autrichienne, arrivé en France en 1909 qui travaille dans différentes communes de la Nièvre comme domestique de ferme puis comme garçon meunier. Mais ce réservoir humain étant nettement insuffisant, elles font appel aux déplacés, parmi lesquels figurent des Belges, Suisses ou Italiens, ainsi qu’aux travailleurs coloniaux et aux prisonniers de guerre internés dans la région. Dans la Nièvre, le SMOA répartit, au cours de l’été 1917, 150 travailleurs militaires tunisiens dans les fermes des environs de Nevers pour œuvrer à la récolte des foins et des moissons. 70 environ restent après la moisson et sont employés pendant toute l’année 1918 aux différents travaux agricoles. En 1918, les agriculteurs nivernais peuvent profiter en outre de 680 prisonniers de guerre attribués au département ; ils sont répartis par groupes de 3, 4 ou 5 dans les exploitations qui en font la demande.

Dans le domaine forestier, des militaires russes sont également utilisés en Bourgogne après avoir été retirés du front, à la suite des offensives d’avril 1917.
Suite à la mutinerie sanglante qui éclate en septembre au sein des 8000 soldats russes du camp, une cinquantaine est envoyée vers la fin de 1917 dans les forêts proches du bourg de Saint-Amand-en-Puisaye dans la Nièvre, travaillant pour le compte d’un propriétaire, négociant en bois. Encore présents en 1919, ils sont selon le commissaire spécial de Nevers grassement payés et font grand tapage dans les environs, affichant de surcroît une attitude « socialiste révolutionnaire et bolchevique ».

Les conditions de vie des migrants
Le logement : les premiers cantonnements
A La Machine, les Kabyles et Marocains arrivés le 14 juillet 1915 sont logés selon la mairie dans trois « grands logements installés par la mine pour les recevoir ». « Nous leur fournissons gratuitement : le logement, la literie, les ustensiles de cuisine, le chauffage et l’éclairage » écrit la direction au préfet en novembre 1915. Ces bâtiments sont peut-être les « Casernes neuves », bâties selon David Peyceré à la veille de la guerre pour les Polonais.

Les baraquements ne sont toutefois pas la seule forme de logement. A Nevers en septembre 1917, les 90 kabyles qui travaillent pour le service des subsistances sont hébergés dans un immeuble réquisitionné par l’autorité militaire où est assuré, selon la mairie, « le couchage dans de bonnes conditions ». Des Espagnols et Italiens occupés aux travaux de construction des ateliers du chemin de fer PLM habitent en garni chez différents logeurs de la ville. Dans les environs, la dizaine d’ouvriers agricoles kabyles est logée directement par le fermier qui les occupe, là encore convenablement selon le maire. Selon une autre correspondance d’octobre 1917 les travailleurs tunisiens employés par groupes de 6 dans les fermes nivernaises sont logés de façon correcte avec « un lit, une paillasse, des couvertures ». Les ouvriers espagnols, italiens belges et suisses travaillant pour les usines de Guérigny habitent quant à eux dans des hôtels et cafés ou bien chez des particuliers de la commune ou des hameaux voisins ou encore dans des baraquements « suffisamment spacieux et aménagés » de cités ouvrières. A La Machine, la cinquantaine de Chinois arrivés en 1917 disposent de trois dortoirs dans un « local qui servait précédemment d’école pour filles [et] remis à neuf ». Les Belges de cette commune semblent habiter dans de meilleures conditions. Les premières familles arrivées en 1915 occupent ainsi des logements avec « installation de lumière électrique et fourniture de lits, literie, articles de ménage et de cuisine ». D’autres familles belges venues postérieurement sont logées dans des maisons ouvrières appartenant à la mine.

Il est vrai que pour beaucoup d’ouvriers, français ou étrangers, qui logent dans les villes usinières ou à proximité, la situation n’est guère enviable. Dans la Nièvre, les campagnes des environs des usines sont surpeuplées par la masse de nouveaux travailleurs. Ces derniers vivent dans des conditions d’hygiène déplorable et sont l’objet d’abus de la part des propriétaires ou des locataires (souvent des familles d’ouvriers locaux qui sous-louent une partie de leurs logements à des prix exorbitants).

Les relations sociales : une tendance à l’isolement

Le contexte de guerre n’est pas propice au renforcement des relations entre les immigrés et la population française. En matière conjugale par exemple, une statistique des autorités de la Nièvre fait apparaître la rareté des mariages mixtes sauf avec les Belges (2 en 1914 et 1915, 5 en 1916, 2 en 1917). Il est vrai que la nuptialité s’atténue globalement y compris chez les couples français en période de guerre. Remarquons en outre que si l’on se penche sur la ville d’Imphy où sont dirigés beaucoup de travailleurs étrangers à partir de 1916, on remarque que 3 mariages ont lieu en 1917 avec des époux grecs et un autre avec un époux espagnol. En outre, l’optimisme de 1918 suscite une vague de mariages mixtes dans le département, laquelle concerne surtout, mais pas uniquement les Américains et les Belges ; parmi les époux figurent ainsi 16 Américains, 10 Belges, 4 Espagnols, 3 Italiens, 3 Suisses, 2 Grecs, un Arabe et un Turc.

Si ces nouveaux travailleurs sont acceptés, il n’en règne pas moins un relatif climat de défiance dans le monde ouvrier y compris dans les rangs syndicalistes. En janvier 1917, le ministre de l’armement doit intervenir auprès des chefs d’entreprise, à la suite de plaintes d’ouvriers grecs, pour que les ouvriers français s’abstiennent « de toute provocation à l’égard des étrangers ».
A Imphy, le lendemain d’une rixe survenue en novembre 1917 entre deux ouvriers grecs et deux ouvriers français mobilisés, 61 Grecs sur 77 refusent de reprendre le travail et demeurent dans leur cantonnement. D’autres communes comme Fourchambault ne semblent pas épargnées par les protestations anti-étrangères.
Les violences éclatent aussi entre les groupes d’ouvriers étrangers. A Fourchambault, une rixe a lieu entre 150 « Kabyles » et 40 Grecs en décembre 1917. Mais les plus graves affrontements semblent opposer Chinois et Portugais. Les tensions gagnent La Machine et, en décembre, Imphy :120 Portugais refusent de reprendre le travail tant que les Chinois continuent à y être occupés. 80 reviennent par la suite sur leur choix. Il est vrai que des affrontements extrêmement violents peuvent aussi opposer les ouvriers français. Ainsi à Montceau-les-Mines les vives tensions entre mineurs locaux et mineurs du Nord dégénèrent en août 1917 en de violentes bagarres qui font un mort et plusieurs blessés.

Résistance et mouvements sociaux des travailleurs étrangers

Aux aciéries d’Imphy, en septembre 1916, des ouvriers « turco-grecs » se mettent en grève pour obtenir de la direction de l’entreprise un relèvement des tarifs. Le commissaire note que le moindre incident est pour eux « prétexte à chômage », comme en témoigne l’arrêt de travail de 16 d’entre eux à cause de la pluie. A La Machine, le 19 octobre 1917, ce sont les Chinois qui se mettent en grève pour protester contre la qualité insuffisante du pain.

Le 8 juillet 1918, un petit groupe de Portugais envoyés à Cercy-la-Tour dans la Nièvre, munis d’un contrat de six mois, pour travailler comme manœuvres à l’entrepôt du génie quittent les lieux, quelques jours après leur arrivée, pour tenter de se faire embaucher aux aciéries d’Imphy. Ramenés à Cercy, ils refusent de travailler sous prétexte qu’on ne leur accorde pas l’indemnité de vie chère. La résistance passe aussi par les attitudes au travail : à La Machine, les manœuvres chinois selon un pointage de novembre 1917 font preuve de mauvaise volonté : ils « ronchonnnent » ou refusent de travailler si le chantier où ils sont envoyés leur déplaît. D’où les faibles rendements observés, ce qui n’empêche pas la direction de les garder.