« Gambon Charles Ferdinand » : différence entre les versions

De Wiki58
Aller à la navigationAller à la recherche
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 71 : Ligne 71 :


La vache à Gambon appartient désormais à l'histoire comme le cheval de Troie et le dragon vaincu par saint Georges, auteur du livret de la Bohémienne, musique de M. Balfe. En ce qui me concerne, je suis vraiment fier et heureux d'avoir contribué pour quarante centimes à cette souscription que je n'hésite pas à taxer de réparation nationale.<br>
La vache à Gambon appartient désormais à l'histoire comme le cheval de Troie et le dragon vaincu par saint Georges, auteur du livret de la Bohémienne, musique de M. Balfe. En ce qui me concerne, je suis vraiment fier et heureux d'avoir contribué pour quarante centimes à cette souscription que je n'hésite pas à taxer de réparation nationale.<br>
::Albert Wolff. »
:Albert Wolff. »
:::(''Le Journal de la Nièvre'', 6 janvier 1870)  
::(''Le Journal de la Nièvre'', 6 janvier 1870)  





Version du 2 avril 2022 à 16:00

Charles Ferdinand Gambon

Il nait à Bourges (Cher) le 19 mars 1820, fils d'un marchand drapier originaire du canton du Tessin, en Suisse, qui s'est établi à Bourges. Dans son acte de naissance son père est dit commissaire priseur. Orphelin, il est élevé par sa grand-mère à Suilly la Tour.

Il fait ses études et son droit à Paris, est reçu avocat à dix-neuf ans, milite dans les rangs des socialistes révolutionnaires et prend part à la fondation du Journal des Écoles, feuille démocratique du quartier latin, se lie avec Félix Pyat, son compatriote et son aîné de dix ans, dont le nom est déjà célèbre, et retourne en province, où sa famille le fait nommer (en 1846) juge suppléant au tribunal civil de Cosne.

Il conserve, dans ces fonctions, des allures indépendantes, combat la candidature de M. Delangle, et, partisan avoué des doctrines radicales, organise en 1847 le banquet réformiste de Cosne, où il refuse de porter un toast au roi, et proclame la souveraineté nationale. Cette démonstration fait traduire le jeune magistrat devant la cour de cassation, qui le condamne à cinq années de suspension.

Il accueille avec enthousiasme la proclamation de la République, qu'il avait appelée de ses vœux, et est élu, le 23 avril 1848, le 6e sur 8, par 29.552 voix (75.213 votants, 88.295 inscrits) représentant de la Nièvre à l'Assemblée constituante.

Il prend place à la Montagne et vote : contre le bannissement de la famille d'Orléans, contre le rétablissement du cautionnement, contre les poursuites envers Louis Blanc et Caussidière, contre le rétablissement de la contrainte par corps, pour l'abolition de la peine de mort ; il lève seul la main avec Félix Pyat pour l'abolition de l'institution de la présidence de la République, et se prononce ensuite pour l'amendement Grévy, puis pour que la Constitution soit soumise à la ratification du peuple, rejette l'ensemble de cette Constitution, fait une vive opposition au gouvernement présidentiel de L.-N. Bonaparte, et vote contre la proposition Rateau, pour l'amnistie générale, contre les crédits de l'expédition romaine, pour la mise en accusation du président et de ses ministres, pour l'abolition de l'impôt sur les boissons, etc.

Réélu, le 1er, par le département de la Nièvre, le 13 mai 1849, représentant du peuple à l'Assemblée législative, avec 43.443 voix (65.811 votants, 88.144 inscrits), il reprend sa place à la Montagne, se signale parmi les adversaires les plus décidés de la politique de l'Élysée, et signe avec plusieurs de ses amis la protestation de Ledru-Rollin contre l'expédition de Rome, ainsi que l'appel aux armes.

Il se rend, le 13 juin 1849, au Conservatoire des Arts-et-Métiers, et est, pour ce fait, décrété d'accusation par autorisation de l'Assemblée, arrêté et condamné par la Haute Cour de Versailles à la déportation pour complot et incitation à la guerre civile. Il est condamné à 10 ans de déportation et est dirigé sur la prison d'État de Belle-Isle, et de là transféré au pénitencier de Corte, en Corse.

Rendu à la liberté par l'amnistie de 1859, il rentre dans la Nièvre et s'y occupe de travaux agricoles, sans négliger la propagande républicaine.

Le 19 septembre 1868 a lieu, dans la 2e circonscription, une élection au Corps législatif en remplacement de M. de Montjoyeux, nommé sénateur. Les adversaires intransigeants de l'Empire se rassemblent sur son nom ; il réunit alors, comme candidat non assermenté, 1.872 voix contre 15.706 au candidat officiel, le baron de Bourgoing, élu, et 3.865 à M. Girerd, de l'opposition modérée. Les voix qui se sont portées sur lui sont annulées au recensement.

Propriétaire d'un domaine à Sury près Léré (Cher), il fait, en 1869, une campagne restée célèbre pour protester contre la répression de la grève de La Ricamarie. Il refuse et engage les citoyens à ne pas payer l'impôt. Le fisc porte plainte, les gendarmes et les huissiers viennent saisir ses meubles qui sont mis en vente à Sancerre, mais personne ne veut les acquérir. Une vache est saisie. Cet événement devient une affaire nationale. « La vache à Gambon » est bientôt légendaire. La Marseillaise, journal d'Henri Rochefort, ouvre une souscription à cinq centimes pour racheter la vache et dédommager Gambon. Il accepte la vache offerte à trois conditions : « qu'elle reste la propriété de la République, qu'elle soit achetée sur le marché de Sancerre là où a eu lieu la vente et qu'elle constitue un premier fonds de rachat pour toutes les injustices dont ses frères, les pauvres paysans, les ouvriers et les soldats, sont victimes. » (Lettre du 5 janvier 1870). La presse de droite et les caricaturistes ridiculisent Gambon.

Aux élections du 8 février 1871 pour l'Assemblée nationale, il est porté sur la liste radicale de la Nièvre ; il échoue avec 24.484 voix sur 64.512 votants mais il est élu le même jour, représentant de la Seine, le 14e sur 43, par 136.249 voix (328.970 votants, 547.858 inscrits). Il se rend à Bordeaux, vote et proteste contre les préliminaires de paix et quitte bientôt l'Assemblée pour venir à Paris, dont le 10e arrondissement l'élit membre de la Commune, le 26 mars, par 10.734 voix.

Il donne le 5 avril sa démission de représentant, s'associe aux actes de la majorité de la Commune avec laquelle il opine constamment, et devient, le 10 mai, un des cinq membres du comité de salut public, qui lance les dernières proclamations au peuple et à la garde nationale. Lorsque l'armée de Versailles pénètre dans Paris, il prend un fusil, se bat sur plusieurs barricades, et, la lutte terminée, réussit à passer à l'étranger.

Le conseil de guerre l'ayant condamné à mort par contumace, il se rend à Lausanne et y vit jusqu'à l'amnistie de 1879. De retour en France, il participe, avec Félix Pyat, à la rédaction du journal la Commune.

Aux élections générales de 1881, il est le candidat des démocrates-socialistes dans l'arrondissement de Cosne, où il obtient, sans être élu, 5.524 voix contre 6.842 à M. de Bourgoing, élu, et 4.671 à M. Fleury, opportuniste.

Il prend sa revanche l'année suivante. Le décès de M. de Bourgoing appelant de nouveau au scrutin les électeurs de la circonscription, le 11 juin 1882, il engage encore la lutte, réunit au premier tour 5.895 voix contre 5.818 à M. A. de Bouteyre, 2.977 à M. Fleury et 727 à M. Ducoudray, et est nommé, au scrutin de ballottage, par 8.023 voix (16.312 votants, 23.105 inscrits), contre 7.984 à M. Assézat de Bouteyre.

Il prend place à l'extrême-gauche de la Chambre, vote sans exception avec le groupe intransigeant : contre les ministères opportunistes, contre la politique intérieure et extérieure de M. J. Ferry, contre les crédits du Tonkin, etc. et prend la parole pour soutenir un projet dont il est l'auteur, et qui tend à l'abolition des armées permanentes. Il vote pour le rétablissement du scrutin de liste (qui sera fatal à sa réélection).

Porté d'abord sur la liste du congrès républicain radical de la Nièvre, il se sépare de ce congrès à la suite de dissentiments qui portent sur la candidature ouvrière, et forme une liste purement socialiste, en tête de laquelle il ne réunit que 5.836 voix. Le même jour il en obtient 50.213 dans le département de la Seine.

Il figure encore au scrutin complémentaire du 13 décembre de la même année, comme candidat du « comité central » des radicaux-socialistes dans la Seine : il recueille 16.163 voix seulement sur 347.089 votants, et se retire à Cosne, où il meurt le 16 septembre 1887 dans le faubourg qui a reçu depuis le nom de faubourg Ferdinand-Gambon.

Une rue de Nevers porte son nom.


Le Figaro a la parole. Il raconte ce qui suit dans son numéro du 5 janvier 1870 :

« Et Pharaon manda devant lui Joseph et lui dit :
- J'ai fait un rêve singulier. J'ai vu d'abord sept vaches grasses et ensuite sept vaches maigres ; puis, tout-à-coup, je n'ai plus aperçu qu'une seule vache plus grasse que les autres qui se promenait entre deux gendarmes.
Et Joseph répondit à Sa Majesté :
- Sire ! les sept vaches grasses signifient sept années heureuses pour votre pays ! Les sept vaches maigres représentent sept années de disette !
- Et la quinzième vache ? demanda Pharaon, devenu rêveur.
- Sire ! C'est la vache républicaine du citoyen Gambon.

C'était un homme fort que ce Joseph. Toutes ses prédictions se sont réalisées à la lettre ; la vache du citoyen Gambon s'est fait un peu attendre, mais enfin elle est venue.

On sait l'histoire de cette bête intéressante. Le citoyen Gambon ayant refusé de payer l'impôt, on a saisi sa vache pour la vendre sur la place publique. Cette scène poignante rappelait les marchés d'esclaves de l'Orient. Jamais on ne vit de spectacle plus attristant. Cette pauvre bête, gardée à vue par les gendarmes, contemplait d'un œil attristé son ami Gambon ; plus d'une fois elle fut sur le point de se jeter dans les bras du citoyen, mais le déploiement de la force armée disait à ce noble animal que toute résistance serait inutile.

Et le gouvernement, poussant jusqu'au bout une cruauté dont on n'a pas d'exemple dans l'histoire, fit vendre la vache du citoyen Gambon. Pauvre bête, élevée dans les immortels principes, la voici peut-être à cette heure dans l'étable d'un séide du gouvernement ! Pour elle, c'est l'exil ! Elle était si heureuse ! C'était une de ces vaches qui naissent et meurent dans les familles, et la voici, maintenant, par un de ces cruels revirements du sort, arrachée à l'étable du citoyen Gambon. Et le soir, quand la campagne est silencieuse et déserte, on voit Gambon errer dans les plaines et sur les montagnes comme une âme en peine, demandant à tous les échos des nouvelles de sa vache !

Et l'écho ne répond pas !

C'est que Gambon aimait sa vache ; c'était pour lui une compagne de chaque jour ; peut-être avaient-ils grandi ensemble ; je n'ai pas de données certaines sur la première jeunesse de ces deux êtres intéressants, mais on me dit que Gambon et sa vache étaient liés d'une étroite amitié. Quand Gambon n'était encore qu'un gamin et sa vache qu'un simple veau, on les voyait jouer ensemble sur la prairie ensoleillée ; plus tard, quand Gambon se jeta dans le mouvement politique avec l'ardeur que vous savez, sa vache ne resta point indifférente. Ne pouvant pas fonder un journal pour défendre ses idées, la vache de Gambon se contenta de protester contre le régime personnel ; avec quelques coreligionnaires politiques, elle forma sur la prairie du village, l'extrême gauche ; elle ne frayait pas avec les vaches bonapartistes. Si mes renseignements sont exacts, Gambon l'appelait citoyenne ; il lui lisait les journaux. Et la vache républicaine versait un pleur sur la décadence de la France.

Telle était cette grande et noble bête que la gendarmerie a arrachée à l'étable hospitalière du citoyen Gambon. Ah ! il faut que le respect des grands caractères soit bien ignoré de la gendarmerie pour qu'elle ose séparer ainsi deux êtres étroitement liés par une amitié déjà ancienne. Sans pitié pour son sexe et pour sa douleur, la gendarmerie impériale a saisi la citoyenne vache et l'a livrée aux huissiers du fisc.

Peut-être pensez-vous que le citoyen Gambon eût mieux fait de payer l'impôt comme tout le monde. Allez ! vous n'êtes guère dans le mouvement. C'était bon autrefois, mais à l'heure présente nous marchons vers le gouvernement idéal qui, sans budget, fera vingt-cinq mille livres de rente à tous les citoyens. C'est par ce moyen que nous arriverons d'ailleurs à l'abolition des armées permanentes et de la gendarmerie. Quand chaque citoyen gagnera ses 2000 francs par mois sans travailler, où trouvera-t-on ce qu'on appelle des mercenaires à un sou par jour ?

Je vous le demande.

Grande âme ! Noble cœur ! Il faut remonter aux Romains pour trouver un tel dévouement à la République. Lucius Junius Brutus sacrifiant ses fils, et le citoyen Gambon sacrifiant sa vache, ce sont là de ces actions d'éclat qui peuvent se passer de tout commentaire.

Au journal de mon ancien collaborateur Rochefort, qui, quoi que l'on dise, est toujours l'aimable fantaisiste d'autrefois, incombait la tâche glorieuse de combler le vide dans l'étable de Gambon : il a voté à ce citoyen une vache d'honneur ; la souscription est ouverte dans les bureaux de La Marseillaise, et je demande la permission de m'inscrire pour huit sous que j'ai envoyés en timbres-poste.

Ce faisant, j'obéis à la fois à la voix du cœur et à celle de l'intérêt. Le jour où mon mobilier sera vieux et usé, je refuserai l'impôt et le fisc fera vendre le tout sur la place publique ; après quoi, la République une et indivisible se chargera sans doute de renouveler mon salon. Avoir un appartement meublé par la République et être martyr par-dessus le marché, n'est-ce pas le doux rêve d'un citoyen indépendant ?

La vache à Gambon appartient désormais à l'histoire comme le cheval de Troie et le dragon vaincu par saint Georges, auteur du livret de la Bohémienne, musique de M. Balfe. En ce qui me concerne, je suis vraiment fier et heureux d'avoir contribué pour quarante centimes à cette souscription que je n'hésite pas à taxer de réparation nationale.

Albert Wolff. »
(Le Journal de la Nièvre, 6 janvier 1870)


Sources

  • Dictionnaire des Parlementaires français, Robert et Cougny
  • Dictionnaire des Parlementaires français, Jean Jolly
  • Site de l'Assemblée Nationale
  • m mirault 8 juillet 2011 à 08:32 (CEST)

Notes et références

Notes


References