Dennis Harry correspondances (suite et fin)

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Guerre 1914-1918 57.jpg

3 février 1919 :
Knights of Colombus, Overseas Service
On active service with American Expeditionary Forces.

A.P.O. Marcy, France
Chers femme et bébé,
J'ai reçu ta lettre du 19 janvier hier et celle du 12 aujourd'hui. Dis à ton père que le mandat vient d'arriver à un moment très opportun, comme il avait raison quand il se figurait que j'étais cassé. J'écrirais plus souvent s'il y avait des sujets à raconter. Avant de recevoir cette lettre, tu auras reçu une carte postale qui a été distribuée à chaque homme pour qu'il la remplisse et l'envoie chez lui. D'après ce que j'ai partout entendu dans le camp, tout doit être rempli dans l'espace intitulé « état de santé ».
Je pense que je t'ai déjà indiqué à quelle Division nous appartenons, mais je vais te l'indiquer à nouveau. Je suis au Quartier Général, détachement 2, 15e Grande Division du Corps des Transports. Selon toutes les indications, il se passera un bon moment avant que tu voies cela imprimé sur les papiers quand nous partirons. Je ne vois pas pourquoi ce n'est pas possible de nous permettre de savoir quand nous partirons pour les États-Unis. Cela nous ôterait un peu du suspense. J'espère seulement que je rentrerai pendant la saison chaude, de façon à ce que nous passions du bon temps dans les collines.
Je ne m'inquiéterais pas à propos de ma dégradation, comme si ce n'était pas la pire chose qui puisse arriver à quelqu'un. Ce capitaine est en permission actuellement et aussitôt qu'il sera de retour, je vais aller le voir pour un petit entretien. Dis seulement à tous ceux qui veulent savoir ce que je fais que je conduis une locomotive sur le réseau P.L.M. en France, de Marcy à Is-sur-Tille. C'est tout ce que font les hommes qui travaillent au chemin de fer. Je pourrais cesser de conduire mais c'est une vraie vie de chien, spécialement par ce (mauvais) temps. J'ai pensé que Kate resterait à Bloomington. Nous avons eu de la neige pendant les dix derniers jours, mais cela va cesser car il a plu à nouveau depuis une heure. Je suppose que Frankie se balade en bombant le torse depuis qu'il est papa. Comment Rose s'en sort-elle après ce grand événement ?
Je suis heureux que tu aies obtenu ton permis annuel comme tu peux passer quelques jours à effectuer des visites. As-tu décidé d'aller dans l'Iowa avec Katie ?
Je suppose que le nouvel emploi entraîne une augmentation de salaire. Je devrais te rendre folle à propos de ce diamant. C'en est sans doute un très joli que la bande a offert à Mr O'Hearne.
La grippe s'étend diablement aux Etats-Unis, spécialement quand les cochons l'attrapent et en meurent. Dis à ta mère qu'elle ne prenne pas le risque d'attraper des rhumatismes quand elle vient le matin dès son lever pour un petit bavardage.
Tu sais que tu m'as donné pour chaque Noël une photo de toi et de Joe. Je cherchais une surprise en forme de jolie photo. Dis à Fitz quand tu le verras que je cherche encore cette lettre. Comment Gavin a-t-il été touché (tué) ? Était-il aviateur ? Il n'a jamais été plus loin que l'Angleterre, n'est-ce pas ? Pancake a vécu une véritable expérience, blessé et embarqué sur un bateau que l'on pensait englouti dans une tempête.
Pauvre vieille madame Seegan. J'aimerais certainement défiler ici. Est-ce que Andy s'améliore depuis qu'il a été libéré ? Il doit être amoureux de l'uniforme s'il le porte encore. Un costume civil me semblera très bien. J'apprécierais bien l'un de ces sacrés gâteaux, même s'il était tombé au milieu [pendant le transport]. Je pense que tu te débrouilles mieux pour faire la cuisine. Je souhaite revenir maintenant pour rafistoler la vieille Haynes. J'ai eu un peu d'entraînement alors que j'ai eu à conduire un camion pendant environ un mois.
Le vaguemestre vient d'arriver, il m'a donné une lettre de John dans laquelle il a joint une lettre que tu as écrite à Mary et qu'elle lui a fait suivre. Alors maintenant je vais te la renvoyer. Elle aura circulé quand tu recevras cela.
Dis à Joe qu'il doit faire attention et ne pas prendre froid au ventre en tombant de sa luge. J'ai pris froid. Je tousse et je suis à moitié malade. Je prends un médicament et je pense que je serai en forme demain ou après-demain.
Ne t'inquiète pas si tu dois attendre longtemps avant de pouvoir aller à des fêtes avec quelqu'un. Dis à ton père que la prochaine fois qu'il ira à Peoria il mette cela(1) et que s'il glisse sur la glace il ne se cassera pas les côtes. Dis à Joe que papa ne porte plus de chemise de nuit ni pyjama, mais je disais seulement l'autre soir que j'aimerais bien porter une chemise de nuit ou un pyjama, me glisser entre des draps blancs bien propres et enfoncer ma tête dans un grand oreiller de plumes.
Je savais que l'ami Lenahan s'était marié quelque temps avant que je m'engage.
Je suis allé l'autre dimanche à une ville à environ soixante milles de notre camp, qui s'appelle Montceau-les-Mines. Il y avait un grand bal et notre petite bande y est allée. Nous nous sommes bien amusés. Les gens ont été gentils avec nous. L'après-midi, nous étions en face du cinéma, attendant l'ouverture, quand des gamins se sont mis à nous bombarder de boules de neige. Bien sûr, nous avons répliqué et il y a eu une grande bataille. Je pense qu'il y avait environ une centaine de gamins contre nous cinq. C'était une sacrée bataille et tu imagines le cirque et l'attroupement que cela a déclenchés dans la ville.
Je joins le programme d'un spectacle qui a été donné au M.J.R.S. - Y.M.C.A. C'était plein de W.A.A.C anglaises(2), venues de Bourges où elles travaillent. Les photos étaient belles et Joe est magnifique avec son manteau et sa casquette. Je parie qu'il s'est bien pavané. J'ai fait suivre un colis pour Joe, contenant une casquette allemande, une série de perles de chapelet qu'un copain m'a donnée. Il était détaché dans un hôpital et les perles se sont échappées d'une veste qui avait appartenu à un pauvre bougre blessé. Il y a aussi un coupe-papier ; je l'ai fabriqué avec un morceau d'obus allemand, et le manche avec une cartouche de fusil allemand  ; tu peux le donner à Tom. Il y a un sifflet dans lequel le chef de gare souffle quand il veut signaler le départ d'un train et un ballon utilisé par les aviateurs quand ils lâchent des bombes.
J'ai aussi fait un joli coupe-papier et je l'ai gravé pour Mary. Eh bien, ma chérie, embrasse Joe pour moi et avec beaucoup d'amour et de baisers, je suis toujours ton mari qui t'aime,
H. Dennis
Hdqtrs Co. 29th R.T.C. Amer. E.F. France A.P.O. 772 Via new York.
P.S. Je n'ai pas beaucoup aimé ton chapeau, mais le reste était ton vieux "sweet siff".

Carte postale préimprimée, à remplir par les soldats :
3 février 1919.

Ma chère femme,
Je me trouve maintenant à Marcy, Nièvre, France avec le 39e Régiment des Transports et je suis en bonne santé.
Je t'embrasse, Harry Dennis.

Note : Cette carte est fournie à chaque soldat pour lui permettre d'informer sa famille de l'endroit où il se trouve, de son affectation, de ses conditions de santé, sous le contrôle de : G.O. N° 15, c.s., G.H.Q., A.E.F.

13 février 1919 :

Chère femme et bébé,
Le courrier est à nouveau très rare ici. Je n'ai pas reçu de lettre de ma mère depuis plus de deux semaines. Hier j'ai reçu une carte de John. J'ai écrit une lettre à Mary avant-hier.
Maintenant, nous avons eu un peu de beau temps pendant plus d'une semaine, mais aujourd'hui le ciel est couvert et nous avons eu de la pluie tout l'après-midi et elle revient encore. Nous avons quitté notre ancien casernement aujourd'hui pour emménager dans de nouveaux baraquements qui viennent d'être installés. Notre ancien logement se trouvait à l'extrémité des baraquements occupés par l'infirmerie. La grippe s'est à nouveau abattue sur notre camp et ils nous ont déplacés pour agrandir l'infirmerie. Ils nous construisent un nouveau baraquement, il faudra donc déménager à nouveau bientôt.
Aujourd'hui j'ai récupéré une vieille Sunbeam. Je vais la sortir demain et voir si tout va bien ou non. Je vais partir lundi à Romorantin pour prendre des pièces pour réparer quelques unes de nos voitures. Cet endroit est à environ cent vingt milles d'ici.
Nous avons obtenu une permission de trois jours à Paris et si j'ai assez d'argent j'irai, nous aurons aussi sept jours de permission. Quelques uns de nos hommes sont allés à Nice et j'aimerais bien effectuer plus d'excursions mais je devine que je devrai attendre un peu. J'espère que nos permissions seront transformées en un retour aux bons vieux États-Unis et à la maison.
Alors, ma chérie, je dois envoyer un mot à John et comme il n'y a rien de plus à raconter maintenant , je vais terminer ; salue bien tout le monde de ma part et embrasse Joe de la part de son papa et dis-lui de bien me faire savoir quand il recevra sa casquette allemande. Je l'expédie au nom de monsieur J.T. Dennis. Dis-lui que quelqu'un d'autre pourrait prendre le colis, mais pas une femme. Avec beaucoup d'amour et de baisers de ton mari qui t'aime.
Photo prise par Harry Dennis, coll. Bob Kerr.


Dans ses lettres à son épouse, Harry fait de nombreuses allusions à des amis, parents, voisins de Bloomington. Pour plus de compréhension, ce sont surtout ses remarques sur sa vie en France qui ont été conservées ci-dessous.

2 mars 1919,

Guerre 1914-1918 276.jpg
Chers femme et fils,
Eh bien, j'ai vu Paris. J'ai quitté le camp lundi dernier au soir et je suis arrivé à Paris à huit heures du matin. J'avais soixante-douze heures à passer à Paris alors. Paris est une ville tellement belle et il y a tant à voir qu'il m'est impossible de commencer à en parler. Je vais devoir attendre de revenir chez nous pour te raconter ce voyage merveilleux. J'espère seulement pouvoir obtenir quelques heures afin de pouvoir visiter un peu plus de ces merveilleux édifices. Les deux copains qui m'ont accompagné sont assis là, en extase devant notre voyage, et spécialement devant les « madamoiselles » [sic] car ils sont jeunes tous les deux et pleins d'ardeur et évidemment ces choses-là les intéressent beaucoup.
J'ai reçu hier d'autres lettres, avec la photo de Joe en pyjama. Il a vraiment l'air mignon. Je parie que lui et Trilby, ils ont font des belles dans le coin. Je suis si content que tu aies rendu une si longue visite à ma mère et à mon père. Ma mère dit qu'elle a mal aux yeux et qu'elle est incapable de trouver des lunettes adaptées à sa vue. J'espère bien que ses yeux ne lui feront pas plus de mal car ce serait horrible si elle devait perdre complètement la vue. [...]
Je t'ai acheté un chapelet à la « Madeline » [sic] et aussi une médaille pour sœur Alberto. Je t'envoie aussi une médaille pour toi et une pour Joe, achetées à Notre-Dame. J'aurais aimé prendre quelque chose en plus, mais je n'ai pas beaucoup de francs. Le commandant de notre compagnie m'a prêté l'argent du voyage, sinon je n'aurais pas pu y aller, et j'avais juste assez pour dépanner pour une petite excursion touristique. [...]
Eh bien, ma chère femme, je ne peux trouver rien de plus à te dire à présent, seulement qu'il pleut à nouveau, et qu'elle tombe encore, je devrais dire.
Embrasse Joe de la part de son papa et dis-lui que j'ai mis tous mes baisers dans la dernière lettre. Avec beaucoup d'amour et de baisers de ton mari qui t'aime.
Harry Dennis.

11 mars 1919 :
(La première page de la lettre est pratiquement illisible).

Chers femme et fils,
Il y aura un an demain soir que je suis parti pour devenir un brave soldat. (…)
J'ai reçu la grande somme de 58 francs, environ 11 dollars par mois. Cela me tracasse comment la dépenser spécialement, car je n'aime pas tout dépenser en un seul endroit. Ne t'inquiète pas que je me défonce et je ne vais pas avoir assez pour le vin rouge ou le cognac. Je te raconterai tout quand je serai rentré à la maison. Parlons des nouveaux costumes quand je serai chez nous. Je veux que tu nettoies quelques uns des anciens, ainsi je pourrai me changer aussitôt que j'arriverai. Je n'aimerais pas porter ceux-ci [l'uniforme militaire] jusqu'à ce que je puisse avoir un costume neuf et je suis heureux que tu m'aies gardé mes vêtements [civils].
[…] Eh bien, nous avons eu ce soir une séance de cinéma et la bande de copains vient de revenir. Je n'y suis pas allé car je voulais écrire cette lettre et une autre à John. Ils sont tous en train de faire du brouhaha, de sorte que je devrais finir cette lettre, car c'est presque impossible avec tout ce monde autour et le clairon du couvre-feux vient de retentir. Nous quittons un baraquement pour un autre ; j'ai préparé mon lit et accroché mes vêtements.
Dis à Joe que j'ai reçu la lettre et que j'espère qu'il a reçu le casque allemand et les autres petits cadeaux. Embrasse-le pour moi et peut-être n'y aura-t-il pas longtemps avant que je sois à la maison pour te voir, toi et lui et pour rester chez nous.
C'est la lettre de ton père que j'ai reçue et j'en ai reçu une de papa l'autre jour. Cela m'a presque frappé de la recevoir.
Eh bien, chérie, je te souhaite bonne nuit avec beaucoup d'amour et de baisers de ton mari qui t'aime.

Lettre du 17 mars (?) :

J'ai reçu aujourd'hui ta lettre du 9 mars, celle que tu m'as écrite d'Indianapolis.
Attends que je rentre à la maison et tu montreras cette petite fille aux yeux bruns, la nôtre. As-tu toujours la même opinion à propos des quatre enfants ?
N'oublie pas de te faire prendre en photo quand tu es vêtue de tes nouveaux costumes. Bien sûr, je me souviens où nous étions le dernier 17 mars, j'espère que ce sera différent le prochain 17 mars et c'est une chose certaine. Je me souviendrai du dernier.
[...] Je me suis fait plomber une dent l'autre jour et nettoyer les dents. Le plombage s'est sauvé et je dois retourner me faire replomber. Le vieux Baker est assis à côté de moi et je lui raconte qu'un beau jour le téléphone va sonner et qu'il sera à la cantine en train d'attendre son repas. Il dit que je ne le verrai jamais à Bloomington car il n'a pas l'attention d'aller si loin de chez lui.
Eh bien, ma chère épouse, je vais fermer cette lettre pour cette fois puisque j'ai épuisé toutes les nouvelles. Dis à Joe que ferait mieux d'arrêter les gros mots sinon je vais ramener à la maison un joli petit enfant français. Embrasse-le pour moi et dis-lui de ne pas ... et d'aller en ville car il pourrait se sauver, il est si petit. Avec beaucoup d'amour et de baisers, je suis ton mari qui t'aime toujours.

18 mars 1919 :

Chers femme et fils,
J'ai reçu hier soir tes lettres du 24 et du 25 février. J'avais passé toute la journée à Nevers et quand je suis revenu et que j'ai reçu tes lettres et remarqué qu'elles avaient été écrites les 24 et 25 février, j'ai été triste jusqu'à ce que les aie lues. Eh bien, ma chérie, nous devrons être patients pendant encore un moment car j'ai peur que nous restions encore un moment, pourtant il y a toutes sortes de rumeurs selon lesquelles nous allons bientôt partir, mais bien sûr nous avons entendu ces sortes de rumeurs régulièrement depuis que l'Armistice a été signé. Ne t'inquiète pas, cependant ce sera bien mieux quand je rentrerai au pays. Tu n'auras plus du tout à t'inquiéter que je vous quitte, toi et Joe. Je suis si désolé que tu te sentes si mal parfois car je sais ce que c'est et quand j'ai reçu tes lettres hier soir j'ai bien eu le cafard.
Je joins une petite note que Paul Jabsen m'a fait parvenir par un soldat du génie qui conduisait le train où se trouvait Paul. J'aurais bien aimé l'avoir vu.
[…] Eh bien, je vais être en grande forme pour conduire quelques passagers et cela ne sera pas mal car plus je passerai de temps à la maison mieux ce sera. Je ne crois pas que je pourrais aller travailler à Roodhouse ou à Springfield. [...] Dis à Joe que papa veut savoir pourquoi il veut peindre en rouge les étoiles.
Tous les copains sont regroupés et parlent de leurs excursions à Paris et à Nice. Nice doit être un endroit merveilleux, selon ceux qui l'ont visités.
Eh bien, ma chère femme, et mon petit garçon, je vais vous dire bonsoir avec beaucoup d'amour et de baisers de ton mari qui t'aime.

P.S. Donne le bonjour à tous les amis et dis-leur que je vais essayer et obtenir une permission pour aller rendre visite à John. As-tu reçu les petits cadeaux que j'ai envoyés ?

22 mars 1919 :

Chers femme et bébé,
J'ai reçu ta lettre du 4 mars avec à l'intérieur la lettre du vieux Fitz. J'ai reçu la lettre à midi juste et deux ou trois d'entre nous avaient un peu le cafard, mais restaient muets. Tu dois savoir que la lettre n'était d'aucune aide quand tu as décrit les vieilles soirées qui apportent tant de joie. Dis à toute la bande que j'apprécierais beaucoup mieux qu'ils se souviennent encore de moi. Dis à Agnes Judge que lorsqu'elle dit « tous sont revenus sauf Dennis » cela ne fait que dégrader un peu ma considération pour elle. Je vais garder la lettre que Fitz m'a écrite et la rapporter à la maison et la lui faire lire pour moi car je ne peux pas du tout lire (déchiffrer) la fin. Essaie de conserver assez de bonne choses pour mon retour car je veux assister au moins à une ou plusieurs bonnes vieilles soirées. Salue de ma part Hattie et Stamm et dis-leur que je souhaite être là pour voir la « vieille rose ».
Je suis heureux que tu sois allée à Indianapolis avec ta mère car je sais que la pauvre Osie attendait cela. Je suis bien triste pour elle. Je ne savais pas que Ben était si mal. Je veux que tu continues à faire ce que tu fais, je ne pense pas que tu iras autant quand je serai à la maison à moins que je te suive.
Dis à ta mère que j'ai un bon remède pour les maux de pieds. Je vais rapporter une paire de vieux souliers militaires à semelles cloutées, les souliers les plus confortables. Aussi, ils sont bons pour nous faire lever le matin quand elle fait sa petite visite matinale. A propos de petit-déjeuner, nous avons du bacon, moins les œufs, les toasts et la crème dans le café.
Je ne sais pas ce que je vais faire maintenant que Joe demande un casque. Si c'est possible, je vais essayer de m'en procurer un, mais tu ferais mieux de ne pas lui en parler.
J'ai le journal qui annonce la mort de Jim Callahan. J'ai changé d'idée à propos de ces gens qui disent que j'étais fou de m'engager ; je vais les faire mettre en rangs pour me donner un coup de pied. Je ne sais pas si je l'ai mérité, à part pour la solitude que je t'ai imposée.
Tu m'as parlé de ces frères que l'armée m'a procurés, âgés d'environ dix ans de moins (que moi), et que j'étais un joli garçon avant d'y entrer. S'ils ne veulent pas être salis dans le paysage, ils feraient mieux de faire attention à t'inviter à déjeuner et à la maison, à moins qu'ils soient de très bons amis et très polis, car j'ai hâte de rentrer chez nous.
Je t'ai dit que j'ai reçu le mandat et il est venu bien à propos. Je vais essayer d'aller rendre visite à John dans quelques jours. Je sais à peine où je vais trouver l'argent (les francs). Ta dernière lettre m'est parvenue en quinze jours, mais parfois le courrier est mélangé et nous recevons en premier des lettres écrites plus tard.
Nous avons trois camions, trois automobiles et deux motos et un conducteur pour chaque véhicule. Pendant quelque temps j'étais occupé comme conducteur supplémentaire. Le capitaine qui censure notre courrier est notre médecin.
Tu sais que j'ai manqué un grand nombre des gestes enfantins de Joe et je suis heureux que tu apprécies encore t'occuper des bébés.
Hier, je suis allé à Mars (camp de Mars-sur-Allier), tout près de Nevers. Mars était un grand hôpital mais actuellement la plupart des unités sont parties. C'était plein de boue et j'ai rencontré des infirmières qui circulaient vêtues d'imperméables, de chapeaux et de bottes. C'est leur vie, j'imagine.
Si tu vois dans la presse que les 26e, 27e et 28e compagnies du Corps des Transports Ferroviaires est sur la liste des unités qui doivent rentrer, tu peux imaginer que nous en ferons partie car je suis au détachement du Quartier Général attaché à ces compagnies. J'espère qu'ils se dépêcheront et donneront l'information.
Je joins à ma lettre le programme d'un spectacle qui a été donné à notre Y.M.C.A. Avant-hier. C'était très bon. Hier soir, je suis allé voir un match de basket dans un autre camp à environ dix milles du nôtre (Sougy). Notre équipe a perdu. Je devine que j'aurai à m'entraîner et à jouer.
Eh bien, ma chérie et mon petit garçon, je vais arrêter pour cette fois et j'envoie beaucoup d'amour et de baisers à mon cher amour, de ton mari qui t'aime toujours et de papa.

P.S. N'oublie pas d'embrasser Joe pour moi.

Marcy, France, 9 avril 1919 :

Chers femme et fils,
C'est dimanche matin et la plupart des gars viennent à peine de se lever. Hier soir, il y a un bal au Y.M.C.A. et chacun y est resté tard. Toutes les jeunes filles françaises, grâce aux bons enseignements américains, se débrouillent bien pour valser, trotter et danser le one-step. Nous allons avoir une partie de ballon aujourd'hui si le soleil revient pour sécher les diamants [la rosée]. La semaine dernière, nous avons eu plusieurs beaux jours, mais cela s'est gâté avec la pluie habituelle. Steve et moi, nous allons faire une ballade cet après-midi. Nous discutons beaucoup à propos de Kate, Joe et Margaret, selon le sujet et, bien sûr, nous prenons beaucoup de résolutions sur ce que nous avons l'intention de faire après l'armistice. J'ai entendu l'autre jour la remarque suivante : « Si la guerre, c'est l'enfer, qu'est-ce que c'est donc, maintenant ? » C'est ce que la plupart pensent de l'armistice.
Je joins à cette lettre un plan de retour des troupes. J'espère que nous ne ferons pas partie des 629382 qui seront encore là le premier juillet.
Ce matin, je suis sorti et j'ai cueilli quelques violettes que je joins dans la lettre, un petit bouquet pour le dimanche de Pâques. Il en pousse de grandes quantités dans la haie qui entoure nos baraquements. J'espère que je vais arriver avant les autres pour cueillir des violettes sur la colline. Tu sais comme elles poussaient dans les bois, nous les cueillions pendant nos excursions.
J'ai lu sur le bulletin une lettre d'une petite fille qui habite à Montceau-les-Mines. Je suis allé dans cette ville il y a quelques mois et je suis allé à un bal. Nous y avons passé du bon temps et nous avons acheté de la bière à un demi-franc le verre. Un verre d'environ seize onces [environ 30 centilitres]. Tu comprends qu'un demi-franc correspond à environ dix cents. Je crois que je t'ai raconté que j'ai rencontré un Français qui a travaillé dans les mines de charbon près de Decatur(3). Il y retournait et je lui ai donné ton adresse et lui ai demandé de t'appeler s'il avait l'occasion de passer à Bloomington. Plusieurs de nos hommes ont travaillé dans la ville de Montceau quand nous y sommes allés la première fois pour nous occuper des voies de chemin de fer. Je termine la lettre.
Il y a plusieurs de nos hommes qui ont été envoyés à la maison la semaine dernière. Des ordres sont venus de Washington pour qu'on leur donne leur congé. C'est une décision politique. Cette armée nous a appris beaucoup de choses.
Eh bien, ma chère épouse, c'est l'heure du dîner et je vais avoir à prendre ma petite vaisselle et aller chercher du jambon cuit et des pommes de terre. Embrasse Joe pour moi et dis-lui que papa va rentrer à la maison pour aller nager avec lui cet été.
Cette semaine, pas de courrier mais j'en recevrai peut-être dans quelques jours. Au revoir pour cette fois avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère petite femme, de la part de ton mari qui t'aime toujours.
H. Dennis,
Hdqrs. Co. 39th R.T.C., Amer. C. Fr. France,
A.P.O. 772 Via New York.

13 avril 1919, Marcy, France :

Chers femme et bébé,
J'ai reçu hier ta lettre du 23 mars. Si tu m'écris deux fois par semaine, je ne reçois sûrement pas les lettres. Je n'ai jamais reçu les lettres avec la photo de Joe en costume militaire, que tu m'as dit que tu allais m'envoyer.
Je t'ai expliqué dans l'autre lettre que j'avais compris que la 15e Division de Transport Ferroviaire n'est pas une division semblable aux autres divisions qui rentrent au pays. La 39e Compagnie qui est à Bordeaux n'est pas la nôtre. Nous sommes rattachés aux 26e, 27e et 28e Compagnies du Corps des Transports. Ils disent que nous travaillerons encore ici pendant quelques mois et, si c'est ainsi, nous devrions partir chez nous juste après.
Murphy est venu de Verneuil me rendre visite le dernier dimanche alors que je m'apprêtais à aller lui rendre visite. Il veut que je l'accompagne pour aller voir John mais j'ai peur de ne pas pouvoir y aller si je n'ai pas un peu plus d'argent. Si tu pouvais économiser environ 50 [dollars], je pourrais rendre visite à John et payer mes dettes contractées pour mon voyage à Paris. Mes dix dollars par mois ne m'emmènent pas très loin.
Je suis heureux que tu m'aies dit que la photo contenue dans la dernière lettre était la tienne, sinon j'aurais été difficilement capable de te reconnaître. Je n'aime pas bien le chapeau. Je ne pense pas qu'il t'arrange. L'autre jour, j'ai joué au base-ball en salle et je me suis blessé à la hanche. Pendant quelques jours, j'ai beaucoup souffert, mais maintenant tout va bien. Je me suis pansé avec de la bande adhésive. Ce matin je suis allé au M.T.R.S. (camp de Verneuil) et j'ai ramené le prêtre qui va dire la messe au camp. Pendant le trajet de retour, nous avons discuté et j'ai dit que je ne referais jamais ce que j'ai fait. Il a ri et m'a dit : « S'il y avait une nouvelle guerre, nous referions la même chose. » Bien sûr, j'ai admis qu'il avait raison.
J'ai lu dans le New-York Herald qu'une compagnie de soldats s'est mutinée en Russie. Là-bas, les hommes en ont bavé. S'ils...
[page suivante manquante]

17 avril 1919,
Marcy, France :

Chers femme et fils,
Eh bien, ma chère femme, j'ai retrouvé mon ancien boulot. J'étais sorti pour jouer à la balle hier soir et j'allais me rendre au Y.M.C.A. pour la séance de cinéma quand le sergent-major m'a indiqué que le capitaine Brodie souhaitait me voir. Je suis entré et je l'ai rencontré et il m'a dit que je devais me rendre à la rotonde pour y travailler ce matin.
Il a expliqué qu'il avait dit au Major et au Lieutenant que, s'il me laissait y aller, c'était en pensant que je reprendrais mon ancien travail et que je retrouverais mon grade. Il dit que s'ils n'étaient pas d'accord, il ne me laisserait pas sortir du camp. Ils lui ont demandé si je viendrais et il leur a répondu que ce serait ce matin. Ainsi, ma chérie, tu n'auras pas à te lamenter plus longtemps à propos de ma dégradation car je suis revenu [en grâce]. Je ne sais pas quand ils me rendront mon grade, mais néanmoins je suis redevenu chef au-dessus des sergents et des caporaux, bien que je sois un simple soldat. Quand le capitaine m'a apporté la nouvelle, j'ai failli m'évanouir. Tu dois savoir que cela m'a fait très mal au moral quand j'ai été dégradé.
Eh bien, ma chérie, embrasse Joe pour moi et si possible imagine beaucoup d'amour pour toi. La sonnerie du couvre-feu vient de retentir et je vais m'enrouler dans ma petite couchette et essayer de rêver à ma chère petite femme et à mon bébé. Avec beaucoup d'amour et de baisers, je suis toujours ton mari qui t'aime.

P.S. : J'écrirai à nouveau dimanche. Il y a aura peut-être d'autres bonnes nouvelles.

20 avril 1919 :

Guerre 1914-1918 279.jpg
Chers femme et fils,
C'est le matin du dimanche de Pâques et il fait très beau. Le soleil s'est levé bien chaud et le ciel est clair et toutes choses sont jolies et vertes. Je souhaite arriver à la maison par une journée comme celle-ci afin de me promener avec toi et Joe.
Je vais aller à Champvert, une petite ville à côté du camp pour assister à la messe. Il y a là une jolie petite église.
Je suis au travail depuis déjà quatre jours et je me sens un peu mieux que je l'étais lorsque je conduisais une auto, alors que c'était beaucoup plus facile. Le deuxième jour, j'ai eu à partir à environ 40 milles pour réparer les dégâts car il y a eu deux voitures qui se sont percutées. Je suis parti avec l'équipe de réparation à 7 heures du matin et je suis revenu à 4 h 30 de l'après-midi. Nous avons une grue de levage de 35 tonnes.
Le secrétaire à la guerre Baker(4) était hier soir à Verneuil au camp M.T.R.S. et les hommes de ce camp l'ont hué quand est venu son tour de parler. Ils hurlaient: « Quand rentrerons-nous ? » et ils disaient tout ce qu'ils pensaient et les hommes étaient très fâchés. Je n'y suis pas allé mais c'est un copain qui m'a raconté. J'ai reçu une carte de John hier. Ce matin, je suis allé au travail et j'ai vérifié et j'écris cette lettre au bureau des chefs mécaniciens. Je ne sais pas quand je retrouverai mon grade mais je pense que ce sera bientôt, car c'est difficile pour un chef d'équipe simple soldat de diriger des sergents et des caporaux.
Souhaite de ma part de joyeuses Pâques à chacun et avec beaucoup d'amour et de baisers pour ma chère femme et mon bébé, je suis comme toujours ton mari qui t'aime.

27 avril 1919 :

Chers femme et bébé,
J'ai reçu hier ta lettre du 6 avril. J'avais commencé de penser que je n'allais plus recevoir de courrier de ta part. La lettre précédant celle-ci était du 27 mars. Tu disais que tu allais m'envoyer une photo de Joe en uniforme militaire, mais si tu l'as fait, je ne l'ai jamais reçue. Je ne pense pas que tu auras à m'écrire ici pendant plusieurs mois maintenant car les troupes partent très rapidement. Nous n'évacuons pas la 33e Division. Quand nous aurons transporté ces soldats, je ne vois pas ce que nous aurons à faire, car je pense que les Français veulent nous voir partir autant que nous-mêmes nous voulons nous en aller.
Je suis allé dimanche dernier à l'église dans une petite ville, dont le nom est Champvert et la petite église était pleine. Le vieux curé a fait un très long sermon en français et tu peux imaginer combien cela m'a intéressé. Un des petits enfants de chœur portait des sabots et cela faisait un sacré vacarme sur les dalles. J'aimerais bien te voir toute endimanchée et quand cela sera possible tu recevras de grandes preuves d'amour. Mais je suppose que tu seras aussi froide que jamais, mais cela ne fera aucune différence pour moi. Je suis heureux que tu restes jeune et bien en formes et moi-même je suis jeune. J'espère que la prochaine lettre que je recevrai de toi contiendra une photo de toi et de Joe. Je les regarde et cela me fait un peu pleurer et cela m'aide un peu. Je te ferai savoir quand il faudra nettoyer mon vieux costume. Il me servira jusqu'à ce que je puisse m'en procurer un autre. Peut-être que Smith pourra se dépêcher de faire un costume pour un ex soldat de l'A.E.F. [American Expeditionary Force]. [...]
Tu devrais empêcher Joe de sauter, si possible, car il est capable de se démolir lui-même. C'est peut-être ce qui lui arrivé s'il se plaint du ventre. Par pitié, ne laisse rien arriver [de mal] à lui et à toi-même pendant que je suis absent. J'ai regretté les soucis que je t'ai tant causés et je vais sûrement tout arranger quand je serai revenu.
Est-ce que Joe n'est pas assez grand maintenant pour participer à la procession du Rosaire(5) ou à quelque chose de ce genre ? J'en serais fier. Je suis si content que tu apprécies le chapelet, c'est à peu près tout ce que je pouvais acheter avec ma trop petite réserve de francs. Tu sais comme je dois être déprimé. J'apprends à me débrouiller sans argent.
[…] Est-ce que tu lui as dit que le chapelet venait de la Madellon [la Madeleine](6) à Paris et la médaille de Notre-Dame.
Je n'ai pas eu de pâté pendant si longtemps, je ne pense pas que j'en reconnaisse si j'en voyais un.
J'ai reçu une lettre de John et il dit qu'il pensait avoir une chance de rentrer bientôt. Je pense que nous arriverons bientôt. Je ne m'inquiète pas des trop nombreux oublis si seulement je reçois une lettre de toi. Un copain vient de me donner un cigare alors qu'il rentre chez lui. Il prend ce matin le train. Cela doit provoquer un sentiment de fierté. Dis à ta mère de planter beaucoup d'oignons car maintenant j'en mange. En fait, je mange de tout.
Je travaille encore à la rotonde et je devine que je redeviendrai bientôt sergent de première classe. Le capitaine qui était responsable de ma dégradation est maintenant Responsable de la Vapeur [Supt. of Motive Power] à Gièvres(7) et il a demandé que j'y sois transféré. Le chef mécanicien ici s'est fâché et le major ne donnera pas son accord pour cette mutation. Cela ressemble à mon retour en grâce. C'est difficile de détruire un homme.
Eh bien, petite femme chérie, transmets à tout le monde mes meilleures salutations et dis au vieux Fitz que je le salue bien. Embrasse Joe pour moi. J'ai fabriqué un casque avec un obus et je vais l'envoyer à Joe. Il me reste à le polir et à le graver. Dis à Joe que je l'ai fait moi-même pour mon fils chéri.
Eh bien, chérie, je vais maintenant me glisser dans ma petite couchette. Aujourd'hui, il a neigé, il a plu, il a grêlé et il fait très froid. Ce baraquement ressemble à une grande grange. Tu en mourrais de froid.
Bonne nuit, avec des baisers et de l'amour de ton mari qui t'aime toujours.

(1) Allusion à un vêtement ou à un autre objet que Harry envoie...
(2) W.A.A.C. = Women Auxiliary Army Corps, volontaires féminines chargées de tâches administratives, de l'intendance, des communications... En 1917, l'armée anglaise a créé ces unités auxiliaires.
(3) Plusieurs villes américaines portent le nom de Decatur (d'après Stephen Decatur, marin). Il s'agit ici, sans doute, de Decatur, comté de Macon.
(4) Newton Diehl Baker (1871-1937) : secrétaire à la guerre de 1916 à 1920 dans le gouvernement Wilson.
(5) Les processions aux flambeaux pour la Fête de Notre-Dame du Rosaire se déroulaient le premier vendredi d'octobre dans plusieurs grandes villes des États-Unis à majorité catholique.
(6) Intéressante confusion entre l'église de la Madeleine et la célèbre chanson que Harry Dennis a certainement entendue.
(7) Gièvres est une commune du Loir-et-Cher, près de Romorantin. Un immense camp américain y a été installé pendant la fin de la Première Guerre mondiale. Le General Intermediate Supply Camp stockait du matériel, des vivres de toutes sortes, et pouvait loger jusqu'à 30000 hommes.


Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL (discussion) 11 avril 2019 à 12:28 (CEST)