Decize pendant la guerre de Cent ans 1/2

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La Guerre de Cent Ans dans le Nivernais

  • La Guerre de Cent Ans, commencée en 1337 et close en 1453, touche le Nivernais en deux épisodes :
– de 1359 à 1373, les passages répétés de bandes de « routiers » et la « chevauchée » de Jean de Lancastre repoussée vers le Bourbonnais ;
– De 1412 à 1435, la guerre entre le Dauphin Charles et le Duc de Bourgogne, compliquée par les ambitions du capitaine Perrinet Gressart.

Le traité de paix signé à Arras le 21 septembre 1435 ne met pas fin aux troubles. Les gens de guerre sans emploi, ravagent les campagnes, leur cruauté leur vaut le surnom d'« écorcheurs ». Et la lutte entre France et Bourgogne reprend en 1472 pour se terminer en janvier 1477 avec la mort de Charles le Téméraire et l'annexion du duché de Bourgogne au Royaume de France.

  • Le Nivernais était lié par plusieurs alliances dynastiques à la Bourgogne depuis 1384. Le comte de Nevers Louis de Mâle avait marié prématurément sa fille unique Marguerite de Flandres (âgée de sept ans) à Philippe de Rouvres, duc de Bourgogne. Celui-ci étant mort de la peste quatre ans plus tard, Marguerite épousa en secondes noces Philippe le Hardi. Le comté de Nevers et Rethel échut ensuite à Philippe de Nevers, troisième fils du duc de Bourgogne, né en 1389.
  • Philippe de Nevers est allié du roi Charles VI dans la lutte contre les Armagnacs. Il combat dans l'armée royale et il est tué à Azincourt. Sa veuve Bonne d'Artois reste fidèle à la cause bourguignonne quand le Dauphin Charles (VII) fait assassiner Jean Sans Peur. Elle épouse Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne, son neveu (elle obtient une dispense du pape).
  • La situation du comté de Nevers à proximité du Berry et du Bourbonnais, des provinces rattachées depuis plusieurs générations au Royaume de France, entraîne des déplacements de troupes incessants et des menaces sur la « frontière naturelle » que constituent l'Allier et la Loire. Les villes fortifiées de Cosne, La Charité, Saint-Pierre-le-Moûtier, Decize, et dans le sud de la province les châteaux de Chevenon, Rosemont, Druy, Dornes protègent Nevers ; mais ce sont autant de proies que cherchent à conquérir les armées ennemies.
  • L'ennemi est parfois appelé « l'Anglois », mais à part quelques escarmouches dans la Puisaye, très peu de soldats anglais parviennent si loin de leurs bases de Guyenne et de Normandie. L'ennemi, c'est tantôt la petite bande de « routiers », mercenaires conduits par un « capitaine d'aventure », tantôt l'armée du Dauphin commandée par Georges de La Trémoïlle, Charles d'Albret et Jeanne d'Arc. Toutefois, pour les habitants des villes -et encore plus pour les ruraux – l'ennemi c'est aussi l'armée bourguignonne, ou ses alliés, les capitaines Arnaud de Cervoles, Perrinet Gressart, François de Surienne...
  • Ces troupes sont peu nombreuses, irrégulières. Les chefs sont parfois en rébellion contre leurs souverains. Les enlèvements contre rançons, les tortures, les pillages se multiplient.

La Guerre de Cent Ans à Decize

  • La ville de Decize n'est jamais conquise par une armée ennemie. Toutefois la présence de ces troupes désordonnées, la proximité de places-fortes où se déroulent de réels combats expliquent l'inquiétude des échevins qui, régulièrement, envoient des messagers, des espions, dans les environs et qui n'ont de cesse de barrer les ponts, de réparer les murailles, d'acheter des armes et des munitions, de recruter des gardes.
  • Des sources abondantes mais assez disparates.

Trois ouvrages retracent les événements locaux, avec une précision minutieuse, quoique souvent fastidieuse. François Tresvaux de Berteux, maire de Decize, a publié en 1855 des Annales de la Ville de Decize, un ouvrage qui reprend, année après année « les faits administratifs et d'histoire locale des siècles antérieurs ». Il a dépouillé « le chaos d'anciens dossiers », les délibérations des échevins, les livres de comptes tenus par les receveurs municipaux. L'auteur reconnaît qu'il n'a pu déchiffrer tous les textes. Son travail est intéressant, malgré quelques confusions et interprétations discutables. Nous lui empruntons les lignes suivantes pour la première phase de la guerre en Nivernais.

Extrait des Annales de Decize, pp. 20-45, la Guerre de Cent ans.

-1356 : Après la bataille de Poitiers, où le roi Jean avait été fait prisonnier, les Anglais remontèrent la Loire.
-1359 : Les Anglais s'emparèrent du château de Druy et, de ce point fortifié, ils menaçaient tous les environs. Il est certain que la ville de Decize serait tombée en leur pouvoir sans la solidité de ses remparts et la valeur de ses habitants. Aussi, de tous côtés, venait-on lui demander un asile, asile qu'on accordait généreusement. On vint également de Tinte, petite ville champêtre ayant un port sur la Loire. Aussitôt les jeunes gens de Decize écopent des bateaux chalands qu'ils laissent entraîner par le cours du fleuve. A peine arrivés au rivage, ils embarquent enfants, femmes, vieillards, des bestiaux, des provision de toute nature et, pour ne point laisser de vivres, de ressources aux ennemis de la France, par une inspiration patriotique, ils mettent le feu aux maisons. L'incendie se propage et dévore tout ; Tinte n'est plus qu'un amas de cendres et de ruines !
Cet acte de généreux patriotisme fut puni par l'amende et la prison par Jehan de Jaucourt, qui gouvernait alors pour la maison de Bourgogne. Il prit prétexte d'une destruction si héroïque pour finir par ruiner des gens déjà trop malheureux.
Ce qui fut crime à Tinte en 1359 est devenu vertu à Moscou en 1813. Autre temps, autre mœurs, les actions, sans changer, n'ont plus la même valeur, et pour cela, un pas de temps a suffi.
  • Les derniers paragraphes semblent une extrapolation audacieuse. L'incendie du hameau de Tinte est comparé à l'incendie de Moscou sur ordre du comte Rostopchine pour bloquer l'invasion de la Grande Armée ! Et, pendant la Guerre de Cent Ans, la notion de « patriotisme » était complètement étrangère aux Nivernais, ballottés entre les alliances successives des comtes de Nevers et des ducs de Bourgogne, menacés par les soudards et les routiers.
  • Le château de Druy est relevé en 1359 par Bureau de La Rivière, chambellan de Charles V, puis conseiller de Charles VI. Il subira d'autres vicissitudes. Dans le hameau de Tinte, une vieille maison forte possède toujours sa tour ronde.
  • François Tresvaux de Berteux avoue dans l'introduction de son livre qu'il n'est pas vraiment historien. Il se réfère à des devanciers plus compétents, Née de La Rochelle, Gillet. C'est un archiviste départemental professionnel, Henri de Flamare, qui a inventorié, transcrit et étudié les liasses de livres de comptes de Decize, qu'il a pu comparer et recouper avec d'autres sources, les archives de la Cour des Comptes de Nevers, celles de Bourgogne. Dans son livre posthume, Le Nivernais pendant la Guerre de Cent Ans, paru en 1913 et annoté par son successeur Paul Destray, Henri de Flamare, expert en paléographie médiévale, a transcrit avec beaucoup de précision ces documents, pour la plupart des extraits des comptes municipaux, qui nous permettent de connaître, au-delà des faits de guerre, l'organisation d'une ville, le rôle de ses échevins, les métiers, les activités quotidiennes, les prix. Parmi les « pièces jointes », qui constituent presque les 2/3 des 600 pages de son ouvrage, l'auteur a référencé une centaine d'extraits concernant Decize. Nous utiliserons évidemment cette source en priorité pour la seconde période de troubles (guerre franco-bourguignonne).

Un contemporain de Henri de Flamare, René de Lespinasse, a étudié Le Nivernais et les Comtes de Nevers. Son ouvrage permet de compléter les deux sources précédentes.

Les armées sont proches. Les craintes des Decizois. Pendant une vingtaine d'années, des bandes de soldats circulent entre Loire et Allier. La ville de Decize semble à l'abri sur son rocher, derrière ses remparts, protégée par deux bras du fleuve. Cependant, la ville est un lieu de passage obligé pour les troupes – ennemies ou alliées -qui voudraient traverser la Loire. Les ponts sont rares entre le Nivernais bourguignon et le Berry français ou le duché de Bourbonnais : Cosne, La Charité, Nevers, Decize, Le Veurdre. La peur d'un siège ou simplement le refus d'héberger une compagnie entraînent les échevins à envoyer des messagers s'enquérir auprès des villages frontaliers « pour savoir s’il avoit nulles gens d’armes en Bourbonnois qui dussent corir en Nivernois » ou pour obtenir des secours auprès du gouverneur de la province Bureau de La Rivière.

Les émissaires sont parfois des notables de la ville, Philippe Saint-Père, Jehan Coquille, Jehan Chalopin. Ce sont aussi des hommes d'armes : Guillemin de Saint Parise, le sergent Jehannin Pasquerelle, Arnoulet de La Planche... Ils chevauchent entre Decize, Nevers, Crux, Moulins en Bourbonnais, Moulins-en-Gilbert, et les châteaux de Rosemont, de Dornes.

Les dépenses sont consignées par le receveur du denier commun : Philippe Saint-Père reçoit pour ses déplacements qui durent sept jours la somme de 58 sols et 4 deniers tournois (1) (8 s 3 d par jour) ; Jehan Coquille reçoit pour plusieurs déplacements la somme de quatre livres sept sols et six deniers tournois (les pièces de monnaie sont deux écus d'or et 18 gros ½).

Lors de la bataille désastreuse d’Azincourt (25 octobre 1415), le comte Philippe de Nevers, âgé de 26 ans, et son frère Antoine sont tués. Le même jour, son épouse Bonne d’Artois met au monde à Clamecy un second fils, Jean. Bonne d’Artois devient donc régente : Charles a un an, Jean quelques jours. Le 11 novembre 1416, la comtesse est à Decize, où les travaux du château se poursuivent. La réunion des états du Nivernois et du Donziois se tient à Decize. Elle réunit les principaux notables des villes du comté et décide d'impôts nouveaux.

(1) La livre tournois est une monnaie de compte valant 240 deniers ou 20 sols ; émise d'abord à Saint-Martin de Tours, d'où son nom, elle remplace progressivement la livre parisis à partir du XIIIe siècle. En 1795, elle est remplacée par le franc français. Sa contre-valeur en or ou en argent a beaucoup varié au cours des siècles.

En 1417, la guerre est loin du Nivernais ; le duc de Bourgogne marche sur Paris. Son armée prend plusieurs villes, Chartres, Etampes, Pontoise… Paris est aux mains des Bourguignons, le dauphin Charles s'enfuit, il se réfugie à Melun ; plus tard, il s'installera à Bourges.

En 1418, des gens d'armes occupent le Bourbonnais. Cette troupe passe l'Allier et se répand jusqu'à Lucenay. Le 5 septembre, il est payé à Huguenin Paluaul 5st ; « il fut envoyé à Ganay pour savoir quels gens d’armes c’estoit qui vindrent à Ganay ou es environs pour frontoier le pays… C’estoient envoiron IIIIXX (400) hommes à cheval du païs de Bourgogne qui se esbattoient par illec. »

Tout à coup, deux capitaines, les bâtards de La Guiche et de Pouy se présentent aux portes de la ville avec leurs gens, ils logent quelque temps à Saint-Privé. Après plusieurs pourparlers, les habitants obtiennent que, moyennant 10 livres tournois, ils se retirent.

Le Dauphin est en guerre ouverte contre les Bourguignons. Ses capitaines Arnaud Guillem de Barbasan et Lanugot sont à Sancerre. Le 10 septembre 1419, Jean sans Peur, duc de Bourgogne est assassiné à Montereau. Cinq ans plus tard (30 novembre 1424), le nouveau duc, Philippe le Bon épouse la comtesse de Nevers Bonne d'Artois à Moulins-Engilbert ; le couple vient ensuite festoyer quelques jours au château de Decize. Le Dauphin, qui entreprend des grandes manoeuvres diplomatiques (il veut détacher le duc de Bretagne des Bourguignons), envoie à Decize deux émissaires à Philippe le Bon, le jour-même de son mariage : Raoul le Cruel et Philibert du Veurdre.

La Comtesse de Nevers fait en 1419 l’acquisition d’une maison, en-dessous du château de Decize pour y établir un couvent de Clarisses. C'est lors que passe dans la ville sainte Colette ; on lui attribue un miracle (cf infra).

Perrinet Gressart. L'un des plus célèbres capitaines d'aventure qui ont combattu dans le Nivernais est Perrinet Gressart (nommé aussi Grasset). Originaire du Poitou, il arrive dans le Nivernais en 1417 ; avec un autre capitaine du nom de Cloux et quelques comparses, il ravage La Charité et ses environs. Il fait prisonnier Louis de Bourbon, frère de la comtesse de Nevers, dont il obtient une rançon importante. Il se met au service de la Bourgogne ; la compagnie de Castellain Vert, qu'il commande avec Gautier Raillart, autre aventurier, marche sur Paris dans l'armée de Jean Sans Terre.

Perrinet Gressart revient en Nivernais en 1417. Vis-à-vis de la comtesse de Nevers et des ducs de Bourgogne, c'est un allié peu fiable. Il combat d'abord pour lui-même ; les rançons, le chantage, les brutalités lui permettent d'amasser une belle fortune. Par son mariage avec la fille de Jean de Corval, il obtient le château de Passy-les-Tours, près de La Charité. Il achète et fortifie une seconde place-forte, La Motte Josserand (2).

En mars 1421, il vient à Decize avec ses lieutenant, les frères Zacharie et Antoine de Roncheval. Gressart loge chez l'hôtelier André Pineau. Les échevins s'inquiètent : ce capitaine encombrant risque de leur attirer des combats : on prend alors des mesures de défense et on s’arme. Jean Pin, procureur de la ville va à Nevers pour acheter « des arbesleste, lances, poudre de canon. » Jean Chalopin achète des fers de viretons et de chaussetrappes pour 9 L12 s 6 d.

Mais Gressart et sa compagnie ne font que passer ; ils vont combattre les troupes du Dauphin en Charolais et à Tournus. Sur le livre de comptes de la ville de Nevers, figure une liste des hommes qui composent cette petite troupe (moins de 100 soldats) ; on trouve Henry Baugy, capitaine de Decize, Jean d'Avril, Etienne de Serin, Henri de Balore et plusieurs mercenaires aux surnoms amusants : Nargue, Le Porc, Prouffit, Pacience... Un autre capitaine d'aventure rejoint Gressart : François de Surienne, surnommé l'Aragonais (3).

Perrinet Gressart revient de cette campagne pour prendre la ville de La Charité, qui depuis 1422 était aux mains des partisans du Dauphin. Il arrête l'un des principaux capitaines de l'armée du Dauphin, Georges de La Trémoïlle ; il le libère contre une rançon.

Les combats de Saint-Pierre-le-Moûtier Rosemont. Deux places fortes proches de Decize sont la proie de capitaines d'aventure. Saint-Pierre-le-Moûtier appartient aux hommes de Perrinet Gressart. Le château de Rosemont est enlevé à la dame de ce nom par Gauthier Coignard, commandant pour le duc de Bourgogne. Plusieurs habitants de Decize sont retenus prisonniers : Jehan Chalopin, Jehan Lhermite, Etienne Parpez, Gillet Goffet et Guillaume Pommereuil. Le château est repris quelques mois plus tard par Etienne de Jouville et les prisonniers sont libérés.

Decize n'a pas assez d'hommes d'armes. Les habitants font prier le chevalier de Champdié, commandant pour le roi, de venir tenir garnison dans leur cité, attendu qu'il n'y existe aucune troupe pour sa défense.

En 1427, une nouvelle menace se précise : « On ne sait dans quelle vue des hommes, vêtus de peaux de loups et ayant des barbes noires, furent surpris dans

(2) André Bossuat, Perrinet Gressart et François de Surienne, Agents de l'Angleterre, Paris, Droz, 1936. (3) François de Surienne, ou Francisco de Soriana, aurait peut-être été apparenté à la famille aragonaise des Borja, une dynastie d'aventuriers qui se fera connaître sous la forme italianisée de Borgia.

les fossés de la ville ; ils étaient conduits par Beaulon de Lamotte-sur-Loire. Ce personnage fut saisi mais, n'ayant pas été convaincu des méfaits qu'on lui reprochait, il fut relâché et, en outre, reçut une indemnité de 11 L t. »

Le 2 septembre, M. de Paillard, chevalier seigneur de Meursant, gouverneur du Nivernais pour le roi, arrive à Decize et y fait son entrée le 4. On le reçoit avec pompe ; on lui donne à dîner et à souper chez l'hôtelier Bergeron. A ce repas assistent Hugues de Neuvy, Jehan Devaux, Jehan Chalopin...

Le 22 octobre, les ennemis se montrent dans les environs de la ville. Les magistrats envoient prévenir messieurs les membres du conseil du duché du péril qui les menace. Ceux-ci font savoir et connaître par un courrier à M. de Villarnois, qui commande à Champallement, leurs propres craintes. Pendant ces allées et venues, les ennemis se retirent.

Au cours de l'année 1429, deux villes du Nivernais, tenues par Gressart sont attaquées par l'armée du Dauphin. Le 4 novembre, Jeanne d'Arc et Charles d'Albret prennent Saint-Pierre-le-Moûtier. Le 23 novembre, le siège de La Charité commence, pour être rapidement abandonné. Dans la légende dorée de Jeanne d'Arc, diffusée plusieurs siècles après ces événements, la prise de Saint-Pierre est devenue un exploit : la Pucelle, ne disposant que de maigres troupes, fait appel à l'armée des anges pour franchir les fossés et les remparts. Dans la réalité, ces combats n'étaient que de brèves escarmouches, menées par des troupes qui n'excédaient pas trois ou quatre compagnies.

Pour les Decizois, le passage de Jeanne d'Arc à quelques lieues n'est guère qu'un sujet d'inquiétude parmi d'autres : on envoie un messager s'enquérir si la Pucelle approche ; de même, on craint un nouveau passage de Perrinet Gressart.

Les mesures prises pour défendre la ville. Les messagers vont et viennent, se renseignent sur l'approche des troupes, réclament un peu d'aide à Nevers ou dans les châteaux où résident les officiers

Simultanément, on renforce les remparts : des pierres de l'ancienne chapelle Saint-Gilles, près du pont de Crotte, sont apportées par Jehan Gras pour garnir les murailles – sans doute pour boucher des fissures. Jehan Blondat conduit quatre charrettes d'épines pour « surpiner les murs de la ville » et empêcher d'éventuels envahisseurs de grimper par des échelles.

La partie basse de la ville est plus vulnérable. Lorsque la Loire est à son étiage, l'ennemi peut la traverser à gué et s'approcher des remparts. Pierre Chadeau et Charlot Choppin fauchent les herbes et orties qui ont poussé dans les fossés de la ville, près du faubourg Saint-Marcel et des Halles, « qui estoient si grandes que les ennemis s'y fussent pu mucier [cacher]. »

Des barricades ou « barrières à coulisse » sont établies aux extrémités des deux ponts. Le pont de Crotte se termine par un petit pont-levis ; des fossés sont creusés au milieu de trois ouches qui jouxtent le petit faubourg. Les portes de la ville sont renforcées. Le forgeron Huguenin Chastin, dit Bureau, place de nouvelles serrures sur les portes, sur le « chaffault de Rome « (l'une des tours du château) et à la porte de la prison.

D'autres obstacles sont disposés dans la Loire pour gêner le passage à gué : Jehan Gaulme, habitant de Devay, est chargé d'ôter 20 chevrons de trois toises (6 mètres) à une maison et d'en faire des « rateliers et arces pour rompre les gués ».

Des guetteurs montent la garde aux deux portes principales et à la poterne qui donne sur les fossés et les Halles. Dans les comptes du receveur, les dénommés Philibert Gaillard, Mathé Borachin, Laurent Brérat, Jehan Friant reçoivent une petite indemnité de quelques deniers pour une nuit de garde. Lorsque une bande ennemie s'approche de la ville au moment des vendanges, trois hommes sont envoyés patrouiller à cheval et des guetteurs sont placés dans les arbres pour signaler toute présence menaçante ; ces précautions nous permettent de connaître l'organisation des vendanges : les trois climats viticoles de Crotte, de Marly et de Vauzelle sont vendangés dans cet ordre, trois jours successifs pour chaque climat.

Afin de sonner l'alarme, on fait réparer deux cloches par le cintier Jacquet de La Marche : celle de l'horloge de la ville et la grosse cloche de l'église Saint-Aré (dont le préposé est Gilles Tabouleau).

Enfin, les échevins font l'inventaire de l'armement dont disposent la petite troupe qui défend le château et la ville. Jacquet de La Marche livre à la ville trois bombardes (4), chacune de deux chambres, et la mitraille dont elles seront chargées (le prix est assez élevé : 409 L 9 s et 11 d t). Le maréchal Jehannin Charlot répare la bombarde placée au chaffault de Loyre (5) ; il fabrique des pièces pour plusieurs bombardes. Ces pièces de petite artillerie nécessitent de la poudre à canon ; le mercier Estienne Parpez achète 61 livres de salpètre (26 L 12 s et 6 d t). Les maçons

(4) La bombarde est une pièce d'artillerie apparue pendant la Guerre de Cent Ans qui lançait des boulets de pierre ou de fer. Son manque de précision et sa faible cadence de tir rendaient la bombarde plus effrayante et démoralisante que meurtrière. C'est pour cela qu'elle était beaucoup plus utilisée pour abattre les fortifications ennemies, par exemple lors de la prise de Constantinople en 1453 où les Turcs utilisèrent des bombardes de taille immense. Elle fut utilisée jusqu'à la fin du XVe siècle où elle fut rendue obsolète par l’apparition des canons à roues (couleuvrine). (WIKIPEDIA)

(5) Les bombardes sont placées sur des supports en bois ou échafauds (chaffaults) posés sur les tours ou les remparts.

Jehannin Noblet, Guillaume Salé et Loys Maucé taillent 25 pierres pour la bombarde du chaffault Perrotin. Les charpentiers Jehan Buisson et Guillaume Gibault enchâssent une grosse bombarde venue de Nevers par bateau, qui doit servir au siège du château de Druy.

Une arme plus légère est utilisée par quelques hommes expérimentés ; c'est l'arbalète. Un armurier est chargé de nettoyer et gratter (burner et esclancer) trois milliers de fers et viretons (6).

Heureusement pour les Decizois, toutes ces précautions seront inutiles. Les bandes hostiles n'ont jamais escaladé les remparts et encore moins soumis la population au pillage, au viol, au massacre. Ces calamités ne viendront qu'un siècle plus tard.

Les dernières années de la guerre. Le Vendredi Saint de l'année 1431, le prince d'Orange, l'évêque de Rennes, et M. de La Trémoïlle passent à Decize pour traiter de la paix avec le duc de Bourgogne, au nom de Charles VII. On leur fait une brillante réception avec illuminations et hommage de vin. Leur entrée coûte 31 L 15 s et 10 d T.

L'année suivante, on apprend qu'un nommé Vésigneu sert d'espion aux bandes qui ravagent le pays. On envoie Jean Baudet, accompagné de quelques hommes, pour s'emparer de sa personne. Il revient sans avoir pu réussir. Il reçoit pour son salaire particulier 20 sols t. Par prudence, les échevins font faire le guet sur les murs de la ville et leurs abords. Ils apprennent que des troupes circulent dans les environs et que leur principal corps est à Saint-Pierre-le-Moûtier.

L'année suivante, Gressart vient tenir garnison à Decize, ses soldats commandés par Jean d'Egreville assiégent le château de Druy ; en même temps, ils menacent Decize. Afin de se défendre, on renforce les murailles. En outre, les habitants achètent des munitions. Le maréchal Pierre Guillaumain confectionne « quantité de pelotes de fer pour porter à l'escarmouche de Druy. »

Druy est pris le vendredi 3 avril 1433 et démoli pendant la première semaine d'août. Plusieurs ouvriers decizois participent à cette destruction : les charpentiers Jehan Borachon, Hugues Bertin, Hugues Mellier et Pierre Guillot, les maçon Jehan Noblet, Pierre Pastureau, Jehan Damprenault, Regnau Tardon, Guillaume Salé et André Emery. Pour désaltérer les démolisseurs, on leur envoie de Decize un tonneau de vin.

(6) L'arbalète tire des projectiles de fer triangulaires, appelés selon leur forme carreaux, dondaines ou viretons.

En 1435, Charles de Bourgogne, devenu majeur, prend le titre de comte de Nevers. Deux pages du seigneur de Rosemont se rendent près des habitants de Decize pour les prévenir que les ennemis (des « Anglais ») au nombre de 2000, sont au Veurdre. On se prépare à les repousser s'ils se présentent. Le 14 octobre, Ragot, chevaulchier du comte de Nevers, venant de Moulins-en-Gilbert, arrive à Decize et annonce que la paix a été signée à Arras, le 22 septembre, entre le roi et le duc de Bourgogne. En récompense de cette bonne nouvelle, il est donné un salut d'or au messager(7).

La guerre est finie, des visiteurs passent à Decize. Jehan de La Rivière gouverne le Nivernais pour le roi Charles VII. Jehan de Vaux commande la petite garnison de Decize. Des troupes royales – qui étaient quelques années plus tôt considérées comme ennemies - passent l'Allier et la Loire ; les habitants de Decize se méfient car de nombreux « routiers », mercenaires sans scrupules, appartiennent à ces compagnies.

En 1438, le capitaine de Chabanne, qui commande des gens d'armes, se présente aux portes de Decize, avec l'intention de traverser cette ville ; mais, avant d'y consentir, les échevins envoient un messager au comte à Nevers pour savoir s'il voulait le permettre. Celui-ci accorde l'autorisation demandée.

L'année suivante, le Bâtard de Bourbon, se trouvant aux environs de Ternant, de Vandenesse, de Champlois (Champlevois), voulant avec sa troupe passer la Loire, et ensuite l'Allier, fait demander aux habitants de Decize le passage par leur ville, et il lui est accordé.

Un prédicateur de talent vient à Decize et prononce des sermons pendant le carême de l'année 1440 : le Révérend Père Abbé de Saint-Jacques de Béziers ; il est remercié lors d'un dîner qu'on lui offre chez Philibert Taillefer ; le repas rassemble le châtelain Jehan de Vaux, Jehan et Henri Coquille, Jehan Bergeron, Rollet Desart et Jehan Godet, notables de la ville ; il revient à 60 sols que le receveur du commun verse à l'hôte Taillefer. Le 7 avril de la même année, Jehan de Vaux verse 700 sols au Frère Benoist Solaige, prieur de la Chapelle aux Chas ; celui-ci a célébré la messe au château « pendant un certain temps ».

Si les religieux sont bien accueillis, il n'en est pas de même pour les pèlerins, groupes informels auxquels se mêlent parfois des mendiants, des brigands. Pendant la semaine de Pâques, on monte la garde au pont de Crotte pour surveiller un grand nombre de pèlerins qui arrivent de Notre-Dame-du-Puy, redoutant qu'ils ne

(7) Le salut d'or est une pièce valant 25 sous. A l'avers figure la salutation de Marie par l'ange avec l'inscription « Ave ». Au revers une croix. Cf. www.sacra-moneta.com

commettent quelques désordres. Droin de Fontaines et Jehan Arrement montent la garde aux ponts ; ils reçoivent chacun 2 s et 6 d « pour leurs peines et salaires. »

Les troubles des années 1440-1442. Cinq années à peine après avoir conclu la paix avcec les Anglais et les Bourguignois, le roi Charles VII doit faire face à une rebellion. Plusieurs princes, dont le duc de Bourbon, Jean d'Alençon, Dunois et Antoine de Chabannes, prennent en otage le dauphin Louis et l'entraînent de ville en ville. Georges La Trémoïlle poursuit cette chevauchée qui se réfugie à Moulins en Bourbonnais et passe brièvement à Decize en juillet 1440 (8). La ville de Decize est alors investie par deux troupes ennemies, l'une commandée par Mondat et l'autre par le seigneur de Gamache, au service du duc de Bourbon. Les habitants ne voulant point les recevoir, mais craignant que ces deux troupes ne s'unissent pour les attaquer, leur ferment leurs portes, et par forme de transaction envoient aux deux camps du pain, du vin, des fruits, de l'avoine pour leurs chevaux. Autre crainte : le capitaine Brenpart, partisan du dauphin, étant arrivé avec ses troupes à Saint-Maurice, et menaçant Decize, le commandant de la place fait visiter les portes, afin de pouvoir opposer de la résistance au besoin. Le 4 juin, on envoie des éclaireurs à Tinte pour s'assurer s'il n'y a pas des gens de guerre embusqués dans les carrières et, en même temps, demander au sieur Villamoux, qui réside au château de Druy, s'il n'y a pas d'inconvénient à livrer passage au Dauphin Louis (futur Louis XI) et à Monseigneur de Bourbon, qui sont poursuivis par le Roi Charles VII. Le duc de Bourbon envoie le capitaine Loys de Vaubergues avec des troupes suffisantes pour chasser le capitaine qui campait aux environs de la ville.

En 1441, Jean Dunois bâtard d'Orléans passe à Decize ; prisonnier de Bourbon, il a été libéré par le duc de Bourgogne qui a payé sa rançon. Pour honorer son passage, on lui présente une queue et demie de bon vin, et six quartreaux d'avoine pour ses chevaux. Les 21, 22 et 23 octobre, les habitants de Decize élèvent des barricades à Saint-Privé pour préserver la ville de l'envahissement des gens du Dauphin. Le duc de Bourgogne Philippe le Bon entre dans la cité. Les échevins le reçoivent et lui présentent le vin comme c'était l'usage.

(8) Cf. Jean Favier, Louis XI, Fayard, 2001, pp. 87-89.

La guerre reprend entre la France et la Bourgogne. Philippe le Bon a momentanément réconcilié le roi de France et celui d'Angleterre ; il a apaisé le conflit entre Charles VII et Louis de Bourbon. Charles VII meurt en 1461, Philippe le Bon en 1467. Leurs héritiers respectifs Louis XI et Charles le Téméraire ne tardent guère à entrer en guerre. Le comte de Nevers est depuis 1464 Jean de Clamecy, proche de Louis XI ; il est hostile aux Bourguignons qui l'ont naguère fait prisonnier en Picardie et humilié. Le Nivernais n'est guère concerné par la guerre qui se termine par la mort de Charles le Téméraire le 5 janvier 1477 devant Nancy. René de Lespinasse retrace la nouvelle « grande inquiétude » des Decizois (9). « La ville de Decize reçut en juillet 1471, par ordre du duc de Bourgogne, une troupe de soldats commandés par le capitaine Huguenin de Mingot. On appelait ces gens des jacquiers. Cinq ou six, accompagnés de serviteurs et chevaux, logent chez Martin, hostelier à l'enseigne Saint Christofle. Le capitaine de Decize, Gilles de Glymes, se plaint au comte de Nevers, qui fait retirer ces jacquiers. Des travaux de fortifications sont entrepris. La ville achète trois milliers de traits à arbalètes et treize cents et demi de fer pour les ferrer, à Jehan Bernard, huchier, pour le prix de 16 s et 8 d le cent (les traits) et à un marchande de Lyon (les fers) 2 s et 6 d le cent. La grande serpentine des remparts est munie d'une chambre à fer, fournie par Henry Stolle, maître de forge à Thoury ; une autre serpentine est réparée à la forge de Beauvoir, de même des bâtons à feu sont moulés ; on achète à Pierre de Bourbon de la corde à arbalète (3 s 2 d), du soufre, du salpêtre, des supports en bois pour la grosse bombardelle (3 s et 4 d + 40 s). Guillaume Langlois est maître canonnier, les gardes Guillaume Tarraude, Jehan Pascaut et Guillaume Maderote reçoivent 60 s par mois. Sept francs archers sont mobilisés (10). Pierre Roland, envoyé du duc de Bourgogne vient en inspection. Le receveur est Aré Durand. »

Quelques années plus tard, en 1480, la ville de Decize reçoit le roi Louis XI (11). Les échevins sont alors Hugues Coquille, Martin Bert, Jean Robin et Victor de Druy. Louis XI passe à Decize, venant de Lyon. Les échevins font exécuter divers jeux. Colinet Charpentier, notaire, se rend à Nevers pour y acheter quatre aunes de Damas fleurdelysé, qui coûtent 24 L t afin d'être employées. On loge le roi à Saint-Privé, ainsi que les princes de sang. Les échevins, au nom de la ville, lui présentent 12 tonneaux de vin clairet, qu'ils avaient acheté 48 L t.

(9) René de Lespinasse, op. cit., tome III, p. 543 (10) Les francs archers sont des roturiers dispensés du paiement de la taille quand ils s'engagent à combattre dans les armées royales. (11) Tresvaux de Berteux, op. cit., p. 47.

Dans ce temps, la comtesse de Nevers arrive à Decize. Pour célébrer son entrée, on fait élever par un charpentier un échafaud pour placer des ménétriers auxquels on distribua 44 s 8 d t. Une collecte, qui devait être faite dans la ville, n'ayant pu être recouvrée, les échevins furent conduits en prison, comme responsables. Le chancelier Pierre de Morvilliers vint aussi à Decize. Pour célébrer sa bienvenue, on lui présenta un tonneau de vin clairet ayant coûté 104 sols 6 d t.

Documents :

Réception à Decize du duc de Bourgogne le 13 janvier 1434 et du comte de Richemont le dernier jour de janvier. Le receveur Jehan Godet rembourse plusieurs commerçants de la ville qui ont fourni les deux denrées indispensables : le vin et la lumière. – Elyon Gobert a fourni 18 livres de cire et fait 12 torches (55 s t). – Maturin Faulse a donné deux pintes d'étain neuves pour présenter le vin à Monseigneur le Duc (15 s t). – Le tonnelier Jehan Champverroys 2 queues de vin (12) et 12 torches (7 L, 10 s t). – Jehan Millain une queue de vin et 12 torches (8 L). – Pierre Odet 8 torches d'une livre chacune pour présenter à Monseigneur le Comte de Richemont, venu à Decize le dernier jour de janvier (40 s t). – Phlibert Pin 10 bichets d'avoine (13) pour les chevaux du comte (43 s t).

Extrait du compte de Colinet Carpentier, receveur de Decize. 1447, 31 mai. « A Jehan Trenne, barbier, la somme de X s t pour la peine de lui et son bateau d’avoir passé certain nombre de gens de guerre du Roy pour aller loger entre les deux rivières, lesquelz ne povoient passer au bout du pont de Crotte pour la rivière de Loire qui estoit trop grande ; pour cecy par mandement desd. eschevins donné le darrenier jour de may mil IIIIc XLVII et quictance escripte au dos dud. mandemant. »

(12) La queue de vin équivaut à deux poinçons : en Bourgogne la queue = environ 450 litres. (13) Le bichet (mesure de contenance de matières sèches) = 2 quatres ou 4 boisseaux = environ 80 litres.