Decize pendant la guerre de Cent ans 1/2

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La Guerre de Cent Ans dans le Nivernais

  • La Guerre de Cent Ans, commencée en 1337 et close en 1453, touche le Nivernais en deux épisodes :
– de 1359 à 1373, les passages répétés de bandes de « routiers » et la « chevauchée » de Jean de Lancastre repoussée vers le Bourbonnais ;
– de 1412 à 1435, la guerre entre le Dauphin Charles et le Duc de Bourgogne, compliquée par les ambitions du capitaine Perrinet Gressart.

Le traité de paix signé à Arras le 21 septembre 1435 ne met pas fin aux troubles. Les gens de guerre sans emploi, ravagent les campagnes, leur cruauté leur vaut le surnom d'« écorcheurs ». Et la lutte entre France et Bourgogne reprend en 1472 pour se terminer en janvier 1477 avec la mort de Charles le Téméraire et l'annexion du duché de Bourgogne au Royaume de France.

  • Le Nivernais était lié par plusieurs alliances dynastiques à la Bourgogne depuis 1384. Le comte de Nevers Louis de Mâle avait marié prématurément sa fille unique Marguerite de Flandres (âgée de sept ans) à Philippe de Rouvres, duc de Bourgogne. Celui-ci étant mort de la peste quatre ans plus tard, Marguerite épousa en secondes noces Philippe le Hardi. Le comté de Nevers et Rethel échut ensuite à Philippe de Nevers, troisième fils du duc de Bourgogne, né en 1389.
  • Philippe de Nevers est allié du roi Charles VI dans la lutte contre les Armagnacs. Il combat dans l'armée royale et il est tué à Azincourt. Sa veuve Bonne d'Artois reste fidèle à la cause bourguignonne quand le Dauphin Charles (VII) fait assassiner Jean Sans Peur. Elle épouse Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne, son neveu (elle obtient une dispense du pape).
  • La situation du comté de Nevers à proximité du Berry et du Bourbonnais, des provinces rattachées depuis plusieurs générations au Royaume de France, entraîne des déplacements de troupes incessants et des menaces sur la « frontière naturelle » que constituent l'Allier et la Loire. Les villes fortifiées de Cosne, La Charité, Saint-Pierre-le-Moûtier, Decize, et dans le sud de la province les châteaux de Chevenon, Rosemont, Druy, Dornes protègent Nevers ; mais ce sont autant de proies que cherchent à conquérir les armées ennemies.
  • L'ennemi est parfois appelé « l'Anglois », mais à part quelques escarmouches dans la Puisaye, très peu de soldats anglais parviennent si loin de leurs bases de Guyenne et de Normandie. L'ennemi, c'est tantôt la petite bande de « routiers », mercenaires conduits par un « capitaine d'aventure », tantôt l'armée du Dauphin commandée par Georges de La Trémoïlle, Charles d'Albret et Jeanne d'Arc. Toutefois, pour les habitants des villes -et encore plus pour les ruraux – l'ennemi c'est aussi l'armée bourguignonne, ou ses alliés, les capitaines Arnaud de Cervoles, Perrinet Gressart, François de Surienne...
  • Ces troupes sont peu nombreuses, irrégulières. Les chefs sont parfois en rébellion contre leurs souverains. Les enlèvements contre rançons, les tortures, les pillages se multiplient.

La Guerre de Cent Ans à Decize

  • La ville de Decize n'est jamais conquise par une armée ennemie. Toutefois la présence de ces troupes désordonnées, la proximité de places-fortes où se déroulent de réels combats expliquent l'inquiétude des échevins qui, régulièrement, envoient des messagers, des espions, dans les environs et qui n'ont de cesse de barrer les ponts, de réparer les murailles, d'acheter des armes et des munitions, de recruter des gardes.

Des sources abondantes mais assez disparates

Trois ouvrages retracent les événements locaux, avec une précision minutieuse, quoique souvent fastidieuse. François Tresvaux de Berteux, maire de Decize, a publié en 1855 des Annales de la Ville de Decize, un ouvrage qui reprend, année après année « les faits administratifs et d'histoire locale des siècles antérieurs ». Il a dépouillé « le chaos d'anciens dossiers », les délibérations des échevins, les livres de comptes tenus par les receveurs municipaux. L'auteur reconnaît qu'il n'a pu déchiffrer tous les textes. Son travail est intéressant, malgré quelques confusions et interprétations discutables. Nous lui empruntons les lignes suivantes pour la première phase de la guerre en Nivernais.

Extrait des Annales de Decize, pp. 20-45, la Guerre de Cent ans.

-1356 : Après la bataille de Poitiers, où le roi Jean avait été fait prisonnier, les Anglais remontèrent la Loire.
-1359 : Les Anglais s'emparèrent du château de Druy et, de ce point fortifié, ils menaçaient tous les environs. Il est certain que la ville de Decize serait tombée en leur pouvoir sans la solidité de ses remparts et la valeur de ses habitants. Aussi, de tous côtés, venait-on lui demander un asile, asile qu'on accordait généreusement. On vint également de Tinte, petite ville champêtre ayant un port sur la Loire. Aussitôt les jeunes gens de Decize écopent des bateaux chalands qu'ils laissent entraîner par le cours du fleuve. A peine arrivés au rivage, ils embarquent enfants, femmes, vieillards, des bestiaux, des provision de toute nature et, pour ne point laisser de vivres, de ressources aux ennemis de la France, par une inspiration patriotique, ils mettent le feu aux maisons. L'incendie se propage et dévore tout ; Tinte n'est plus qu'un amas de cendres et de ruines !
Cet acte de généreux patriotisme fut puni par l'amende et la prison par Jehan de Jaucourt, qui gouvernait alors pour la maison de Bourgogne. Il prit prétexte d'une destruction si héroïque pour finir par ruiner des gens déjà trop malheureux.
Ce qui fut crime à Tinte en 1359 est devenu vertu à Moscou en 1813. Autre temps, autre mœurs, les actions, sans changer, n'ont plus la même valeur, et pour cela, un pas de temps a suffi.
  • Les derniers paragraphes semblent une extrapolation audacieuse. L'incendie du hameau de Tinte est comparé à l'incendie de Moscou sur ordre du comte Rostopchine pour bloquer l'invasion de la Grande Armée ! Et, pendant la Guerre de Cent Ans, la notion de « patriotisme » était complètement étrangère aux Nivernais, ballottés entre les alliances successives des comtes de Nevers et des ducs de Bourgogne, menacés par les soudards et les routiers.
  • Le château de Druy est relevé en 1359 par Bureau de La Rivière, chambellan de Charles V, puis conseiller de Charles VI. Il subira d'autres vicissitudes. Dans le hameau de Tinte, une vieille maison forte possède toujours sa tour ronde.
  • François Tresvaux de Berteux avoue dans l'introduction de son livre qu'il n'est pas vraiment historien. Il se réfère à des devanciers plus compétents, Née de La Rochelle, Gillet. C'est un archiviste départemental professionnel, Henri de Flamare, qui a inventorié, transcrit et étudié les liasses de livres de comptes de Decize, qu'il a pu comparer et recouper avec d'autres sources, les archives de la Cour des Comptes de Nevers, celles de Bourgogne. Dans son livre posthume, Le Nivernais pendant la Guerre de Cent Ans, paru en 1913 et annoté par son successeur Paul Destray, Henri de Flamare, expert en paléographie médiévale, a transcrit avec beaucoup de précision ces documents, pour la plupart des extraits des comptes municipaux, qui nous permettent de connaître, au-delà des faits de guerre, l'organisation d'une ville, le rôle de ses échevins, les métiers, les activités quotidiennes, les prix. Parmi les « pièces jointes », qui constituent presque les 2/3 des 600 pages de son ouvrage, l'auteur a référencé une centaine d'extraits concernant Decize. Nous utiliserons évidemment cette source en priorité pour la seconde période de troubles (guerre franco-bourguignonne).
  • Un contemporain de Henri de Flamare, René de Lespinasse, a étudié Le Nivernais et les Comtes de Nevers. Son ouvrage permet de compléter les deux sources précédentes

Les armées sont proches. Les craintes des Decizois

  • Pendant une vingtaine d'années, des bandes de soldats circulent entre Loire et Allier. La ville de Decize semble à l'abri sur son rocher, derrière ses remparts, protégée par deux bras du fleuve. Cependant, la ville est un lieu de passage obligé pour les troupes – ennemies ou alliées - qui voudraient traverser la Loire. Les ponts sont rares entre le Nivernais bourguignon et le Berry français ou le duché de Bourbonnais : Cosne, La Charité, Nevers, Decize, Le Veurdre. La peur d'un siège ou simplement le refus d'héberger une compagnie entraînent les échevins à envoyer des messagers s'enquérir auprès des villages frontaliers « pour savoir s’il avoit nulles gens d’armes en Bourbonnois qui dussent corir en Nivernois » ou pour obtenir des secours auprès du gouverneur de la province Bureau de La Rivière.
  • Les émissaires sont parfois des notables de la ville, Philippe Saint-Père, Jehan Coquille, Jehan Chalopin. Ce sont aussi des hommes d'armes : Guillemin de Saint Parise, le sergent Jehannin Pasquerelle, Arnoulet de La Planche... Ils chevauchent entre Decize, Nevers, Crux, Moulins en Bourbonnais, Moulins-en-Gilbert, et les châteaux de Rosemont, de Dornes.
  • Les dépenses sont consignées par le receveur du denier commun : Philippe Saint-Père reçoit pour ses déplacements qui durent sept jours la somme de 58 sols et 4 deniers tournois (1) (8 s 3 d par jour) ; Jehan Coquille reçoit pour plusieurs déplacements la somme de quatre livres sept sols et six deniers tournois (les pièces de monnaie sont deux écus d'or et 18 gros ½).
  • Lors de la bataille désastreuse d’Azincourt (25 octobre 1415), le comte Philippe de Nevers, âgé de 26 ans, et son frère Antoine sont tués. Le même jour, son épouse Bonne d’Artois met au monde à Clamecy un second fils, Jean. Bonne d’Artois devient donc régente : Charles a un an, Jean quelques jours. Le 11 novembre 1416, la comtesse est à Decize, où les travaux du château se poursuivent.
  • La réunion des états du Nivernois et du Donziois se tient à Decize. Elle réunit les principaux notables des villes du comté et décide d'impôts nouveaux.
  • En 1417, la guerre est loin du Nivernais ; le duc de Bourgogne marche sur Paris. Son armée prend plusieurs villes, Chartres, Etampes, Pontoise… Paris est aux mains des Bourguignons, le dauphin Charles s'enfuit, il se réfugie à Melun ; plus tard, il s'installera à Bourges.
  • En 1418, des gens d'armes occupent le Bourbonnais. Cette troupe passe l'Allier et se répand jusqu'à Lucenay. Le 5 septembre, il est payé à Huguenin Paluaul 5st ; « il fut envoyé à Ganay pour savoir quels gens d’armes c’estoit qui vindrent à Ganay ou es environs pour frontoier le pays… C’estoient envoiron IIIIXX (400) hommes à cheval du païs de Bourgogne qui se esbattoient par illec. »
  • Tout à coup, deux capitaines, les bâtards de La Guiche et de Pouy se présentent aux portes de la ville avec leurs gens, ils logent quelque temps à Saint-Privé. Après plusieurs pourparlers, les habitants obtiennent que, moyennant 10 livres tournois, ils se retirent.
  • Le Dauphin est en guerre ouverte contre les Bourguignons. Ses capitaines Arnaud Guillem de Barbasan et Lanugot sont à Sancerre. Le 10 septembre 1419, Jean sans Peur, duc de Bourgogne est assassiné à Montereau. Cinq ans plus tard (30 novembre 1424), le nouveau duc, Philippe le Bon épouse la comtesse de Nevers Bonne d'Artois à Moulins-Engilbert ; le couple vient ensuite festoyer quelques jours au château de Decize. Le Dauphin, qui entreprend des grandes manœuvres diplomatiques (il veut détacher le duc de Bretagne des Bourguignons), envoie à Decize deux émissaires à Philippe le Bon, le jour-même de son mariage : Raoul le Cruel et Philibert du Veurdre.
  • La Comtesse de Nevers fait en 1419 l’acquisition d’une maison, en-dessous du château de Decize pour y établir un couvent de Clarisses. C'est lors que passe dans la ville sainte Colette ; on lui attribue un miracle (cf infra).

(1) La livre tournois est une monnaie de compte valant 240 deniers ou 20 sols ; émise d'abord à Saint-Martin de Tours, d'où son nom, elle remplace progressivement la livre parisis à partir du XIIIe siècle. En 1795, elle est remplacée par le franc français. Sa contre-valeur en or ou en argent a beaucoup varié au cours des siècles.

Perrinet Gressart

  • L'un des plus célèbres capitaines d'aventure qui ont combattu dans le Nivernais est Perrinet Gressart (nommé aussi Grasset). Originaire du Poitou, il arrive dans le Nivernais en 1417 ; avec un autre capitaine du nom de Cloux et quelques comparses, il ravage La Charité et ses environs. Il fait prisonnier Louis de Bourbon, frère de la comtesse de Nevers, dont il obtient une rançon importante. Il se met au service de la Bourgogne ; la compagnie de Castellain Vert, qu'il commande avec Gautier Raillart, autre aventurier, marche sur Paris dans l'armée de Jean Sans Terre.
  • Perrinet Gressart revient en Nivernais en 1417. Vis-à-vis de la comtesse de Nevers et des ducs de Bourgogne, c'est un allié peu fiable. Il combat d'abord pour lui-même ; les rançons, le chantage, les brutalités lui permettent d'amasser une belle fortune. Par son mariage avec la fille de Jean de Corval, il obtient le château de Passy-les-Tours, près de La Charité. Il achète et fortifie une seconde place-forte, La Motte Josserand (2).
  • En mars 1421, il vient à Decize avec ses lieutenant, les frères Zacharie et Antoine de Roncheval. Gressart loge chez l'hôtelier André Pineau. Les échevins s'inquiètent : ce capitaine encombrant risque de leur attirer des combats : on prend alors des mesures de défense et on s’arme. Jean Pin, procureur de la ville va à Nevers pour acheter « des arbesleste, lances, poudre de canon. » Jean Chalopin achète des fers de viretons et de chaussetrappes pour 9 L12 s 6 d.
  • Mais Gressart et sa compagnie ne font que passer ; ils vont combattre les troupes du Dauphin en Charolais et à Tournus. Sur le livre de comptes de la ville de Nevers, figure une liste des hommes qui composent cette petite troupe (moins de 100 soldats) ; on trouve Henry Baugy, capitaine de Decize, Jean d'Avril, Etienne de Serin, Henri de Balore et plusieurs mercenaires aux surnoms amusants : Nargue, Le Porc, Prouffit, Pacience... Un autre capitaine d'aventure rejoint Gressart : François de Surienne, surnommé l'Aragonais (3).
  • Perrinet Gressart revient de cette campagne pour prendre la ville de La Charité, qui depuis 1422 était aux mains des partisans du Dauphin. Il arrête l'un des principaux capitaines de l'armée du Dauphin, Georges de La Trémoïlle ; il le libère contre une rançon.

(2) André Bossuat, Perrinet Gressart et François de Surienne, Agents de l'Angleterre, Paris, Droz, 1936.
(3) François de Surienne, ou Francisco de Soriana, aurait peut-être été apparenté à la famille aragonaise des Borja, une dynastie d'aventuriers qui se fera connaître sous la forme italianisée de Borgia.

Les combats de Saint-Pierre-le-Moûtier Rosemont

  • Deux places fortes proches de Decize sont la proie de capitaines d'aventure. Saint-Pierre-le-Moûtier appartient aux hommes de Perrinet Gressart. Le château de Rosemont est enlevé à la dame de ce nom par Gauthier Coignard, commandant pour le duc de Bourgogne. Plusieurs habitants de Decize sont retenus prisonniers : Jehan Chalopin, Jehan Lhermite, Etienne Parpez, Gillet Goffet et Guillaume Pommereuil. Le château est repris quelques mois plus tard par Etienne de Jouville et les prisonniers sont libérés.
  • Decize n'a pas assez d'hommes d'armes. Les habitants font prier le chevalier de Champdié, commandant pour le roi, de venir tenir garnison dans leur cité, attendu qu'il n'y existe aucune troupe pour sa défense.
  • En 1427, une nouvelle menace se précise : « On ne sait dans quelle vue des hommes, vêtus de peaux de loups et ayant des barbes noires, furent surpris dans

les fossés de la ville ; ils étaient conduits par Beaulon de Lamotte-sur-Loire. Ce personnage fut saisi mais, n'ayant pas été convaincu des méfaits qu'on lui reprochait, il fut relâché et, en outre, reçut une indemnité de 11 L t. »

  • Le 2 septembre, M. de Paillard, chevalier seigneur de Meursant, gouverneur du Nivernais pour le roi, arrive à Decize et y fait son entrée le 4. On le reçoit avec pompe ; on lui donne à dîner et à souper chez l'hôtelier Bergeron. A ce repas assistent Hugues de Neuvy, Jehan Devaux, Jehan Chalopin...
  • Le 22 octobre, les ennemis se montrent dans les environs de la ville. Les magistrats envoient prévenir messieurs les membres du conseil du duché du péril qui les menace. Ceux-ci font savoir et connaître par un courrier à M. de Villarnois, qui commande à Champallement, leurs propres craintes. Pendant ces allées et venues, les ennemis se retirent.
  • Au cours de l'année 1429, deux villes du Nivernais, tenues par Gressart sont attaquées par l'armée du Dauphin. Le 4 novembre, Jeanne d'Arc et Charles d'Albret prennent Saint-Pierre-le-Moûtier. Le 23 novembre, le siège de La Charité commence, pour être rapidement abandonné. Dans la légende dorée de Jeanne d'Arc, diffusée plusieurs siècles après ces événements, la prise de Saint-Pierre est devenue un exploit : la Pucelle, ne disposant que de maigres troupes, fait appel à l'armée des anges pour franchir les fossés et les remparts. Dans la réalité, ces combats n'étaient que de brèves escarmouches, menées par des troupes qui n'excédaient pas trois ou quatre compagnies.
  • Pour les Decizois, le passage de Jeanne d'Arc à quelques lieues n'est guère qu'un sujet d'inquiétude parmi d'autres : on envoie un messager s'enquérir si la Pucelle approche ; de même, on craint un nouveau passage de Perrinet Gressart.

Pour voir la suite de ce texte : Decize pendant la guerre de Cent ans 2/2

Article proposé par Pierre Volut et mis en page par m mirault 5 août 2015 à 09:31 (CEST)