De Nevers à Dachau libération et retour

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La libération

À des signes certains, nous devinons que notre libération est proche. Vers mi-avril, les Allemands amènent à Dachau des détenus de tous les kommandos en dépendant et même ceux d'autres camps menacés par l'avance alliée. Les colonnes arrivent à pied, et dans quel état épouvantable ! Nous voyons entrer par la grande porte de véritables fantômes, aux yeux hallucinés qui viennent s'effondrer sur la place, arrivés aux dernières limites de la fatigue et de la résistance humaine. Malheur à celui qui n'a pas pu suivre les interminables colonnes. Un coup de pistolet, un cadavre abandonné au bord de la route ; ceux qui assistent, muets, au drame rapide se raidissent pour ne pas faiblir, pour arriver au terme du terrible exode. D'autres sont transportés par chemin de fer. Un train entier de Juifs avait été abandonné par les Allemands à proximité du camp. Les wagons furent ouverts à l'arrivée des Américains, tous les malheureux occupants étaient morts. Un jour je vis mon ami Geo Girard arrivant avec d'autres rescapés de Buchenwald. Qu'elle joie de lui serrer la main, d'essayer de lui venir en aide ! L'effectif du camp s'enfle rapidement : de 25 000 il monta à 30 000, à 40 000, à plus peut-être le 20 avril. La mortalité prit rapidement des proportions catastrophiques. Personne ne s'occupait des morts qui gisaient dans les cours des blocks, squelettiques, dans des poses affreuses. Les survivants sont entassés dans les baraques ; beaucoup ont la dysenterie et sont si faibles qu'ils ne peuvent quitter leur paillasse, même pour leurs besoins ; l'air est empesté ! Bientôt nous ne sortons plus du camp pour aller au travail. Fini le kommando ! Le sergent Hartig de l'usine est parti tristement sur le front il y a trois semaines. Les réfugiés allemands, fuyant devant l'avance des Alliés, logent dans le camp des SS et, de là ils vont chercher à gagner les montagnes du Tyrol. Au camp, notre fièvre grandit de jour en jour. Beaucoup de nos gardiens SS sont partis pour une ultime levée en masse. Des vieux, des invalides les remplacent ; c'est le "volksturm". Ils n'ont pas d'uniforme et sont moins redoutables que leur prédécesseurs. Brusquement, il est question d'évacuer le camp vers le Tyrol. Cela ne nous dit rien qui vaille et notre inquiétude est extrême. Le bruit se confirme. Le 26 avril au matin, les détenus sont réunis sur la place, en tenue de route c'est à dire avec un petit paquet et une couverture roulée. On nous groupe par nationalités. Beaucoup de détenus allemands se glissent parmi nous. Les Russes et les Allemands anti nazis partent les premiers. On a dit qu'en traversant le champ d'aviation de Munich (Schlessen), ils ont été mitraillés. Il paraît que les Russes, malgré de terribles pertes, se sont jetés sur les SS et qu'ils en ont eu raison. Les survivants auraient pris le maquis en attendant les Américains qui sont alors à proximité... Le lendemain, d'autres détenus devaient partir. De quelle nationalité seraient-il ? L'angoisse est à son paroxysme. Nous nous consultons, nous créons un désordre sans nom. Nous sommes prêts à toute éventualité. Sous la direction de camarades influents, notamment Emmanuel Bloc, nous prévoyons des blocs de choc. Quelques jours plus tard, nous apprenons que des Espagnols avaient caché une mitraillette et quatre pistolets sous le plancher d'un block. Les SS n'étant plus assez nombreux, ne veulent on ne peuvent employer la manière forte ; ils craignent la révolte et comprennent que des milliers de prisonniers, prêts à tout, peuvent être redoutables.

Nous arrivons au soir du 28 au milieu d'un énervement inqualifiable. Il n'y a pas eu d'autres départs. On entend le canon au loin, souvent, la mitrailleuse crépite. Nous allons nous coucher. Brusquement, vers 21 heures, les sirènes hurlent sans arrêt pendant plusieurs minutes. Nous nous dressons sur nos paillasses, le cœur serré, fous d'espoir, nous embrassant, car depuis huit jours, nous avons eu connaissance d'une décision allemande : si l'arrivée des tanks ou blindés américains est imminente, les sirènes des usines donneront l'alarme pendant 5 minutes. Ainsi, ils sont là ! La nuit se passe, coupée par intermittence de rafales de mitrailleuse. Avec quelle impatience nous attendons le jour suivant. Au matin, pas d'appel. Ce dimanche 29 avril devait être pour nous le grand jour, celui de la libération, si longuement attendue ! Vers 11 heures, des détenus qui sont grimpés sur les toits déclarent voir des tanks au loin dans la campagne. Depuis quelques jours, déjà des drapeaux blancs flottent partout au camp et dans les environs. Midi arrive ! Les heures passent, mortellement lentes. Nous étouffons. Aux environs, c'est un calme à peu près complet. Que se passe-t-il ? Pourquoi n'arrivent-ils pas ? Nous nous perdons en suppositions plus absurdes et invraisemblables les unes que les autres. Puis, tout à coup, c'est un bruit infernal : sifflement des balles, crépitement des mitrailleuses, vrombissement de moteurs. À 17 heures précises, des cris, des hurlements plutôt, montent vers le ciel. Les voilà ! Nous nous précipitons sur la place, vers les grilles, dans une ruée immense et irrésistible. C'est bien vrai. Derrière ces grilles massives, je vois des soldats en train de la faire ouvrir ; d'autres grimpent au sommet de l'édifice surmontant la porte d'entrée et y mettent un drapeau américain pendant que deux officiers nous regardent avec une sorte d'intense étonnement. Derrière les barbelés, de l'autre côté du fossé, des soldats courbés courent les armes à la main contre des bâtiments d'où partent encore quelques coups de mitraillette. Des blindés arrivent et les portes s'ouvrent pendant qu'explose notre joie. Des camarades pleurent, s'embrassent ; certains sont là, immobiles, le regard lointain. D'autres marchent en automates, comme hébétés. Il est difficile d'exprimer ce qu'on ressent dans un tel moment. L'émotion étouffe. Ne rêvons-nous pas ? L'abominable cauchemar a donc pris fin ! Les espoirs fous qui nous ont soutenus sont donc enfin réalisés ! Mais combien d'entre nous sont morts comme des chiens sans avoir eu le bonheur de vivre cet instant unique, de revoir leur patrie, leur famille.

On ne sait d'où ils sortent, mais dix minutes après l'arrivée des troupes de choc américaines des drapeaux de diverses nations sont hissés aux endroits les plus favorables. Quelques soldats entrent sur la place, bientôt entourés d'un singulier cortège d'hommes en vêtements rayés. Un étonnement douloureux se lit sur le visage de ces Américains. Une journaliste se trouve parmi ces troupes de choc, elle nous interroge pendant que nous ne pouvons cacher notre admiration devant son courage. Au loin, ça tire toujours. Au pied d'un mirador, sept ou huit SS sont étendus. Ils venaient d'être arrêtés, mais avaient cherché à tuer leurs vainqueurs, par traîtrise. Une rafale les a couchés sur le côté du fossé et il y étaient encore une huitaine de jours après... Dire que nous avons bien dormi la nuit suivante serait exagéré. Le bruit ne court-il pas que les Allemands préparent une contre-attaque, car quelques coups de feu claquent encore au loin. Le matin suivant, nous prenons vraiment conscience de notre bonheur. Dans l'enthousiasme, un comité international des détenus est formé. Chez nous, au block 4, je suis le délégué des Français. Pollet, Linet, Marchadier, Neveu, Le docteur Roche, etc. sont aussi mandatés. Michelet est notre président. Notre plus sérieux désir vient d'être satisfait. Pour la première fois depuis mon arrestation, je puis écrire à ma famille. Avec quel énervement, quelle émotion, nous faisons cette lettre ! À notre joie se mêle une inquiétude. Que sont devenus les nôtres ? Ne sont-ils pas malades, n'ont-ils pas eu à souffrir pendant la libération du sol français ?

Et quand pourrons nous partir d'ici ? Les Américains sont arrivés à flots et nous interdisent de sortir du camp. Évidemment, nous ne craignons plus de recevoir une balle, comme au temps tout proche de nos gardiens SS, mais les mitraillettes à la grille nous agacent. C'est qu'il y a, paraît-il, le typhus à Dachau. Mais il existe à l'état endémique depuis le début du camp et il est maintenant moins virulent qu'au cœur de ce dernier hiver. Ce n'est pas tellement de typhus que meurent maintenant les gens, mais de misère, de dysenterie. Nos libérateurs ne semblent guère se rendre compte des réalités et notre impatience grandit avec nos premières déceptions. Dans notre logique, nous pensions que les autorité américaines pourraient, après examen, envoyer les détenus bien portants dans le camp voisin des SS convenablement aménagé, et les autres seraient gardés, dans de meilleures conditions, dans le camp ainsi décongestionné. Il n'en fut rien. Au contraire, les risques de contagions augmentaient car les malades, couverts de poux, circulaient désormais librement, même dans les blocks non atteints. Nous étions donc là, par milliers, vivant dans le plus grand désordre, sans la moindre discipline. Les radios alliées, pendant l'occupation de la France, avaient proclamé que dès la libération, des vivres, des médicaments seraient donnés aux populations et aux prisonniers. Nous ne reçûmes rien des Américains, pas même un biscuit ou une cigarette. Mais comme nous avions pillé les stocks des SS, nous eûmes davantage de pain et de nombreuses boîtes de conserves de viande. Malheureusement, cette alimentation trop substantielle ne convenait pas à des hommes qui depuis des mois et des mois souffraient de la faim. Des dysenteries violentes s'en suivirent et la mortalité devint plus grande qu'avant le 29 avril. Les Français de l'armée Delattre de Tassigny, à 30 km de là, envoyèrent vers le 7 mai des camions chargés de vivres à leurs compatriotes. Ah ! qu'il était bon le pain blanc, le vin rouge, et les biscuits, et les confitures ! Délicieuses les cigarette et les cigares !

Afin de les filmer, on avait laissé les tas de cadavres devant le crématoire, mais quelle puanteur ! Malgré les protestations indignées du Comité International des détenus, ces derniers -morts ou vivants- ont trop servi pendant les jours qui suivirent la "libération" de figurants tragiques pour le cinéma...

Le retour

Nous attendions donc avec une impatience grandissante notre rapatriement sans cesse remis... En présence de cette situation, il fut décidé que les hommes bien portants qui pourraient s'évader, ne devaient pas avoir scrupule à le faire. Le vendredi matin 11 mai, avec un ordre écrit de travaux à faire exécuter entre les deux enceintes, ayant revêtu des habits civils, je partais avec Nobillot, Amblard et sept autres de ce camp maudit où nous étions bien décidés à ne pas rentrer ce soir là. Nous marchions d'un bon pas sur la route qui nous menait à Munich, distant d'une vingtaine de kilomètres. Là, nous avons trouvé une mission française de rapatriement des prisonniers de guerre. On nous reçut chaleureusement. Une femme-lieutenant de centre d'accueil de Metz, madame Aubrée, qui faisait partie de la mission, nous procura, comment ? un solide camion diesel de cinq tonnes. Des ex-prisonniers français nous trouvèrent gas-oil et huile et le 13 mai au matin, avec un "chargement" complet de vingt-cinq hommes, nous faisions route vers la France. Nous avons roulé jour et nuit, croisant de nombreux convois américains. À 30 ou 40 km de Munich, nous montons le camarade Isidore de Marseille-les-Aubigny (Cher) qui venait à pied avec un autre du Jura. Le volant en main, relayé parfois par un camarade, je traverse des villes anéanties qui furent Augsbourg, Ulm, Stuttgart, Karlsruhe. À Spire, nous franchissons le Rhin sur un pont de bateaux. Voici Sarrebruck, Deux-Ponts. À trois heures du matin, le 15, nous arrivons exténués au centre d'accueil de Metz. Un bon repas chaud, quelques heures de sommeil de plomb dans un vrai lit et nous voilà prêts pour la visite médicale. Ensuite, nous allons en ville dans nos tenues baroques. Comme c'est bon de s'entendre questionner par des civils français, de voir des inscriptions en français. Nous venons de recevoir la somme de mille francs chacun, nous allons prendre l'apéro ! Que c'est cher !...

Le 16, nous sommes à la gare régulatrice de Revigny. Là, nous sommes dispersés ; je suis dirigé sur Paris où m'attendent des amis prévenus par télégramme. Le 18 à midi, je me trouve enfin sur le quai de Nevers au milieu de ma famille et de bons camarades. Une vie normale va recommencer pour nous !

Sources

  • Écrit en 1946 et vécu par Monsieur Jean DELANCE de Guérigny
  • Texte communiqué par Michel Lévêque
  • Mis en page par Martine NOËL 29 mai 2019 à 10:02 (CEST)


Notes et références

Notes


References