De Nevers à Dachau arrestation et déportation

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De bon matin

Le 28 mars 1944, plusieurs agents de la Gestapo sont venus m'arrêter à mon domicile. Premier interrogatoire un mois après ; d'autres ont suivi. Mon séjour à la prison de Nevers se prolonge, les semaines s'écoulent, monotones...

Or il y a du nouveau ce matin 6 juin. Vers neuf heures, je suis tiré de ma cellule et je me trouve quelques minutes après dans une autre avec dix-sept détenus, parmi lesquels je remarque Buteau de Decize, Morillot de Nevers, Machecourt de Nolay, Gillot de Brassy, Nicolas de Saint Benin des Bois. On parle de notre transfert probable pour Dijon. Il est environ 11 h 30. On m'appelle au bureau de la prison. Ces messieurs de la Gestapo sont au courant d'une conversation que j'ai eue avec un voisin de cellule qui m'a raconté les diverses péripéties de son arrestation. Instant difficile, car les propos du camarade me sont rapportés presque mot à mot ! Faut-il supposer que Marguerite Maurice qui se trouvait dans la cellule dudit copain et qui vient d'être interrogé lui-même a parlé ? C'est possible... Je m'en tire en prétextant avoir mal entendu et je rejoins mes camarades.

Midi ! On nous rassemble près du bureau de la prison et on nous rend les stylos et portefeuilles confisqués à notre arrivée. Puis nous sommes enchaînés deux à deux ; mon compagnon est Buteau Louis. Un gardien français trouve le moyen de nous annoncer, au moment où nous franchissons les sombres portes, que le "débarquement" tant attendu a commencé ce matin ! Cette nouvelle nous emplit d'une joie indicible. De plus nous éprouvons un véritable soulagement de quitter cette prison de Nevers où nos questionneurs habiles et tenaces devenaient de mieux en mieux informés sur notre activité de résistants. Nous descendons du camion qui nous a amené en gare, à proximité du train de Dijon. Sur le quai les gens sont calmes, indifférents même. Alors, ce débarquement, n'est-ce pas un bobard ? Un camarade d'Imphy, nommé Laporte, nous aperçoit, s'approche en nous faisant des signes discrets d'intelligences, mais les SS voient son jeu et l'écartent vivement. Nous voyageons dans de confortables wagons et nos gardiens sont convenables. À Dijon, toujours enchaînés, nous sommes transportés de la gare à la prison où nous descendons de notre véhicule tenus en joue par les soldats boches. Puis nous sommes jetés dans une grande écurie, au milieu d'une foule de "terroristes" comme nous, venus du Jura, du Doubs, de la Saône-et-Loire... Harassés, nous dormons sur un peu de paille. Le lendemain, départ de Dijon. Où allons-nous ? Nous approchons de Paris. Le soir nos wagons sont détachés du train et stationnent par une nuit d'encre à la gare de triage de Bercy. L'espoir est dans nos cœurs. Nous pensons à nous évader, mais certains camarades nous en dissuadent : pourquoi risquer nos vies ou faire fusiller des otages puisque nous serons bientôt délivrés, car, n'est-ce pas, ce débarquement, il est bien exact qu'il a eu lieu ; la guerre sera bientôt finie, dans quinze jours, un mois au maximum. Telles sont nos illusions ! Notre gardien de compartiment a eu ses trois frères tués, des parents ont péri dans un bombardement ; il peste contre la guerre, mange un peu, flanque son fusil dans le filet, puis s'endort. Au matin nous repartons par la Ceinture sur le pont de Flandre où nous stationnons au milieu des dégâts d'un bombardement sérieux. Là, des cheminots, au risque de leur vie, prennent des bouts de papier que nous avons griffonnés en hâte et qu'ils adresseront à nos familles ; ils nous donnent des journaux et glissent même des scies à métaux pour nos menottes. L'un d'eux est pris. Qu'est-il devenu ? Le train ne peut aller plus loin, les voies sont coupées et nous sommes menés à la gare du Nord où la Croix-Rouge nous donne un bouillon chaud. La foule parisienne s'amasse, on nous lance des paroles d'encouragement. Nos gardiens nous emmènent au plus vite et nous arrivons bientôt au camp de Compiègne.

Compiègne

Camp immense où je vais séjourner une dizaine de jours. Nous parvenons à nous retrouver avec des copains dans la même chambre. Je suis responsable dans la baraque A 6 de la chambrée N° 6 et là, nous pensons à nous organiser au mieux en attendant la délivrance !

Au sortir de nos sombres cellules, sous la menace perpétuelle de l'interrogatoire, c'est une vie nouvelle presque belle qui s'ouvre à nous. Nos mains sont libres. Notre nourriture -peu copieuse, il est vrai- est mangeable et nous avons des colis de vivres et des cigarettes de la Croix-Rouge. Sur la grande place du Camp, certains jouent au football ; un théâtre d'amateurs donne des représentations. Une annexe du camp est destinée à d'autres détenus dangereux, nous dit-on : c'est le camps d'Eysses transféré là en entier.

Et la guerre continue ; le vacarme des bombardements alliés dans les environs est pour nous une sorte de réconfort. Il circule dans le camp des bruits de notre déportation en Allemagne ; mais les Alliés pilonneront les gares importantes, nos camarades de la Résistance couperont les voies ferrées et... la fin des hostilités nous trouvera à Compiègne !

Un matin, nous apprenons qu'une dizaine de détenus dont le jeune Drouillet de Nevers, se sont enfuis : ils ont utilisé un tunnel patiemment et ingénieusement creusé sous le dispositif d'enceinte et près d'un mirador.
Et puis, le 18 juin, c'est le départ de Compiègne.

De Compiègne à Dachau

Ce matin du 18 juin, sur pied depuis 5 heures, nous sommes groupés en longues colonnes, comptés et recomptés. Vers 7 heures, sous une pluie battante et la menace des mitraillettes, nous nous dirigeons vers la gare, à travers les rues de Compiègne. Les gens de la ville nous regardent, silencieux et tristes : ils en ont tellement vu passer de ces lamentables cortèges !

Sur les quais de la Petite Vitesse, nous stationnons longuement, puis on tasse 125 par wagons à bestiaux. Il y a dans mon wagon deux bottes de paille et un bidon en métal (tinette). Nous avons reçu chacun une boule de pain et un morceau de saucisson ; pas de boisson. Un officier allemand nous harangue ; nous devons, prétend-il, nous réhabiliter par le travail dans le Grand Reich, du mal que nous avons fait ici en France. Après quoi, les portes des wagons sont solidement fermées. L'aération de chacun d'eux n'est assurée que par deux petits vasistas. Le train s'ébranle vers 10 heures. Quoique très serrés, nous n'en éprouvons pas tout d'abord une grande gêne. Je suis dans le fond de mon wagon, accroupi auprès de Nobillat, Marguerite, Buteau et d'un curé du Jura nommé Schumacher. Nous grignotons notre pain ; Nobillot chante la "chanson de St-Jean" et nous faisons des pronostics. Où allons-nous ? En Allemagne ? En Autriche ? Certains prétendent qu'on nous emmène en Alsace, à Schirmec.

Puis la nuit vient, le train s'immobilise en pleine campagne lorraine. Bientôt, dans le noir de cette nouvelle cellule, nous suffoquons et nous baignons dans la vapeur intense de nos respirations. Quelques-uns se mettent à déraisonner ; certains s'affolent, perdent leur place, se font houspiller et frapper. Nuit épouvantable. Nous pensons mourir de soif et d'asphyxie. Jacques, un médecin de Metz, essaie en vain, à tâtons dans les ténèbres, de venir en aide aux malades ; il nous donne des conseils : "Ne quittez pas vos vêtements, car vous vous déshydrateriez rapidement".

Au matin, nous repartons. Grâce à la vitesse du train, un peu d'air frais se glisse par les vasistas. La pluie tombe par intermittence et nous faisons des prodiges pour recueillir quelques gouttes ; quelques-uns nous secourent, même des soldats allemands. Mais que sont deux ou trois bouteilles d'eau pour les 25 hommes assoiffés ? Dans l'après-midi nous arrivons à Saverne. Là, les portes sont ouvertes et un officier entre dans le wagon derrière un SS -un "dompteur"-. Nous sommes comptés à grands coups de cravache, puis bouclés à nouveau. Et l'on repart... Nous franchissons le Rhin un peu au nord de Strasbourg pour atteindre Karlsruhe vers 22 heures. Nuit plus tragique encore que la précédente. La moitié des occupants du wagon sont littéralement fous. Les uns hurlent, les autres vous bousculent, vous saisissent à la gorge et se font assommer dans les ténèbres. Impossible de rétablir l'ordre. Dans la bagarre, la tinette est renversée et finit d'empester l'atmosphère déjà irrespirable. Cette nuit-là fut la plus mauvaise de toutes ma détention. Au petit jour, nous trouvons deux morts : Moreau de Montillot près de Vézelay et Nicolas de Saint Benin des Bois. Comment et à quelle heure sont-ils morts ? Se sont-ils évanouis et les brutes affolées les ont-elles piétinés et achevés involontairement ? C'est possible. Nous sommes là quelques-uns à la fois attristés et indignés par la bestialité de certains de nos compagnons revenus pendant cette nuit tragique à l'état de la brute primitive.

Le train roule maintenant et vite. Nous traversons Ulm et franchissons le Danube. L'affolement a disparu en partie. Pourtant, un jeune énergumène boit son urine ; on essaie de le ramener à la raison en lui administrant une bonne paire de gifles. Vers midi nous sommes à Munich ; nous en repartons bientôt. À Dachau, arrêt. Nos portes sont ouvertes et on nous fait descendre sous la menace des mitraillettes et de chiens policiers. Nous tirons des wagons nos morts et nos malades qui sont disposés pêle-mêle sur le ballaste, deux camarades sont fous.

Quel spectacle ! Hâves, puants, hirsutes, nous sommes groupés, soutenant les malades que le grand air remet un peu. Puis le lamentable cortège s'ébranle à travers Dachau en direction du camp distant de 4 km. Nous traînons nos pauvres bagages ; nos gardiens ne nous bousculent pas. J'ai vu des femmes pleurer et se signer à notre passage. Certains d'entre nous boivent au ruisseau, mangent une poignée d'herbe arrachée au bord de la route. Clopin-clopant, nous arrivons à la porte du camp.

Sources

  • Écrit en 1946 et vécu par Monsieur Jean DELANCE de Guérigny
  • Texte communiqué par Michel Lévêque
  • Mis en page par Martine NOËL 29 mai 2019 à 10:02 (CEST)


Notes et références

Notes


References