Cahier de Léon Hogard 1917 (2)

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Guerre 1914-1918 57.jpg

Le Bois-le-Prêtre.

  • Nous quittons le Chemin des Dames pour la Lorraine, où je cantonne à Gerbécourt, à vingt kilomètres de Tonnoy, où j'irai une fois sans permission.
    Et puis, c'est le Bois-le-Prêtre. Mais, auparavant, il faut subir la vaccination anti-typhoïdique. Ceci se passe dans des baraquements à quelque dix kilomètres de Maidières. Pour y arriver, nous avons traversé Dieulouard et j'ai pu dire à la sœur de Zen-zen où il était mort et comment.
    Vaccinés à 8 heures du matin, on nous avait promis deux jours de repos. Hélas ! à 15 heures, on mettait sac au dos et direction les lignes. Terrassé par la fièvre, il m'a bien fallu suivre quand même. Les deux première étapes furent dures mais, après, j'étais vidé. Le lieutenant me dit de rester avec les traînards et de les faire suivre. Étant le plus malade, je fus bientôt seul sur la route. J'arrive à la fontaine du "Père Hilarion", où je dois prendre le boyau qui s'enfonce dans la forêt. Je fais environ 200 mètres dans ce boyau bordé de treillage, le fond garni de caillebotis, et je tombe à genoux. C'est en me traînant que j'ai rejoint mon escouade, au poste de combat. Mes gars ont fait le tour de garde. Ils m'ont fait une place sous une tôle ondulée rouillée et m'ont laissé dormir ma suffisance. Le lendemain, plus de fièvre. J'apprends que notre poste, quoiqu'en première ligne, ne communique avec personne, ni à droite, ni à gauche. Notre compagnie se trouve quelque part sur la gauche et sur la droite ce sont les Tabors. Autour de nous, ce ne sont que vieilles tranchées encombrées de barbelés, de branches d'arbres, même de troncs mutilés par la mitraille. La bataille a dû être terrible quand elle sévissait là.
    Une sentinelle est placée à quelque vingt mètres en avant et pour faire la relève, la nuit toutes les deux heures, je n'avais trouvé rien de mieux que de me coucher aux pieds de la dite sentinelle. Une nuit, je suis réveillé par un coup de pied dans les côtes. C'était le commandant, seul, qui faisait l'inspection des postes. J'eus beau lui expliquer les raisons pour lesquelles j'étais là, il m'engueula, me disant que si les Allemands prenaient la sentinelle, je l'étais aussi, et que ma place était en arrière, avec le reste de l'escouade. Il me fallut reculer, ce qui ne simplifia pas le service.
    Dans l'escouade, il y avait un zouave, originaire du Nord, du nom de Goris. Il avait une photo d'une jeune fille d'Ormes-et-Ville, une hystérique connue au cantonnement. L'idée lui vint de la fusiller, ce qui fut fait en riant, bien sûr : il posa la photo sur le parapet et pan sur Aglaé. Pauvre Aglaé ! Mais, dans la soirée, arrive un soldat de l'État-Major, qui nous accuse d'avoir coupé le fil du microphone, placé en avant de nous. Nous l'ignorions. Des fils, il en traîne partout. Cela ne l'empêcha pas de faire un rapport qui valut huit jours de prison à Goris et à moi une bonne semonce.
    Nous n'avons eu qu'une alerte, un matin, très tôt. Le poste marocain fut attaqué, mais il repoussa les Allemands. J'ai su en 1930, par mon ami Grollier, que c'était son poste qui avait été attaqué ce matin.
    Nous sommes relevés et prenons le secteur sur la rive gauche de la Moselle, en aval de Pont-à-Mousson. La section est postée en deuxième ligne, au barrage sur la rivière. C'est une sorte de grand filet de grillage, soutenu par des sapins entiers qui servent de flotteurs, et plombés de morceaux de fonte, et cela afin de retenir tout objet qui serait expédié par eau aux Allemands. Tous les matins, nous visitons le filet, en faisant de l'équilibre sur les troncs d'arbres. J'en suis et c'est ainsi qu'après un bombardement de Pont-à-Mousson, nous avons fait une pêche miraculeuse. Les poissons ont été mangés par les deux sections qui se trouvaient là et les grosses pièces sont allées à la popote des officiers.
    C'est souvent que je rêvais sur les bords de cette rivière, sachant qu'elle avait coulé sous le pont à Tonnoy. Elle me rappelait mes bains, mes pêches à la main et les longues glissades en bandes sur les mares gelées en hiver.
    Puis mon escouade est désignée pour un poste en première ligne, poste établi dans une villa perdue au milieu des vergers, à quelque cent mètres en avant. Nos créneaux sont troués dans le mur de la courette. Devant nous, de larges réseaux de barbelés. Ici, tout est calme, ce n'est plus la guerre. J'en profite pour reconnaître le terrain. Je longe un grand mur qui clôt la propriété et je découvre un pommier dont les fruits précoces sont mangeables.
    J'y reviens avec deux gars et chacun une musette. Je monte sur l'arbre, ainsi qu'un des poilus et la cueillette commence. Tout à coup, une mitrailleuse aboie de la côte de Noroy et nous envoie une grêlée qui coupe les branches au-dessus de ma tête. Nous nous laissons tomber de l'arbre, sans prendre le tronc, et nous voilà à plat ventre. Une deuxième rafale déchire le milieu de l'arbre. En rampant dans l'herbe, nous rejoignons l'abri du mur. Nous avons eu chaud, mais il y avait des pommes dans les musettes.
    Nous étions en train de déguster des pommes quand le commandant arrive, toujours seul. Il a entendu la mitrailleuse. Il voit les pommes et comprend. Après avoir demandé le chef de poste, il me fait remarquer qu'il ne faut pas exposer sa vie en-dehors du service. Dans le fond, je suis sûr qu'il était heureux que nous n'ayons pas trop la pétoche. Se souvenait-il du Bois-le-Prêtre ? Je l'ai pensé car, après lui avoir décliné mon nom, il n'avait plus l'air bien sévère. Encore un incident risible. Cossonneau va aux feuillées et, au moment où il était accroupi, un obus éclate près de lui et remplit de terre son pantalon. En courant, il arrive vers nous, tenant sa culotte à deux mains. Pour se débarrasser de la terre, il lui fallut se mettre nu sous nos yeux moqueurs. Durant la semaine passée là, deux obus seulement sont tombés, un devant le mur et l'autre derrière, sur les feuillées ; c'étaient des 88.

Le secteur du Bois-le-Prêtre, à l'ouest de Pont-à-Mousson.

  • Notre commandant nous faisait souvent des surprises au petit poste, la nuit. Une nuit, il essuya deux coups de fusil d'une sentinelle ; la chance voulut qu'il ne soit pas touché.
    Il existait un boqueteau, Bois-Joli, que nous occupions toutes les nuits et évacuions au petit jour. C'est avec une sainte frousse que chaque escouade s'y rendait le soir, à tour de rôle ; vraiment c'est "le trouillomètre à zéro" qu'on occupait ce petit ravin boisé, vraiment propice à un guet-apens.
    Puis, en Lorraine, c'est à Fey-en-Haye que nous avons pris les lignes, dans les ruines du village. En avant et assez loin, étaient les postes des guetteurs. Nous couchions dans des sapes aménagées, avec couchettes en grillage.
    Je n'ai jamais vu tant de rats. J'en ai compté jusqu'à trente qui se suivaient à la queue-leu-leu sur le parapet. Un de ces maudits rongeurs a percé mon sac, sous ma tête, pendant que je dormais. Il a tiré le tabac dehors, pour atteindre mes biscuits de réserve. Dans les feuillées, où étaient versés les immondices et les restes de nourriture, c'étaient des légions de rats qui se sauvaient quand on s'y rendait.
    À Fey, j'ai mangé des fraises et des groseilles dans les ruines.

Bois-le-Prêtre

Au Bois-le-Prêtre, de Lucien BOYER, sur l'air d' Au Bois de Boulogne (Aristide Bruant).

1. Je vais chanter le bois fameux,
Où, chaque soir, dans l'air brumeux,
Rôde le Boche venimeux
À l'œil de traître :
Où nos poilus au cœur altier
Contre ce bandit de métier,
Se sont battus sans lâcher pied :
Au Bois-le-Prêtre !

2. On est terré comme un renard,
On est tiré comme un canard,
Si l'on sort, gare au traquenard
Où l'on s'empêtre.….
Dès que l'on quitte son bourbier
On reçoit un lingot d'acier,
Car l'on est chasseur et gibier
Au Bois-le-Prêtre !

3. Tous les arbres y sont hachés,
Et des Bavarois desséchés,
Là-haut, sont encore accrochés
Sur un vieux hêtre.
Ils y sont pour longtemps, dit-on,
Car, même le vautour glouton
Vous a le dégoût du Teuton,
Au Bois-le-Prêtre !

4. Là-bas, le fauve, c'est le pou.
Ce que l'on se gratte, c'est fou !...
D'abord, on lutte avec la poudre de pyrètre.
Puis aux "totos" on s'aguerrit,
Et l'on conclut avec esprit :
Plus on a de poux, plus on rit,

Au Bois-le-Prêtre !

5. On est sale, on est dégoûtant,
On a tout de l'orang-outang,
On rit de ressembler pourtant
À cet ancêtre !
Dans la boue on vit et l'on dort,
Oui, mais se plaindre, on aurait tort :
La boue ! Elle a des reflets d'or
Au Bois-le-Prêtre !

6. Si, du canon bravant l'écho,
Le soleil y risque un bécot,
On peut voir le coquelicot
Partout renaître....
Car, dans un geste de semeur,
Dieu, pour chaque Poilu qui meurt,
Jette des légions d'honneur
Au Bois-le-Prêtre !

7. Après la guerre nous irons
Et nous nous agenouillerons,
Sur chaque croix nous écrirons
En grosses lettres :
"Ci-git un gars plein d'avenir,
Qui sans un mot, sans un soupir,
Pour la France est tombé martyr"

Au Bois-le-Prêtre !



Ces paroles sont tirées de "Chansons de guerre" aux Éditions Berger Levrault. Le couplet VI est facultatif.
Une version moderne a été enregistrée en 1993 avec douze autres titres sur un disque compact "La Grande guerre en chansons" à l'initiative de l' Historial de la Grande Guerre (Somme)
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Texte de Pierre Volut http://histoiresdedecize.pagesperso-orange.fr/index.htm et http://lesbleuetsdecizois.blogspot.fr/ mis en page par Martine NOËL 20 mai 2017